Le pied de la voyageuse s'enfonça jusqu'à la cheville dans la poussière de cendre grise. La poudre épaisse tombait doucement depuis les nuages sombres qui surplombaient sa tête. La route était épuisante, longue et déprimante. Enfin route... Le titre était plus que flatteur pour le chemin de terre à peine perceptible qu'elle pratiquait depuis déjà quelques jours. Il slalomait en petites courbes inégales entre les souches noircies qui dépassaient de la couverture de flocons pâles, comme autant de pierres tombales à la mémoire de cette nature ravagée. Elles se dressaient en un salut immobile devant les inconscients venus fouler les lieux de leur dernier repos.
Comme à leur habitude, les habitants de cette Contrée avaient pris toutes les peines du monde pour repousser la forêt le plus loin possible de leur ville.
Ce paysage malheureusement familier pesait lourd sur le cœur de Carssa. Elle était de retour.
L'une après l'autre, ses bottes s'enfonçaient jusqu'à la cheville dans cette plaine maudite.
Au loin, la fumée de la ville-forge était déjà visible.
La jeune femme soupira. Elle regrettait déjà d'être venue...
Une décennie passée à l'étranger n'avait décidément pas été suffisante pour oublier le goût de la fumée âcre qu'elle sentait déjà. Un souvenir qu'elle aurait volontiers gardé au fin fond de sa mémoire.
Rien n’aurait pu la faire revenir dans cette région oubliée de Thelu, si ce n’est celui qui l’avait prié de le rejoindre.
Margor avait intérêt à avoir une bonne raison de l'avoir convoqué, ronchonna-t-elle interieurement.
Son pied se prit dans un tas de cendres plus dur que les autres, menaçant de la jeter à terre. Elle lâcha un juron aussi sonore qu'inutile à l'attention du sol rebelle qui visiblement n'en avait rien à faire. Carssa prit un moment pour reprendre son souffle et étancher sa soif avant de repartir.
Dans son impatience d'en finir avec cette histoire, la voyageuse s'étrangla presque en buvant, toussa, remonta son foulard qui lui couvrait la majeure partie du visage et serra instinctivement le cristal qui rougeoyait doucement contre sa poitrine.
Son voyage allait bientôt s'achever. Ces jours tendus à guetter la moindre menace, à éviter chaque piège que l'extérieur recelait, avait mis ses nerfs à vif. Ce soir, elle dormirait dans un lit, heureuse d'avoir parcouru une si grande distance sans avoir à vendre chèrement sa peau. Elle s'enorgueillit à l'idée de ce succès, trop rare pour les voyageurs solitaires.
Elle repartit d'un pas revigoré, gorgée de cette énergie si particulière de la fin d'un voyage.
Tredor était l'une des ville-Forge formant l'avant-garde du territoire Keltien, et cela se voyait de loin. La terre à plusieurs kilomètres à la ronde avait pris une teinte de rouille, transformée par des années de fumées crachant débris et matières mystérieuses aux alentours. Les fournaises d’où s'échappaient d'épais nuages sombres ne s'arrêtaient jamais, comme si leur seul but avait été de peindre le ciel du noir le plus profond.
Elle pouvait apercevoir ces amas de cendres volants, déverser leurs flocons bruns sur les terres, à l'est de la ville.
Consciente que l'homme qu'elle venait voir était en partie responsable de ce décor désolé la fit frissonner.
Elle se rabroua. « Tu as traversé bien plus dur que ça, ma vieille ! C'est pas une rencontre avec un vieux barbu qui va t'effrayer ! »
Il n’empêche qu'à l'instant précis, elle aurait préféré se battre contre une tribu d'Ecorceurs de la forêt juste pour repousser ne serait-ce qu'un peu leur retrouvailles.
D’ailleurs, son souhait semblait sur le point de se réaliser.
La fatigue de la traversée de cet épais désert de cendres lui avait fait baisser sa garde. Perdue dans ses pensées, elle avait déambulé sans réfléchir, s’éloignant ainsi du sentier balisé.
Bien plus qu'il n'est conseillé pour une voyageuse solitaire.
Examinant les courtes dunes de terres sombres qu'elle venait de contourner, elle tenta d’en déduire le chemin à prendre.
Celui-ci était constamment recouvert de cette même poussière grise qui couvrait ces plaines. Heureusement des barres témoins avaient été placées à intervalles réguliers sur le chemin menant à la frontière de la Contrée. Ce même chemin qu'elle avait suivit consciencieusement, ne sachant que trop bien ce qu'il arrivait aux voyageurs qui le quittait.
Les yeux mi-clos pour éviter de prendre trop de poussière dans les yeux, elle fouilla le paysage monotone à la recherche du moindre signe.
C'était peine perdue. La brise molle et le ciel gris plaquaient un voile uniforme effaçant chaque détail autour d'elle.
Par contre, une légère vibration commençait à se faire sentir sous ses pieds...
Mettant un genou à terre, elle dégagea les cendres les plus légère du sol afin d'atteindre une couche plus stable. La zone tremblait à peine lorsqu'elle y posa sa main en fermant les yeux.
