Le carton

Par kkt8

- Je t'avais dit que par la ravine c'était risqué après les pluies de ces jours-ci ! rouspéta Ben. Il était à bout de souffle, la boue collait à ses chaussures, ses mollets griffés par les ronces ! Mais le pire c’était sa chemise ! Elle n’avait même pas 24 heures et était déjà bonne à jeter ! Comme lui, bon à jeter !

- Oh ça va ce n'est qu'une chemise !!! répondit Aurore avec amusement. Elle riait de tout, et sur tout, et surtout des gens, et même d’elle-même. Evidemment, elle se cachait derrière ce rire. Des histoires, des blagues, des jurons, tout plutôt que de parler d’elle.

- Oui bien sûr !!! c'est facile à dire pour quelqu'un qui est blindé de frics ! Il avait dit ça avec hargne, ça l’énervait profondément les gens pour qui la vie était aisée, c’était tellement galère pour lui la vie !

- Alors je te le répète je ne suis pas blindée ... ce sont mes parents qui ont du pognon ! Et ils ont travaillé dur pour ça d'ailleurs soit dit en passant ... Moi je n'ai fait que naître là ! Ce “que naitre là” avait une résonance particulière pour elle, elle avait toujours eu ce sentiment d’être un imposteur, une escroc, une voleuse.

- Oueh ...

Le climat était électrique entre Aurore et Benedict. Bien qu’il l’adorait, son habitude de n’en faire qu’à sa tête l’exaspérait des fois, et aujourd’hui en particulier. Il avait passé une mauvaise journée et Aurore, elle, était toujours prête à faire les 400 coups.

- Allez ne sois pas fâché Ben, il me semble que mon père garde un carton avec des chemises hawaïennes dans le sous-sol… je te les donnerais toutes si ça peut te consoler. Réagit Aurore tout en rigolant …Elle repensa à son père la dernière fois qu’elle l’avait vu porter une de ces horreurs, elle avait tellement rit car il portait les mêmes fleurs sur cette chemise que celles de la plante que sa mère était en train de rempoter, comme si elle venait de la lui tricoter.

- Quoi, elle ne te plait pas ma chemise ? Moi je l'adooore, je l’ai dégotée ce week-end et je trouve qu’elle me donne l’air joyeux. Ben offrit toutes ses dents à Aurore, comme une preuve de sa fierté.

- Oui, très très gay !! tu as tout à fait raison, pouffa Aurore en imitant son ami, toutes dents dehors.

- Oh arrête avec ça, j’aurais jamais dû te le dire, soupira Ben, il perdit tout à coup de sa superbe et baisa la tête en quête de soutien auprès de ses chaussures.

- Tu sais que tu peux tout me confier Ben, et surtout ça ! dit Aurore au pied de la rambarde en bois qui séparait la ravine de son jardin. Qu’est-ce que je m’en tape que tu aimes les garçons … je n’avais pas l’intention de te passer la bague au doigt ! Et jamais je ne me permettrais de te critiquer sur le sujet. Par contre, je ne changerais pas ma façon d’être avec toi pour autant ! Je me moque gentiment et tu le sais très bien !

Ben, renfrogné, songea à ce qu’il subissait parfois au lycée et se dit que les moqueries de sa meilleure amie prouvaient qu’en effet, elle au moins, avait accepté son “état” … Oh que c’était dur pour lui de s’affirmer et de ne plus penser être différent, ou un “monstre” comme avait dit son père !

Ils enjambèrent la rambarde en bois, quittant un monde sauvage fait de buissons épineux et de coulées de boue pour rejoindre un jardin luxuriant. La pelouse avait été fraîchement tondue et on sentait encore l’herbe humide tout juste coupée. Leurs chaussures boueuses leur apparues soudain incongrues, ils les ôtèrent tous deux, sans s’être concertés, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde que de se déchausser pour marcher dans un jardin. Le plus surprenant était l’odeur, plus forte que l’herbe coupée, c’était les fleurs des frangipaniers, que sa mère avait plantés il y a quelques années. Aurore adorait ce parfum, tellement enivrant, ça sentait le paradis. Ben, lui forcément, en était allergique, et il se mit à éternuer et à pleurer dès la rambarde franchie …

- Atchouuuum, j’avais oublié ces satanées fleurs ! J’adore ta mère, mais je suis sûr qu’elle a fait exprès de planter ces trucs pour me faire fuir ! elle me déteste ! moucha Ben entre deux éternuements. Il s’avait que c’était faux, la mère d’Aurore considérait Ben presque comme son fils. Il était plus proche d’elle qu’il ne l’avait jamais été avec sa propre mère.

