Le grand jarl

Par Sebours

Le Thing est l’assemblée gouvernementale constituée des nains libres. Dans l’infra-monde, les conflits entre les différents clans et grandes familles sont légion. La création de cette institution résulte de la nécessité de réguler la justice pour réduire les querelles tribales et pour éviter le chaos social.

Ainsi, chaque royaume dispose de son thing local où chaque nain libre du territoire peut plaider sa cause. Un thing national, ou grand Thing réunit les clans et grandes familles pour voter les lois et les inscrire dans la rune ainsi que voter les décisions stratégiques comme l’élection du grand jarl, le généralissime destiné à guider l’armée naine pour la prochaine guerre lemniscate.

Le Thing et l’élection du grand jarl nain

Traité sur les sociétés du bouclier-monde

du maître architecte Vinci


Le clan royal des Diamant-Charbon s’affaira à organiser les mariages et le dernier jour d’Abathi arriva bien vite. La réunion du grand Thing le lendemain constitua l’avènement pour les Marteaux d’Airain. Toutes ces manœuvres politiques avaient fini par payer ! Nomrad disposait de sa propre voix. Elle bénéficiait du soutien des trois clans autonomes à qui elle offrait un territoire. Les Poignes d’Acier leur étaient redevables suite à l’effacement de la dette de jeu de Brommur. Pour des raisons géostratégiques, les Peaux de Bronze se positionnaient en alliés naturels. Enfin, des grandes familles suivaient aveuglément la matriarche depuis qu’elle leur avait offert une possibilité de se constituer en clan, même si l’opération semblait financièrement inabordable. L’alliance entérinée la veille avec le clan royal asseyait une confortable majorité lors du grand Thing. Krim fut élu grand jarl sans contestation possible.

Tout le monde remarqua l’absence de Magdir. Le cadet du roi Garrak n’avait assisté ni au double mariage, ni au grand Thing. Son amour propre l’avait sans doute poussé à ne pas subir l’humiliation d’une passation de pouvoir non consentie. Il s’était fait porté pâle prétextant une mystérieuse fièvre, chose surprenante chez les vigoureux nains. Personne n’était dupe étant donné que fort peu de créatures de l’infra-monde souffraient de maladie du fait de leur résistance exceptionnelle.

Après l’avènement des Marteaux d’Airain, la séparation entre Krim et le reste du clan s’effectua. Le nouveau grand jarl devait rester avec son épouse à Néggudur pour réorganiser l’armée de la bannière de Dmor-Khal. Oin, lui aussi demeura dans la capitale. Organiser le départ de sa nouvelle compagne Arnas, sœur aînée du roi ne pouvait s’improviser. Depuis deux mois déjà, on triait le mobilier, on inventoriait les effets et bijoux personnels, on rédigeait le contrat de mariage définitif. Pour assurer une impartialité au processus, les deux clans avaient mandaté le très réputé gnome Bivot sur cette opération. Nomrad retourna donc au Volkhom accompagné du seul mais indispensable Tordur.

Deux semaines plus tard, Oin rejoint enfin le clan à Muggulor. Cependant, sa nouvelle épouse ne l’accompagnait pas. Arnas était resté au chevet de son frère, Magdir dont l’état empirait de jour en jour. Contrairement à l’opinion répandue, son absence aux mariages et au grand Thing n’avait rien de diplomatique. Le cadet des Diamant-Charbon endurait d’une maladie réellement inquiétante. La fièvre ne le quittait pas. Il vomissait constamment et souffrait de diarrhées chroniques. Oin ne tarda pas à s’entretenir sur cette situation avec sa matriarche et son fidèle bras droit autour d’une bière à la taverne du marteau agile.

« Je n’ai pour l’instant aukune preuve, mais, nom d’une enklume, cela ressemble à un empoisonnement. Je pense à l’arsenik ! La kestion est ki a fait ça ? »

«  Qui trouverait un intérêt dans la mort de Magdir ? » interrogea la matriarche.

« Hum ! Avec le mariage entre Krim et l’héritière directe des Diamant-Charbon et celui de Oin avec la sœur du roi, Magdir était le seul obstacle vers le trône pour notre clan. Hum ! Hum ! J’ai peur que les Marteaux d’Airain soient désignés coupables sans procès ! » répondit le sage Tordur.

«  Le roi aussi est un suspect possible. Il craignait une révolte de son cadet depuis des siècles. La destitution de Magdir au profit de Krim n’a pas dû arranger les choses... » Nomrad marqua une pause et remplit à nouveau les chopines des convives. « Je te connais Oin ! Si tu t’es posé la question de qui à fait ça, tu as déjà mené ton enquête avant de renter à Muggulor. »

« Oui matriarche ! Et mes premières konklusions étaient les mêmes ke les vôtres. Il existe deux suspects. Alors j’ai enkèté. Déjà ki peut se prokurer de l’arsenik facilement ? »

« Hum ! Les seuls clans à posséder des mines d’arsenic noir sont les Peaux de Bronze, les Barbes d’Étain et nous-même. » indiqua Tordur.

