Le Retour du Petit Prince sur sa planète
Aujourd'hui, j'ai reçu une lettre du Petit Prince. Je me suis dit en la trouvant : primo, que le Petit Prince avait pu revenir sur sa planète ; deuzio, comme il lui reste du papier, alors sa crainte ne s'était pas réalisée et son mouton n'avait finalement pas avoir tout mangé ; tertio, cette lettre signifie qu'après tout ce temps, il avait quelque chose à me dire. Comme les enfants sont des personnes de confiance, je te laisse la lire afin que tu puisses voir par toi-même ce qu'il a écrit.
À l'aviateur, sur la planète terre
Mon ami,
Quand je suis revenu sur ma planète, j'ai déposé mon mouton parmi les baobabs juvéniles, et j'ai dormi. À mon réveil, mon mouton avait brouté tous les baobabs, et il s'était approché de ma rose, qui n'était pas protégée par le globe. Elle m'avait demandé de le lui enlever, avant que je parte de ma planète. Maintenant, mon mouton était tout près de la croquer net, comme une simple mauvaise herbe. Alors je l'ai attaché à un piquet. Tu sais, c'est un mouton très docile. Je l'avais déjà remarqué quand il était encore dans sa boîte.
Ma rose n'avait pas eu de mal. Mais elle était d'humeur maussade, parce que pendant mon absence, le vent avait couché son paravent par terre, et je n'avais pas été là pour le lui remettre en place.
Quelques jours plus tard, j'ai ramoné les volcans de ma planète, car même éteints il faut bien les entretenir. Alors que j'avais ramoné le dernier, ma rose s'est mise à parler. Elle a parlé un peu, à personne en particulier, juste pour me rappeler sa présence. Elle était encore peu sûre d'elle ; après tout, sa vie de fleur n'était pas si longue que ça, et j'avais été absent pendant une bonne partie de son existence.
« Mes pétales sont tout fripés, je ne peux pas me montrer comme ça, si seulement ce globe avait pu empêcher la brise de les abîmer… »
J'ai soulevé son globe et je l'ai remis en place. Elle a fait semblant d'être surprise, comme si elle ne s'était pas attendue à ce que j'entende. Et elle a défroissé ses pétales un à un, pour dissimuler son embarras. Alors j'ai attendu que tous ses pétales soient bien lisses, et j'ai approché mon tabouret.
Je t'ai tout raconté, je t'ai même parlé de son dédain et de ses toussotements qui sont les épines qui la protègent du monde. C'est si fragile une fleur, et c'est si difficile d'exister quelque part quand on a été apporté là par le vent. C'est pour cela qu'elle s'est comportée comme si elle était une fleur spéciale, qu'elle s'est préparée pendant des jours infinis avant d'éclore. Elle avait peur d'être ignorée, rejetée, et peut-être même pire : broutée par mon mouton. C'est pour cela qu'elle a fait tant de manières.
Et pourtant, les fleurs n'ont pas à prouver qu'elles sont belles pour avoir le droit d'exister. Les fleurs sont belles parce qu'elles existent, c'est tout.
Ma rose, elle, montre ses épines. Pour exister, elle pense qu'il faut se défendre contre ce qui l’entoure.
Le soir suivant, ma rose m'a à nouveau demandé de lui enlever son globe. Il faut dire qu'avec le soleil qui avait chauffé le verre tout le jour, cela devait être insoutenable. Je suis venu m'asseoir à côté d'elle, et c'est là que j’ai vu qu'une chose avait changé. Hier encore elle se tenait toute droite sur sa tige hérissée d'épine, et aujourd'hui, un minuscule rameau avait commencé à pousser. La grande tige était ferme et noire, et le rameau, lui, était tout clair et tendre.
« La chaleur et le soleil, c'est important pour la pousse. »
C'est tout ce qu'elle a dit. Elle ne s'est pas vantée de son nouveau rameau. Elle ne s'est pas non plus défendue qu'il ait l'air encore si faible et inachevé.
Comme cela doit être fatigant de faire pousser une nouvelle branche ! Quelques minutes plus tard, elle a baillé et m'a demandé de lui remettre son paravent. Elle s'est endormie aussitôt.
Elle a dormi longtemps comme ça. Et j'ai vu ce que cela avait dû être de m'attendre sans savoir quand j'allais revenir. Quelque fois, je doutais même qu'elle se réveille un jour. De nouveau, je me suis senti seul. Seul comme une petite planète au milieu de milliers d'autres planètes si lointaines. Alors j'ai regardé les couchers de soleil, et quand un coucher de soleil finissait, je bougeais mon tabouret et il y en avait un autre, et ainsi de suite. C'est alors que j'ai repensé à ce que nous nous étions dit, à ce que m'avait dit le renard, et à la morsure du serpent.
J'ai aussi beaucoup observé ma rose. Si on regarde son minuscule rameau plusieurs fois par jour, on se rend compte que le soir, il est plus grand que le matin. Et si on le regarde de très près, on n'y voit aucune épine.
Un matin, elle s'est réveillée. Elle a doucement déplié les nouvelles petites feuilles toutes tendres au bout de son rameau, et elle a regardé le soleil et la rosée qui faisaient comme un collier de gouttes de pluie tout autour. J'ai posé mon tabouret près d'elle, et elle m'a dit bonjour.
« Bonjour, lui ai-je répondu. »
On s'est tut longtemps. On a juste respiré le même air frais, et on a profité de la même lumière.
Son rameau, c'est un peu comme quand le serpent m'a mordu. Tu vois, la morsure m'a fait revenir sur ma planète. Son rameau, il n'a pas d'épines pour se protéger du dehors, et maintenant, elle peut toucher le monde sans crainte.
La lettre s'arrêtait comme ça, sans explications, sans adieux et sans signature. Mais j'étais heureux simplement d'avoir lu les mots du Petit Prince sur cette feuille de papier, après que sa voix m'avait tant manqué sur Terre. Une grande personne dirait qu'il est impossible de trouver du papier quand on habite sur une si petite planète où il n'y a pas d'arbres à papier, pas de moulin à papier, et pas de rivière où installer le moulin. Mais je n'ai pas le temps d'expliquer à ces grandes personnes comment le Petit Prince a fait parce que je dois aller préparer mon avion : je livre le courrier cette nuit.
Et finalement, j'ai beaucoup apprécié la tendresse avec laquelle tu écrivais, le parallèle entre le rameau et les griffes... Le dernier paragraphe est très bien trouvé aussi, simple et tout en douceur, avec ce rappel des choses pratiques (pas de rivière pour installer un moulin !). Je suis content de ne pas être passé à côté de ton texte (perdu depuis 2016 en plus !), merci !
J'avais complètement oublié qu'il se faisait mordre par un serpent à la fin ! Ton texte a fait remonter tellement de souvenirs, honnêtement... J'en avais la gorge serrée à la fin.
Un très beau texte, même si j'ai mis quelques lignes à rentrer dedans (le présent me fait toujours un peu bizarre o-o). Je suis très heureuse que le mouton soit en bonne santé, et aussi que tu aies donné un nouveau rameau à la Rose... ♥ Comme dirait Rick Riordan, "Tout ce qui est vivant mérite d'avoir la possibilité de grandir." Et je pense que ton texte en est un exemple beau et simple à la fois.