Ce qu'elle a ressenti alors était une très mauvaise nouvelle...
Elle pouvait percevoir plusieurs vibrations distinctes, enflant rapidement dans sa direction. Des monticules de terre accrochèrent son regard. Une solution s'offrait peut-être à elle.
Courant aussi vite que le terrain lui permit, Carssa déblaya la poudre noire qui s'était déposée sur ce qui semblait être les restes d'un corps humain. La gorge de la jeune femme se serra à la vue de sa macabre découverte.
La tenue de cuir et métal mêlée qu'il portait, oeuvre typique de Kelta, couvrait partiellement les parties encore intactes du corps qui ne devait pas dater de plus d'un jour ou deux. Un large morceau du cou de la victime avait disparu, probablement emporté par cette même menace qui approchait d'elle. Encore un soldat d'une expédition de ravitaillement qui n'avait pu revenir vers sa ville. Une histoire aussi tragique que banale pour les Keltiens...
Au loin, trois formes sombres crevaient la mer de cendres dans la cuvette naturelle que formaient les dunes autour d'elle.
Sentant les vibrations s'accentuer, elle fouilla rapidement l'homme à la recherche de la moindre ressource utile.
Désolée, mais je risque d’en avoir plus besoin que toi...
Ne trouvant rien de plus utile, elle arracha son bouclier d’entre ses doigts rigides.. Elle le jeta au sol avant de grimper dessus, sautant une fois ou deux pour s'assurer un peu de stabilité dans cette mer de poussière.
Elle prit l'appui le plus solide qu'elle pu, dégaina une lame acérée d’un large mouvement, faisant miroiter l'armure légère qu'elle portait au dessous au soleil.
Les formes arrivèrent, suivant les traces de pas que la voyageuse avait laissées sur le sol meuble, trois ailerons slalomant entre les creux, aux détours des dunes:
Des anguilles des cendres! Et d'une taille plus que respectable si elle se fiait à la quantité de terre déplacée.
Sentant cette tension familière qui enflait en elle avant un combat, Carssa passa le bout d'une langue à peine humide sur ses lèvres sèches et attendit.
Elle était prête.
Les créatures faisaient maintenant vibrer le sol et ses jambes fermement plantées sur le bouclier n'empêchaient plus ses genoux de trembler. Elle solidifia ses appuis roulant des épaules pour rassembler son courage.
Les trois ailerons tournaient maintenant autour d'elle, se forçant un passage à travers les couches épaisses du sol. La jeune femme leva sa dague lorsque la première créature pivota dans sa direction.
Le plus effrayant avec ces créatures n'était pas de voir les ailerons tourner autour de vous. C'était leur disparition dont il fallait se méfier. Heureusement, le premier resta visible jusqu'au dernier moment, plongeant sous le bouclier qu'il heurta de toute sa masse.
Le choc fut proche de lui faire perdre l'équilibre.
Elle agita les bras, sur le point de tomber, lorsque la pierre bleue enchâssée au bout du manche de sa dague brilla d'un éclat azuré.
Comme saisissant l'air même, la jeune femme tourna sur elle même dans une danse défiant toute gravité et trancha l'aileron du monstre qui avait tenté de la jeter à terre.
Un crissement suraigu résonna un court instant dans l'air; avant qu'il ne disparaisse. De l'assaut ne restait qu'un morceau de chair de l'animal et le sang déjà absorbé par le désert avide.
A peine la femme avait-elle repris position sur le bouclier que la vibration qu’elle percevait derrière elle disparu.
L'esprit calme de la voyageuse toucha l'étang de puissance de son cristal, sentant à travers lui l'onde d'une vie dans son dos. La seconde créature venait de bondir.
Sur son injonction muette, l'énergie du cristal l'emplit et le sang de la guerrière prit vie.
Fluidifiée, accéléré, l'énergie parcourut ses veines, pour l'entraîner dans un tournoiement de cuir et de métal mortel. Basculant son torse, elle passa sur le côté de l'anguille qui venait de sauter dans son dos et la trancha dans le sens de la longueur, éclaboussant le sol sur plusieurs mètres d'un sang écarlate aussitôt dévoré par les cendres grises.
Avant que la combattante n'eut le temps de trouver la cible restante, un choc bien plus important que le premier se fit sentir sous le bouclier. Le sol explosa, la projetant dans les airs dans un nuage de poussière étouffante.
Carssa retomba, ses poumons expulsant tout l'air qu'ils contenaient sous la force de l'impact. Les côtes endolories, la jeune femme tenta de reprendre son souffle mais ne put que s'étouffer lorsque les flocons grisâtres s’infiltrèrent dans sa gorge.
Alors qu'elle luttait toujours pour respirer, la créature réapparut:
L’anguille serpentait hors du sol à toute vitesse vers elle. Le cerveau encore irrigué par un sang fluidifié, dans un instant comme suspendu, elle ne pût qu'admirer le monstre qui venait la dévorer.