- Mais n’importe quoi, elle t’adore ! Allez dépêche-toi si tu veux te mettre à l’abri de ces terribles prédatrices mortellement odorantes, ria Aurore de plus belle.

Heureusement qu’elle avait Benedict dans sa morne vie songea Aurore. Elle était si quelconque, pensait-elle, que personne ne lui parlait depuis sa plus tendre enfance. C’est à peine si on la remarquait. Plus jeune, elle pensait même être invisible, se persuadant que c’était la seule raison. Un jour, Benedict, arriva dans son école, et tous les enfants s’étaient mis à rire et se moquer lorsque Madame Hoarau, la directrice de l’école, avait appelé Benedict lors de l’appel de la rentrée permettant de diriger les uns vers une classe, les autres vers une autre. Bien que Madame Hoarau eût expliqué qu’il ne fallait pas se moquer Benedict avait un prénom de fille parce qu’il était d’origine anglaise, ce qui empira la situation bien évidemment. Benedict fut attiré, comme aimanté, par la seule enfant qui ne riait pas de lui… Aurore !

- Rory, tu plaisantais quand tu m’as parlé de ce voyage que tu voulais faire l’année prochaine ? dit Ben, en franchissant la porte d’entrée de la maison.

- Je ne sais pas trop, j’ai l’impression qu’il faut que je change quelque chose dans ma vie, qu’il faut que j’aille voir ailleurs si j’y suis, tu vois ? j’ai l’impression souvent de ne pas être à ma place, comme si j’étais attirée par l’ailleurs. Je ne sais juste pas où aller. Tu n’as jamais la sensation de ne pas être là où tu devrais ? questionna Aurore, tout à coup préoccupée.

- Si, bien évidemment ! S’il devait y avoir un royaume des gens-qui-se-sentent-pas-à-leur-place j’en serais roi ! répondit Ben du tac au tac. Mais je n’ai pourtant pas envie de partir ! J’espère que tu vas rester, chuchota-t-il plus pour lui-même que pour Aurore.

C’était chez lui qu’il ne se sentait pas à sa place, pas sur cette ile avec cette amie fabuleuse qu’était Aurore, s’il avait pu naitre ici plutôt, comme sa vie aurait été différente.

Aurore ouvrit la porte d’entrée de sa maison. Une odeur de cookies s’éleva ainsi qu’un air de jazz. Elle sut aussitôt que Lucie était là et se réjouit de sa présence réconfortante. Elle déposa son sac sur le meuble imposant de l’entrée et jeta ses chaussures en vrac devant la porte, imitée par Ben, et fila aussitôt dans la cuisine. Elle adorait cet endroit, baigné de soleil d'où on voyait au loin l’océan indien, surtout quand Lucie y faisait régner la joie. Elle avait le chic pour créer une atmosphère presque familiale quand elle était là. On aurait dit qu’elle avait toujours vécu ici.

- Lucie ! Aurore se jeta dans ses bras !

- Ma chérie ! Lucie câlina Aurore, elle aimait cette fille comme sa propre fille, enfin elle pensait qu’elle l’aurait aimée autant. Elle n’avait jamais eu d’enfant. Avec son défunt mari, ils avaient toujours repoussé l’idée, préférant profiter l’un de l’autre, de ces longues balades à parler de tout et de rien, et surtout de rien, ils adoraient discuter du temps, des actualités, de leurs amis, du temps qui passe. Et qui passa en effet trop vite, ne leur laissant que peu de chance d’avoir une descendance. Mais elle avait été très heureuse avec son homme, et ne regrettait rien.

Lucie lâcha son étreinte et attrapa le plat couvert de cookies pour en proposer aux deux lycéens.

- Je sais que vous mangez mal à la cantine, profitez de ces quelques biscuits que j’ai cuisine avec amour, proposa Lucie.

- Huuuumm, quisssonbooon, baragouina Ben en engloutissant le plus gros qu’il ait trouvé. Lucie tu as des doigts de fée.

Aurore piochant dans le plateau de biscuits en récupéra quelques-uns, attrapa Ben par la main, ils sortirent de la cuisine.

- Merci Lucie, on monte dans ma chambre, on a un exposé à préparer.

Après avoir récupérer leur sac de cours dans l’entrée, ils cavalèrent dans les escaliers jusqu’au palier et s’avancèrent jusqu’ à une porte fermée au fond d’un immense couloir. Aurore ouvrit la porte et se jeta de tout son poids sur son immense lit. Ben posa son sac à dos sur le bureau et en sortit un gros agenda qu’il feuilleta.

- Alors “Rosa Parks” ??? je ne sais même pas qui c’est !

