Le Deux de Coeur et la Langue des Cités

Par Khazro

Lorsque je relis cette histoire et que je redécouvre le système administratif du Pays des Merveilles Imaginaire, je me rends compte que finalement, les contrées présents dans notre esprit débordent d'idées pour créer leurs propres règles.

Ces modèles d'organisations sont ils issues de nous ? Ou les archétypes les fabriquent ils de leurs plein grés ? Pour le moment, je n'en sais rien. Mais ce que je peux vous dire, c'est que l'activité foisonnante dans notre imagination a permis à des communautés d'archétypes de façonner le monde où ils évoluent.

Comme dans l'univers physique et palpable, notre imagination a peur du vide et met tout en oeuvre pour combler les trous. Ainsi, sans que nous nous en rendions compte, de nouvelles lois émergent pour conditionner la vie des habitants de notre imagination, mais également de nouveaux groupes d'appartenances, de nouvelles communautés, de nouvelles langues, de nouvelles habitudes.

Je vais vous l'illustrer à travers une nouvelle histoire. Vous y découvrirez que les Merveilleux ont su créer une de ces nouvelles langues ; qui nous est étrangement familière mais qui pourrait paraitre incompréhensible pour toute personne qui n'y est pas habitué. Cette nouvelle présente aussi l'avantage d'exposer la façon dont les vices de la communauté humaine influencent nos représentations et comment la délinquance, et les forces de l'ordre ont autant d'existence dans le monde réelle que dans notre imagination.

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Arnahud leva la tête lorsqu'il entendit un appel au loin. Il vit la silhouette du vendeur de bâtons de la mort qui l'interpellait et lui fit signe de se rapprocher. Il secoua son compère Biggs, qui s'était assoupi sur son banc depuis longtemps.

_ Tèma le Clak'boy il arrive.

D'un ample et rapide signe du bras, il incita son dealer à se rapprocher pendant que Biggs émergeait en baillant aux corneilles. Nerveux, Arnahud se leva et se mit à tourner en rond pendant que son dealer réduisait la distance entre ses clients et lui. D'un pas prudent, le trafiquant essayait de discerner la présence de témoins potentiels à faire taire. Il observait précautionneusement à travers les vitres qu'il croisait, au dessus de lui sur les toits, et dans les ruelles perpendiculaires à celles qu'il arpentait. On aurait dit un assassin rodant au premières lueurs du matin ; rachitique, mal fagoté, présentant un sourire carnassier et des doigt fins comme des griffes de rats. Son teint blanchâtre, ses deux grandes rangées de dents taillées en pointes et son long manteau beige poisseux ne laissait aucun doute sur la dangerosité de cet être, ses moeurs et sa consommation quotidienne de substances. Il était même réputé pour pouvoir ingérer toutes sortes de marchandises illégales, que ce soit des objets de contrebande dans son garage ou des stupéfiants dans ses narines. Cela contrastait avec les tenues de jeunes ouvriers des deux habitants des bas fonds de la cité du palais de Coeur qui avaient sollicité ses services un heure plus tôt. Ils se retrouvèrent face à face et effectuèrent un check pendant que Biggs se mettait de douces gifles pour forcer le réveil.

_ Azy sa dar', je dormais. Yakoi ?

_ Rèveil bouffon, y'a le renoi qu'est là. T'adi, tu veux combien ?

Biggs pris une seconde pour reprendre ses esprits et comprendre la question.

_ 50.

_ 200 alors.

Le dealer s'accroupit pour préparer la came.

_ 200 ou 250 ?

_ Casse pas les raisins, frérot ! J't'ai annoncé 200, va pas nous badger 50 en plus.

_ Ok, ok.

Vins' la Cass', ne moufta pas. Il posa son sac à terre et farfouilla dans son contenu. Il sortit 10 bâtons de la mort et les tendit à Arnahud.

_ Sympa tavu, mais avec l'aut' balass, tu peux pas nous l'cut pour que ça fasse un 50 pour lui ?

_ Balek, tu vas dead ça tout seul.

_ Tiiiiinnn...

_ T'as qu'à être poli, chum. Tu me dis 200 je te met 200. Le reste c'est ta vie.

_ Ouais bah tu pourrais m'aider, wesh.

_ C'est ta soeur' j'aide.

_ De quoiiii !? Tu veux te taper ?

_ Nan c'est moi je tape ta reuss'.

Biggs finit d'émerger pour freiner les ardeurs de ses comparses. Arnahud avait saisit le col de Vins' et celui ci le narguait en lui opposant d'un sourire tranchant.

