Le Cours du Soir

La Page Arrachée - Le Cours du Soir

[...] un bureau classé open space. Des plantes vertes, dont la moitié n'était que plastique, s'affichaient dans les angles de la pièce cloisonnée. Les murs étaient vierges, et ne semblaient avoir connu qu'une peinture blanche qui, au fil des années, avait viré au gris.

Il n'y avait pas de fenêtres. Cet espace de travail n'était pourtant pas dénudé de lumière, mais l'équipe de Sandoval préférait travailler dans le noir sous la lueur des lampes de bureau, plutôt que d'allumer les néons trop éblouissants.

Dans un coin isolé, deux bureaux face à face, un agent et une civile, qui se regardaient fixement dans les yeux, imperturbables, leurs visages à peine éclairés par la faible lumière de leurs lampes.

Cela semblait être devenu un jeu. Amusé, Nathan mordillait le bout de son stylo. Ses yeux, d'un profond bleu marine, exprimaient un vaste plaisir à provoquer les deux prunelles noisette de Rory.

Elle fronça les sourcils. Elle le trouvait attirant, certes...mais aussi exaspérant quand il prenait un air enjôleur avec tout ce qui possédait des hanches et une poitrine. Loyal...mais également moqueur quand l'heure n'était pas au drame. Elle ne savait quoi penser de lui ; ses sentiments à son égard étaient encore bien flous.

Témoin de ses réflexions silencieuses, Nathan esquissa un sourire, sourire incomplet à cause du stylo toujours coincé entre ses dents, et lui envoya un clin d'œil.

« Brownley, tu comptes rester comme ça longtemps ? » finit-elle par demander, ironique, alors que leurs regards s'amusaient ensemble depuis plus d'une heure.

Comme cela faisait aussi longtemps qu'ils ne s'étaient pas adressé la parole, les cordes vocales de Nathan eurent des difficultés à reprendre du service, et il s'adressa donc avec une voix inhabituellement rouillée, mais ô combien irrésistible :

« J'ai toujours l'espoir de voir naître en moi un don qui me permettrait de lire dans ta tête... J'aimerais bien savoir si Wresinsky a raison quand il dit que tu suces encore ton pouce... Ou encore deviner les dessous que tu portes et... »

Une pluie de boulettes de papier s'abattit sur lui et l'empêcha de continuer. Exaspérée, Rory avait fini par trouver dans la poubelle un doux moyen pour faire regretter ses paroles à l'agent du FBI. Interdit, Nathan cligna des yeux et se débarrassa fébrilement des confettis d'une vieille note de service et des rognures de crayon perdus dans ses cheveux. Il éclata ensuite de rire, déconcertant ainsi Rory, pendant que la corbeille à papier se reposait lentement sur le sol.

« Ne le prends pas mal ! s'exclama-t-il joyeusement, en levant les mains en l'air comme pour prouver son innocence. J'adore te taquiner, c'est plus fort que moi ! Mais je t'aime bien, Rory, je t'aime même beaucoup ! Et quand tu deviens rouge comme ça...ça me donne envie de continuer !

- Évidemment...grogna la jeune fille, frustrée. Le contraire m'aurait étonnée ! Mais dis, Nathan Brownley, on ne devait pas faire quelque chose toi et moi ?

- Hum... Quelque chose ? »

Elle ne sut comment interpréter le ton coquin qu'il avait employé. Elle opta donc pour garder son air neutre.

« Le cours du soir, Brownley. Nous sommes ici pour le cours du soir. C'est toi mon prof, je te rappelle. Alors pitié...conduis-toi comme un prof. 

- Rory...tu ne préfères pas que je te fasse la leçon une prochaine fois ? On a plein de soirs devant nous, alors où est le problème ? Tu apprendras, je te jure, même si tu sais déjà beaucoup de choses pour une civile ! fit Nathan, en retrouvant son sérieux. Un autre soir, Rory... Là, je veux d'abord apprendre à mieux te connaître. »

Elle haussa les épaules, soucieuse. Elle avait appris à se méfier de son attitude si changeante. Il arrivait parfois à Nathan d'être d'une humeur massacrante, à cause d'une mauvaise journée due aux meurtres aux circonstances étranges, d'une prise de bec entre collègues, de la dictature plutonienne...exemples parmi tant d'autres. Mais, en temps normal, Nathan se révélait être un joyeux compagnon d'enquête, qui usait de son charme sur elle et qui la surprotégeait durant leurs petites escapades nocturnes.

« Ca te dit de jouer à « je te tiens, tu me tiens » ?!, s'exclama soudainement Nathan, en rapprochant le plus possible son visage du sien, malgré les deux bureaux entre eux.

- Et une suite prestige dans un palace cinq étoiles sur Mars aussi ? ironisa Rory.

- On aura tout notre temps pour aller sur Mars quand nous aurons réussi à élucider ces putains de meurtres ! En attendant... »

D'un geste vif, il emprisonna le menton de Rory entre ses doigts et, à son grand étonnement, elle l'imita, non sans lui jeter un regard accrocheur.

« Tu as intérêt à me donner mon cours du soir après ça, Brownley !

- Je te tiens, tu me tiens...par la barbichette ; le premier qui rira aura une...tapette ! » chantonna Nathan sans l'écouter, comme un joyeux bambin.

Dieu qu'elle était difficile à battre à ce jeu ! Nathan s'efforçait de réaliser milles grimaces pour la faire rire, mais elle savait rester impassible. Rien n'y faisait ! Tandis qu'il lui tirait une énième fois la langue de façon grotesque, il ne put s'empêcher de rire de sa propre bêtise et Rory réagit au quart de tour.

Le tiroir de son bureau s'ouvrit à la volée, et une règle en plastique s'envola aussitôt dans les airs en direction de Nathan. Le jeune homme la vit arriver vers lui, et essaya de s'en protéger tant bien que mal avec ses bras, mais la règle était bien plus habile et se donna à cœur joie de taper sur son crâne.

Vlan, vlan, vlan !

« Aïe ! Aïe ! Aïe ! C'est bon, Rory ! Ouch ! Arrête maintenant ! »

Vlan, vlan, vlan !

« Bon sang, Rory ! Aïe ! D'accord, d'accord...je vais te le donner ton cours du soir ! Ouch ! 

- Bien ! Ravie de te voir revenir sur la voie de le sagesse, Brownley », fit la jeune fille, sarcastique, mais affichant néanmoins un large sourire.

Vlan, vlan, vla...

La règle s'immobilisa dans les airs et retomba sans vie sur Nathan, qui sut retenir une légère plainte. De son côté, Rory, la bouche grande ouverte, ne disait plus rien, car Sandoval venait d'apparaître, les surprenant ainsi dans un cours du soir sans véritable leçon. Nathan se retourna lentement, et lui adressa un sourire trop innocent pour être sincère, alors que [...]