LORIENT EXPRESS
- Dis, Madame, pourquoi ton sien, il est bleu ?
- Mon chien est bleu car il a croqué le ciel !
- Madame, pourquoi ta girafe, elle est toute petite ?
- Parce qu'elle n'a pas voulu manger de soupe !
- Et toi Madame ! pourquoi ton sâteau y ressemble à un coquillage ?
- Pourquoi ta licorne fait caca arc-en-ciel ?
- S’il vous plaît les enfants !, intervient la maîtresse Lucie Bennec dans sa classe de CP, volant au secours de son amie et écrivaine visiblement irritée par les questions incessantes des gamins survoltés.
- Je vais vous lire une autre histoire d’Hélène Potier, mais d'abord, nous allons la remercier chaleureusement d'être venue nous présenter son nouveau livre illustré joliment intitulé ‘les couleurs enchantées’, malgré un emploi du temps chargé. Pour les parents qui le souhaitent, une séance de dédicace, proposée par l'auteure se tiendra sous le préau, dans quelques instants. Hélène n’avait jamais vu sa meilleure amie évoluer dans le cercle professionnel et était impressionnée par l’autorité naturelle qu’elle dégageait. Une main de fer dans un gant de velours menant de front trente bambins d’une curiosité qu’elle avait rarement eu l’occasion de rencontrer. Elle espérait que l’enthousiasme qu’ils manifestaient pour son nouvel ouvrage aurait autant d’impact sur le jeune public en général. Le succès tardait à montrer le bout du nez mais écrire et dessiner étant ses passions, elle s’accrochait à son rêve. Pourtant, l’heure n’était pas à la réflexion car Hélène avait un besoin pressant qui lui pourrissait la vie. Elle avait avalé au réveil deux bols de café corsé et sa vessie était sur le point d’exploser. Elle se tordait sur sa chaise cachée derrière le pupitre de la maîtresse en lisant le plus justement possible son histoire mais sentait qu’elle ne pourrait tenir encore bien longtemps. Son ventre avait doublé de volume et bien qu’ayant baisser au maximum la brayette de son jean taille basse, il lui faisait un mal de chien. Elle quitta la classe en quatrième vitesse sous les acclamations des petits monstres et les applaudissements des grands. C’est incroyable comme un détail anodin, un besoin naturel, qui peut se régler en un rien de temps vous empoisonne l’existence tant qu’il n’a pas été solutionné. D’ailleurs Hélène qui venait d’en faire la douloureuse expérience se promit de ne plus jamais la renouveler. Et c’est en ayant à l’esprit cette pensée hautement philosophique qu’elle se dirigea d’un pas nettement moins pressé vers le préau pour se livrer à l’exercice qu’elle exécrait au plus haut point : la séance de dédicace incontournable pour un écrivain. Hélène avait accepté de se plier à ce qu’elle considérait comme une véritable punition comparable à celle qui consistait à recopier cent fois la même phrase d’une écriture appliquée dictée par l’instituteur ‘je me fais la promesse de ne plus céder au chantage affectif de ma meilleure amie’. Elle dut redoubler d’effort pour sourire à chaque manuscrit tendu solennellement par des parents désireux de faire plaisir à leur progéniture en maudissant Lucie de l’avoir entraînée dans cette galère.
Après avoir griffonné pendant deux longues heures des prénoms qui n’existent qu’au pays de ceux qui ont vu le loup le renard et la belette danser ! Hélène d’humeur massacrante retrouva enfin Julien. Son amoureux l'attendait patiemment, assis en tailleur, écouteurs scotchés aux oreilles, posté en haut des marches de l’église située face à la sortie de l’école. D’un pas rapide, elle traversa la rue les séparant et à peine arrivée à sa hauteur, laissa exploser son exaspération :
- Je hais les mômes ! Ils m'ont donné la migraine à piailler et gesticuler comme des vermisseaux. J'ai besoin d'une perfusion d'aspirine, tu peux me trouver ça ?
- Tu devrais te mettre à la bande dessinée pour adultes et donner des dédicaces à des vieux vicieux qui lorgneront tes seins, la bave aux lèvres.
- Je hais les mômes et ton humour a fortiori lorsque j’ai le crâne en compote et le ventre vide Julien.
- Et bien, pendant que tu faisais mumuse avec les enfants, j’ai arpenté la ville et déniché un petit restaurant bord de mer où tu pourras passer tes nerfs sur des pinces de crabe et te venger sur une pêche melba. Notre train part dans trois heures et Lorient est magnifique sous un soleil du Midi !
Julien et Hélène étaient arrivés la veille de Paris pour assister à la journée du Salon du Livre de Lorient et avaient profité de l'occasion pour passer la soirée avec Lucie, amie d'enfance de l’écrivaine. Celle-ci, avait dû la menacer de ne plus jamais se voir si elle refusait de venir présenter son dernier livre à ses élèves. Elle s'était bien gardée de lui dire qu'ils étaient surexcités à l’idée de rencontrer la créatrice des 'sauveurs de la galaxie' et lui avait mitonné son plat préféré pour se faire pardonner.
- Lucie, tes galettes sont les meilleures du monde, personne ne les réussies aussi bien que toi !
- Normal, j'ai mis l'ingrédient magique, au goût inimitable, à la saveur incomparable : l'amour !
- Lucie, tu as quelque chose à te faire pardonner ou tu veux me pique ma copine ?
- Les deux mon cher Watson ! répondit Lucie à Julien du tac-au-tac, fière d’avoir touché l’égo du mâle dans le mille !
- Mon psy pense que j'essaie de dissimuler mes sentiments derrière des artifices et de vouloir devenir une autre pour me préserver en cas d’un nouvel abandon, poil au menton !
- Et dire que tu le paies une fortune pour t'entendre dire ça ! Et bien moi sincèrement je préférerais que tu ressembles à Marylin Monroe, à qui tu n’as rien à envier, plutôt qu'à Marylin Manson ! Tes cheveux violets et tes yeux charbonneux font carrément musée des horreurs !
- Rassure-toi, Lucie, mes consultations sont gratuites. En contrepartie, je demande juste à Hélène de repasser mes chemises, de cuisiner et de briquer mon appartement pour l'aider à s'affirmer en tant que future femme au foyer.
- Arrêtez de vous chamailler tous les deux ! Vous êtes intellos ou golios ? Ne vous en faites pas pour moi ! Je ne suis pas la seule a avoir été abandonnée à la naissance ! Je n’ai pas le droit de pleurer sur mon sort car j’ai la chance de vivre de ma passion et d’être entourée d’amour. La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Chaque enfance recèle ses blessures et chaque famille ses secrets. Il vaut mieux ne pas remuer le passé car la vérité peut être pire que ce que l’on avait imaginé.
- Toi au moins soeurette, tu as le bénéfice du doute quant à l’ouverture d’esprit et le niveau d’intelligence de tes géniteurs car moi, fille légitime
de Ronan et Nolween, affirme sans l’ombre d’un doute que mes parents biologiques sont des fachos de première, dépourvus de neurones ! Dame nature a fait une boulette en m’attribuant un corps de fille mais ils ne veulent plus entendre parler de moi car j’aime les nanas ! J’ai le droit de souffrir en silence mais pas de leur faire honte ! Franchement, j’aurais préféré ne jamais les connaître tu sais.
PASSE SIMPLE
C'est quoi ce boucan dans mes oreilles ? Il y a deux heures à peine, j’étais pénarde, toute seule, dans un lieu insonorisé à l’ambiance feutrée plongée dans un bain d’huile amniotique chauffé à trente-sept degrés. Un endroit digne d’une suite royale dans le palais de Shéhérazade et voilà que je me retrouve dans une techno-parade à Ibiza organisée par David Guetta ! Les fêtards s'époumonent à en devenir rouge comme des tomates et se déhanchent frénétiquement comme Mickaël Jackson sur le tube de ’Thriller’ ! Décidément, ce sont les plus chanceux qui se plaignent le plus et ça commence au berceau ! Est-ce que je la ramène moi alors que je viens de me faire larguer par ma mère ? Le plus brailleur, qui est aussi le meneur, a son berceau près du mien. C'est un petit dur de trois kilos huit cents flanqué d’un bonnet bleu bien trop petit pour son gros crâne plein de vide. Il fait peur à toutes les filles, moi comprise ! On dirait Frankenstein avec son front proéminent, sa tête au carré et son teint blafard !
J'ai beau être une dure à cuire, je ne vais pas le chercher car je ne fais pas le poids avec mes deux kilos deux cents toute mouillée ! Légère comme une plume et lui lourd comme une enclume. Il a de la chance que je ne sois restée que huit mois dans le ventre de ma mère sinon je lui aurais donné une bonne raclée ! Il est une heure du mat', j'appelle les flics et porte plainte pour tapage nocturne. C'est que j'ai bossé dur tout l'après-midi ! Je me suis coltinée le col de lutte et de ruse. J’ai les membres en coton et le ciboulot en compote alors silence les mioches ! Tiens, tiens, un de mes camarades de chambrée m'a devancée ! Il a dû appeler les forces de l'ordre en douce car elles viennent de débarquer à la queue leu leu dans notre showroom sans tambour ni trompette. Elles ont troqué leur uniforme de fliquettes contre des blouses d’infirmières et leur coupe militaire pour des nattes à la Pocahontas. Elles ont remplacé leurs flingues par des armes blanches tièdes qui ne te tirent pas dessus mais l'inverse et qu'est-ce-que c'est bon ! Elles ont fait des descentes environ toutes les trois heures, au plus fort des braillements de mes compagnons de cellule, les calmant instantanément en leur collant dans le bec le canon encore chaud de leur pétard. Je n'ai pas bronché mais j'ai quand même eu droit au même traitement de faveur que les tortionnaires qui m'ont empêchée de dormir. Cependant, je dois avoir les yeux cernés et faire peur à regarder car tout les beaux gosses sont partis jour après jour me laissant seule face à mon triste sort. Le silence serait-il donc plus assourdissant que le bruit ? Pour moi c’est en effet le cas et j’ai soudain très peur de la nuit, du vide autour de moi et de la solitude.
