Je me réveille ce matin avec une certitude en tête : Nous sommes le 29 février d’une année non-bissextile, le « jour qui ne compte pas ». Comme presque chaque année, ce jour arrive, se passe, puis disparait purement et simplement, sans laisser de trace. Il n’a aucune conséquence et demain 1 mars, il n’aura jamais existé. C’est une journée importante, une journée hors du temps.
La plupart des gens font des trucs fous ces jours-là. Enfin je pense, je ne sais pas vraiment vu que je ne me souviens pas des précédents. Moi je décide de partir dans une quête introspective de mon propre bonheur. Je sais que dis comme ça, j’aurais fait un bien piètre héro de roman, mais bon, c’est important pour moi.
Je me lève rapidement, enfile sans trop y penser mon jean-T-shirt de la veille, et décide d’aller petit-déjeuner en ville. Je ne ferme pas la porte, à quoi bon si tout sera comme avant le demain ?
Ce qui est sûr, c’est que je ne vais pas bosser aujourd’hui. Le travail, ça ne rend pas heureux, ça te fait juste espérer d’être heureux plus tard, et aujourd’hui ça ne compte pas ! C’est jussif d’envoyer péter le turbin, du moins je pense, je n’ai pas de bol : cette année c’est un dimanche.
Aujourd’hui j’ai envie d’un vrai café et je vais le prendre au Palace Hôtel ! Je passe devant tous les matins quand je vais au taf, j’ai toujours voulu y aller pour voir. Je marche prudemment sur le trottoir, plusieurs voitures de sports encastrées un peu partout dans les alentours me laisse penser que les voisins ont déjà pillés les concessions automobiles de la ZI et font des courses poursuites sur la route. Au coin de la rue, je manque d’ailleurs de me faire écrasé par Madame Rolland au volant d’une Lamborghini jaune, filant à toute berzingue s’aplatir contre le mur de l’école. 10h03, ça fait tôt pour finir son 29 Février.
Je passe devant ma Banque, visiblement elle aussi s’est fait dévaliser. Je pense qu’il faut être bien crétin pour dévaliser une banque un 29. L’argent c’est l’intermédiaire avec tes buts futurs, piller une banque, ça a autant de sens que d’aller travailler ! Et ça, il n’y a personne qui bosse aujourd’hui. Je n’y avais pas pensé mais le train est resté au hangar ce matin. Ligne automatisée peut-être, mais fallait que quelqu’un appuie sur la mise en marche ! Ça, ou c’est les ordinateurs qui gèrent mal les 29 non bissextile.
Je marche sur les voies, j’avais toujours voulu essayer ! C’est génial ! À-peu-près 3 minutes. Après j’ai mal au pieds, je m’ennuis et je trouve le temps long. Heureusement j’ai qu’un arrêt à marcher. Oui je prends le train tous les matins pour un arrêt de 5 minutes que j’aurais pu marcher en 20 ! Je suis une feignasse et j’assume.
Au Palace Hôtel, le bar a été pris d’assaut et la salle de réceptions est devenue une sorte de lupanar orgiastique. La musique défonce les oreilles, l’alcool défonce le cerveau, et Monsieur défonce Madame… ou l’inverse. Amis du romantisme et de la poésie, passez votre chemin. J’arrive tout de même à me trouver un paquet de café « luxe » que je me prépare moi-même. Vous pensez bien que le serveur sous-payé, exploité et maltraité de l’hôtel s’est fait la malle bien avant l’aube.
Ce n’est pas meilleur que mon café standard.
Je prendrais bien une viennoiserie avec mais quel boulanger aurait envie d’en faire aujourd’hui ? Peut-être en trouverai-je du sous-vide dans la supérette du coin.
Je sors en quête d’un immonde croissant, certain qu’il ne me donnerait pas le bonheur mais que sa quête me soulagerait de la cacophonie de l’hôtel.
Je ne le dis pas, mais je croise plein de monde faisant principalement rien d’autre que déambuler, hagard. Beaucoup semble rapidement tombés en panne d’idée d’interdit à braver et finisse par se plonger dans une de leurs addictions jusqu’à l’overdose : alcool, sexe, café, joint, tabac, selfie, smartphone, télé… tout y passe.
Dès fois je me dis que les 29, ça doit être moins drôle dans un pays pauvre. Youpi ! tu peux passer une journée de plus sans manger ! Et si t’en crève, t’inquiète, tu pourras recommencer demain !
J’aime l’humour noir.
Je m’arrête devant une boulangerie, quelque chose cloche, je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Je comprends lorsque j’aperçois la boulangère poser une fournée de croissant dans la vitrine : quelqu’un travaille ?! Je m’empresse d’y aller pour avoir le cœur net.
— Bonjour Monsieur ! Qu’est-ce qu’y vous ferait plaisir ?
— Euh… Bonjour ? articulais-je sans trop savoir que dire de plus.
