Lorsque l’on entre dans une bibliothèque, on est souvent immergé dans une atmosphère très spéciale, propre à ce lieu où le culte du livre est au centre du sujet et où le bibliothécaire en est le gardien. Comme en rentrant dans une maison, on se rend vite compte de la personnalité de l’occupant, notamment s’il est plutôt ordonné ou s’il aime le fouillis. Bien des personnes, chez elles, ordonnent leurs livres par couleur en effectuant un joli dégradé arc-en-ciel ou par taille car telle étagère est plus appropriée pour les grands livres et telle autre ne supporte que des livres de poche. Malheureusement, de part ma formation, je me vois dans l’obligation de respecter les règles du bon bibliothécaire réunies dans la classification décimale universelle (ou la bible pour mes congénères et moi). Cette règle, nous l’apprenons et elle est ensuite gravée en nous. Plus aucune autre façon de classer des livres ne peut alors être envisagée. Et je dois l’avouer, lorsque je vais chez les autres, il m’est très difficile de maîtriser mes pulsions de restructuration de leurs bibliothèques. Mais ces pulsions ne se sont pas déclenchées à cause de mon métier. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été très soigné. Dans mon adolescence, il m’arrivait souvent de créer artificiellement du désordre afin de ramener de la vie au décor de ma chambre. Par exemple, je jetais nonchalamment un pull sur mon lit bien trop fait, je me retenais d’aligner mes chaussons près de la porte ou je laissais volontairement une tasse vide trainer sur ma table de nuit, feignant la négligence. J’ai changé, je suis moins rigide sur l’ordre dans mon espace personnel, mais mon travail me procure une satisfaction visuelle et mentale certaines qui sont parfois poussées à l’obsession. En effet, je suis capable de me tracasser tout un weekend si, arrivé chez moi un vendredi soir, je me souviens avoir vu Anna Karénine rangé à un emplacement inhabituel et ne pas l’avoir remis à sa place. A l’inverse, remarquer une erreur et remettre un livre où il appartient me procure une énorme satisfaction.
Toujours est-il, en entrant dans ma bibliothèque ce matin-là, je me précipitais au rayon littérature russe afin de remettre ledit récit où il convenait. Quelle ne fut pas ma surprise de le voir à sa place, bien aligné sur son étagère. Étonné, je me mis à penser que j’avais remis le roman sans y prêter attention avant de partir en weekend, mais n’en étais pas totalement convaincu. Sans vouloir entrer dans la peau d’un Hercule Poirot, même si l’idée de faire carrière en tant que détective privé m’a toujours fait rêver, quelque chose me titillait l’esprit. Je me mis donc en tête de résoudre ce mystère, quoi de mieux qu’une énigme rocambolesque pour occuper mes journées routinières ? Je dû remettre à plus tard mon enquête pour le reste de ce lundi décidément hors du commun, car mes différents fidèles se succédèrent les uns aux les autres sans aucune pause. Madame Saint-Germain, de la rue du Petit Chantilly avait perdu son chat Julio, et soupçonnait fortement son voisin qu’elle avait vu se lever cette nuit, alors qu’elle prenait son lait chaud quotidien à quatre heures du matin. Elle me fit part de ses différents soupçons, le premier étant la « violente altercation » qu’elle avait surprise la semaine dernière entre Fabio et son voisin. En effet, ce dernier était accusé de « psst psst » un peu trop virulents envers le gros matou urinant à longueur de journée sur les murs de sa maison neuve. Évidemment, l’histoire fut répétée à maintes reprises à chaque nouveau membre entrant dans la bibliothèque. Elle repartit sans livre, sur les coups de midi alors que mon ventre me faisait savoir son impatience face à ce jeûne bien trop inhabituel. Ma pause déjeuner fut de courte durée puisque plusieurs enfants firent irruption et squattèrent l’espace lecture, qui n’avait plus rien de relaxant suite aux sons qui raisonnaient dans la pièce. Ma bonne humeur du jour commençait à vaciller et c’est avec irritation que je rentrais chez moi, sans avoir pu résoudre « le mystère du livre rangé », comme je le surnommais des semaines plus tard.
