Le Jardin Eternel

Par Noxen

- Des ennemis arrivent !

Je suis tombé de mon lit situé dans la tour de garde du temple après l'annonce du moine. La lune était haute dans le ciel et la fraîcheur de la nuit faisait hérisser mes poils sous ma toge orange. J'ai jeté un coup d'œil par-dessus le garde-corps en bois et j'ai aperçu les lumières de torches. Je voyais toute une armée se rapprochant de la pelouse qui entourait notre temple.

- Arrête de rêver et va réveiller la maître, c'est la seule qui saura quoi faire !
- Mais c'est la nuit, où vais-je la trouver ?
- Ça se voit que c'est ton premier jour... Toutes les nuits elle médite au cœur du temple, dans le Jardin Eternel !

J'ai pris une grande inspiration. Je n'étais encore jamais allé au jardin. On disait qu'il était la source de la vie même, qu'il concentrait la force de la méditation de tous les moines pour la transformer en énergie vitale pour la terre. J'avais été choisi pour veiller sur lui. Mais je n'en avais vraiment pas envie.

Je voulais aider le monde, c'est sûr. Mais dans l'action, dans la mobilisation, peut-être même dans le sabotage ! Et tout le monde savait que les moines du Jardin Eternel étaient hyper pacifistes et ne faisait rien pour faire avancer l'humanité. Ils vivaient une vie ascétique avec pour seul but de veiller sur le jardin. Ce n'était sûrement pas pour moi! J'ai alors reçu une tape sur la tête. Mon partenaire de nuit s'exclama encore :

- Mais vas-y, arrête de rêvasser ! Je dois lever le pont, alors fais attention à ne pas marcher sur la pelouse !

J'ai donc commencé à courir. En passant par les couloirs étroits de notre temple, j'espérais voir les moines se préparer pour la bataille, avec des armures et des épées. Mais non. Les autres moines s'étaient bien réveillés, mais au lieu de s'armer, ils préparaient une tisane à la camomille dans la cuisine communale. Je les ai interpelés sur l'urgence de la situation et leur ai décrit la terrible armée qui se rapprochait. Pas de réaction. Aucune émotion ne filtrait de leur visage. J'étais accablé. Heureusement ils m'ont indiqué un raccourci pour arriver aux portes du jardin.

- Et n'oublie pas le nouveau, avance toujours, mais ne marche jamais sur la pelouse !

J'ai donc continué à courir. Après quelques minutes, j'étais enfin devant la porte d'entrée du jardin. J'ai tenu un poteau et repris mon souffle, je n'avais pas couru ainsi depuis que j'avais essayé de fuir mon destin de moine. C'était ce matin. Mais les ennemis arrivaient, je n'avais pas le temps de remettre mes poumons à l'intérieur de mon corps, alors j'ai décidé d'entrer.

J'ai ouvert la porte et une lumière chaude caressa mon visage. C'était comme si le soleil se cachait dans le jardin pour la nuit. J'ai vu des plantes exubérantes, des insectes colorés et des animaux loufoques. Le tout en harmonie. Tout l'écosystème de notre planète était résumé ici, au cœur de ce jardin. Et, en plein centre, se dressait le plus grand arbre que je n'avais jamais vu. Il était haut comme un bâtiment et étrangement symétrique : deux grands ensembles de racines sortait de la terre et deux larges branches tenaient le feuillage. Au milieu de ces deux énormes branches, je l'ai vue.

J'ai tout de suite su qu'il s'agissait de notre grand maître. La tranquillité émanait de son expression sereine. La sagesse de dizaines de générations était incrustée dans ses belles rides. Un bruit d'explosion me rappela à mon devoir.

- Grand maître, les ennemis de la vie sont à nos portes !

Un flash lumineux se produit et m'aveugla. Quand je réussi à rouvrir mes yeux, la maître était là, juste devant moi. De sa voix harmonieuse, elle me parla :

- Bonjour mon enfant, quel évènement vous amène à perturber ma méditation ?
- Une armée est presque devant nos portes, il faut qu'on lutte pour les empêcher de détruire notre jardin !

Elle éclata d'un rire sonore, comme celui d'un adulte face à un enfant qui ne comprend pas encore la vie.