- Pardon ? tu te fiches de moi ?? mais quand même c’est un peu grâce à elle que tous les américains sont égaux, c’est une militante qui s’est battue pour qu’il n’y ait plus de différences entre les noirs et les blancs !

- Ah c’est elle qui a refusé de laisser sa place à un blanc dans l’bus ? se gratta-t-il le menton

- Oui voilà ! Ça a déclenché tout un tas de réactions, le boycott des bus par la communauté noire et fait connaître Martin Luther King complèta Aurore avec une passion dans la voix qui illuminait ses yeux ! bref allume mon ordi on va faire des recherches …

Aurore s’était toujours intéressée à ces destins de femmes extraordinaires, et elle les admirait ! c’était tellement facile de vivre cachée, de ne surtout pas exposer ce qu’elle pensait, ce qui l’animait au plus profond d’elle. Elle aurait aimé être comme ces femmes, avoir le pouvoir sur elle-même, sur sa timidité et ses complexes. Elle avait dévoré le livre de Michelle Obama et admiré son histoire, son parcours et la force de ses convictions ! Même si elle avait des convictions, elle n’arrivait jamais à s’imposer pour les exprimer. Que c’était difficile de sortir de sa coquille, qu’est-ce qu’elle aimerait avoir le bagout de l’autre moule à gaufre de Louise. Belle, intelligente, et en plus sympa, mais comment faisait-elle pour avoir autant confiance en elle ? Aurore était torturée par cette question. Elle avait été littéralement scotchée par la performance de Louise au concours d’éloquence des lycées. Elle avait défendu l’égalité entre les hommes et les femmes avec un aplomb démentiel, et les arguments avancés étaient largement partagés par Aurore. Elle aurait aimé au moins être comme elle, mais être son amie.

Après une heure et demie de travail, les deux amis levèrent leurs nez de l’écran pour s’apercevoir qu’il faisait presque nuit, le coucher de soleil était grandiose avec un ciel bleu feutré laissant la place belle à une boule orangée incandescente qui faisait rougir les quelques nuages épars.

- Je ne vais pas tarder à rejoindre ma mère, tu me fais voir les chemises dont tu me parlais. Il faut que j’en change, dit Ben en regardant sa pauvre chemise largement déchirée, sinon elle va me tuer ! Il eut soudain une boule au ventre, ou plutôt un trou comme si le vide qui l’attendait chez lui pouvait à lui seul remplacer son estomac. C’est étrange, pensa-t-il, que l’angoisse se loge ici plutôt que dans le cerveau ou même le cœur.

- Ah oui c’est vrai, opina Aurora en s’extirpant de son bow-window où ils s’étaient installés et où tout l’espace libre sur la large banquette était recouvert de brouillons.

Elle s’étira pour se libérer des tensions accumulées par une position assise digne d’un équilibriste, une jambe repliée sous ses fesses et l’autre servant de support à son ordinateur portable. Aurore se leva et entraîna Ben vers le rez-de-chaussée où une porte donnait accès au sous-sol.

Ben n’était jamais rentré dans cette partie de la maison, c’était, aux dires d’Aurore, le domaine de sa mère. La porte ouvrait sur un escalier tout en bois joliment verni qui bifurquait à sa moitié sur la gauche. Aussitôt le virage pris, Ben fut surpris par ce qu’il vit. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer d’un sous-sol, il s’agissait d’une vaste pièce baignée de lumière ou les nombreuses plantes rivalisaient avec la forêt tropicale de Bélouve de par la taille de leurs feuilles. Les plantes toutes alignées devant les larges baies vitrées partageaient l’espace avec un vieux fauteuil club en cuir et une large bibliothèque qui offrait aux yeux des visiteurs une très belle collection de poteries et de magnifiques ouvrages très colorés. Ben s’approcha et constata que les livres étaient tous des livres de botanique. Les couleurs étaient douces et chaudes et l’ambiance réellement propice à la lecture et la méditation. Il aurait pu rester ici pour toujours.

- Tu es sure qu’il y a des cartons ici, Rory ? questionna Ben, inquiet.

- Oui, oui, là viens ! c’est dans la pièce juste là. répondit Aurora en longeant par la droite le mur du fond. Elle ouvrit une petite porte que l’on ne voyait pas de la pièce principale, en cause un immense philodendron dont les feuilles étaient aussi grandes qu’un homme.

Ils entrèrent dans une pièce très sombre qui contrastait avec la pièce précédente. Elle sentait le renfermé et n’avait pour seule ouverture cette même porte qu’ils venaient de franchir. Aurore actionna un interrupteur. Ben en fut soulagé, cette pièce était vraiment angoissante et s’il n’avait pas eu à absolument récupérer une chemise sous peine de se voir étrangler par sa mère, il aurait pris ses jambes à son cou.