Elle me regarde avec le sourire de la gentille commerçante qui aimerai bien que tu le choisisses ton croissant, et de préférence avant la tombée de la nuit, mais qui désire quand même être accueillante pour que tu reviennes passer 3 heures à choisir un beignet demain.
— Vous savez qu’on est…
— Le 29 Février ? Oui, bien sûr, comme tout le monde. Et puis le fait que quinze goujats me répondent « ton cul » à ma question me l’aurait confirmé.
— Pardon ?
— La question « Qu’est-ce qu’y vous ferait plaisir ? ».
Je reste coi.
— Laissez tomber.
— Mais pourquoi travailler vous ? Vous ne voulez pas faire autre chose ?
— Comme quoi ?
— N’importe quoi !
— Non merci.
Doublement coi.
Elle poussa un soupir et finit par m’expliquer :
— Aujourd’hui n’a pas de conséquence, on peut faire ce que l’on veut et demain il n’y aura ni gueule de bois, ni arrestation, ni mort, ni rien. On peut donc braver tous les interdits et réaliser ses rêves.
— Exactement !
— Bon déjà, j’en connais peu des « vrais » rêves qui se réalisent en 24h. Surtout dans un monde où chacun se la joue perso.
Je repense à mon café-croissant.
— Mais supposons que ce soit faisable. Pourquoi ne pas l’avoir atteint durant un jour où ça compte ? Pour moi il y a deux réponses possibles. Soit c’est interdit, soit vous n’aviez pas le cran, la peur de l’échec, des répercussions, des conséquences néfastes.
— Mais aujourd’hui il n’y a pas de conséquence !
— Exactement, il n’y aura pas non plus de conséquence positive.
— Nous faire plaisir ?
— Sur le coup oui, mais pas dans le temps. Si nous conservions nos souvenirs, cette expérience pourrait nous faire évoluer, nous permettre d’abandonner une vie, un rêve ou un cauchemar. Mais demain, tout sera oublié. Aucune conséquence. Ce qui réduit le champ d’actions aux seuls plaisirs hédonistes.
— C’est déjà pas mal.
— Oui mais en général, c’est parfaitement accessible en petite dose les autres jours de l’année.
— Et quitter un quotidien douloureux ? un mari violent ? un environnement toxique ?
— Quitter un taudis pour aller pisser dans la soie ? Génial ! En coller une à un trou-duc ? Merveilleux ! Se dire toute la journée que demain ont sera incapable de le faire, qu’on va souffrir pareil ? Ça c’est désespérant. Je trouve l’idée des 29 débridés déprimante.
— Du coup vous travaillez ?
— Du coup je vis normalement. Comme ça je me dis que s’il se passe un truc chouette, ça a des chances de m’arriver demain.
— Et si c’est juste une journée ennuyeuse ?
— Eh bien, de toute façon je l’aurais oubliée demain. Et puis, peut-être qu’avoir du pain va rendre service à quelqu’un.
Ça se tient. Je vais faire l’autruche et agir à ma guise quand même.
— Je vous invite à prendre un café ?
Elle me plaît et les 29 sont fait pour essayer non ? Elle me regarde de haut en bas, j’aurais peut-être mieux fait de mettre une chemise. Elle sort un papier, écrit son numéro et me le donne.
— Je suis prise toute la journée, mais n’hésite pas, appelle-moi demain.
Pouin-pouin-pouin.
— Allez, ne fait pas cette tête, je t’offre un croissant.
Je sors de la boulangerie en ayant atteint l’objectif de la matinée. Il est sucré avec un arrière-goût amer.
Le reste de la journée est du même genre, savoureux et insipide à la fois.
13h : mangé un panda au zoo. Ce n’est pas bon.
14h-16h : commencé un jeu vidéo, j’abandonne à mi-chemin.
17h : regardé les bouchons au-dessus du périf. Tous les abrutis qui pensent avoir l’idée du siècle : aller à la plage un 29 faire un bain de minuit.
Les paroles de la boulangère teintent tout. Je regarde les voitures immobiles depuis mon pont. Les klaxons martèlent mes tympans. Pas de futur, pas de présent.
J’ai juste envie de passer à demain, je saute.
Bref, bravo à toi^^
Ta manière de traiter le thème est très intéressante. Finalement, comme une quantité de gens profitent de ce jour où on peut tout se permettre sans en subir les conséquences pour faire des bêtises, des choses illégales ou se payer des plaisirs auxquels ils n’auraient pas accès autrement, les endroits et les choses dont tout le monde rêve sont pris d’assaut, si bien que celui qui voudrait juste profiter raisonnablement de cette journée ne trouve plus d’endroit tranquille, plus de bonne nourriture, bref, c’est la gabegie. La boulangère est pleine de bon sens. Je comprends que le protagoniste soit dégoûté de la vanité de tout ça, mais je ne m’attendais pas à la chute. Bravo pour ta participation originale et philosophique ! :-)
Coquilles et remarques :
— avec une certitude en tête : Nous sommes le 29 février d’une année non-bissextile [nous sommes ; pas de majuscule après les deux points / non bissextile]
— et demain 1 mars, il n’aura jamais existé. [1er mars]
— Enfin je pense, je ne sais pas vraiment vu que je ne me souviens pas des précédents. Moi je décide de partir [Virgule avant « vu que » et après « Moi ».]
