Je suis là depuis des heures, j’attends. Le froid de la nuit a déposé un brin d’humidité, je crains de ne plus être si solide en sortant de là. La porte s’ouvre enfin dans un bruit sec et métallique. Je ne vois pas cette main qui me saisit. Je sens bien que je ne suis pas seul, la pression des doigts est amortie par mes compagnons. Enfin le trajet prend fin. J’ai dû intriguer car très vite on me saisit à nouveau. Le papier qui me protège se déchire dans un bruit sourd, précédant de peu les rayons du soleil. Je vois le jour. Autour de moi, s’étalent les enveloppes en uniforme blanc. Les timbres quant à eux, déjouent les lois de la géographie et de la politique : les places italiennes se retrouvent près des Carcajou falls et de l’Abraham Lake, la statue de la liberté regarde droit dans les yeux la reine d’Angleterre qui a choisi une couleur de circonstance… Au milieu de ces paysages sublimes, de ces têtes illustres, les Marianne rouges et vertes dominent par le nombre et leurs couleurs trop criardes. Ma simple enveloppe kraft, nue, sans timbre ni adresse, a du dénoter.
On m’effleure, le pouce joue avec les tranches dorées de mes pages, j’envoie un souffle délicat sur ce visage baigné de tristesse. La main gauche décide de découvrir l’intérieur et vient plaquer les fleurs de ma couverture sur le bois clair de la table. D’une belle écriture fluide et élégante, un prénom est écrit. Hortense. Il est temps pour moi, de délivrer le message qui m’a conduit ici…
« Je ne sais comment commencer. Il y a tant de choses à dire… j’ai choisi ce format car il ne m’est pas possible de choisir mes mots pour qu’ils tiennent sur une carte. Je vais donc commencer par le début. Je veux vous dire « merci ». Merci à vous d’avoir eu cette magnifique fille. Sans vous je n’aurais pu la rencontrer. Laissez moi vous conter comment elle est entrée dans ma vie.
Il est des gens qui, quand on les voit, attirent notre regard, déclenchent l’envie de les approcher. Hortense est comme ça. Nos rencontres à l’école étaient rythmées par des sourires, des mots gentils et sa voix douce. Notre premier repas, nous l’avons partagé en toute simplicité autour d’un plat de pâtes. Repas improvisé, avec ce qui deviendra notre trio d’amies. De fil en aiguille nous avons tricoté cette relation, pour en faire un nid confortable où nous plaisions à nous retrouver. Il n’y a pas d’exclusivité car Hortense construit de riches relations avec les gens qu’elle rencontre. Elle fait l’unanimité dans chaque microcosme. Nous c’est le groupe « Noirmoutier », avec les thés du vendredi matin, les goûters du dimanche après midi, les soirées avec nos familles. Les rires, les larmes, les confidences, les projets. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers…
Quand elle parle de vous c’est un monde nouveau, son monde qu’elle nous fait découvrir. Avec amour, chaleur et bienveillance elle m’a permis de vous connaitre avant même de mettre un visage sur ces noms.
Un père merveilleux, dont la forêt d’émotions reste souvent inaccessible. Ce refuge sur qui on peut compter même s’il semble impénétrable. Au centre de cette forêt, la clairière est illuminée par la sagesse de cet homme et son amour pour ses proches.
Une mère dévouée, dont les rochers de Ploumanach résument le caractère. Fort face aux éléments de la vie, faisant barrage pour protéger son littoral, mais dont la surface arrondie accueille avec douceur ses protégés.
Puis il a fallut s’y retrouver dans cet ensemble de trois frères. Au fil des discussions j’ai donc fini par comprendre les différences dans cet amalgame tant de fois cité « mes frères ». Il y a David, insaisissable comme le vent, mais toujours présent. Tantôt tempête, tantôt douce brise. Louis, discret comme une source souterraine, qui vient nourrir en profondeur et jaillit là où on a besoin de lui. Il est là, en silence, guettant le bon moment. Enfin, Thomas qui tel le feu apporte lumière et chaleur. Hortense aime venir s’y réchauffer l’âme quand les éléments se déchainent, compte sur sa puissance pour la défendre et garde au fond d’elle la douce lumière de sa flamme.
