— Tu devrais te raser plus souvent mon chéri, ça te va bien.
— Merci, mais tu sais comment nous sommes, moi et ma flemmingite aiguë… Ma chérie, tu veux bien envoyer un message à ma mère pour la prévenir qu’on va avoir dix à quinze minutes de retard ?
— Tu veux que j’envoie un message… à ta mère ?
— Oui, comme je suis au volant.
— Mais Sébastien, tu n’as jamais eu de parents.
— Quoi ? Attends… hein ? Qu’est-ce que tu veux dire par « je n’ai jamais eu de parents » ?
— Sébastien. Tu as grandi dans un orphelinat. Ton « père » était un donneur de sperme anonyme et celle qui t’a mis au monde était mère porteuse pour un vieux monsieur seul et stérile qui s’est désisté au dernier moment.
— Mais… c’est complètement invraisemblable !
— Un vrai sans quoi ?
— Invraisemblable.
— Ce mot n’existe pas, Sébastien.
— Mais voyons Rosalie, je ne viens tout de même pas d’inventer un mot !
— Tu m’as appelée comment ?
— Rosalie. C’est toujours ton prénom quand même ?
— Ohlala mon chéri tu dérailles complètement…
— Bon, je ne comprends rien à toute cette histoire. Comment tu t’appelles, alors ?
— Julie.
— C’est moche, Julie. Je préférais quand tu t’appelais Rosalie. Tu fais exprès d’essayer de me retourner la tête là, ou quoi ? C’est une caméra cachée ?
— Il n’y a aucune caméra cachée ici, Sébastien. Elles sont toutes bien en évidence. On est sur un plateau de tournage, je te rappelle.
— Un plateau de tournage, ben voyons ! Et dans quel film on joue ?
— Ce n’est pas un film, mais une pub pour du fromage de chèvre…
— Donc c’est plutôt un plateau de fromage.
— Mais qu’est-ce que tu racontes, enfin ?
— Mais toi, qu’est-ce que tu racontes, bon sang de bonnetière ! C’est pas possible d’inventer une histoire pareille ! Qu’est-ce que tu vas encore trouver à me dire, maintenant ?
Julie se tourne, face caméra.
— « Soignou, le fromage qui vous rendra chèvre ! »
Avachi dans sa chaise pliante, le réalisateur crie dans son porte-voix :
— Coupez ! On va la refaire. Belle performance, Rosalie. Sébastien, prends moins de libertés sur le texte s’il te plaît. On va reprendre dans 3… 2… 1… Ça tourne !
Julie se tourne à nouveau vers Sébastien.
— Tu devrais te raser plus souvent mon chéri, ça te va bien.
— J’appelle mon psy.