Le saviez vous, amis voyageurs ? Les sirènes existent vraiment.
Ce ne sont pas les créatures du folklore, mi-femmes mi-poissons chez les Nordiques ou croisées avec des oiseaux chez les Grecs. En réalité, rares sont ceux qui les ont réellement vues, car ce sont des créatures pudiques qui ne se montrent que pour piéger leurs victimes. Ce que l’on connaît le mieux d’elles est la tentation, insidieuse, qui s’immisce dans l’esprit sans que vous ne le sachiez. Mais que sont-elles donc, au juste ? Comment se manifestent-elles ?
Je m’en vais vous conter l’histoire de l’une d’entre elles qui, par la ruse et la tromperie, sût attirer dans son piège cinq proies exquises…
Le récit commence lorsque le comte De Carlow trouva la mort durant la bataille de Galway, en 1651. Il laissait derrière lui une femme, Mary De Carlow, et des quintuplets, nommés respectivement Tom, Timmy, Timothy, Théobert, et Thomas. Endeuillés, Mary De Carlow les emmena se ressourcer dans une petite propriété côtière de la famille, non loin de ce que l’on appelle aujourd’hui la chaussée des géants.
Or, c’est ici qu’une sirène, après sa longue traversée de l’Atlantique, avait choisi d’établir son domicile. Après un tel voyage, la pauvre mourrait de faim et de fatigue et, la région étant peu habitée, elle désespérait de ne pas pouvoir trouver facilement de quoi se repaître. L’arrivée de la famille De Carlow était une aubaine pour elle car les enfants étaient des mets de choix, et il lui suffirait de tromper la mère pour que les cinq petits se retrouvent eux aussi piégés. Qui plus est, un esprit troublé était plus simple à piéger, et le deuil des De Carlow ne jouait pas en leur faveur.
Cependant, Mary De Carlow était une femme forte et une mère dévouée, c’est pourquoi elle se devait de garder la tête haute tant que ses enfants étaient en vie. Pendant une semaine durant, la sirène tenta de l’attirer mais aucune de ses tentatives ne fit mouche. Cela ne la découragea pas pour autant car elle avait entendu, autrefois, que les esprits les plus résistants étaient souvent les meilleurs. Dans l’attente de regagner ses forces, elle se mit à observer la famille en élaborant un autre plan.
C’est ainsi que l’un des enfants, moins intégré dans la fratrie que les autres, attira son attention. Il s’agissait de Tom, le premier, et celui ci semblait souvent rêveur. Il gardait ses yeux fixés vers l’horizon, comme si un monde étranger et fantastique l’y attendait. Voilà qui était parfait pour commencer, car cet enfant était déjà habité par la tentation de prendre le large. Il ne suffirait à la sirène qu’à attiser cette envie, et cette première proie se retrouverait vite prise dans ses filets. Soumis à une envie irrésistible de s’en aller dans les flots, le garçon décida de partir un soir. Puisqu’il n’était pas communicatif, il n’en toucha pas un mot à ses frères. Il disparut alors et, dans les jours qui suivirent, personne ne le revit.
Les De Carlow le cherchèrent bien sûr durant de longues heures, sans succès. Ils abandonnèrent finalement, tristes, et désormais doublement endeuillés. Pourtant, l’un d’entre eux, plus inquiet même que sa mère, n’abandonna pas les recherches. Il s’agissait de Timmy, le deuxième de la fratrie, qui était aussi le plus proche de son frère disparu. Lorsque le jeune garçon se mit à mener des recherches en solitaire, la sirène sut saisir cette chance de l’attirer à son tour dans un piège mortel. Discrètement, lentement, elle fit en sorte d’attirer son regard vers les flots, de manière à le persuader que c’est ici que se trouvait le jeune Tom. Alors, elle pu le tenter lui aussi, en lui donnant l’envie de chercher son frère dans les vagues. Ce jour là, Timmy disparut et, dans les jours qui suivirent, personne ne le revit.
Désormais triplement endeuillés, les enfants commencèrent à avoir peur. Trop occupée à les rassurer et les consoler, la mère ne se laissait pas abattre : elle devait rester forte pour ceux qui étaient encore vivants. Devant tant de courage, Timothy, le plus vaillant de la fratrie, décida alors d’élucider le mystère de ces disparitions. Qu’était il arrivé à ses deux frères ? Qui, ou quoi, était responsable de leur disparition ? Il désirait retrouver Tom et Timmy, pour rassurer ses frères et soulager le fardeau de sa mère. Sous les assauts de la sirène, il devint rapidement obsédé par l’envie de découvrir la vérité. Échappant un soir à la surveillance de sa mère, qui ne souhaitait plus les laisser sortir seuls, il se rendit sur la plage pour enquêter. C’est alors que la sirène, ayant regagné des forces, lui apparut. Habilement, elle le persuada que la vérité qu’il cherchait tant se trouvait au fond de l’océan. Timothy l’y rejoignit et disparut à son tour mais, cette fois ci, ses deux frères en furent témoins.
