Le désert s'étend à perte de vue. Le soleil garde son manteau orangé sur des dunes qui semblent infini, écrasant tout sur leur passage. Le calme du soir qui règne peut sembler angoissant, si assourdissant que l'esprit étranger au désert en deviendrait fou. Même si les rayons du Soleil disparaissent lentement, la chaleur est comparable à la morsure d'un serpent, brûlante et cruelle.
Deux jeunes femmes étrangères habillées de takakat – un long habit bleu sombre couvrant tout le corps, typique des Touaregs – montées sur de grands chevaux noirs entreprennent un voyage incertain depuis qu'elles ont libéré les terres du Nord du venin de leurs souverains. La plus grande est une chinoise forte et expérimentée. Elle se nomme San. Elle a l'assurance d'une puissante reine. La minceur de son corps reflètent la fougue des muscles d'un lion. Son takakat bleu sombre est en harmonie avec son calme et sa sagesse. Ses longs cheveux noirs attachés en queue de cheval et son visage long brillent sous les derniers rayons de Soleil. L'autre femme est plus jeune et sa peau est blanche comme l'ivoire. Elle s'appelle Félicia Joy. Elle arrive à mi-hauteur des épaules de sa camarade qui est presque une géante. On dirait une adolescente, cependant elle est plus forte, plus sage d'une femme civilisée. Ses longs cheveux blancs flottent dans le vent. Ses yeux bruns éclatants, presque animales, contrastent avec la grâce de son petit visage aux traits harmonieux. Elle semble méditer sur la puissance des gigantesques affleurements rocheux qui parsèment le désert comme un ensemble de palais babylonien. La contemplation de ces majestueux palais minérales est si étrange que l'on pourrait voyager vers les premiers âges de la Terre. Des âges sombres dont seuls les fauves et les vieux serpents géants s'en souviennent. La jeune femme médite sur les mouvements sinueux de l'Univers ainsi que sa fuite éperdue. Depuis si longtemps elle a tentée de fuir sa vie, de ce poids qui l'accable depuis son enfance. Dans ces terres dorés, elle ressent un peu de paix. Avec San à ses côtés, elle se sent rassurée, presque en sécurité.
A plusieurs kilomètres de là se dessine une voile sombre, peut-être une ville ou une forêt. Les deux femmes pensent reconnaître leur destination. Tout autour, quelques acacias, des hautes herbes jauni par le soleil brisent la monotonie du désert, protégés par les les falaises. de gracieuses oryx mangent les feuilles des acacias en compagnie de gigantesques sivatheriums - des okapis géants préhistoriques qui possédent des excroissances qui rappelent des bois. Les deux jeunes femmes regardent ces paysage avec la fascination d'un enfant avant de reprendre leur route. San et Félicia s'arrêtent et découvrent une série de larges traces massives qui vont vers les collines. Elles sont fraîches, à peine deux heures. Des empreintes de fauves. Cette découverte glace d'effroi les deux femmes. Des lions géants hantent ces territoires. Les deux femmes sont sur le qui-vif, d'autant que leur inquiétude s'accentue avec le Soleil qui décline à l'horizon.
La nuit est tombée. Le ciel accompagnée de son épouse, la Lune et son cortège d'étoiles et de constellations. La terre se pare d'un somptueux rideau de velours et ses épingles brillants. Une peinture magnifique en perpétuel mouvement, aussi doux et calme que la rage du Soleil, mais l'air nocturne appartient aux griffes et aux yeux sinistres. Dans une grotte à flanc de colline, Félicia regarde le ciel avec amertume. Elle semble craindre la nuit. Elle se remémore tout le sang versé dans la taïga des mort à l'Est de la Russie, des tortures infâmes et la vengeance. Elle ressent de la honte d'être une humaine, de vivre dans ce corps d'impur. Cette pensée la traverse chaque nuit.
San sait mieux que personne ce qui tourmente sa jeune camarade même si elle ne le dit pas. Seule cette ancienne lieutenante sait trouver les mots, les gestes pour la rassurer. Une confiance instinctive lie ces deux êtres. Elle s'assoit à côté de Félicia pour contempler les étoiles, son bras gauche posé doucement sur la jeune femme blanche. Elle est comme la seule vraie mère que Félicia ai jamais connue. Un long silence paisible règne sur les lieux. Un silence aussi délicieux que le miel qui coule de l'arbre. Juste les étoiles et les ombres des majestueuses falaises.