- Youhou y'a quelqu'un ?
Bon, à trois je pousse les vocalises … un , deux, trois.…
- OUIIN OUIN RAAAAA RAAAA OUIN !
J'en peux plus, pas de doute, l'union fait la force, car j'ai beau hurler comme une dératée depuis une plombe, pas de Pocahontas à l'horizon ! C'est malin, à force de m’égosiller comme le gros caïd de Frankestein je suis en nage. Mon bonnet me cuit le crâne et les oreilles. J'ai transpercé ma couche à brailler comme une cinglée. Je transpire tellement que le bracelet en plastique, autour de mon poignet, me démange. On aurait pu me le mettre à la cheville, ou ne pas me le mettre du tout d'ailleurs car il y est écrit mon prénom, Hélène, mais personne ne le prononcera jamais puisque je suis née sous X.
DERAILLEMENT
Ils étaient arrivés à Lorient sous un soleil de plomb et en étaient repartis sous le crachin breton. Le mauvais temps et la fin du week-end étaient sans doute à l'origine de la mine défaite des voyageurs assis dans le train qui les ramenaient à Paris. Hélène, à contrario, avait une pêche d’enfer et était d'excellente humeur à l'idée de rencontrer le lendemain son nouvel éditeur, l'un des plus prestigieux en littérature jeunesse, «Hochet Editions». Julien était assis face à celle rencontrée quatre ans plus tôt. Cette fois, il était bien décidé à lui parler d’avenir, mais n’avait pas trouvé le moment opportun ni le courage pour aborder ce sujet épineux. Il s'était finalement résolu à évoquer le point névralgique de leur couple sur le chemin du retour mais peinait à amorcer la discussion car il redoutait la réaction de celle dont il était fou amoureux. Hélène avait la tête posée contre la vitre. Elle regardait le paysage défiler à toute vitesse sous ses yeux et réalisa que sa vie aussi filait à cent à l’heure. Elle aurait vingt-huit ans dans quelques mois et n'avait toujours pas obtenu les réponses à ses questions qui se fracassaient contre son cortex cérébral et lui déclenchaient des migraines. Mais elle ne laissaient rien paraître aux yeux de ceux qui l’aimaient et calmait ses maux à l’aide de cachets d’aspirine dont elle ne se séparait jamais. Julien scruta sa compagne pour capter son attention et engager la discussion. Hélène se sentant dévisagée posa son regard dans celui plus foncé que d'ordinaire de son psy préféré. Etait-ce l’effet de la lumière pâle de la météo pluvieuse ou le reflet des états d'âme de son compagnon qui assombrissaient le bleu de ses yeux d’ordinaire clairs ?
Elle voulut en avoir le cœur net :
- J'ai des miettes de crabe collées dans les cheveux ou bien de la chantilly desséchée aux commissures des lèvres pour que tu me dévisages ainsi ?
- Non et te concernant c'est un exploit ! En plus, tu as mangé avec les doigts lorsque tu le pouvais et utilisé les couverts lorsque tu le devais. Tu es en net progrès et d'ici tes trente ans, j'ai bon espoir que tu te tiennes à table plus d'une heure, en ma compagnie, sans bailler.
- Si c'est pour ça que tu prends ton air sérieux, alors promis, je me pincerai les tétons, lors de notre prochain resto, pour ne pas m'assoupir, c'est efficace et discret en plus !
- A bien y réfléchir, je préfère que les serveurs fassent connaissance avec tes ronflements plutôt que tes seins dont je m'occuperai bien volontiers lorsque nous serons rentrés dans mon quarante mètres carré, trop petit à mon goût.
- Tu n'y es pas souvent et puis pour toi tout seul, c'est suffisant ! Il est fonctionnel et le loyer n'est pas cher pour le XVème.
- Les WONG partent vivre en Chine le mois prochain et libèrent l'appartement situé au-dessus du mien. Un dernier étage, avec terrasse plein sud et deux chambres, c'est tentant, non ?
Julien mit un temps d'arrêt et pour se donner du courage regarda à son tour à travers la vitre, que la pluie cinglait en y projetant de longues traînées telles des traces de flagellations ce qui n’était pas un bon présage, pensa-t-il...
Il sentit son pouls s'accélérer et sa bouche se dessécher. Il se mit à transpirer comme un marathonien qui aurait avalé plus de quarantedeux kilomètres, sans sourciller. Il prit une profonde respiration et se lança tête baissée, malgré l’orage qui menaçait de gronder.
- Je pensais te laisser la pièce la plus ensoleillée pour y installer un bureau où tu pourrais y dessiner à ton gré.
- Nous nous voyons seulement le week-end et tu voudrais me faire bosser seule cloîtrée dans neuf mètres carré, mais tu es un véritable tortionnaire !
- Ma chérie, nos week-ends pourraient devenir des semaines et mon appartement le nôtre.
Hélène ne respirait plus, son visage s’était fermé, ses oreilles bourdonnaient et son ventre s’était contracté. Elle était tétanisée comme si elle se trouvait face au vide, incapable de bouger ou de prononcer un mot.
Julien perçu son désarroi. Il détourna alors son regard de la jeune femme pour lui permettre de reprendre possession de ses moyens. Il sortit de son sac à dos une petite bouteille d’eau qu’il lui tendit et essaya une note d’humour pour faire retomber la tension :
- Je te promets de mettre caleçons et chaussettes dans le panier de linge sale, de lever la lunette des toilettes, de sortir les poubelles et de ne pas m’affaler sur le canapé.
Elle esquissa un sourire, baissa les yeux et lentement en pesant chacun de ses mots articula péniblement :
- Nous étions d'accord pour vivre au jour le jour, sans faire de plan sur la comète, chacun de notre côté, et ça nous réussi plutôt bien tu ne trouves pas ?
- Oui, assurément et c'est pourquoi je voudrais t'avoir près de moi jour et nuit. Je déteste nos au revoir du dimanche soir et la semaine qui se traîne sans toi .
- On a toujours le même plaisir à se retrouver alors que la vie à deux deviendra tôt ou tard routinière et monotone. Nous détestons les habitudes alors à quoi bon vivre sous le même toit ?
- Je suis prêt à prendre le risque que tu ne me supportes plus et me renvoies chez ma mère dans la Creuse à bientôt quarante ans !
- Je suis désolée Julien, mais je ne peux m’engager avec toi. Aimer est un luxe que je ne peux m'offrir, un sentiment bien au-dessus de mes moyens.
- Non c’est archi faux ! Tu ne nous laisses aucune chance parce que tu penses que personne ne peut t'aimer. Mais nous avons tous droit au bonheur et toi plus que quiconque. Il ne doit pas te faire peur ! Nous ne naissons pas tous avec les mêmes chances mais la tendance peut s'inverser en se battant et en acceptant l'aide que l'on nous offre. Fais moi confiance, fais nous confiance et tout ira bien.
- Tu mérites mieux que moi, Julien. Je ne pourrai jamais te donner ce que tu veux. Une vie de couple et des enfants n’est pas à ma portée.
- Belle la pirouette ! Tu parles pour toi Hélène. C'est moi qui ne peux t'apporter ce qui te manque, mais bordel tu fous ta vie en l'air à cause de fantômes du passé qui se sont évaporés sans laisser d'adresse ! Et tu vas les laisser nous séparer ? Le pire dans tout cela, c’est que tu te mens à toi-même. Quel gâchis…..
PAS SI SIMPLE
C'est quoi encore ce bruit ? On dirait une souris qui râpe un morceau de gruyère avec ses petites griffes. Je suis trop haut perchée dans mon nid pour l'apercevoir et puis de toute façon, les fliquettes m'ont collé le visage contre le matelas, ce qui réduit considérablement mon champ de vision. Ma vue est encore floue mais je la distingue, accroupie tout près de moi, différente de celles qui courent dans tous les sens à l'heure de pointe.
Ses yeux me regardent avec curiosité et intensité si bien que je remarque que l'un est vert et l'autre marron. Dame nature s'est permisun petit extra. C'est trop beau, si bien que je m'entends sortir un « AREUUUU » en d’autres termes 'j'aime' ! Elle baisse maintenant la tête et je l'entends griffonner à nouveau. Je ne distingue que ses cheveux soyeux, couleur marron comme mon caca ! Mais ils sentent bon le lait que j'avale avec délectation, mélangé à une odeur que je pourrai identifier bien des années plus tard et dont je raffolerai : la
pêche !
Son rituel se prolonge jusqu'à ce que je m'endorme, bercée par son crayon à papier dont la mine crisse doucement sur la petite feuille cartonnée chipée sur le chariot d'une puéricultrice. Je la vois dans mon rêve, elle dessine avec précision le contour de mes yeux, la forme de mon nez, légèrement retroussé comme le sien, et mes lèvres. Je l'entends pleurer doucement, puis se lever délicatement en me fixant intensément. Elle s’éloigne de moi, à pas de velours, pour ne pas me réveiller. Elle est partie et ne reviendra plus.