De fait, Théobert et Thomas le connaissaient par cœur, et ils savaient quel mauvais coup il préparait. C’est ainsi que Théobert, le plus intelligent et mesuré des cinq, proposa de le suivre. « Chacun de nos frère s’est volatilisé lorsqu’il était seul alors, si nous le surveillons, rien ne pourra lui arriver », avait-il décrété. Dès lors que la sirène apparut à Timmy, il regretta amèrement ces paroles. Paralysés par la peur, rongés par cette curiosité morbide que suscite le paranormal, Théobert et Thomas gardèrent les yeux fixés sur l’atroce scène. Des flots jaillissait un entrelacs d’algues dégoulinantes, dont on devinait que l’eau salée s’y infiltrait et s’écoulait dans des vaisseaux apparents semblables à des veines. La monstruosité n’avait ni yeux, ni bouche, ni forme distincte, mais l’on devinait sous l’eau une étrange cavité armée de dents aiguisées. Elle était évidemment soigneusement cachée aux yeux de Timmy qui, impressionné, suivit sans hésitation la créature. Les deux frères auraient voulu crier, lui dire de rester sur le sable, ou même de fuir s’il le pouvait, mais le surprenant spectacle les avait privés de leur voix. C’est donc avec effroi qu’ils assistèrent au repas de la sirène, tandis que l’eau se teintait progressivement de rouge.
Une fois cette horrible scène terminée, Théobert ne semblait plus le même et, le regard vague, il s’en alla vers les flots tumultueux. De fait, la sirène se sachant observée, elle avait profité de l’effroi ressenti par le garçon pour lui insuffler la tentation la plus terrible qui soit : celle de la mort. Privé de sa volonté, le pauvre Théobert ne pouvait alors que se jeter dans l’immensité de la mer, avant de finir dans le ventre de la sirène. Bien sûr, Thomas tenta de toutes ses forces de le retenir, mais il ne put empêcher son frère de continuer à avancer, car la tentation qu’il subissait était trop forte pour qu’il puisse s’arrêter. Théobert disparut alors lui aussi dans la gueule de la sirène, sous les yeux agars de son frère.
Réjouie de la tournure des événements, la sirène refit alors surface devant le jeune Thomas. Celui ci, bien qu’en état de choc, ne semblait étrangement pas prêt à se laisser tenter. La sirène se mit donc à lui raconter comment, à force de ruse et de manipulations, elle avait réussi à croquer le rêveur Tom, à attirer dans son piège l’altruiste Timmy, à tromper le curieux Timothy et, enfin, à dévorer l’intellectuel Théobert. Son récit fit mouche, puisque le jeune Thomas était désormais fou de rage. Cela permit à la sirène de faire naître en lui une irrépressible envie de vengeance mais, quoiqu’elle fasse, le jeune garçon restait à une distance respectable de l’eau, et donc hors de sa portée. Perplexe, elle compris cependant rapidement : jamais elle ne pourrait réussir à faire du garçon son repas. De fait, Thomas avait une peur phobique de l’eau, telle qu’aucune tentation ne saurait jamais dépasser. Celui ci se contentait alors de lui jeter des poignées de sable en criant : « Rends les moi ! Rends moi mes frères ! ». Au grand étonnement de ce dernier, la sirène répondit : « Soit, je te les rendrais, mais il faudra avant que tu parviennes à te cacher de moi durant une semaine entière ». Naïf, le jeune garçon s’exécuta et, durant les jours qui suivirent, personne ne sut le retrouver.
Bien sûr, la sirène avait menti : il lui serait impossible de rendre ses frères au jeune Thomas, puisque ceux ci étaient déjà morts. Seulement, il fallait que le garçon disparaisse aussi, car Mary de Carlow resterait intouchable tant que l’un de ses enfants vivrait. Le stratagème de la sirène fut bien plus efficace qu’escompté puisque, sans intervention de sa part, Mary De Carlow se mit à rechercher désespérément ses enfants, s’approchant de plus en plus dangereusement de l’eau. Six fois endeuillée, elle souffrait désormais plus qu’aucun esprit humain ne pouvait le supporter, et ne tarda pas à sombrer dans la folie. Agissant alors comme lors d’une partie de cache-cache, elle chercha et chercha encore, sans jamais retrouver son seul fils encore vivant, et se tourna enfin vers l’océan, décidée de s’y rendre, comme s’il s’agissait de l’ultime cachette de ses enfants. Prise d’un incontrôlable rire nerveux, elle s’avança alors lentement parmi les flots, accueillant les vagues dans ses bras comme elle y accueillait ses enfants autrefois. Bientôt, il ne resterait d’elle que les échos d’un rire, celui d’une mère qui s’en va retrouver ses petits, distordu par la peine immense de les savoir morts.
Le saviez vous, amis voyageurs ? Les sirènes existent vraiment.
Ce sont des créatures vicieuses, capables de jouer avec le cœur des Hommes, avant de s’en repaître. Si un jour l’océan vous appelle, comme il a appelé les De Carlow, ne vous approchez point. Résistez de toutes vos forces, car aux yeux des sirènes, vous n’êtes qu’un repas de plus, et la mer est un abattoir. Rappelez vous de ce bon conseil, amis voyageurs, car mon nom est Thomas, et je suis le seul survivant du festin de la sirène.
Bravo pour cette petite histoire très intéressante
Je trouve l'idée que ce soit un rescapé raconte géniale et la fin fonctionne super bien.
Si tu devais améliorer quelques chose, c'est peut-être la longueur de ton texte en développant un peu plus la résistance à la tentation et les stratagèmes tordus que la sirène doit imaginer pour finir par arriver à ses fins. Si les protagonistes mettent plus longtemps à tomber dans son piège, on aura plus le temps de s'attacher à eux et leur mort sera plus marquante.
Petites fautes:
"avait choisit" -> choisi
"se savant observée" -> se sachant observée
Merci pour le commentaire ! Développer chaque passages est une piste intéressante effectivement. J'y avait pensé brièvement mais sans creuser l'idée plus que ça, par feignantise et par peur que le texte soit trop long ^^' Le fait d'avoir un avis dessus remotive un peu et donne plus de consistance à l'idée, merci beaucoup !
Merci aussi pour les corrections, je n'avais pas remarqué ces fautes lors de la relecture :x