Soudain elles sentent quelque chose. Leur instinct leur avertit d'un subtil changement dans l'air. Elles connaissent cette présence. Elles l'ont que trop fréquenter. Les hommes vivants dans la nature ont ce don de ressentir les choses invisibles. La lumière de la Lune d'hiver devient angoissante. Sous la plante des pieds, une vibration sourde se répand dans les profondeurs. Les ombres se meuvent pareil à des tentacules et couvrent le paysage sous la forme d'une voile noire flottante. Félicia et San ne comprennent pas se qui se passe. Leurs sens sont presque perturbés. Tout devient trouble. Des tambours rythment les ténèbres, un battement sinistre couvre tout autre son. Ces montagnes cachent des rites noirs et anciens. On peut déceler un murmure mielleux au milieu du dialogue violent des tambours « Oh Mon enfant, comme je suis si heureux de te revoir. L'heure est venue. Souviens-toi de ce chant. » Félicia tremble. Ça ne se peut pas ! Elle croit halluciner. Pourtant elle le sent comme une vérité soudaine et brute.
Les voiles sinistres se décomposent comme de la poussière et laissent place à des rochers déchiquetés et torturés qui ressemblent à des termitières, des arbres aux troncs enserrés par des racines mouvantes garnie de pointes. Une nuit pernicieuse aux éclairs blanches de perfidie. Un lieu plein d'épouvante qui respire la mort, un cauchemar tenace à l'affût. Des orages prenant la forme de serpents qui guettent les deux femmes, tournant autour d'elle comme pour les narguer en attendant de frapper. Au-dessous de la falaise convergent deux fleuves aux eaux couleur jais et aux courants étrangement calmes. Les tambours se sont soudainement tus. Félicia est au aguets bien qu'elle ne voit aucun mouvement. Elle garda l'oeil rivé sur les ombres, s’attendant à n'importe quelle menace tapie dans les grottes de l'horreur. San garde sa main sur sa dague.
De longs fils rouges émergent des eaux. Elles se nouent en une masse amorphe. Puis on voit des jambes, un torse et des yeux rouges luisants. Félicia se sent fléchir. Sa gorge se serre. Elle veut fuir, mais elle n'en a plus la force. San est impuissante, mais elle est prête à frapper. Devant eux se tient une puissante et gigantesque créature qui semble flotter au-dessus des eaux noires. Son corps est celui d'un homme nu à la peau rouge. Sa longue queue cernée d'écaille pointues semblable à celui d'un crocodile effleure doucement les eaux noires. Ses jambes sont celles d'un fauve. Ses avant-bras sont couvert de pointes pareil à une armée de lances, ses mains sont munis de longues griffes rouges. Mais son visage dépasse l'entendement. Elle est longue et puissante, semblable à un spinosaure, couvertes de lignes tordues noires, donnant un aspect chaotique, belliqueux avec un éclair de malice redoutable. Ses yeux brillent comme des braises, sans iris. De longues cornes d'oryx accentuent cette vision d'horreur démentiel. Seth, le seigneur du désert, un fauve sauvage parmi les dieux, craint par les peuples du désert et les hommes des cités. Toute la colère, la sauvagerie et la violence du monde anime tout son être.
Un sourire machiavélique éclaire de ses traits. Il observe Félicia avec délice : depuis si longtemps, il la cherche. Il l'a tellement désiré. Le chasseur face-à-face à sa proie.
– J'ai longtemps rêvée de ce moment, dit Seth, avec une douceur maligne. Me tenir à tes côtes, assez prêt pour te toucher, sentir son sang et la chaleur de ton âme, toi, jeune reine perdue parmi des rats vils et faibles.
– Cesse de me poursuivre, dit Félicia qui tente de se défendre. Laisse-nous en paix.
– Pourquoi tant de crainte futile ? Pourquoi cette faiblesse ? (Dans chaque mot prononcé par le dieu se dévoile telle une fleur naissante un frisson si vrai qu'on ne peut qu'être troubler par tant de manigance.) Tu est bien plus que ça, Félicia. Ressens-tu des émotions pour moi ?
Félicia resta muette. Son regard est noir de mépris. Seth ricane, puis il ressent du dégoût pour cette réponse.
– Comme c'est dommage. Dommage que tu sois si impétueuse et hypocrite envers moi. Tout comme ta mère et ton père
– Comme le tigre qui hait l'homme. Comme l'allosaure qui chasse le singe de son repaire d'infortune.
– J'ai bien peur que ton éloquence ait perdu de sa force, dit San d'un air malicieuse.
– Toi, chinoise blasphématrice, cesse de frémir ta langue et retourne dans ta niche d'esclave. (Se sentant insultée, San serre sa dague, mais elle refuse de s'attaquer au dieu rouge pour ne pas se faire piéger dans sa toile. Seth fixe Félicia de son regard brûlant.) Pourquoi tu refuses la vérité, reine blanche ? Tu est seule. Qui sait ce tu as dit aux ténèbres, dans les moments les plus amères de la nuit, où toute ta vie se change en une cage si froide. Reniée par une famille de chiens qui souhaitent te réduire à une catin, de la viande séduisantes dans leurs mondes aux colonnes d'argiles pour leurs plaisirs futiles.