La bête avait une gueule blanche et rugueuse dénuée d'yeux. Des marques noires tachaient son dos muni d'un aileron d'une taille hors du commun pour ce genre de reptile.
Elle devait mesurer plus de trois mètres de long et sa bouche s'ouvrait maintenant pour dévoiler plusieurs rangées de dents fines et acérées comme des rasoirs.
Cette vision d'horreur lui remit les idées en place et elle eut tout juste le temps de se jeter en arrière, la lame levée pour éviter de se faire arracher la jugulaire.
Elle encaissa le choc en serrant les dents, tous muscles contractés. De dépit, la créature fit claquer sa queue comme un fouet, abattant ses machoires à quelques centimètres du cou de la femme.Carssa serra ses mains autour de la gueule de toute ses forces pour repousser la créature qui se tortillait sur elle. Le poids était immense. Le monstre tout de muscle et de crocs devait bien peser trente kilos entièrement dédiés à tailler ses proies en pièces.
Sous le poids de leurs deux corps, les deux combattants commencèrent à s'enfoncer dans la poudreuse.
Frustrée, elle devait l'être également car l'anguille abandonna le duel avant de se glisser dans le sol, laissant échapper un sifflement haineux comme promesse d'un retour prochain.
Cet instant de pause lui permit de se remettre debout et de reprendre son souffle. Le monstre allait revenir et elle savait que cet assaut serait le dernier. Cherchant un rocher pour abri, elle tenta de se mettre debout lorsque ses forces l'abandonnèrent. Un froid intense se diffusait dans ses jambes et ses poumons.
L'Ether!
Les yeux écarquillés, elle tâtonna fébrilement dans les tissus de son col et sentit avec effroi les maillons brisés de la chaîne qui avait retenu le cristal rouge salvateur.
Son corps s'affaissa, comme lesté par des flocons de plomb.
Ses yeux parcoururent le champ de bataille à la recherche de sa pierre perdue. Elle devait faire vite, la créature finissait déjà son demi-tour et revenait prendre sa revanche.
Les mains plongées sous les cendres qui l'environnaient, le coeur battant à tout rompre, la jeune femme sentit à nouveau les vibrations. Un nouveau sifflement monta des profondeurs, comme une annonce de mort imminente.
Tâtonnant désespérément dans les terres noires et blanches, un gémissement plaintif au bord des lèvres, la guerrière s'interrompit lorsqu'elle sentit sa main entrer en contact avec du métal. Elle tira violemment sur la chaînette qui apparut de sous la poussière en diffusant son aura carmin. Dès que le contact se fit, l'énergie se diffusa en elle, rendant ses forces à ses jambes et poumons engourdis. Elle concentra toute son attention sur la gemme, attisant le brasier qui avait remplacé le lac dans son esprit. Elle tira le reste de la chaîne en se retournant assez vite pour découvrir un bouquet de dents prêtes à la déchiqueter.
Serrant la pierre rouge à s'en faire craquer les jointures, criant de défi, elle lança toute l'énergie qu'elle possédait en une gerbe qui naquit de son poing.
L'air s'embrasa. Une odeur de chair brûlée emplit l'air et la créature fut propulsée, se tordant dans tous les sens en sifflant de douleur.
Se jetant de côté pour esquiver la queue du reptile fouettant l'air, Carssa se roula en boule et attendit que la tempête cesse.
A nouveau, une botte s'enfonçait dans la terre grise.
Marchant péniblement, la voyageuse arrivait à bout de son énergie.
Le voyage déjà éprouvant l'avait exténuée mais ce combat était venu à bout de ses dernières réserves.
La pierre qui pendait à sa chaîne cassée luisait de plus en plus faiblement dans sa main.
Il lui restait peu de temps pour arriver en ville.
Chaque pas lui coûtait. Elle plissa les yeux, cherchant à éviter la cendre qui volait paresseusement. L’épuisement était proche, rendant chaque pas susceptible de la faire chuter.
"Un autre pas. C'est tout ce qu'il faut. Chaque pas est une victoire."
Soudain son genou heurta une forme dure et elle ne put que chuter sur une terre étonnement rigide. La surprise lui offrant un regain d'énergie, elle ouvrit ses grands yeux gris. Elle avait réussi à retrouver le chemin menant à la ville.
Je pense que tu aurais pu écrire simplement: Il slalomait entre les souches noircies... pas besoin de décrire le slalom;) choisi bien l'élément qui mérite d'être décrit. Il y a plein de bonnes idées et de beaux descriptifs dans ton texte. Ils vont être mis en valeur si tu retires les détails inutiles. Bravo et bonne écriture!
J’ai adoré ton premier chapitre ! J’en suis ressorti couvert de cendre, la gorge un peu irritée, c’est malin… « tousse »
J’aime beaucoup la fluidité de ton récit, ton univers. Le combat était sympathique, 3 contre 1, facile.
Tu as raison de te lancer, tu as du talent !
Je t’ajoute à ma liste, je ne veux pas louper la suite.
Bonne continuation pour ton projet !
Zao