Je suis restée huit mois dans un ventre sans bouger et les huit premiers de mon existence à ne faire que ça ! Après cinq jours dans un dortoir, le comble pour l'insomniaque que je suis, j'ai eu droit à une chambre single chez l'habitant. Elle est petite et minimaliste mais confortable. Je peux roupiller comme un loir ! La maîtresse de maison est ma nounou. Elle s'appelle Tatie comme le doudou de Frankestein vous vous rappelez le gros dur de trois kilos huit cents ?!
Elle me sourit et parle en hochant la tête mais je ne comprends pas un traite mot de son vocabulaire. Essayez, vous, au lieu de vous moquer ! : 'agoudougada abeubibabou cépourki lelolo toucho' bon je ne ferai sûrement pas Science-Po mais j'ai pas, non plus, un quotient intellectuel d'huîtres ! Alors pourquoi me parler comme si j’étais une demeurée ?
Comme moi, elle a des gencives à la place des dents si bien que lorsqu’elle baragouine, une flopée de postillons mitraille mes yeux. Du coup, je lui fais de l’oeil et pensant m’amuser elle renchérit de plus belle 'agoudougada babebibabou.'... alors pour abréger mon calvaire, je pousse une gueulante qui la stoppe nette dans ses élucubrations.
Mais hélas, au terme de deux petits mois, temps imparti à ma mère biologique pour changer d’avis et revenir me chercher chez ma nounou, départ pour la pouponnière de Priziac, avec Gizmo, ma peluche, le cadeau empoisonné de la maternité. En effet, Gizmo est le doudou le plus laid et le plus effrayant que j’ai jamais vu. Il a de grandes oreilles toutes maigres, des gros yeux ronds couleur jaune canari et un petit corps tout rachitique, que je traîne depuis ma naissance, une éternité ensomme ! Mais je ne vais quand même pas l'abandonner lui aussi car ça fait trop trop mal à mon petit coeur blessé et puis parce-qu‘égoïstement je n’ai que lui !
Après Ibiza et le Club Med me voilà arrivée à Alcatraz ! Tout le monde est rythmé aux mêmes heures : biberons et couches propres toutes les quatre heures, bains à huit heures précises, lits retapés à dix heures pétantes et le reste du temps, il faut s'occuper seuls, comme des grands.
Les matons doivent être sourds et muets car ils ne nous décrochent pas un mot et nous laissent pleurer jusqu'à épuisement. Heureusement que j'ai tapé dans l'oeil de Mimi et Didou, mes parents adoptifs, sinon j'aurais déprimé. Ils viennent me chercher, dans un mois, pour m'emmener dans la maison, où je vais grandir auprès d'eux doucement mais sûrement.
L'IMPARFAITE
Eugénie de Tonquadec était une enfant effacée et introvertie mais équilibrée et brillante, arrière petite-fille de riches notables bretons qui possédaient un château dont il ne reste plus aujourd'hui que des ruines. Ses parents s'étaient connus sur les bancs de l'école notariat de Rennes et en bons chrétiens avaient célébré leur union devant monsieur le curé avant de la consommer charnellement et il était temps, puisqu'ils approchaient, tous les deux, de la trentaine.
Notaires de père en fils, Edouard de Tonquadec avait repris l’Etude de son père à Lannion et travaillait en collaboration avec Marie-Sophie, son épouse. Leur métier étant leur passion, la naissance de leur fille Eugénie ne mit aucun frein à leur ambition réciproque. Ils recrutèrent illico presto une nurse de la prestigieuse école anglaise de Norland College, Camilla, âgée de vingt-cinq ans, pétillante et drôle, qui s'occupa de l’enfant comme de sa propre fille. La nounou avait repéré très tôt chez Eugénie son imagination fertile, le coup de crayon incroyablement précis pour une enfant de quatre ans et l'avait inscrite, en catimini, à des ateliers de dessins, en plus des cours obligatoires de danse classique qu'elle détestait mais que ses parents lui avaient imposés.
A son entrée à l’école primaire, Monsieur et Madame de Tonquadec estimèrent que leur fille n’avait plus besoin de nounou et congédièrent Camilla par courrier postal, sans tambour ni trompette.. Elle était déchirée de devoir quitter sa petite ’baby doll’ qu’elle aimait profondément. Et lorsque le jour fatidique arriva, elles pleurèrent ensemble en s’enlaçant et en s’embrassant jusqu’à ce que le train à quai referme ses portes sur leurs mains inséparables. Camilla promit à Eugénie de ne jamais l’oublier et tint promesse.
Son départ généra chez l’enfant un vide affectif abyssal d'autant que, du jour au lendemain, le personnel au service de ses parents, cuisinière, femme de ménage, jardinier et chauffeur, eut pour consigne de vouvoyer ‘Mademoiselle Eugénie’ et de s'en tenir à des rapports strictement professionnels.
Désormais, Loïc le chauffeur faisait les trajets sans halte. Finies les escapades surprises au jardin d’enfants pour retrouver les copains d’école et jouer au toboggan, plus de nounours en chocolat cachés dans les accoudoirs ni de musique à fond et de chants à tue-tête dans la voiture. Seule la place vide qu’occupait Camilla près d’Eugénie à l’arrière de la berline l’accompagnait désormais. Pour Loïc aussi, l’absence de Camilla était pesante car ils s’aimaient. Dans l’urgence, elle avait trouvé un emploi dans le Sud de la France et ils ne pouvaient se voir aussi souvent qu’ils le souhaitaient. Mais elle ne pouvait se résoudre à vivre loin de lui et de sa ‘baby doll’ et faisait son possible pour revenir au plus vite près d’eux.
De retour de l’école, Eugénie était attendue, dans sa chambre située au premier étage de l’immense bâtisse, par une étudiante payée pour l’assister dans ses devoirs. Pendant ce temps, la cuisinière s’affairait à préparer le dîner sans saveur planifié par Madame de Tonquadec. A dix neuf heures précises, une sonnette brève mais tonitruante qui faisait sursauter à chaque fois les jeunes filles les invitait à se rendre à la cuisine aussi austère que le plat de résistance. Le décor ressemblait à s’y méprendre à une salle d’opération : murs en faïence blanc, meubles en inox au toucher glacial, dressage du couvert aussi bien rangé qu’une desserte à bistouris et vasistas munis de barreaux en cas de plans d’évasion. L’endroit reflétait la personnalité des maîtres des lieux, sans chaleur et sans âme. La chambre d’Eugénie s’apparentait plus à une suite parentale qu'à celle d’une enfant. Les murs étaient tapissés d'un papier peint à rayures dégradées rose foncé à rose pâle, sur fond crème. Le double couchage était souligné d'une tête de lit capitonnée blanc recouvert d'une épaisse couette à petites fleurs roses et rouges sur laquelle étaient posés deux gros oreillers que seuls des adultes pouvaient apprécier.
Deux imposantes fenêtres dominaient le parc encerclant la propriété. Le pan de mur les séparant logeait un magnifique coffre breton sculpté de rosaces qui regorgeait de jouets en bois éducatifs avec lesquels Eugénie jouait jadis avec sa copine de jeux Camilla. Aujourd’hui ils y étaient rangés et tombaient peu à peu dans l’oubli.
Face au lit, une armoire aussi haute que large cachait les chemises blanches, les jupes et blazers bleus, uniformes exigés dans l’école catholique où allait la fillette. En dehors de l’enceinte scolaire, elle portait des vêtements classiques qu’aucune fille de son âge n’aurait choisis mais les codes vestimentaires de la vieille bourgeoisie à laquelle appartenait sa famille étaient encore de rigueur. Et Eugénie avait compris que seuls les choix de ses parents comptaient et ne contestait, par conséquent, jamais leurs décisions. Après avoir mis la fillette au lit, l'étudiante s'éclipsait à toute volée pour retrouver son amoureux stationné au coin de la rue sur son scooter débridé qui au démarrage faisait hurler les chiens du quartier.
C’est ainsi que les jours, les mois et les années s’égrainèrent au même rythme monotone, jusqu'au seize ans de la jolie de Tonquadec. Sa viebascula lorsqu’elle intégra le lycée et fit la connaissance de filles et fils de bonnes familles. Des jeunes gens qui n'avaient aucun mal à se payer de l'alcool et de l'herbe consommés sans modération lors de soirées organisées dans des villas somptueuses désertées par les propriétaires, parents par intérim.
Edouard et Sophie de Tonquadec ne faisaient pas exception à la règle et étaient rarement chez eux. Ils se rendaient dans tous les coins de France pour assister à des colloques professionnels qui les passionnaient beaucoup plus que leur rôle de père et mère. Petite, Eugénie avait souffert de solitude, de manque d'amour, d'attention, de bras protecteurs alors pour combler les lacunes affectives, elle s’était inventée des amis imaginaires, ses salvateurs, à qui elle donnait vie sous la mine de ses crayons de couleurs.
Mais devenue adolescente, sa vie allait prendre un tout autre tournant. Elle commença par ranger ses dessins d’enfant et ses codes de bonne conduite dans son coffre à jouets. Avec ses amis bien réels, cette fois, mais hélas peu fréquentables, elle découvrit l’ivresse des soirées arrosées et les flirts sans lendemain.
Et c’est ainsi qu’en l'espace de quelques mois d'une vie nocturne désinhibée, Eugénie quitta sa peau de jeune fille sage et obéissante pour endosser le rôle d’une jeune femme séduisante et émancipée, à la tenue vestimentaire légère aux antipodes des goûts de sa mère.