Aurore dû réfléchir, car ouvrir tous les cartons afin de trouver les fameuses chemises aurait été peine perdue tellement il y avait de choses entassées. Elle déchira le scotch d’un premier, souleva un pan du carton, y passa la tête, le referma en faisant la moue.

- Muuum, non pas celui-là.

- Tu as vu quelque chose juste en mettant la tête trois secondes dans un carton ? l’interrogea Ben, intrigué.

- Muuuuum, réfléchit Aurore en prenant un deuxième carton qui subit le même sort.

Le troisième reçut plus d’attention, bien que ce n’était pas le carton qu’elle cherchait.

Ben ne remarqua pas la décharge qui avait secoué Aurore. Elle eut cette sensation, qu’elle connaissait bien, d’avoir mis les doigts dans une prise électrique et d’avoir l’espace d’un instant était transportée ailleurs. Cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas senti et elle en fut toute retournée. Elle n’avait pourtant touché qu’un cadre. Elle referma le carton précipitamment, ne voulant pas avoir à discuter de ça avec Ben. Elle y réfléchirait plus tard, quand elle serait seule.

- Qu’est-ce que tu as ? tu es toute pâle .. S’inquiéta Ben lorsqu’il la vit se retourner afin de se saisir d’un autre carton.

- Rien, t’inquiètes, je dois être juste un peu fatiguée ! répondit Aurore se forçant à sourire malgré le malaise qui l’envahissait.

Elle ouvrit le quatrième carton et en extirpa une chemise digne de Tom Selleck dans Magnum.

- Ouah ! s’extasia Ben ! Elle est encore mieux que la mienne ! C’est fou ça ! j’ai beaucoup de mal à imaginer ton père avec ça sur le dos, fit-il en gloussant !

- Il était cool avant d’être avocat ! Même s’il reste très cool encore aujourd’hui mais il lui faut toujours quelques jours pour décrocher du travail … donc seulement pendant les vacances ! ironisa Aurore ! voilà, tu peux tout prendre ! il doit y en avoir presque une trentaine, je me souviens que mon père m’avait dit un jour qu’il en avait autant que de jours dans un mois.

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Alexisdeparis
Posté le 14/01/2022
Bonsoir,

Pour répondre à la question que tu te poses, oui, tu devrais bien évidemment continuer à écrire ! Tant que tu le fais avant tout pour toi et que ça te fait plaisir, c’est une bonne idée. Pour ce qui est de s’améliorer, ça viendra bien évidemment avec le temps.

Ensuite, par rapport au texte, c’est difficile de parler du fond étant donné qu’il n’y a qu’un chapitre. Je pense cependant qu’il pourrait être plus concis. Ensuite, on ne sent pas véritablement un mal-être chez le personnage principal, un élément nécessaire pour lancer une « quête » ou une « intrigue ».

Par rapport au chapitre lui-même, le début est à mon avis un peu flou. Tu essaies de montrer qu’Aurore est casse-cou, mais l’on ne sait par exemple pas ce qu’ils font dans la ravine. Le milieu du chapitre peut être allégé dans la mesure où c’est un premier chapitre et l’on attend avec impatience un élément perturbateur qui met du temps à venir. Pour ce qui est de la fin, tu pourrais plus insister plus sur l’importance du carton.

Dans l’ensemble, tu écris bien et l’on arrive facilement à s’imaginer et l’environnement et les personnages dans ce chapitre. Le résumé que tu as fait de ton livre me plaît et m’intrigue donc je t’écris tout ça en espérant que tu trouveras ces conseils pertinents, et en espérant te voir publier rapidement ton prochain chapitre !

PS : il y a quelques coquilles ici et là dans le texte.
« Une escroc » au lieu d’un escroc / Réagit Aurore tout en rigolant, ici je crois qu’il aurait fallu une virgule au lieu du point / « !! tu » ici il manque la majuscule / « des actualités » ce serait plutôt parler « de l’actualité » / « Rosa Parks” ??? » ici pas besoin de guillemets pour le nom propre / Tu mets souvent plusieurs points d’exclamation et points d’interrogations. C’est bien évidemment pas un problème mais c’est mieux de rendre ça plus rare dans un texte / Et pour finir : « les noirs et les blancs » c’est avec une majuscule car ça désigne des personnes
kkt8
Posté le 17/01/2022
Merci pour ce retour et surtout d'avoir pris le temps :) c'est vraiment chouette et ça va m'aider à progresser !
Je pense que je vais le réecrire ce chapitre.
Merci et belle journée à toi.
Chris
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