Le lendemain matin, je m’installais à mon bureau et réglais quelques tâches administratives qui me menèrent jusqu’à midi sans être interrompu. En mangeant mon déjeuner, un savoureux petit risotto aux champignons, me vint soudainement une idée. Pourquoi ne pas faire la liste des membres présents le jour du drame ? Je refit donc le bilan de la journée de vendredi, en m’aidant de mon logiciel. Seules cinq personnes m’avaient rendu visite : Joël Dubuis, Madame Alaoui avec la petite Nour, Monique et Bianca Moretti. Les deux dernières étaient uniquement venues rendre des livres, donc il me restait uniquement trois suspects, dont une petite fille de 4 ans. Que faire à présent ? Je n’allais tout de même pas les appeler et leur exposer ma question sincèrement, ils penseraient que je suis fou. Je commençais d’ailleurs à sérieusement le penser, moi aussi. Pourquoi est-ce-que ce sujet m’obsédait tant ? Pourquoi était-ce si important ? Finalement, mon plan fut d’attendre qu’ils réapparaissent et de les prendre la main dans le sac.
Ce fut Madame Alaoui et sa fille qui vinrent les premières. Elles restèrent au rayon enfant et j’entendais la voix de la mère lire à sa fille. Je me souvenais alors que la fois précédente, elles étaient également restées au rayon enfant à lire des histoires. Ce ne pouvait être l’une d’elles. Il ne me restait donc qu’un suspect. Sherlock Holmes n’avait qu’à bien se tenir, j’étais à deux doigts de résoudre le plus grand mystère inter-bibliothécaire. Je me mis donc à déranger quelques livres, notamment dans la section francophone où Joël empruntait la majorité de ses livres. Je fut interrompu par des cris venant du petit jardin devant la bibliothèque. Je m’y rendis et trouvais un petit attroupement comprenant notamment Madame Saint-Germain pointant du doigt le tilleul et dans ce tilleul, son chat, le fameux Julio. Ce fut finalement le voisin de cette dernière, à la grande surprise de tous, qui arriva un escabeau sous le bras, et délivra la pauvre bête. Se succédèrent alors maintes effusions de joie et autres embrassades. Ces émotions passées, je rentrais dans mon antre, bien décidé à finaliser mon piège. Je n’avais vu entrer personne, mais entendis quelques bruits venant du fond. J’y trouvais alors une silhouette de dos, remettant en place un ouvrage. Elle se tournait alors vers moi : « Je me suis permise d’entrer, vous étiez occupé dehors, j’espère que c’est autorisé ». Voyant que je ne disais rien mais continuais de fixer le livre ayant été remis en place, elle ajouta : « C’était un peu en désordre, des enfants sont venus chambouler votre organisation ? Lorsque je suis venue vendredi dernier, tout était si bien rangé. »
- Vendredi dernier, répétais-je bêtement.
- Oui, excusez-moi, je ne suis pas inscrite. Je suis venue accompagner ma mère, madame Moretti, nous n’avions pas été présentés. Je suis revenue aujourd’hui m’inscrire car vous n’étiez pas libre la dernière fois.
C’était donc ça la sensation. Celle d’un mystère résolu. Des papillons dans le ventre. C’était agréable et excitant à la fois. Elle me regardait en souriant, attendant une réponse. Je me forçais alors à revenir à moi-même : « Allons donc nous occuper de cette inscription, madame… ? »
- Moretti, également. Anna, enchantée, répondit-elle en me tendant la main.
- Anna Karénine, chuchotais-je pour moi-même avec émotion.
J'ose proposer une petite suggestion : aérer un peu plus les paragraphes, assez colossaux ^^
A bientôt !
Hypatia.
A bientôt, et merci d'avoir fait un tour de mon côté :)