Hélas le rêve se transforma rapidement en cauchemar lorsqu'elle compris son état. Elle voulait vivre sa vie, à cent à l'heure, la croquer à pleine dents et voilà qu’à dix-sept-ans elle allait être mère. Ses parents dont l’éducation puritaine rendait inconcevable l’idée même d’avorter, décidèrent que leur fille garderait, par conséquent, l’enfant. Ils se procurèrent par le biais d’un ami médecin un certificat qui exempta Eugénie de scolarité pour cacher le ventre arrondi de leur fille devenue la honte de la famille. Elle qui rêvait de liberté et de grands espaces se retrouva cloîtrée jusqu’au terme de sa grossesse dans sa chambre où elle était retenue prisonnière.
C'est dans une clinique privée d'un petit village de Bretagne qu'Eugénie donna naissance, un jour d’automne aussi triste que ses états d’âme, à la petite Hélène. Elle en ressortit quatre jours plus tard, seule, aux premières heures du jour et dans le plus grand désarroi après avoir signé X sur le procès-verbal d'abandon et immortalisé le visage du nouveau née sur une petite feuille cartonnée. Un chauffeur très distingué qu’elle n’avait jamais vu l'attendait au pied de l'escalier de la maternité. Il la salua et l’invita à prendre place à l’arrière d’une berline qu’elle ne connaissait pas non plus. Ses parents avaient orchestré dans les moindres détails la suite des évènements et l’en avaient informée par téléphone car ils ne pouvaient prendre le risque d’être reconnus par le personnel ou les visiteurs. Ils avaient mis en évidence la chance qu’elle avait de pouvoir intégrer en cours d’année le prestigieux établissement privé «’La Gruyère’ en Suisse. En effet, ils avaient dû faire appel à leurs relations et payer une fortune pour obtenir une place. Par conséquent, il fallait qu’elle fasse preuve de sérieux et de travail pour revenir en France le baccalauréat en poche.
Ils précisèrent qu’entre temps, bien entendu, elle pourrait rentrer chez eux pendant les vacances mais Eugénie n’en n’avait nullement l’intention. Camilla était sa mère de coeur et cela ils l’ignoraient. Jamais elle n’avait failli à la promesse faite à la petite fille. Lorsqu’elle fût congédiée, Loïc servait de lien en faisant office de facteur. Une fois en Suisse, elles continuèrent leur correspondance épistolaire en se faisant passer pour des amies, car les lettres étaient ouvertes et lues avant d’être remises à son destinataire.
Eugénie obéit à ses parents et revint en Bretagne diplômée. Il n’y avait que l’avenir de leur fille ou plus exactement sa carrière professionnelle qui préoccupait Edouard et Marie-Sophie. Alors à son retour ils lui annoncèrent qu’avec l’aide de relations haut placées elle était admise dans la meilleure école de notariat de Paris. Eugénie n'avait manifesté aucune réaction ni émis aucune objection quant à leur décision, étant incapable de se projeter dans une viecarri ériste ou personnelle dont elle se fichait éperdument. Elle avait commis une erreur irréparable et impardonnable. Elle avait abandonné le seul être au monde qui comptait vraiment pour elle et dont elle ne gardait, comme maigre souvenir qu'un croquis, dessiné de mémoire à sa sortie de la maternité pour l’immortaliser. Le portrait d’un bébé qui avait été pendant quelques heures le sien et dont l’image s'estompait dangereusement avec le temps à force d'être caressé.
PASSE COMPOSE
Ce douze février est un grand jour car j’ai enfin purgé ma peine. Je vais sortir de correctionnel par la grande porte. Très tôt ce matin, j’ai eu droit à un biberon avant même de l’avoir réclamé puis à un bain, moins expéditif que d'ordinaire. Une main pas très douce, hélas, a appliqué sur mon postérieur une crème apaisante car il est rouge sang et me brûle comme s’il était en feu. Je sens bon le talc et le Mixa bébé et j’ai un moral d’enfer car mes parents viennent me chercher ! Je porte une robe en velours vert mouchetée de pois blancs. Elle est
parfaitement assortie à mon teint rose pâle et à mes joues rouges coquelicot dus à mon érythème fessier. Comme il fait un froid de canard, j'ai des gros collants en laine qui me grattent tellement que je me tortille comme une anguille. Du coup, 'sœur douceur' me plaque, tel un rugbyman, sur la table à langer pour m’enfiler des chaussures. Je ressemble à une poupée russe et prie pour que mes parents soient sensibles au charme slave ! Ils sont là devant moi ! Didou et Mimi sont venus me chercher ! Je n'ose y croire. Trop cool ! Maman a enveloppé délicatement l'arrière de ma tête d'une main et de l'autre mon popotin qui me fait un mal de chien. Malgré la douleur, je ne bronche pas de peur qu'ils ne changent d'avis et
me laissent ici. Maman m'a prise dans ses bras et on s'est regardées, comme deux cruches, pendant une plombe si bien qu'on s'est mises à loucher ! Papa, grand jaloux, s’est immiscé entre nous et m’a chatouillée le creux de la main ce qui m’a fait rire aux éclats, vous ne me croyez pas ? Mais si c'est possible ! J'ai quatre mois même si je ne les fais pas !
Et c'est parti mon kiki ! En voiture Simone ! Ca roule pour moi. Je suis bien calée dans mon cosy même si je suis à la place du mort ! De toute façon, j'ai rien à craindre car papa a pris grand soin d'attacher ma ceinture et roule à la vitesse d’un escargot en côte. Maman est sur la banquette arrière et ne me quitte pas d'un cil. Le bruit du moteur m'est totalement étranger et les paysages complètement inconnus mais ils m'apaisent au point que mes yeux se ferment lentement et pour la première fois je me sens en sécurité…. Oh nan ! c'est bien ce que je pensais ! J'ai fait le rêve fabuleux que j'avais des parents mais je me réveille à nouveau en plein cauchemar au fond d'un lit plongé dans le noir. Je retiens mes larmes depuis des mois mais cette fois, comme une gosse gâtée, je vais pleurer pour faire entendre ma voix, mon chagrin, mon désarroi ! Qu’on m'apporte un biberon de rhum pour en finir une bonne fois pour toute ! Et pour boucler la boucle, mon derrière a dû doubler de volume tellement il est compressé dans ma couche baby dry et j’ai trop trop mal !
Go ! Je pousse les décibels au maximum : ouin ouin oouinnnnnnn ouinnnnnn ! Hourra ça marche ! Des pas se rapprochent à toute vitesse, je distingue un faisceau de lumière et deux visages au-dessus du mien : papa ! maman ! J'arrête instantanément de pleurer tellement je suis sous le choc ! Ce n'était donc pas une hallucination, je suis sauvée ! Ma chambre est trop belle ! Au plafond, il y a un ciel avec de vraies étoiles qui brillent dans l’obscurité. Les murs sont couverts d'un papier peint de princesses des studios Disney que je regarderai en boucle au grand damne de mon papa chéri. Au-dessus de ma tête, un mobile musical tourne doucement pour que je puisse m'endormir avec mes amis funambules : un éléphant, une girafe, un lion, une licorne et un panda, que je dessinerai à tous les âges de ma vie. Je vais grandir à Ploumanac’h, un lieu magique, avec sa petite plage où on passera des heures tous les trois à faire des pâtés de sable. Les pieds dans l’eau et à quelques mètres seulement du bord il y a un château digne des contes de Perrault qui servira souvent de décor dans mes livres illustrés pour la jeunesse. Je n’oublierai jamais mes racines bretonnes, le bruit des vagues qui s’échouent sur le rivage, le souffle puissant du vent et de la mer déchaînée les jours de tempêtes, la délicate sensation du sable sous mes pieds, la mer et le ciel qui se confondent à l’horizon pour ne faire plus qu’un, le soleil couchant happépar la mer, les embruns. Un endroit gravé à jamais dans mon esprit et mon cœur que je quitterai à regrets à vingt ans pour étudier et travailler à Paris. Nous habitons une maison en pierres sur les hauteurs du village dominant la mer, tout près du chemin des douaniers. Elle est cossue mais de caractère avec son grand toit pentu, ses gros blocs en granit rose et ses volets blancs encadrant les fenêtres toutes ornées d’énormes géraniums lierres qui retombent en cascade sur la façade. Le jardin regorge d'hortensias de toutes les couleurs qui donne du peps au décor. Elle est petite mais pour nous trois, c'est bien suffisant et on y est très heureux. Mimi et Didou sont inséparables et rigolent beaucoup ensemble. Ils invitent souvent la famille ou les amis autour d’un barbecue l’été et d’un kig-ar-farz l’hiver, la spécialité de papa, et je suis rarement seule car j’ai pleins de copains et de copines aussi. J'aime quand mes papys et mamies viennent me voir car ils me ramènent toujours des cadeaux et font râler mes parents qui ne veulent pas que je devienne pourrie gâtée alors qu’ils sont les premiers à exhausser mes moindres désirs ! Mes parents sont des magiciens. Mon papa fait de la purée avec des patates, des omelettes avec des oeufs, dujus avec des oranges ! Et maman colore les cheveux avec des tubes de peinture, fait pousser des fleurs dans les chignons des dames habillées en longues robes blanches et boucle des chevelures raides