– Tu est d'une épouvantable cruauté ! (La voix de Félicia tremble sous le poids de sa tristesse.) Après tout ce que tu m'as fait.
– C'est pourtant la vérité, dit le dieu, imperturbable, tu as suivi la même voie de mensonges et de lâcheté que ta mère. Tant de talent, tant de pouvoir en toi et tu les gaspilles pour des idéaux stupides. Tu n'est pas seulement un être d'esprit, Félicia. (Sa voix se fait plus séduisante) Tu est aussi de chair. Tu est la lionne, le serpent roi, le scorpion rouge, la panthère à la robe de jais. Toutes les créatures de la nuit, méprisées et bannies dans la prison de cristal, bafouées de leurs droits.
– Tu as volé ma vie. Mes sentiments. Mon cœur. Depuis toutes ces années …. Depuis que tu as planté tes crocs dans le corps de mon père ...
- Sois juste, Félicia. Tu as été marquée par la haine et la vengeance, le feu et la chair depuis ton enfance. Cesse de lutter. Viens avec moi. Nous avons été détestés, abandonnés. On avons été dupés. Pourquoi ? Parce que nous sommes autre. Parce que tu est différente. Tu est celle qui appartient à aucune patrie. Mais c'est terminé. Le monde des hommes s’affaiblit enfin. L'âge du lion et de l'or est révolue. (Seth tend sa main à Félicia) Celui du tigre et du dragon nous appartient.
Félicia sent toute sa tristesse submergée son cœur. Et si enfin elle pourrait être en paix dans la nuit de Seth ? Depuis des années, elle rêvait du jour où elle serait enfin dans un monde où elle peut être en paix, loin des chaînes et des sanglots. Elle lève lentement sa main vers Seth qui sent son heure arrivé. Elle semble hésité. Son cœur la retient. San rattrape sa main pour empêcher le rituel. En cet instant, Félicia se sent comme à l'arrêt, presque ailleurs. Furieux d'être dupé et bien décidé à s'emparer de la jeune femme, Seth fait apparaître des tentacules dans la paume de sa main gauche, prêtes à frapper sur ses femmes qui ont osé le défié, ses yeux animés par une horrible vengeance.
– Non. Pas cette fois. C'est terminé. hurla–t–il avec rage. Cette poursuite de fous prendra fin aujourd'hui.
Seth lève sa main, animé par une force capricieuse et mauvaise. Un grondement sourd retentit dans les environs. Le sol tremble. Seth sent la peur et la surprise s'emparer de lui. Le ciel semble se mouvoir comme un serpent. Des traits se dessinent dans le ciel. Félicia, encore perturbée et troublée, peut néanmoins voir de grands yeux blancs éclairer le ciel devenue monotone, vidée de ses étoiles, presque morte. Les astres se terrent dans le lointain. Les roches et les eaux se changent en poussière, se cambrent et tremblent. Une puissance si glaçante d'horreur qui peut faire trembler même les étoiles et les vieilles planètes. Seth guette cette force invisible. On l'a blessé de l'intérieur. Sa rage le consume. Des sifflements rapides et soudains se répercutent dans la roche, le ciel et l'eau, suivi d'un rire mauvais. L'angoisse devient plus insoutenable, étouffant.
En à peine un instant, une fraction de seconde avec que le dieu rouge ne réagisse, une main massive noire le frappe et le fait tomber par terre. Seth se relève à la vitesse d'un léopard et poussa un rugissement grave et perçant. Félicia revient à la vie, saisi par l'horreur indicible qui se forme devant ses yeux. San elle aussi n'en croit pas ses yeux. Elle aussi est paralysée de peur. Une créature noire apparaît devant Seth : elle est immense, beaucoup plus que Seth, mais ses attributs ne sont pas celui des vivants ou des morts. Sa tête de Liopleurodon, longue, puissant, bardée de dents semblable à un millier de javelots et surmontée d'un long cou de cobra atteint la voûte céleste. Ses bras démesurés couverts de pointes atteignent l'Est et l'Ouest. Des flammes blanches brillent dans ses yeux. Son buste est celui d'un homme noir, mince, fort et bouillant d'une puissance sauvage, alors que le bas de son corps est celui d'un lion au pelage noir, avec des pattes longues et aux griffes brillantes, comme taillées dans du jais. Sa longue queue de sauropode frappe les airs. Des tentacules et d'immenses têtes de serpents à la robe étoilée qui parcourent son dos se tiennent prête à attaquer Seth, sifflantes et affamées. Tout l'ensemble tremblait même l'homme le rationnel. Le dieu rouge connaît cette créature infernale : Yam. Yam, le fléau des mers et des dieux anciens, roi des terres orientales par-delà des mers. Autrefois omnipotent et possédant l'Univers dans la paume de sa main, mais chassé par Seth de son royaume de décadence et de cruauté lors de la dernière grande bataille de l’Égypte qui marque le règne et la lente chute des hommes. Yam, le dieu qui se tapie dans les confins du cosmos pétri de noirs secrets millénaires. Un mélange jubilation malhonnête et de rage dessine tout son être. Il tient en cet instant précis l'heure de sa revanche.