C’est ainsi que je vous vois, décrits années après années par mon amie. Généreuse, Hortense me fait connaitre ce qu’est la douceur d’une famille en se racontant. Elle dit souvent la chance qu’elle a de vous avoir. Ces dernières années, aucun de vous ne l’a faite mentir.
Une maille à l’endroit, une maille à l’envers… déjà sept ans. Notre nid n’était pas terminé mais il existe. Sept ans c’est déjà un cadeau. Je vais pouvoir m’y blottir en pensant à elle. Quand les larmes quitteront mon visage, quand la peine sera cachée par le retour de la Vie, quand prononcer son nom ne pincera plus mon cœur, je veux y venir pour me rappeler son sourire, son rire, sa joie si communicative.
Alors je vous le redis, du fond du cœur, MERCI. Elle est ainsi parce que son potentiel d’amour, de joie a pu se développer et s’épanouir grâce à votre foyer.
Ce simple mot ne peut rien contre la peine, le manque, l’absence, la douleur… Il n’existe aucun mot qui possède ces propriétés, alors nous colmatons tant bien que mal les blessures. Nous aurons désormais une chaise de libre autour de la table, une place sur le sable lors de nos pique-niques, une tasse qui reste propre le vendredi matin… ce n’est pas le vide, seulement une présence que nous ne percevons pas avec les yeux.
Il reste des pages à ce carnet car tout n’est pas fini. L’écriture se fera désormais avec de l’encre invisible pour nous, de même nature que ces liens forts qui vous relient et nous relient à elle. »
Je reste ouvert alors que les larmes viennent m'entourer. Un simple point a suffit à faire stopper les mots, mais pas la peine. J’attends, dans le silence des sanglots. Puis le voyage se poursuit, les mains tremblantes me saisissent et me présentent à une assemblée de mines endeuillées. Puis je passe de tristesse en chagrin, délivrant à chacun ces mots-pansements. Je réalise alors que mon sort est désormais lié au leur. Je sortirai autant de fois qu’il le faudra, pour que mère, père, frère, mari et filles épuisent leur chagrin en lisant ces quelques mots. Je me glisserai dans la forêt, me faufilerai entre les rochers, calmerai la chaleur du brasier, apaiserai la violence du vent, réduirai le tumulte du fleuve.
Je suis heureux du sort qui m’attend, parmi tous les rôles qu’un carnet peut endosser, celui-ci me semble le plus noble. Je tisse entre les être chers un lien que la mort a essayé de rompre. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers…
Il fallait y penser, à cette idée... ou comment sublimer le chagrin en espoir. Merci pour ce texte, merci de l'avoir partagé avec nous.
quelques coquilles :
"a du dénoter" => dû
"Puis il a fallut" => fallu
"Un simple point a suffit" => suffi
J'ai encore un peu de mal à comprendre qui écrit dans le carnet (un ami ou plus?) et pourquoi il parle autant de sa famille.
Je n'ai pas compris l'utilisation répétée de l'expression "une maille à l'endroit, une maille à l'envers" mais peut-etre cela viendra plus tard dans l'histoire.
En effet c'est une amie, qui vient de perdre une de ses meilleures amies. Ce message s'adresse à sa famille... Les amitiés mais aussi les liens familiaux se tissent par les échanges, mots, gestes, attentions... Les relations se construisent, tout comme un tricot, d'où la reprise des mailles...
Merci pour ta lecture
L'approche est hyper original, avec la narration faite pas le carnet.
Et le texte délivré est doux, rempli d'amour, mélancolique...
Mon petit cœur a palpité en parcourant ces lignes
Bravo !