- Désolé de rire mon enfant, mais ce que vous dites n'a pas de sens. Personne ne veut détruire notre jardin. Il est le début et la fin de toute vie. C'est grâce à lui que cette armée peut marcher jusqu'à nous aujourd'hui.
- Mais ils viennent avec des armes et du feu, leur intention est claire !
- Et vous pensez que c'est avec plus de violence que nous arriverons à les arrêter ?
- Je ne sais pas si nous arriverons, mais nous pourrions au moins essayer. C'est de la légitime défense !
- La légitime défense vous dites... Pensez-vous que la Nature a besoin de se défendre ?

Elle laissa un silence gênant s'installer. Comme je ne donnais pas de réponse, elle reprit son discours.

- La Nature est, tout simplement. Et elle était déjà bien avant moi et elle sera encore des siècles après vous. Vous êtes trop immature encore pour échanger avec moi. Savez-vous si le pont a été levé ?
- Oui, il l'a été. Mais je me suis aperçu que le pont ne servait pas à grand-chose. Il n'y a rien en dessous pour les empêcher d'avancer.
- Rien vous dites ! Combien de fois dois-je expliquer que tout est lié dans ce jardin ! Du moindre brin de pelouse sous le pont au plus grand tronc séculaire, ce jardin ne fait qu'un !

Elle me tourna le dos et reparti au cœur de son arbre pour continuer sa méditation. Mais sa réponse ne me satisfaisait pas. C'était à cause de ce genre de raisonnement que je ne voulais pas devenir moine. J'étais quelqu'un d'action. Il fallait que je la convainque !

- Grand maître, si tout le jardin est si important pour la planète, ainsi que pour toute l'humanité et la vie en générale, pourquoi nous ne faisons rien pour le défendre ?
- Votre naïveté de jeunesse m'impatiente ; sachez que c'est très rare ! Nous ne nous défendons pas, parce que nous n'en avons pas besoin. A chaque incursion d'un nouveau peuple ou d'une nouvelle civilisation, ils ont essayé de nous attaquer. Mais à chaque fois, en arrivant à nos portes, ils comprirent qu'il n'y avait ici rien de profitable pour eux. Et comme ils étaient venus, ils sont repartis.

Elle continua d'avancer pendant qu'elle me parlait.

- Mais... et si c'était fois-ci ils ne font pas demi-tour ?
- Ils le feront.
- Vous êtes vraiment sûre ?
- Oui.
- Mais il s'agit de mon peuple, et je peux vous dire qu'ils n'en ont rien à faire des obstacles et même de leur propre survie ! A chaque fois ils vont plus loin. On pense que c'est bon, qu'ils n'oseront pas, mais les voilà qui avancent encore. Ils ne reculent devant rien !
- Cette fois ils reculeront.
- Mais je vous jure qu'ils sont dangereux. Tenez, regardez ce qu'ils ont fait du rapport sur le changement climatique...

Je n'ai pas eu le temps de finir ma phrase. Le corps du grand maître commença à flotter dans les airs, comme tiré par des ficelles. Son aura paisible avait laissé place à une expression d'étonnement et d'horreur.

- Mais, comment est-ce possible ? se demanda-t-elle dans les airs.

Son corps faisait une pose d'étoile comme l'homme de Vitruve. Une lumière qui semblait venir de l'intérieur de son corps émergea par sa bouche et ses yeux, la faisant lever sa tête et pousser un cri guttural. Une fois la convulsion finie, la lumière resta là et la voix qui me parla n'était plus celle de mon maître.

- Ils ont... marché... sur... la PELOUSE !

Le corps de mon maître sauta jusqu'au grand arbre, entre les deux énormes branches. Il entra comme dans une capsule vitré. Un tremblement de terre commença. A la place des racines, deux jambes se formèrent, les branches se transformèrent en bras. Le grand arbre ressemblait maintenant à un énorme robot de combat.

- Humanité, c'est l'heure de l'extinction de masse !

Le grand monstre plia ses genoux et sauta directement sur l'armée d'envahisseurs. Je voyais des lasers sortir de ses yeux et de sa bouche, ainsi qu'une tempête gigantesque se former juste au-dessus de nous. D'où j'étais, leurs cris n'étaient presque pas audibles. J'étais à présent sûr de deux choses :

1- Nous faisons partis de la nature et devons être à son service et pas l'inverse
2- Comptez sur moi pour devenir grand maître !

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