comme des bâtons. Lucie, ma sœur de cœur, est arrivée de Lorient avec sa famille à l'âge de quatre ans et habite à deux pas de chez nous. On était dans la même classe de CP, côte à côte, et elle me faisait beaucoup rire avec sa coupe de cheveux à la garçonne et ses allures de mec. Elle préférait jouer aux billes et au foot avec les gars plutôt qu’à la marelle avec les filles. Ses parents étaient à l’opposé des miens et se disputaient tout le temps. Son papa buvait beaucoup et avait la main leste alors pours'échapper de l’enfer elle venait se réfugier chez nous. Je l’admirais car malgré ses problèmes personnelles, elle était première de la classe et faisait rire tout le monde à l’école.Un clown triste, une belle âme, un être exceptionnel ma Loulou. C’est par hasard qu’à l’âge de six ans j’appris la vérité au sujet de mes parents qui ne l’étaient pas génétiquement .... C’était un mercredi aprèsmidi, nous étions à la maison avec maman et une de ses amies qui attendait un bébé. Elles buvaient un thé dans le canapé tandis que je dessinais assise en tailleur sur le tapis du salon et ne pouvais m’empêcher de dévisager le ventre énorme qui me faisait face. Alors, ni tenant plus, j’ai demandé à mère si elle avait été aussi grosse que sa copine quand elle était enceinte de moi, car franchement j’aurais eu des remords ! Je me rappelle encore de ses paroles et de ses gestes lorsqu’elle s’accroupit à ma hauteur et pris mes menottes dans ses mains douces et fines. Ses yeux remplis d’amour et de larmes plongèrent dans les miens. Puis d’une voix rassurante elle me dit avec tendresse, pesant chaque mot, que son ventre ne pouvait accueillir de bébés et que moi je n'avais pas de maman pour m'aimer. Alors elle était venue me chercher avec papa dans une grande maison où vivent les enfants qui n’ont pas de parents. Et tenant ma main sous son sein gauche me confia qu’à l’instant même où ses yeux s’étaient posés sur moi, elle me portait tous les jours dans son coeur en appuyant délicatement ma main sur sa poitrine. Cette révélation ne changea en rien l’amour que je portais à mes parents. Maman avait prononcé les mots justes et rassurants qu’il me fallait entendre. Papa m’avait dit que les liens du coeur étaient parfois bien plus puissants que ceux du sang et ses mots résumèrent à eux seuls le lien indéfectible qui nous unissait tous les trois. Et grâce à cet énorme bagage affectif, je me sentis la force du haut de mes dix-huit ans, âge requis pour accéder à mon dossier d’abandon, d’en savoir plus sur ma mère biologique. Toutefois, lorsque nous arrivâmes devant les marches de la clinique où j’étais née je n’en menais pas large. Une vague d’émotions me submergea par surprise et je ne pus contenir mes larmes. Mon père m’enveloppa de ses bras rassurants tandis que ma mère cacha son émotion derrière des lunettes noires. Je pris alors conscience que ce moment était éprouvant pour nous tous mais pour elle surtout. J’étais sa fille à part entière mais ma démarche l’amputait de son titre exclusive de mère et la ramenait à son ventre stérile. Il lui arrivait parfois de me parler de son parcours du combattant à courir de spécialistes en hôpitaux pour remédier aux grossesses successives qui se soldaient chaque fois par un échec. Des traitements hormonaux lourds et fastidieux qui la rendaient malade et lui faisaient prendre du poids. De l’espoir lorsque ses règles avaient du retard et le chagrin lorsqu’elles débarquaient. Alors, comme elle l’avait fait pour me rassurer des années plus tôt, je mis ses mains tremblantes et glacées dans les miennes et lui dis droit dans les yeux qu’elle serait à jamais pour moi irremplaçable et incomparable. J’ajoutais pour la rassurer que ma démarche avait été induite par la curiosité. Je voulais qu’elle comprenne que j’avais la possibilité de consulter dès ma majorité mon dossier d’abandon et que la curiosité m’avait poussé à engager cette démarche. Mais, qu’en aucun cas, je ne souhaitais entreprendre des recherches pour retrouver celle ou ceux qui m’avaient abandonnée. La secrétaire au visage fermé nous accompagna jusqu’à une pièce exiguë en sous-sol à l’ameublement rudimentaire se résumant à une vieille table en formica plaquée contre un mur et de trois chaises à l’assise inconfortable. Un endroit qui semblait avoir été conçu pour ne pas s’y attarder. Un lieu qui laissait présager du néant contenu dans le maigre dossier posé au milieu de la table. D’une main fébrile je l’ouvris lentement et en sortit une feuille jaunie par les années sur laquelle était dessinée le portrait d'un bébé. Au dos en gros caractère était écrit ‘pardon Hélène’. Deux mots qui me laissaient à penser que celle qui les avait écrits n’avait pas commis l’acte délibéré d’un abandon prémédité. Au contraire, malgré la maturité des coups de crayon qui avaient immortalisé la forme et les traits de mon visage, j’imaginais une jeune femme de mon âge, sensible et profonde. Quelles que soient les raisons qui l’avait poussé à agir ainsi, je ne lui en voulus pas d'avoir renoncé à ses droits et ne cherchais jamais à la voir même s’il m’arrivait de regretter de ne pas l’avoir connue... Je n'ai manqué de rien et surtout pas d'amour. Mes parents ne m'ont peut-être pas donné la vie mais ils m'ont construit et c'est auprès d'eux que j'ai grandi, pour notre plus grand bonheur, à tous les trois.
LA COUR DES MIRACLES
Paris, rue des Tournelles, lundi 24 Juin 2020 Hélène n'avait pas fermé l'oeil de la nuit, contrariée que Julien l'ait quittée sur le quai de la gare sans un mot ni un regard. Il avait laissé exploser sa colère après qu’elle lui ait refusé une vie à deux et était incapable de le réconforter par des paroles aimantes qu’elle n’avait jamais su prononcer. Ils s'étaient rencontrés dans une maison d’enfants à caractère social de la région parisienne où lui était psychologue et elle bénévole en tant qu'animatrice d'un atelier d'écriture et de dessins. Elle consacrait tous son temps libre à des enfants qui n'intéressaient personne et étaient en mal d’amour. Elle ne pouvait s’empêcher de se comparer à eux et mesurait la chance d’avoir pu être adoptée. Julien avait été impressionné par son implication, son énergie et les moyens mis en œuvre pour captiver des petits êtres souvent agités et à force de patience, canaliser des cerveaux tourmentés. Elle arrivait toujours chargée comme une mule portant sur son dos des kilos de friandises et à bout de bras des bandes dessinées ou des livres pour enfants. L'expérience s'était révélée incroyablement positive. Les gamins souvent turbulents voire ingérables attendaient avec impatience le rendez- vous hebdomadaire du mercredi pour dévorer les nouvelles lectures ou se jeter sur les feutres de toutes les couleurs et laisser libre cours à leur imagination. Julien lui avait proposé son aide pour animer ses ateliers et de fil en aiguille, leur complémentarité professionnelle avait fait naître des liens qui peu à peu s’étaient mués en sentiments amoureux.
La chaleur était étouffante et la rame de métro aérienne qu'Hélène devait emprunter, en panne. Il lui fallut se résoudre à avaler les trois kilomètres restant au pas de courses pour ne pas rater le rendez-vous crucial avec la directrice de la plus célèbre maison d'édition de livres pour la jeunesse de Paris. Elle arriva en un temps record devant l'immeuble, en sueur, mais à l'heure. Le bâtiment, à la façade entièrement recouverte d'une verrière, était niché au fond d'une cour pavée où s'exhibaient de splendides camélias, oliviers, hortensias, hibiscus et autres arbustes et plantes dont elle ignorait le nom mais qu'elle s’empressa de mémoriser pour les restituer au gré de ses envies dans ses décors imaginaires. Elle se dirigea vers le hall d’entrée dont les portes étaient grandes ouvertes et ralentit le pas en y pénétrant. Elle se retrouva face à la secrétaire assise à califourchon sur son bureau, yeux fermés, tenant à bout de bras un ventilateur. Elle n’avait de toute évidence pas entendu Hélène entrer car lorsque celle-ci lui tapota le bras pour lui signaler sa présence, elle poussa un cri de frayeur et lâcha brutalement l’appareil qui se désagrégea au sol bruyamment. On se serait cru dans une scène de films à la Hitchcock, un remake de Psychose, Janet Leigh dans sa douche hurlant face à Mamie Hopkins exhibant son couteau de cuisine ! - Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire peur, je m'appelle Hélène Potier et suis attendue à quatorze heures avec Mad.... La jeune femme s’arrêta de parler en constatant que la secrétaire s’était éclipsée sous son bureau. Intriguée et amusée Hélène contourna le lieu d’accueil des visiteurs et retrouva l’hôtesse accroupie près d’une prise de courant s’affairant à brancher et débrancher le fil électrique de son ventilateur qui, depuis la chute, était sans vie. Dépitée par ses efforts restés vains, elle se redressa, passablement agacée, tenant l'objet ou plutôt ce qu’il en restait dans ses mains.