Les deux adversaires se jaugent, se fixent. Des yeux se chevauchent dans une rage contenue qui ne demande qu'à être libérer, une haine bien couvée. Seth bondit et lacère le visage de Yam. Ce dernier serre ses poings et fait jaillir quatre lames du dos de ses mains, blessant au ventre le dieu rouge. La nuit se couvre d'un épouvantable cacophonie de griffes, de lames féroces et de rugissements. Les deux divinités fracassent les roches, créent des tornades voraces balayant tout sur leur passage. Le ciel noir lui-même semble se transformer en un torrent monstrueux. Les deux femmes courent vers l'intérieur de la caverne, mais les tremblements occasionnés par les deux créatures les déstabilisent. L'air nocturne devient trouble. Félicia vacille. Elle a du mal à voir la roche, le sol et les formes. Elle s'écroule sur le sol poussiéreux. Ses yeux deviennent lourds. Le temps s'étire lentement. Son corps semble naviguer dans des eaux invisibles. Puis le flou totale dans un temps qui semble indéfini.
Le vent souffle sur sa peau. Félicia ouvre lentement les yeux. Elle reprend lentement ses esprits. Elle peut voir sa main qui retrouve toute sa vigueur. Elle se relève lentement. Elle reconnaît le feu de camp qui brille de mille éclat, sa dague sur le sol. Tout est resté intact. Elle voit San à ses côtés qui veuille sur elle.
– Félicia. Merci dieu. Quelle chance que tu sois en vie. J'ai cru te perdre. Je t'ai trouvée inconsciente pendant deux heures. Tout devenait flou pendant un moment. Mais que s'est-il passé ?
Félicia se sait pas quoi dire. Une brume indistincte se mêle à son esprit, puis le soulagement. Ses yeux l'on obscurci son esprit pendant un moment. Peut-être la Lune et ses pouvoirs. Le vent nocturne de ces contrées. Ou les astres. Elle ne sait pas. Elle regarde le ciel étoilé, immobile et paisible. Malgré tout, un frisson continue de traverser ses os et se pensées. Les nuages prennent la forme de cours d'eaux étincelants.
Elle se lève et récupère sa dague, mais soudain elle s'arrête pour comtempler sa lame, suspicieuse. Sur la lame se reflètent des yeux pâles. Elle se retourne et son regard se dirige vers une falaise à côté de leur grotte. Une ombre la regarde, silencieuse et puissante. L'éclat de la lune s'approche lentement. Félicia serre son arme, bien décidée à savoir qui est cette chose. La noirceur de l'ombre s'effrite lentement comme de la poussière. La jeune femme ouvre grands ses yeux, paralysé de surprise. Un énorme lion se tient au-dessus d'elle, le regard plein de mystère. Son allure est des plus étrange : il est très grand, son pelage est brun clair, il porte une sorte de crête de longs poils noirs qui part de la nuque et qui forme une crête pointue à la place de la crinière, son visage marqué de lignes noires est encadré par de larges favoris et caché par un crâne de cératopsien marqué de symbole rouges à la collerette large et bardée de pointes énormes. On peut admirer la puissance de ses pattes et de ses griffes semblable à des dagues, l'assurance qui dégage de son visage, sa longue crête qui renforce sa majesté. Mais il n'attaque pas, perçant cette femme de son regard comme subjugué par l'esprit de cette humaine. La jeune femme reste calme, ne cherchant pas à défier le fauve.
Les yeux du lion brillent d'un étrange éclat, vivant comme une sorte de voix inquiétante cachée sous un masque de fer. Et dans ce regard, on pourrait entendre comme un murmure « Tu as encore de la chance d'avoir échappé à la nuit secrète. Nos mystères sont anciens et sombres. Fuis si tu veux rester en vie, toi et ton amie. Fuis, femme de l'Ouest. Reste sur tes gardes car les griffes cruelles peuvent encore surgir et ravager la Lune d'argent. Il a raison : l'âge du lion est terminée. Celle du tigre, du loup et du dragon a commencé. »