« Mais avec l’alchimie, on peut obtenir de l’arsenic jaune ! Autant dire que tout le monde peut s’en procurer ! » compléta Nomrad comme pour défendre leur fils.

« Tout à fait, matriarche. Et pour fabriker un poison, il faut un alchimiste ! C’est donk dans cette direktion ke j’ai cherché. Et Krim a passé une kommande à notre laboratoire de Khur-Dural. Il n’y a pas de trace dans la liste, mais elle était konsékente et l’alchimiste est konvainku d’avoir fourni de l’arsenik en poudre. »

« Cela ne prouve rien ! Tu prétends que c’est mon fils le coupable ??! »

« Nom d’une enklume, je n’ai pas de preuves ! Mais les symptômes de Magdir sont apparus le lendemain de notre arrivée à Neggudur ! Ça pose kestion ! »

« Tu as trop bu Oin ! Tu dis n’importe quoi ! »

« Bien sûr que j’ai trop bu ! Sinon, j’aurai pas la force de te le dire, matriarche. Je veux pas te faire de la peine, nom d’une enklume ! Mais je dis pas n’importe koi ! Mes informateurs sont formels ! Krim n’est pas aussi bon ke tu krois ! »

« Tu mens Oin ! Tu as toujours détesté mon fils ! »

« Hum ! C’est plutôt le contraire, maîtresse Nomrad ! » intervint Tordur. « Krim n’a toujours pas accepté l’intronisation de Oin dans le clan ! »

« Nom d’une enklume ! C’est lui ki m’appelle fils de rien ! »

« Hum ! Hum ! Cela me fait mal de le dire, maîtresse Nomrad, mais malgré l’éducation et les valeurs que nous lui avons inculquées, Krim est un arriviste sans foi, ni loi ! Hum ! Il ne vit et n’agit que pour son profit ! Souviens-toi maîtresse, plus d’une fois ton fils a suggéré d’acquérir le pouvoir par la force ou par le meurtre. Il serait capable d’empoisonner Magdir pour se rapprocher du trône ! »

« Ma parole ! Toi aussi tu es saoul Tordur ! Vous perdez la raison tous les deux ! Vous dites n’importe quoi ! Vous êtes jaloux ! Krim ne peut pas avoir fait ça ! »

Nomrad n’arrivait plus à rationaliser sa pensée. Oin et Tordur, ses fidèles parmi les fidèles, accusaient ouvertement son fils d’assassinat ! Le monde se dérobait sous ses pieds. Certes, Krim ne se posait pas en parangon de la vertu, mais de là à devenir un meurtrier il y avait un large fossé à franchir. Pour ménager la maître forgeron, le vénérable nain lui accorda quelques instants de silence et de réflexion avant de reprendre son argumentaire.

« Hum ! Tu le sais au fond de toi, maîtresse Nomrad ! Repense à l’effronterie de Krim face à ton autorité. Il veut déjà ta place ! Hum ! Alors songe à sa future position si Magdir décède opportunément. »

« Non ! Krim est incapable de ça ! Il a toujours respecté mon autorité ! Il a toujours agi pour le bénéfice du clan ! »

« Tu te trompes matriarche ! Krim, n’est qu’un parvenu ki ne respekte pas rien ni personne ! Nom d’une enklume ! Ton fils exploite sans vergogne les derniers nés ! Il ne les akcepte pas vraiment malgré toutes les lois ke tu as edikté ! » Le regard fixé sur la surface de sa choppe de bière, Oin n’hésitait plus à balancer ses quatre vérités à la matriarche du clan des Marteaux d’Airain.

« Que me racontes-tu encore là, mon ami ! Tu as vraiment trop bu ! Prends garde à ne pas proférer des paroles que tu regretterais par la suite ! » La scène frisait le comble de l’absurde. Nomrad, ivrogne notoire reprochait à son fidèle messager son abus de boisson.

« Je vous dis ke la vérité ! Toi...vous êtes Nomrad la bienfaitrice, vous voyez le bon dans chaque personne ! Le peuple a nommé votre fils, Krim l’infleksible ! Lui ne voit ke le profit k’il peut soutirer de chak personne ! Il ne dévie jamais du but k’il s’est fixé ! Et pourkoi ? Juste pour le pouvoir et l’or ! Il ne konsidère les derniers de Nunn ke pour les envoyer au kombat ! Il cherche à minimiser ses risks pour les soldats nains ! Et il ne respekte pas ton dékret ! »

« Et depuis quand un nain comme toi s’intéresse au sort des derniers nés Oin ? »

« Depuis… depuis ke...depuis que j’ai rencontré ... Destinée. » répondit du boût des lèvres le nain aviné que l’alcool rendait plus loquace qu’il ne le voulut.

