Le Dieu oublié

Par Fidelis

Nul ne sait comment cela a commencé. Une torpeur inconnue s’insinua dans l’esprit des gens. Sans en connaître la raison, la population se mit à craindre, la venue prochaine d’une désolation ancienne, qui les guettait depuis leur arrivée, et dont personne n’ignorait la nature sans jamais avoir osé en parler.

 

Les hommes se murmuraient entre eux, le visage blême, de la peur des premiers âges, révélant l’inutilité de l’enceinte et du bouclier, que le mal fût déjà là, au milieu du secteur, qu’il l’eût toujours été, qu’il n’attendît que son temps pour sortir à nouveau et se repaître de leur âme, que le clonage vînt de lui, qu’il l’eût insidieusement légué à Victoria, non pas pour nous en faire profiter, mais bien pour préserver sa manne qu’il réclamerait le jour de son éveil pour la récolter. Moisson infinie pour lui redonner toute l’énergie nécessaire avant de replonger dans un sommeil séculaire.

 

Jusqu’à sa prochaine libération.

 

Ces rumeurs s’échangeaient, mais personne n’osait les exprimer à haute voix, car, pour tous, quelque chose s’était modifié. L’atmosphère, la lumière, comme la pluie ou le vent. Un vent froid et glaçant, qui paraissait sortir d’une crypte maudite et dont les gens sentaient la présence jusqu’au soir lorsqu’ils se couchaient, sans que personne ne parvienne à en déterminer l’origine ni à s’en protéger.

 

Puis il y eut l’orage, un orage perpétuel, une cellule titanesque qui formait un vortex démesuré. Il s’était positionné là, comme ça, en plein milieu du secteur, comme si quelqu’un venait de l’installer.

 

Les rafales violentes qu’il déployait dans les artères de la cité semblaient entrer dans l’esprit des hommes, et l’un d’entre eux se mit à prêcher, clamant qu’il était encore temps de se soumettre au Dieu ancien.

 

Obéissance illusoire pour tous qui savait que rien ne pourrait les préserver, et que cette ultime soumission ne leur épargnerait aucun tourment. Pourtant, la peur réalisa son travail de sape, peu à peu les autorités laissèrent le prédicateur s’exprimer, et il se disait même qu’elles motivaient les gens à le suivre, comme si l’imperator, lui aussi, était au courant du prochain sacrifice qui devait être commis.

 

On vit alors un cortège de soutanes qui se formait tous les soirs. Il sillonnait la ville, la peuplait de leurs cris, propageant dans le sommeil des dormeurs les plus atroces cauchemars qu’un être humain puisse concevoir. Ils rappelaient à chacun le rôle qu’il devait tenir, haranguant que la moindre résistance nous ferait payer à tous non pas la plus horrible des morts, mais la plus terrible des damnations.

 

Les gens n’osaient plus sortir, des bûchers furent dressés pour montrer que le refus serait pire que le trépas que le moment était venu de se soumettre sans lutter. Les traques commencèrent, fouillant tour après tour pour débusquer ceux qui déniaient de s’y plier.

 

C’est là que j’ai décidé, convaincu par l’un de mes voisins qui s’y étaient déjà rendus, d’aller écouter le prêche, de voir et d’entendre, et que je saurai sans détour que les prodiges qu’il réalise et les images qu’il montre ne peuvent pas être le fruit de l’esprit d’un simple mortel ni de celui d’un cloné.

 

Ce soir-là, le vent hurlait dans les rues, nous étions une foule immense, agglutinée les uns contre les autres, nous marchâmes lentement, en silence, le chemin me parut durer une éternité. Notre force et notre volonté peu à peu nous quittaient, et quand nous arrivâmes, je le vis dressé sur un tertre. Un homme de très grande taille, à la voix si sombre que ses paroles semblaient provenir d’un abysse infernal et maudit, l’abysse d’un dieu cauchemardesque et cruel. Les images qu’il montra les prodiges qu’il accomplit ne laissaient aucune chance à la raison ni aux lois de la physique que nous pensions irréfutables.

 

Quand tout cela fut terminé, j’ai alors clamé que cela ne pouvait exister, que ce n’était que duperie et mensonge que rien n’était vrai, que notre monde ne changerait jamais, et, comme moi d’autres se mirent à crier, sans qu’ils ne parviennent à se maîtriser.

 

C’est à ce moment que nous vîmes le gouffre, bouche béante qui avait pris place au milieu du secteur. Le prêcheur prit la tête du cortège et tous lui emboîtèrent le pas pour s’enfoncer dans les escaliers qui descendaient en spirale sur les parois, et moi aussi, je les suivis, en passant le dernier. J’entendais leur chant suppliciant résonner à en perdre tout espoir au fond de cette gueule putride qui nous menait tous à lui.

 

La lumière diminuait peu à peu, avec les clameurs invocatoires, des cris d’horreur s’élevèrent. Sans que je m’en rende compte, je marchais à présent au milieu d’une esplanade sans horizon, peuplée de créatures volantes démoniaques et grotesques qui harcelaient la foule éclaircie soumise au sacrifice. C’est là que je le vis, silhouette gigantesque d’une noirceur infinie, en perpétuel mouvement. Il nous entourait tous et j’eus le sombre ressentiment d’être placé dans sa main et que son souffle sur moi se posa, et alors que les hurlements de terreur autour de moi fusaient, accompagnés d’instruments païens au rythme décadent et sauvage, il me hissait hors du gouffre. Lévitant doucement pour bien prendre le temps de m’imprégner des ténèbres et de la cruauté dont il exerçait le pouvoir sur tous les habitants de la cité.

 

Quand je me retrouvai dehors, l’ouverture infernale s’était refermée. La ville entière désertée de toute vie, il ne restait plus que le vide pour m’écouter pleurer.

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Justine H
Posté le 18/02/2025
Très joli texte, le vocabulaire utilisé est fort et nous plonge dans l’atmosphère voulue. La plume est vraiment agréable, continue comme ça. Merci pour cette belle histoire. 😊
Fidelis
Posté le 18/02/2025
Belle histoire, je ne sais pas, mais ça me touche et je te remercie pour tes encouragements.
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