Le Dernier Spectacle

Par Gek

C'était le grand soir. Comme à chaque nuit tombée, mes sœurs et moi nous drapions de nos plus beaux apparats pour offrir une soirée inoubliable aux plus offrants. D'une peau aussi pâle que la neige, où les couleurs enivrantes de nos maquillages et kimonos s'y peignaient pour émerveiller les vies mornes et sans saveurs de la gent aisée.

Nous étions des déesses, des êtres caressés par la grâce et la beauté. Nos vies étaient consacrées au sublime, un art que seules les geisha maîtrisaient.

Pourtant, depuis que Mère avait laissé un homme entrer dans notre okiya, celui que nous nommions aujourd'hui "Père" avait transformé l'élégance de notre art en une dépravation servant d’exutoire. Chacune de nos apparitions devenait un supplice, alors que nos corps déambulaient sur scène dans l'unique but d'éveiller les pulsions libidinales de nos hôtes. Nos esprits s'en allaient dans une danse nostalgique dans l'espoir d'oublier le présent, laissant notre chair obéir à la demande de ceux qui la recouvrerait de couleurs bleuâtres si elle en faisait autrement. Nos esprits s'en allaient dans une danse nostalgique dans l'espoir d'oublier le présent, laissant notre chair obéir à la demande de ceux qui la recouvrerait de couleurs bleuâtres si elle en faisait autrement.

Ce soir, mes sœurs et moi allions réaliser notre grand final. Selon Père, notre beauté sera enfin pure et immortelle. Nous avons été emmené dans un beau véhicule, loin de notre okiya. Au travers de vitres, nous voyions les habitants de la ville jonchant la route, habillés d'un blanc immaculé. Tous tenaient une bougie à la main, et les milliers de flammes scintillaient comme les étoiles du ciel déjà noir.

Puis, plus rien.

Lorsque je recouvris la vue, je fus frappé par la chaleur qui m'étouffait. Mon esprit paniquait, mais mon corps ne répondait plus. Je n'entendis que le crépitement d'un feu incandescent, ainsi que plusieurs cris lointains disparaissant aussi vite qu'ils étaient venus. Comme étouffés. Je parvins à tourner le regard pour apercevoir l'une de mes sœurs à ma droite. Une autre à ma gauche. Nos paupières étaient grandes ouvertes, nos traits crispés par l'effroi. Nos mains se cherchaient, et nos cœurs s'emplissaient de désespoir alors que nous ne parvenions pas à les trouver.

Le ciel défilait sous nos yeux. De hautes parois rocheuses rougissaient par la lumière dansantes de flammes à l'horizon. Le bruit incessant des rails claquant sous ce qui était désormais notre tombeau nous rappelait à chaque instant que notre fin approchait.

Soudain, les étoiles, les flammes et les falaises disparurent. Au-dessus de nous, une grande masse noire prenait l'entièreté de notre paysage. Je sentis finalement les doigts fins et délicats de mes sœurs, avant qu'un écoulement gris et brûlant s'abatte à jamais sur nos corps.

La souillure infligée à notre beauté était désormais immortelle.

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Baladine
Posté le 18/09/2022
Très beau texte, à la fois triste et poétique. L'aspect rêve est bien rendu par l'absence de transition d'un tableau à l'autre. Pour autant le sens se reconstruit aisément à la lecture. Un beau moment de poésie, que tu nous offres !
Petite coquillette :
-des êtres caressées par la grâce et la beauté. => caressés
A bientôt
Claire
Gek
Posté le 18/09/2022
Une coquillette ! Ce terme est adorable, merci de l'avoir pointé !
Et ravie que ça t'ai plu. Il y en aura d'autres, si tu les lis j'espère qu'ils te plairont tout autant :)

A bientôt !
Baladine
Posté le 18/09/2022
Je n'en doute pas, je followww !
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