- Je vous prie d'excuser mes mauvaises manières mais vous m'avez fait une de ces peurs ! dit-elle en grimaçant tout en essayant de redresser nerveusement les hélices cabossées de l’appareil. Eugénie de Tonquadec aura un peu de retard et vous prie de l'attendre dans son bureau situé au premier étage. Mais si je peux me permettre, vous devriez d’abord vous désaltérer à la fontaine située au pied de l‘escalier car vous êtes rouge comme une pivoine et haletante comme une asthmatique ! Bien que trouvant l'accueil peu orthodoxe de miss catastrophe, Hélène suivie ses conseils et avala cul-sec trois verres d'eau fraîche avant d’emprunter l’escalier de marbre. Elle le monta lentement pour lui permettre de regarder les dessins d’enfants accrochés au mur longeant chaque marche. Le décor cadrait parfaitement avec l'image que véhiculait « Hochet Editions» et lui plaisait. La porte du bureau de l’éditrice était impressionnante par sa taille et son poids. Hélène saisit le pommeau en fer forgé noir et l’actionna délicatement comme pour être ni vue, ni entendue. Elle pénétra timidement dans la pièce assombrie par d’épais rideaux déployés devant d’imposantes baies vitrées. La température y était fraîche et le parfum de pêche subtil et léger. Il lui sembla d'ailleurs étrangement familier et rassurant... Elle marcha à tâtons, bras tendus à hauteur de poitrine comme une somnambule afin d’atteindre les fenêtres et entre-ouvrir les drapés pour laisser passer un rai de lumière et lui permettre de visualiser l’antre de celle à la renommée professionnelle impressionnante. En effet,Eugénie de Tonquadec détenait le record des éditeurs ayant découvert le plus grand nombre de talents. La profession s’accordait à dire qu’elle avait le flaire pour dénicher des auteurs à succès et Hélène espérait devenir bientôt un de ceux-là. La pièce était meublée d’un bureau de travail spacieux où étaient empilés avec soins des manuscrits ainsi qu’un canapé et deux fauteuils en cuir vieilli derrière lesquels trônaient des bibliothèques regorgeant d’album de bandes dessinées. Hélène était émerveillée comme une enfant devant ses premiers cadeaux. Elle effleura du bout des doigts le dos des livres puis en pris un au hasard. Elle s’installa dans le sofa et commença à en feuilleter les pages mais la pièce était trop sombre pour le parcourir. Alors elle ferma les yeux et laissa son esprit vagabonder. Peu à peu, la tension nerveuse de ces dernières heures retomba doucement. Elle était maintenant envahie d’une sensation de bien-être.Il flottait dans l’air un parfum discret de fruits sucrés qui la ramena loin dans ses souvenirs mais que sa mémoire avait enfouis. Et peu à peu, sans s’en apercevoir, elle plongea dans un sommeil profond. Eugénie gara sa moto dans la partie ombragée de la cour et se hâta d'ôter son casque dans lequel elle étouffait. Elle traversa au pas de courses le hall d’entrée en adressant un rapide bonjour à sa secrétaire qui vociférait toujours à quatre pattes devant son ventilateur et monta les marches deux par deux. Elle pénétra dans son bureau dont la porte était entre-ouverte pensant y trouver Mademoiselle Potier mais ne distingua aucune présence. La moquette amortit son pas assuré et rapide malgré l'obscurité. Elle se dirigeait vers la fenêtre lorsqu’elle remarqua une forme sombre dans le canapé. Elle s'en approcha à pas feutrés et y distingua une silhouette inerte, longiligne et frêle. Amusée de constater que son ‘rendez-vous’ était contrairement aux autres tout sauf angoissé, elle s’installa silencieusement dans un des fauteuils espérant le réveil imminent de la Belle aux Bois Dormant. Ses yeux s'acclimatèrent peu à peu à la pénombre si bien qu'elle put détailler les traits de la jeune femme. Ses cils étaient longs et recourbés, sa bouche petite et pulpeuse, les pommettes saillantes et son nez légèrement retroussé....son corps se raidit et devint lourd, son cœur se mit à cogner dans sa poitrine tel un marteau piqueur, ses mains tétanisées s’agrippèrent aux accoudoirs. Ses mâchoires s’étaient soudées, son sang s’était glacé et affluait dans ses tempes bouillonnantes provoquant une migraine fulgurante la contraignant à fermer les yeux.Hélène émergea doucement de son sommeil et se frotta les yeux. Son regard se posa sur un tableau accroché au mur que les rayons du soleil éclairaient suffisamment pour qu'elle le reconnaisse aussitôt. Son corps se raidit et resta scotché contre l'assise du divan, son regard était figé sur le portrait en noir et blanc du bébé qu'elle avait été. Le dessin encadré était la réplique parfaite de la miniature trouvée dans son dossier de la clinique où elle était née sous X vingt huit ans plus tôt et dont elle ne se séparait jamais. Elles plongèrent leurs yeux dans le regard de l'autre et se dévisagèrent incapables de prononcer un mot. Sans le savoir, leurs pensées suivaient le même cheminement. Non, tout ceci n’était pas réel, n’existait pas, ce rêve elles l’avaient fait à maintes reprises et chaque fois le réveil était dur. Elles redoublèrent d’effort pour dissiper cet instant qui ne pouvait être que le fruit de leur imagination mais ne se réveillèrent pas. Eugénie essaya de reprendre ses esprits, d’être rationnelle. Il était indéniable que cette jeune personne était son portrait craché au même âge. Ceci étant, la ressemblance entre individu n’ayant aucun lien de parenté existait aussi après tout ! Cependant cette dernière pensée fût balayée
à l’instant même où Eugénie déplia la petite feuille cartonnée qu’Hélène lui tendit. La pièce était toujours plongée dans le noir, mais une étoile scintillait au dessus des deux femmes dont les ombres se dessinaient sous les traits d’Hélène Potier et Eugénie de Tonquadec. Elles furent prises des mêmes symptômes, de ressentis identiques, de sentiments similaires. Jamais auparavant elles n’avaient vécu un moment aussi intense et tous leurs sens étaient en éveil. Hélène cacha son visage de ses mains et se mit à pleurer en hoquetant bruyamment. Elle ne pouvait se contrôler, son cerveau ne décidait plus de rien. Son corps tremblait comme s’il était transi de froid. Elle recroquevilla ses jambes contre sa poitrine et encercla ses genoux de ses bras sans cesser de sangloter. Eugénie la regardait incapable du plus petit geste d’affection, de la moindre parole apaisante. Le choc émotionnel était trop puissant pour lui permettre de réagir avec l’aplomb qui la caractérisait. Elle entendait pour la seconde fois les pleurs de celle à qui elle avait donné le jour. Les
premiers étaient un hymne à la vie, ceux-ci un appel au secours. Alors au prix d’un effort surhumain elle marcha jusqu’à son bureau comme une automate, appela sa secrétaire pour lui demander d’annuler ses rendez-vous et revint s’asseoir face à Hélène. Elle se racla la gorge, pris une longue inspiration pour ne pas faillir et prononça à voix basse les mots qu’Hélène n’espéraient jamais entendre.
RENAISSANCE
Eugénie n’avait jamais eu la force de revenir sur les traces de son passé trop douloureux et si par mégarde un souvenir s’échappait des profondeurs de sa mémoire, elle le chassait aussitôt en plongeant la tête la première dans le travail. Mais la vision d’Hélène effondrée devant elle déverrouilla les uns après les autres les cadenas de sûreté. Elle devait à présent se laisser envahir par ses souvenirs pour aider Hélène. Alors, plongées dans un huit clos surréaliste, elle se mit à raconter son histoire :
- Mes parents ont suivi le chemin tout tracé du milieu de notables auquel appartenaient leurs familles. Ils se sont rencontrés dans une grande école de notariat, se sont fiancés puis mariés devant Dieu. Ils étaient parfaits sous tout rapport et en bons catholiques assistaient à la mess du dimanche dès que leur emploi du temps le permettait. Pour parfaire
le décor, ils ne pouvaient échapper au cliché du couple modèle désireux de fonder une famille et vivre dans une grande maison. C’est donc pour se conformer aux codes de bonne conduite et non pour assouvir un désir d’enfant que je vis le jour dans un foyer, hélas, inapproprié pour un bébé. D’ailleurs, mes parentes s’empressèrent d’engager une nurse à
domicile pour continuer à s’occuper à plein temps de celui qu’ils chérissaient par dessus tout : leur travail. C’est dans ce contexte que j’ai développé avec Camilla, ma nurse, des rapports qui s’apparentaient à ceux de mère-fille. Nous avons vécu toutes les deux six années de bonheur qui s’achevèrent du jour au lendemain lorsqu’elle fut congédiée. Commença alors pour moi une longue traversée du désert entre dunes de solitude et de cafard que je réussis à surmonter à l’aide de mon imagination et mon coup de crayon. Mon enfance favorisée mais difficile laissait présager une adolescence qui le serait tout autant. L’adolescence, cette phase de l’existence charnière où les rencontres sont décisives et les envies de