_ Woohhooohh, on se calme les toys ! C'est le sang, wesh ! Le sang de la veine depuis, pfff, trop longtemps, on va pas s'embrouiller. Donne un 40 et c'est good. J'paye.

Arnahud marqua un temps d'arrêt, en signe de détente et tendit trois bâtons à son poto avec un sourire complice. Vins' la Cass' ricana avec contentement. Le geste de son adversaire temporaire lui donnait également envie de se raviser.

_ "Si si bro, tu connais la mifa'. Ça fait plaisir.

Il se dandina après avoir enfoncé sa main dans sa poche et sortit précautionneusement une dernière dose sous les regards approbateurs d'Arnahud et Biggs.

_ Pour la famille, on le cracotte à trois, c'est cadeaux.

Tous trois s'installèrent sur le banc en metal qui avait servi de poste d'observation jusqu'à présent et allumèrent un briquet hors d'âge. Il passèrent avec enthousiasme la flamme sur le petit bout de papier en anticipant le trip qui arrivait. C'est le moment que choisit Elzevir, le Deux de Coeur, pour faire son apparition derrière eux. Il posa sa main sur l'épaule de Vins' La Cass' et lui murmura à l'oreille.

_ Le BM, c'est la vie, c'est la mort. Mais là, c'est surtout la mort.

Les trois compères sursautèrent comme des lapins pris en plein délit de grignoter les fils d'une box internet, ce qui représentait une situation assez analogue à la leur. Ils se tournèrent vers le deux de Coeur et protestèrent unanimement.

_ Mais là, c'est surtout la mort, répéta Elzevir avec un regard défiant et un sourire narquois.

_ Pouta, cass' les pruneaux, toi ! Dégage de là, p'tit garçon ! s'offusquèrent les trois délinquants à l'unisson.

Elzevir avait l'habitude, et faire partie de la garde royale lui donnait des droits, malgré son rang insignifiant.

_ J'arrache si tu donnes le batlar', cassos'! Et depeche où je poukav' ta race avec la garde.

Vins' la Cass' le fixa avec crainte, se résigna et tendit un bâton de la mort au garde impudent, en signe de résignation. Bien que, étant enfant, le Deux de Coeur fut l'ultime victime de leurs humiliations, il avait aujourd'hui réussi à les surclasser en devenant un des racleurs du palais. C'était facile de s'en prendre à un petit garçon, surtout quand on lui collait l'étiquette de carte la plus faible du jeu, mais quand celui ci retournait la situation et vous prenait désormais de haut, c'était difficile pour un butor comme Vins' de l'accepter.

_ Tu me revaudras ça, Elzemécouilles.

Elzevir saisit la dose de drogue, le brisa en deux, et vida son contenu dans une flaque d'eau, avant de la jeter à la face du dealer. Il se pencha lentement vers lui, sous le regard effrayé de Biggs et Arnahud.

_ 'coute bien l'Asticot. Si jamais je te recroise avec des BM, tu peux être sur que je serai derrière toi le jour où on t'emmènera à l'abattoir. Et ça sera probablement moi qui te foutrait un coup de merlin dans ta boite vide. Donc, je réitère : reste tranquille où mes potes yougoslaves viendront régler ton cas.

Vins' de la Cass' s'enfonça dans son siège pendant qu'Elzevir disparaissait dans la nuit. Avant de devenir totalement invisible, le Deux de Coeur lança une ultime réplique :

_ Va chez ouat', sale péon, mais reste pas chez moi.

_ C'est où chez toi ?! Que je te pète les beuj'...

_ Chez moi c'est tout ce qu'il y a autour du palais. Go bagne maint'nan ou je reviens avec mes soss' !

La silhouette d'Elzevir se fondit avec la brume tandis qu'il s'en allait rejoindre la caserne. Biggs sortit enfin de sa réserve.

_ Putain le raclo, il est flippant, on fait quoi?

_ On se taille, il est chépér', il se prend pour Batman.

_ C'est un ouf lui, il me fait peur.

Vins' toisa ses clients terrorisés avec un air hautain. Il n'y avait rien de mieux à faire que de partir, mais il alluma tout de même son bâton de la mort en signe de défi.

_ "j'vais pas me laisser racheter par un deux de mes boules, on fume."

Ragaillardit par la vanité du dealer, le trio se delecta de la substance maudite...
 

Alors qu'Elzevir, qui avait un perçu craquement de briquet, venait de prévenir une escouade de cartes qui patrouillait plus loin.

 

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