Je n'ai pas trouvé le jardin, je n'ai pas trouvé la porte. Je n'ai même pas trouvé le couloir qui mène à la porte. Il n'y a pas de couloir. Juste des pièces qui se succèdent.
Dans la salle à manger tout le monde s'agite. Les assiettes couvrent les murs, beaucoup sont ébréchées, couvertes de peinture, de fleurs, de paysages, de langue de boeuf, de haricots blancs et de sauce. Ils ont faim. Assis sur des chaises, sur la table, par terre, les uns sur les autres, ils sont tous là ; ils parlent, ils rient, ils crient, ils pleurent, très fort, ils serrent ce qu'ils ont dans les mains, ils se touchent, ils se nourrissent de leurs mots, ils se mordent le nez, ils convoitent leurs yeux, ils réclament le bras après la main. Il y a des crachats par terre et un faucon en plâtre gris-vert qui s'effrite dans un coin.
La salle des miroirs. C'est la plus grande du palais. Circulaire, avec des reflets de soi aux murs, de plein pieds, très haut, très bas, très large, toujours profond, des visages, des dos, des pieds, des mains, des hanches, des épaules, un sourire, des yeux. Au milieu, un bureau de verre au travers duquel le parquet brille. Des fauteuils entre les miroirs, un peu raides. Des étagères, des consoles, des vitrines et des piles de livres, reliés de belles couvertures, usés, déchirés, au parfum de colle ou de fourmis. Le papier blanc qui craque quand on tourne les pages. Toutes les pages sont vierges. Il y a de temps en temps un graffiti dans un coin, une phrase inachevée et barrée ou raturée. Sur le bureau, une série de bâtons pour écrire, un crayon, une plume, un style, un poinçon, un pinceau, un tube de rouge à lèvres et un encrier bleu. Il n'y a pas de chaise au bureau. Partout où on regarde il y a soi, mais pas tout à fait toujours soi. Une partie de soi au milieu des livres vides qui restent à écrire. On ne peut pas y entrer à plusieurs, dans cette pièce, mais on ne peut pas en sortir tout seul. Il y manque un chat.
Le foyer est une épaule, ronde et tiède sous les doigts. La pièce du palais la plus lointaine, la plus secrète. Celui qui veut la trouver doit en posséder la clef. Ensuite il se fait chat, et doucement, le long de la pierre brûlante qu'il effleure à peine, il cherche de ses moustaches un creux pour se lover, et ne plus en sortie que pour regarder danser le feu. Il n'y a pas de meubles, juste une grande couverture bleue. Pas de cheminée, le feu est partout, créé par étincelles dans les caresses du chat.
J'avais déjà lu ce poème il y a quelques temps et je l'ai relu avec autant de plaisir. J'aime ces images qui s'enchaînent, la déconstruction progressive du lieu au départ pour qu'il n'en reste que l'essentiel, le côté très anatomique des listes de parties du corps.
J'aime toujours autant ta poésie.
On s'y promène avec beaucoup de plaisir.
Pour ma part je suis sensible à la mise en page des écrits poétiques, et le votre, à mon sens, aurait encore gagné en intensité par ce tempo visuel que vous lui auriez donné.
Merci pour ce voyage.
Je ne saisis pas très bien ce que vous entendez par "tempo visuel". Sauriez-vous m'expliquer ?
Merci
Eulalie