Le lit clos

Je laisse passer mes mains sur les motifs des fleurs. Tous les détails que je peux toucher, je les ai déjà touché, mais je veux les retrouver, les apprivoiser de nouveau. Avant ça mes doigts avaient explorer les sièges de la voiture pendant le trajet, pour s’occuper, s’échauffer avant d’arriver à destination. Le trajet est long, il faut réussir à trouver un moyen de patienter. Dans la voiture les sièges sont étranges, pas en cuir, ni en plastique. Très lisses sur les côtés, et quelques effets granuleux sous les fesses, et  sous la couverture qui gratte. Tout l’enjeu du trajet est de trouver un moyen, si on nous a habillé avec une jupe ou un short, de ne pas mettre sa peau en contact avec la couverture qui gratte.  Alors on positionne de façon juste la peau de ses cuisses de façon à ne jamais la faire entrer en contact, pour éviter de se retrouver à avoir la peau sous les genoux qui gratte, qui se couvre de ces boutons épais et irritants, les mêmes qui débarquent dans mes coudes quand je suis en contact avec des chiens ou des chevaux. Je déteste ça, parce que ça me ramène à mon corps, et que je passe un nombre de temps infini à faire comme si je n’en avais pas un. Je suis tellement heureuse quand j’y arrive. Mais quand on parvient enfin à destination après le trajet en voiture, là je suis contente d’avoir ce corps, et de pouvoir sentir avec mes doigts ce qui est pour moi le véritable but de ce voyage. Le lit clos en bois de ma marraine. Il est au-dessus du banc de la table à manger, on se met à genoux pour arriver au niveau des panneaux. Et, durant ce moment béni où les adultes sont occupés à se retrouver, je peux prendre le temps de retrouver la sensation de ces panneaux de bois. C’est une œuvre d’art à disposition. La douceur des courbes de pétales, les endroits où le bois est usé à force de manipulation qui semble vous fondre sous les doigts. Et le poids des portes est tellement délicieux, quand on sait qu’on va pouvoir se réfugier derrière. Mais d’abord, comme à chaque fois et parce que j’ai lu beaucoup de Club des 5, je commence par chercher un panneau secret. Je cherche un creux, un bout de bois qui ne bouge pas comme les autres, pour faire comme les héros de mes romans, et pouvoir trouver un mécanisme secret qui me révèlera une autre merveille. Mais jamais je ne les ai trouvé. Alors finalement arrive ce moment délicieux que je garde pour la fin, j’ouvre les volets du lit clos, je me faufile à l’intérieur, je referme en posant bien mes deux mains à plat sur chacun des panneaux pour accentuer l’effet dramatique. Et je me retrouve enfin dans ce refuge qui m’avait tellement manqué. Si je pouvais avoir une telle cachette dans ma maison à moi, je suis certaine que j’arriverai à mieux vivre ce qui fait que je suis moi.

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Belisade
Posté le 27/08/2024
Bonjour Claraobscura,
Cette lecture m'a fait penser aux gestes répétitifs qu'on fait quand on est enfant, par exemple marcher sur une ligne dans la rue. C'est très bien décrit les sensations sur le siège de la voiture. Il me semble qu'on a tous vécu ça quand on était petits. Et la suite est tout aussi enchanteresse. Qui n'a pas rêvé d'une cabane pour se réfugier, dans le jardin ou dans un arbre. Alors dans un lit, c'est merveilleux. Et oui le club des 5 faisait rêver ainsi à des aventures. Le toucher du bois lisse est une sensation merveilleuse. Merci pour cette douce lecture.
Claraobscura
Posté le 27/08/2024
Merci Belisade, d'avoir pris le temps de lire et commenter mon texte, ça me touche toujours beaucoup. Tant mieux si tu as reçu de la douceur, on en a toujours besoin. Ca me fait très plaisir d'avoir pu t'en faire passer une petite tranche.
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