transgression grisantes. Alors, à l’âge de seize ans, désireuse de vivre comme ceux que je fréquentais, j’usais de substances illicites et abusais de mes charmes offrant mon corps à des flirts sans lendemain pour me sentir exister. Sauf qu’à l’aube de mes dix sept ans, l’insouciance laissa place à l’angoisse lorsque je fus prise de nausées matinales et que je n’eus plus de règles. Quand je compris mon état le ciel s’écroula sur ma tête et je n’eus pas d’autres choix que d’en informer mes parents. Ceuxci craignant le qu’en dira-t-on, me cachèrent jusqu’à ta naissance dans ma chambre aux allures de prison dorée. Ils avaient programmé dans les moindres détails le déroulement des heures, des mois et des années de mon existence. C’est en exécutant leur plan que je me retrouvais dans un lit d’hôpital loin de chez moi à attendre les premières contractions qui avaient été déclenchées. J’étais pétrifiée à l’idée d’accoucher seule et n’avais personne pour me rassurer. Heureusement, le travail et la délivrance ne durèrent que quelques heures et ni toi ni moi n’avons souffert. La sage femme t’a posée sur mon ventre quelques instants avant de nous séparer pour toujours. Je n’étais pas majeure et mes parents avaient convenu que je devais accoucher sous X. Alors dans l’urgence, je t’ai regardé, senti, caressé et embrassé. Jamais je n’avais aimé aussi fort, touché une peau aussi douce et admiré des traits aussi parfaits que les tiens. Et avant de te quitter, je dessinais ton portrait que je laissais dans ton dossier en espérant qu’un jour tu le trouverais et me pardonnerais. Puis, mes parents m’exilèrent dans un lycée en Suisse où je vécus les trois années les plus longues de mon existence. De retour en France, j’étudiais sagement le droit jusqu’à leur mort brutale dans un accident de voiture. Je n’avais que vingt deux ans et j’allais pouvoir prendre les rennes de ma vie en main. Je quittais l’école et avec l’aide de Camilla ma nurse et Loïc notre chauffeur qui deviendront civilement mes parents adoptifs, nous avons crée un orphelinat et une maison d’édition. Je n’ai jamais été mariée et n’ai pas eu d’autres enfants. J’ai espéré le meilleur pour toi et à chacune de tes dates anniversaires, j’imaginais comment tu étais, ce que tu faisais, ce que tu aimais. Je sais que je n’ai aucune légitimité à tes yeux et sache que je comprendrais que tu ne veuilles pas accéder à ma demande, mais j’aimerais que tu me parles de toi, es-tu heureuse ? Hélènes’était arrêtée de pleurer dès les premiers mots prononcés par Eugénie et au fur et à mesure du récit se délestait peu à peu d'un poids qu'elle ne soupçonnait pas aussi lourd. Elle obtenait enfin les réponses aux questions auxquelles elle s’était heurtée pendant des années et qui l’empêchaient inconsciemment de s'épanouir. Elle avait été conçu par accident et sa mère biologique était trop jeune pour décider du sort de son enfant. Hélène mesurait qu’au delà de sa propre souffrance, son abandon avait causé des dommages collatéraux. Eugénie se sentait coupable, lâche et ne s’était jamais pardonnée. Elle prit la parole et fit part à Eugénie du trouble qu’elle éprouvait quant aux similitudes de leur vécu mais également de leur ressemble morphologique et physique. Elles avaient été aimées toutes les deux par des parents d’adoption, suivi les mêmes études de dessinatrice et étaient venues vivre à Paris. Hélène ajouta qu’elle avait la sensation de l’avoir toujours connue. Tout aussi perturbant, elle évoqua le parfum qui flottait dansle bureau lorsqu’elle y était entrée et qu’elle connaissait sans pouvoir l’expliquer. Il avait suffit de quelques instants ensemble peau contre peau, pour que se nouent des liens invisibles mais indéfectibles entre une mère et son nourrisson. Enfin, Hélène remercia Eugénie d’avoir eu la délicate attention de laisser une esquisse accompagnée d’un mot dans son dossier d’adoption. Elle avait ainsi découvert que son don pour le dessin avait été transmis par filiation et que la demande de pardon formulée par celle qui venait d’accoucher laissait penser qu’elle fût contrainte à l’abandon et lui avait permis de se réconcilier en partie avec elle-même. Puis comme lui avait demandé Eugénie, elle raconta son histoire : elle avait été recueillie à quatre mois par un couple merveilleux auprès de qui elle ne manqua de rien et surtout pas d’amour. Elle apprit à l’âge de six ans qu’elle avait été adoptée sans que cela n’ait de conséquences sur ses sentiments à l’égard de ses parents. Cependant, depuis cette révélation, quelque chose trottait dans sa tête dont elle se défendait mais qui avec les années prenait de plus en plus de place dans son quotidien. Elle éprouvait une sensation de mal être, d’illégitimité face au bonheur, de décalage vis à vis des autres qui furent en partie dissipés lorsqu’elle eut accès à son dossier. Les années qui suivirent furent compliquées dans ses rapports aux hommes par manque de confiance en elle et peur de l’abandon. Ses relations avec la gente masculine se soldaient très rapidement par des échecs car elle n’arrivait pas à s’attacher. Cependant, pour la première fois elle était amoureuse depuis quatre ans d’un psychologue pour enfants. Mais cette liaison était au bord de la rupture à cause de ses démons. Eugénie lui avait demandé si elle était heureuse et réalisa que sans Julien elle ne le serait jamais Le temps perdu ne pouvait se rattraper mais chaque seconde qui venait de s’écouler avait été d’une intensité émotionnelle telle que les empreintes du passé profondément ancrées dans leur quotidien semblaient s’estomper au fur et à mesure des heures partagées ensemble. Cependant, elles avaient conscience de la fragilité des liens qui les unissaient car elles s’étaient construites sans imaginer qu’un jour leur chemin puisse se croiser. Après tout, leur rencontre pouvait être une parenthèse furtive où l’essentiel avait été dit et qui pouvait, par conséquent, se refermer aussi vite qu’elle s’était ouverte. Le jour se levait et les deux femmes étaient épuisées physiquement et psychologiquement mais se sentaient plus vivantes que jamais. Eugénie ne pouvait se résoudre à laisser partir Hélène sans avoir l’assurance de
la revoir. Alors elle lui proposa de l’emmener là où tout avait commencé, ce que la jeune femme accepta sans hésiter. Julien avait regardé cent fois son téléphone dans l’espoir d’y trouver un message d’Hélène mais en vain. Il l’avait quittée deux jours auparavant et elle lui manquait terriblement. Le moral en berne, il regagna son appartement avec hâte car la journée avait été longue et éprouvante. Il rentra chez lui et et fut accueilli au rythme d’une salsa endiablée. Hélène se tenait dans l’embrasure de la porte de la chambre enveloppée d’un drap qu’elle retenait d’une main. Il mit un instant à la reconnaître car elle s’était totalement métamorphosée. Ses cheveux violets mi-longs étaient devenus châtains et son regard d’ordinaire noir était d’une extrême douceur. Le maquillage discret faisait ressortir la couleur si particulière de ses yeux vairons. Elle était plus belle et désirable que jamais. Il s’avança sans détacher son regard du sien et s'arrêta à quelques centimètres d’elle, sans prononcer un mot. Elle laissa tomber le drap à ses pieds et libéra ses cheveux. Il la souleva et
la porta jusqu'à son lit en l'embrassant fougueusement. Jamais elle ne s'était abandonnée avec autant de liberté, de plaisir et pour la première fois de sa vie prononça des mots d'amour.
ET CLORE
Eugénie connaissait sur le bout des doigts la route qui les conduisaient, l'une et l'autre, vers ceux et celles qui les avaient toujours aimées. Paris était leur ville d’adoption mais c’est en Bretagne qu’étaient leur racine. La grille du portail de la demeure familiale jadis fermée à toute personne étrangère au lieu était désormais ouverte en permanence et avait été rebaptisée ‘la maison des anges’. La Mercedes décapotable s'engouffra dans l'allée goudronnée aux formes courbées et ralentit presque instinctivement pour s'arrêter devant la porte d'entrée de l'immense bâtisse qu'Eugénie avait habitée pendant presque vingt ans. Les murs abritaient désormais sa fondation, un orphelinat atypique qui recueillait des enfants depuis leur naissance jusqu'à leur majorité. S'ils n’étaient pas adoptés, leur maison restait celle d'Eugénie jusqu’à ce qu’ils prennent leur envol. Elle avait transformé l'endroit autrefois lugubre et austère en paradis où le silence assourdissant d’une enfance solitaire avait laissé place aux rires de bambins qui en cette magnifique journée d’été s’en donnaient à coeur joie dans le jardin aménagé en parc d'attraction miniature.
Hélène émergea de cinq heures d’un profond sommeil et compris aussitôt où Eugénie l’avait emmenée. Elles descendirent en même temps de voiture sous le regard médusé de la directrice de l’établissement qui venait à la rencontre des deux femmes d’un pas hésitant. A mesure qu’elle s’avançait, Camilla fût frappée par la ressemblance entre Eugénie qu’elle connaissait depuis l’enfance et la jeune femme, à ses côtés, qu’elle voyait pour la première fois.
Eugénie alla à la rencontre de sa mère et la serra un long moment dans ses bras. Hélène assistait émue à la scène qui la ramenait à ses propres sentiments envers la sienne et lui fit monter les larmes aux yeux. Pour chasser le spleen qui la submergeait, elle concentra son attention sur Camilla et la détailla. Elle était petite mais la finesse de son corps soulignée par des escarpins à haut talons allongeaient sa silhouette. Elle portait un chemisier blanc à col officier et une veste en pied de poule assortie à sa jupe qui rappelait les collections de Coco Chanel. Ses cheveux étaient courts, méchés, d'un dégradé châtain clair à blond cendré soigneusement coiffés. Son maquillage était comme sa tenue, tirée à quatre épingle. Elle avait une mince couche de fond de teint, du mascara, un trait de crayon vert qui soulignait son regard clair et ses sourcils fins avaient une forme anguleuse. Ses lèvres charnues
étaient discrètement colorées d'un rouge à lèvres rose pale. Elle était d’une élégance digne d’un membre de la famille royale. Hélène remarqua que les deux femmes chuchotaient le sourire aux lèvres sans cesser de se serrer dans les bras l’une de l’autre.