— Je sais que dis comme ça, j’aurais fait un bien piètre héro de roman [dit comme ça / héros]
— Je ne ferme pas la porte, à quoi bon si tout sera comme avant le demain ? [il y a un « le » en trop / « si demain tout est comme avant » ou « puisque demain tout sera comme avant »]
— C’est jussif d’envoyer péter le turbin [jouissif ; ici, « jussif » n’aurait aucun sens]
— plusieurs voitures de sports encastrées un peu partout dans les alentours me laisse penser que les voisins ont déjà pillés les concessions automobiles de la ZI et font des courses poursuites sur la route [de sport / me laissent penser / ont déjà pillé / ZI : zone industrielle ? / des courses-poursuites]
— je manque d’ailleurs de me faire écrasé par Madame Rolland [me faire écraser]
— 10h03, ça fait tôt pour finir son 29 Février [février ; pas de majuscule aux noms des mois]
— Je passe devant ma Banque, visiblement elle aussi s’est fait dévaliser [ma banque (minuscule) / point-virgule après « banque » / virgule après « visiblement »]
— L’argent c’est l’intermédiaire avec tes buts futurs [virgule après « L’argent »]
— Ça, ou c’est les ordinateurs qui gèrent mal les 29 non bissextile [bissextiles]
— À-peu-près 3 minutes. Après j’ai mal au pieds, je m’ennuis et je trouve le temps long. [À peu près / trois / aux pieds / je m’ennuie]
— Oui je prends le train tous les matins pour un arrêt de 5 minutes que j’aurais pu marcher en 20 ! [Virgule après « Oui » / cinq / vingt ; il faudrait écrire les chiffres en toutes lettres, sauf des dates]
— la salle de réceptions est devenue [de réception]
— Peut-être en trouverai-je du sous-vide dans la supérette du coin. [« Peut-être en trouverai-je sous vide » ou « Peut-être trouverai-je du sous-vide »]
— Beaucoup semble rapidement tombés en panne d’idée d’interdit à braver et finisse par se plonger [semblent / d’idées / d’interdits / finissent]
— Youpi ! tu peux passer une journée [Tu]
— Bonjour Monsieur ! Qu’est-ce qu’y vous ferait plaisir ? / La question « Qu’est-ce qu’y vous ferait plaisir ? »[Qu’est-ce qui]
— Euh… Bonjour ? articulais-je sans trop savoir [articulé-je ; c’est au présent]
— qui aimerai bien que tu le choisisses ton croissant / passer 3 heures à choisir [aimerait / trois]
— Le 29 Février ? [février]
— Mais pourquoi travailler vous ? [travaillez-vous]
— Elle poussa un soupir [pousse ; au présent]
— Ce qui réduit le champ d’actions [d’action]
— Génial ! En coller une à un trou-duc ? [trouduc]
— que demain ont sera incapable de le faire / Ça c’est désespérant [on sera / virgule après « Ça »]
— Eh bien, de toute façon je l’aurais oubliée demain [l’aurai ; futur antérieur]
— Elle me plaît et les 29 sont fait pour essayer non ? [faits / virgule avant « non »]
— Allez, ne fait pas cette tête, je t’offre un croissant [ne fais]
Je corrigerai les coquilles après la fin du concours.
Les impressions du narrateur changent avec cette rencontre. On passe de l’enthousiasme à l’amertume. Le personnage fait un 180 introspectif. J’ai trouvé ça intéressant.
Cette boulangère est pleine de bon sens, et j'ai beaucoup apprécié la façon dont le récit vire à partir de cette rencontre. Ton 29 ne fait pas rêver, ce qui en est une vision intéressante, et la morale est très bien.
En effet je suis pas sur de vouloir le vivre ce 29 février là ;p
Alors j'ai bien ri au début, beaucoup aimé la partie plus philosophique/réflexive du milieu, et tu m'as complètement eue avec la chute ! Excellent !
Merci pour ce chouette moment de lecture !
Tu fais un jeu de mot sur "la chute" ? :p
Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec moi non plus :)
Content que ça t'est plu.
Il y a quelques coquillettes au début, quelques phrases qui du coup sont compliquées à comprendre.
J'ai beaucoup aimé !
Et tu as raison, pas assez de gens pense à sauver les bambous.
Et bien... Quelle fin brutale ! Je ne m'y attendais pas du tout !
Après la rencontre avec la boulangère qui ramène un peu d'espoir dans ce monde désœuvré, tu m'a coupé les jambes avec cette fin inattendu !
Bravo pour la description de ce que serait un monde sans consequa'ce !
Est-ce que la fin te conviens tout de même ?