Mardi 22 avril, 8h07. Le Diable s’assoit sur le bord du divan et secoue la tête d’un air très malheureux.
LE DIABLE
Oui, je sais que votre nigaud de premier patient du jour arrive bientôt. Mais c’est une d’urgence. J’ai attendu toute la nuit, il peut bien attendre trois minutes. J’ai passé le pire week-end de ma vie.
C’est bon. Autant avouer tout de suite que vous l’avez vu. Quoi donc ? Le film bien sûr. Sur Internet, Facebook, YouTube, X, Snapchat, Google et Instagram.
Ne faites pas l’innocente, ça fait longtemps que ça ne marche plus avec moi. (Il se prend les cornes entre les pattes.) Elle n’a pas pu me faire ça. Vous vous rendez compte ? Cette garce de petite héritière était cachée derrière les rideaux de ma suite royale et a tout filmé pendant que je testais la poupée. Nonononononononon. Dites-moi que ce n’est pas vrai ? J’ai besoin d’une thérapie post-traumatique immédiatement. Tout de suite. Vite. Je vous préviens, je ne partirai pas avant d’avoir été détraumatisé, le prochain patient peut aller se faire pendre. Ou plutôt non, c’est moi qui vais aller me pendre. Pourquoi suis-je immortel ?
Le pire ce sont les commentaires. Regardez : (Il scrolle sur son iPhone.) « Gonflée, la poupée ! », « Elle ne manque pas d’air », « Tel est pris qui croyait prendre ».
ÇA ne va pas se passer comme ça ! Je vais appeler mes avocats ! Et un huissier. Et porter plainte. Lui coller des injonctions ! Si seulement je pouvais l’attraper et la ligoter et la coucher sur mes… Comment ça on dirait qu’elle m’a rendu la monnaie de ma pièce ? Vous ne pouvez pas comparer à l’outrage ! En plus ça fait si longtemps, il faut savoir pardonner, c’est très mal de tenir grief. Elle n’était pas contente, c’est vrai que j’avais peut-être un peu exagéré. Mais après tout, moi aussi j’étais jeune et innocent !
Et tout ça à cause de vous. Oui, vous, qui d’autre ? Qui est-ce qui prône la chasteté, l’abstinence et la continence au lieu de me laisser m’amuser ? J’en ai marre d’avoir toujours des ennuis avec mes rendez-vous galants par votre faute. La petite héritière, la petite masseuse, la petite danseuse, la petite esthéticienne… Moi qui pensais éviter les tracas avec une jolie poupée docile, ça m’apprendra. Est-ce que vous pensez que, peut-être qu’avec la petite pharmaci… ? Non ?
Ah, je vois où vous voulez en venir, petite thérapeute. Pourquoi pas ? Je vous raconte tous mes secrets, vous m’écoutez sans me juger sauf quand ça vous arrange, ce ne sont pas de trop mauvaises bases. En plus, notre secret serait bien gar… Quoi encore ? « Compulsion et répétition » : j’ai beau parler toutes les langues, je ne comprends rien à votre charabia thérapeutique. Vous faites exprès d’employer de grands mots pour me brouiller et me rendre plus malheureux que je ne le suis déjà.
Mon ami, lui, est ravi, il a boosté les ventes de poupées et de réservations d’hôtel. Je suppose que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Tous des hypocrites et des profiteurs, ils se moquent de moi et après ils achètent la poupée. Je devrais demander une commission sur bénéfices.
C’est qu’il faut dire, pour être honnête, que je ne me trouvais pas si mal dans le feu de l’action, mais le film a été tourné d’un très mauvais angle, très désavantageux. C’est complètement illégal de faire une chose pareille ! JE VAIS… Pardon ? « Tambouriner » ? C’est quoi ce mot ? Si je veux tambouriner pour évacuer ma rage ? Vous en avez des façons de changer de sujet et des idées stupides ! Moi. Tambouriner. On aura tout vu. (Il secoue la tête d’un air atterré.)
Tambouriner pour évacuer ma rage. Où est passé ce crétin de tambour ? Vite ! (Elle le lui tend, il s’en empare.) BOUM. BOUM. BOUM. Je. BOUM. PAM. BOUM. PAM. N’ai. BOUM. BOUM. BOUM. Qu’à. BOUM. PAM. BOUM. Imaginer. PAM. PAM. PAM. Que. PAM. BOUM. BOUM. PAM. BOUM. BOUM. PAM. BOUM. C’est. PAN. BOUM. BOUM. BOUM. BOUM. Les. BOUM. PAM. PAM. Fesses. PAN. PAN. PAM. PAM. BOUM. De. (DING DONG) PAM. PAM. PAM. BOUM. Pardon ? Ah non, moi je n’ai rien entendu, vous devez vous tromper. BOUM. BOUM. BOUM. BOUM. PARDON ? Je ne vous BOUM. Zentends pas. BOUM. À cause du. BOUM. Tambour. L’HEURE EST TERMINÉE ?
C’est bon, pas la peine de crier, je ne suis pas sourd. PAMPAM. C’est bizarre je me sens tout léger. Je peux l’emporter avec moi. Non ? BOUM. Mais grrrrrrr… Soit. Je peux m’en acheter un bien plus beau tout seul. Puisque c’est comme ça, je vous le laisse avec ma rage et ma frustration en prime. Au revoir. On ne m’y reprendra plus. Je vais me mettre au tambour, c’est meilleur pour la santé et la réputation.
Le Diable s’en va, en scrollant sur les sites de tambours à vendre sur internet.