Eugénie venait de dévoiler l’identité d’Hélène à Camilla qui l’avait aidée à surmonter les épreuves de son enfance et de sa vie d’adulte. Elle l’avait vu souffrir pendant toutes ces années mais aujourd’hui Eugénie semblait sereine. Le destin avait fini par entendre sa détresse et mis sur sa route la seule personne au monde qui pouvait la libérer des remords
qui la hantaient. Camilla fit signe à Hélène de les rejoindre et se présenta. Son accent était charmant et sa voix chaleureuse. Camilla lui dit qu’elle était heureuse de faire sa connaissance mais qu’elle avait du mal à réaliser ce qu’elles étaient en train de vivre. Elle proposa de se mettre devant une tasse de thé pour en discuter. La journée s’écoula au rythme effréné des souvenirs de chacune. Et ce n’est qu'en fin d'après-midi que les deux femmes, de plus en plus proches à mesure que les heures passées ensemble cicatrisaient leurs blessures, reprirent la route, avec cette fois, Hélène au volant.
Elle était impatiente de retrouver ses parents pour leur faire partager l’incroyable histoire qu’elle était en train de vivre. Mais, elle appréhendait la réaction de sa mère, Mimi, sensible et fragile sous ses airs de dur.
Elle avait peur de la blesser, de lui rappeler qu'elle ne l'avait pas mise au monde. Mais Hélène avait besoin de la voir, de lui parler plus qu'à quiconque. Elles étaient fusionnelles et il était hors de question de lui cacher la vérité aussi difficile soit-elle à entendre. Elle aimait sa mère et ne saurait la trahir.
Eugénie et Hélène arrivèrent dans l'étroite rue perchée sur les hauteurs du village au bout de laquelle logeait un énorme soleil rouge vif qui semblait les accueillir. Hélène se gara devant le portail en bois du petit pavillon et aperçu ses parents affairés à l'arrière du jardin dans leur potager. Seuls le chien et le chat de la maison s’aperçurent de sa présence et vinrent à sa rencontre, balayant l'air de sa queue pour l'un et miaulant en se frottant à elle pour l'autre.
Eugénie regarda Hélène rejoindre ses parents interloqués et inquiets de la voir débarquer en semaine à l’improviste et accompagnée de surcroît, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Ils ne connaissaient pas la personne assise dans la voiture mais Hélène devança leur interrogation Eugénie regardait Hélène parler tête baissée, mains dans les poches, comme une petite fille qui avouait sa bêtise et demandait pardon et immortalisa cette vision sur une page de son calepin. Didou écoutait sa fille en se grattant nerveusement le crâne, tandis que sa mère était statufiée pendue à ses lèvres. Lorsque Hélène eût terminé son récit, Mimi lui demanda de rester avec son père et se dirigea vers celle dont elle connaissait à présent l’identité. Leur regard se croisèrent et ne se quittèrent plus jusqu’à ce qu’elles se retrouvent assises côte à côte. Mimi s’adressa à Eugénie d’une voix monocorde et calme comme si elle répétait un texte appris par cœur, en regardant droit devant elle.
- J'ai redouté cet instant par peur de perdre Hélène et pourtant j’ai espéré qu’un jour vous réapparaîtriez dans sa vie. Car malgré tout l'amour que nous lui avons donné, son père et moi, elle n'arrive pas à s'épanouir en tant que femme et à se projeter en tant que mère car il lui manque une partie d'elle-même, la pièce maîtresse indispensable à son épanouissement, c'est-à-dire vous !
- Je n'ai pas eu d’autre choix que de laisser une autre femme l'élever mais je ne l'ai jamais oubliée et elle a guidé chacun de mes choix. Je n'ai pas souhaité avoir d'autres enfants et ai dessiné puis créé ma propre maison d'édition de livres pour la jeunesse en espérant qu'elle les lirait. Je dirige un orphelinat qui accueille des enfants comme elle, nés sous X, et prends soin d'eux comme s'ils étaient les miens. J'ai un aveu à vous faire : j'ai eu un pincement au cœur en vous voyant tous les trois mais je n'aurais pu espérer meilleurs parents que vous.
- Vous m’avez sans le savoir fait le plus beau des cadeaux. Je ne peux imaginer le chagrin qu’à été le vôtre lorsque vous avez dû quitter Hélène. J’espère sincèrement que vous allez pouvoir apprendre à vous connaître mutuellement pour vous réconcilier chacune avec vousmême. Ce qui m’importe avant tout est le bonheur de ma fille.
- Je suis très touchée par votre gentillesse à mon égard et vos mots de compassion me vont droit au coeur, Le destin a voulu qu’Hélène et moi soyons à nouveau réunies mais jamais nos rapports ne s’apparenteront aux vôtres. Mais, si le temps nous est donné, nous pourrons peut-être tisser des liens amicaux.
- Hélène doit se demander à quelle sauce je suis en train de vous manger et son père est sûrement impatient de faire votre connaissance, alors que diriez-vous de les rejoindre ?
- Il me tarde de le rencontrer. Pour nous quatre, rien ne sera plus jamais comme avant et demain sera plus beau que jamais…
En l’espace de six moins, la vie d’Hélène avait basculé vers des horizons insoupçonnés Elle avait décroché le contrat qu’elle espérant tant dans la maison d’édition qu’elle briguait et emménagé avec son compagnon dans une petite maison bord de mer à quelques kilomètres de ses parents et de la fondation d’Eugénie. Camilla et Loïc étaient en quête d’un candidat capable de reprendre les rennes de l’orphelinat et Julien correspondait parfaitement au profil recherché. Il avait commencé sa formation et s’épanouissait dans ses nouvelles fonctions. Hélène était revenue vivre auprès des siens avec celui qu’elle aimait. En prime, elle avait hérité d’une famille d’adoption bienveillante en la personne de son éditrice et ses parents. Elle vivait désormais dans le présent et se projetait avec Julien sans aucune appréhension. Au fond d’une cour pavée de Paris dans un hôtel particulier s’était produit un miracle, celui d’une rencontre fortuite entre deux êtres que la vie avait séparée mais que le destin avait décidé de réunir à nouveau. Eugénie décrocha dans son bureau le portrait qu’elle avait dessiné trente ans plus tôt et le décala légèrement afin d’y accrocher un tableau plus récent peint de ses mains. On pouvait y voir le visage de profil d’une jeune femme, tête baissée avec de longs cils recourbés, une bouche petite mais pulpeuse, des pommettes saillantes et un nez légèrement retroussé. Il était tôt et et le soleil escaladait les étages des immeubles parisiens jusqu’à ce que les premiers rayons puissent enfin pénétrer la pièce et se poser sur les portraits d’Hélène sous les yeux emplis de larmes de l’éditrice.
EPILOGUE
Lannion, le 24 décembre 2020
Dans le Parc de ‘la maison des anges’, comme tous les ans, l’allée du domaine qui serpente dans le décor est éclairée de lanternes disséminées dans chaque arbre et dessine ses courbes généreuses. Un sapin de Noël majestueux trône devant la demeure illuminée pour l’occasion par des guirlandes électriques multicolores. L’arbre est entouré d’animaux de la forêt articulés et scintillants dans la nuit précoce à cette époque de l’année. Le décor est digne des paysages féeriques et imaginaires des studios Disney.
Depuis les baies vitrées, on distingue nettement l’euphorie et l’activité incessante des habitants des lieux en cette soirée tant attendue du Réveillon de Noël. Les petits anges et ceux qui ont grandi dans la demeure familiale s’affairent à dresser les couverts sur l’impressionnante table recouverte de nappes rouge et or. Dans la cuisine, Loïc ravi d’avoir troqué les berlines pour un mini-bus et ses uniformes de chauffeur contre un jean et des santiags a été réquisitionné depuis le début de l’après-midi pour confectionner des petits fours salés tandis que Camilla et Eugénie préparent les traditionnelles dindes de Noël qui nécessiteront plusieurs heures de cuisson.
Erwan ancien pensionnaire devenu meilleur pâtissier de France est venu tout spécialement de Paris où il a ouvert déjà trois maisons à son nom. Il n’a pas hésité à accepter la proposition d’Eugénie qu’il aime comme une mère et travaille d’arrache-pied depuis le petit matin afin de régaler les papilles des quarante convives qui auront la chance de
déguster un met d’exception. L’après-midi s’achève et il termine tout juste le glaçage de la bûche aux trois chocolats longue de deux mètres, satisfait de sa création.
Le hall d’entrée, si froid par le passé, arbore des couleurs de fêtes. Le sapin haut de quatre mètres accueille à son pied les chaussures que les enfants l’y ont soigneusement déposées. Et pendant qu’ils engloutiront leur dessert, le Père Noël y déposera les cadeaux qu’ils lui avaient demandés.
Il est vingt heures lorsque le carillon de la porte d’entrée retentit. Eugénie se précipite dans le hall escortée par une marée de gamins dont les rires résonnent dans tout le rez-de chaussée pour accueillir les derniers invités. Sous le porche éclairé, Michèle, Didier, Julien et Hélène à l’abri du froid et des premiers flocons de neige de la saison ne se font pas prier pour entrer.
En ce vingt-quatre décembre, l’esprit de Noël s’est invité parmi des anges qui ne forment qu’une seule et même famille bienveillante où l’amour est palpable et les vœux réalisables.
Julien ne quitte pas des yeux sa future femme plus belle que jamais dans sa robe moulante dessinant un ventre arrondi. Hélène est assise confortablement dans un fauteuil près de la cheminée entourée de bambins assis en tailleur captivés par sa nouvelle histoire et se délecte de lire le bonheur dans leurs yeux.
Et depuis, chaque année, ils se réunissent tous dans ‘la maison des anges’ pour partager le repas de Noël accompagné des rires des enfants.
«L'enfance est un lieu auquel on ne retourne pas mais qu'en réalité on ne quitte jamais» Rosa MONTERO