« Hum ! Il n’empêche qu’il y a un fond de vérité dans ce que dit Oin, maîtresse Nomrad. »

« Tu partages l’avis de Oin, Tordur ! Arrêtez de boire ! Vous dites n’importe quoi ! »

« Ouais ! Bien sûr ke j’ai trop bu ! » reprit Oin « Sinon, j’aurai pas la force de te le dire. Je veux pas te faire de la peine, nom d’une enklume ! Mais je dis pas n’importe koi ! Ouais ! Mes informateurs sont formels ! Par exemple, Krim ne respekte pas le monopole sur le merkure des derniers nés ! »

« Mais le mercure n’est qu’un résidu inutilisable ! Les derniers nés lui ont bien trouvé quelques applications pratiques comme les instruments de mesure ou la fabrication de petits miroirs. Pourquoi Krim mettrait-il un terme à ce monopole ? »

« Hum ! Hum ! Dernièrement, les derniers nés ont trouvé un moyen d’utiliser le mercure pour amalgamer les paillettes d’or et d’argent portées par les fleuves ! Les premiers résultats de cette nouvelle technique sont probants. Hum ! J’attendais un retour d’expérience sur un temps un peu plus long pour te faire un retour, maîtresse Nomrad. Mais j’ignorais la manœuvre de Krim. Tu es sûr de toi Oin ? »

« Plus ke certain ! J’ai vérifié moi-même les informations de notre réseau d’espions. Nom d’une enklume ! »

« Mais pourquoi Krim ferait-il ça ? Les mines du clan regorgent déjà de métaux précieux ! » questionna Nomrad abasourdie.

« N’oublie pas k’il est grand jarl maintenant, matriarche ! Les affranchis trouvaient enfin un perspektive d’avenir ! Sans merkure, il ne leur reste plus aux derniers nés de Nunn k’a s’enrôler dans l’armée ! »

« Hum ! Ainsi, Krim cherche à grandir ses troupes. Hum ! Hum ! Logique ! Il cherche à renforcer sa position de grand jarl. »

« Mais… mais… pourquoi ne nous a-t-il pas parlé de ce projet ? »

« Hum ! Je n’ai jamais osé te le dire, maîtresse Nomrad. Tu m’as confié l’éducation de ton fils unique. J’ai fait de mon mieux. Lorsqu’il était petit, Krim était un bon garçon, dévoué au clan même s’il se révélait ambitieux et un brin égoïste. Hum ! Hum ! … Il souffrait cependant de phases de délire, principalement la nuit. Krim prétend qu’on parle dans sa tête et il est incapable de désobéir. Je pensais que cela s’atténuerait avec le temps, mais c’est l’inverse qui se produit ! A présent, c’est comme ton fils possédait une double personnalité. »

« C’est surtout une excellente exkuse pour justifier sa désobéissance au klan ! Krim sait exaktement ce k’il fait ! » »

« Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé, mon bon Tordur ? » interrogea Nomrad sans relever le sarcasme de Oin.

« Hum ! J’ai toujours eu espoir que l’état psychique du petit s’améliore. Je me rassurais en me disant qu’il inventait ces voix pour justifier son conflit intérieur. Hum ! Là, s’il tue le frère du roi, je ne peux plus me taire ! »

« Mais ke devons nous faire ? Nous ne pouvons pas akkuser sans preuves ! »

« Bien sûr que non, Oin ! Si on découvre que Krim a tué, Magdir, le roi Garrak pourrait réclamer justice devant le grand Thing et exiger le démantèlement du clan des Marteaux d’Airain ! »

« Hum ! Il serait fort avisé d’attendre. Après tout, Magdir n’est que souffrant, pas mort. Nous nous inquiétons peut-être pour rien ! Hum ! »

« Je n’ai pas de preuves, mais j’ai une konviktion, Tordur ! Magdir sera mort avant la fin du mois ! »

Nomrad ne bougeait plus, ne parlait plus. Elle était tétanisée par l’effroi des nouvelles qu’on venait de lui asséner. Tordur décida de prendre les choses en mains. Le temps des tergiversations était révolu.

« Hum ! Pour éviter tout soupçon, si Magdir trépasse, l’idéal serait de faire passer son décès pour une mort naturelle ! Hum ! Et avant ça, nous pourrions tenter de le guérir. Oin, pourrais-tu convoquer un ou deux herboristes satyres au chevet de Magdir ? Prends les plus réputés ! Hum ! Hum ! Et puis regarde si tu ne peux pas lancer une campagne de désinformation avec tes espions ! Le décès de Magdir arrangerait autant le roi que notre clan. Si l’opinion publique n’accuse personne, Garrak ne fera pas de vagues. »

« Ce ki signifie ke nous allons protéger un meurtrier ! »

« Hum ! Ce n’est qu’une suspicion, Oin ! Et il faut qu’elle en reste à ce stade ! Nous avons travaillé trop dur pour officialiser notre clan ! A présent, nous devons le protéger à tout prix ! Et tout faire pour remettre mon fils sur le droit chemin ! »

Stoïque, muette et songeuse, Nomrad priait Dmor-Khal. Elle ne l’avait plus fait depuis des cycles ! Le sang des Nains d’Or coulaient dans les veines de Krim. Ce clan mythique avait connu sa perte à cause de sa soif d’or et de pouvoir ! La double personnalité de son fils découlait-elle de là ? Un loup s’était glissé dans la bergerie ! Alors que la matriarche craignait depuis toujours l’avidité des autres clans, la menace la plus dangereuse pour les Marteaux d’Airain risquait de surgir de sa propre chair !

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