Le souffle du Destin
Chaque jour la ville de Granville dévoilait une nouvelle facette de sa beauté, comme une toile peinte par un artiste. Louise, je me plaisais à déambuler dans ses ruelles, où le parfum salin se mêlait aux effluves des boulangeries, et où le rire des mouettes accompagnait le doux murmure des vagues. Le port, en particulier, était un tableau vivant, avec ses bateaux colorés dansant sur l'eau et ses pêcheurs racontant avec fierté leurs prises du jour.
Un après-midi, alors que je m'asseyais sur un banc face à la mer, je remarquai une vieille dame à l'allure fragile et pourtant digne, assise à quelques pas. Elle était là, immuable, ses yeux fixés sur l'horizon. La rumeur disait qu'elle attendait le retour de son homme, parti pêcher en mer par un jour de gros temps et jamais revenu.
Poussée par une curiosité mêlée de compassion, je m'approchai d'elle.
"Bonjour, Madame. Vous semblez chercher quelque chose dans la mer ?" demandai-je doucement.
La vieille dame tourna vers moi un regard empreint de mélancolie.
"Je cherche le bateau de mon mari, emporté par la mer il y a des années. Mais mon cœur refuse de l'oublier."
Son ton était résigné mais empreint d'une douceur infinie. Je m'assis à ses côtés, encouragée par son regard bienveillant.
"Tu as l'âme d'une voyageuse," dit-elle enfin. "Une âme qui cherche et qui s'émerveille. Garde cette flamme en toi, elle éclairera ton chemin dans les moments les plus sombres."
Après nos échanges empreints d'émotion et de sagesse, la vieille dame, les yeux brillants d'une lueur étrange, sembla se recueillir un instant avant de reprendre la parole.
"Louise, tu es venue ici portée par le vent du destin. Il y a quelque chose que tu dois savoir, quelque chose que je sens approcher."
Je la regardais, intriguée et un peu anxieuse.
"Que voulez-vous dire, Madame? Comment connaissez-vous mon prénom?" demandai-je, une pointe de surprise dans la voix.
"Ton voyage de retour ! Il sera marqué par un événement tragique," dit-elle d'une voix où se mêlaient gravité et douceur.
La vieille dame, avec ses yeux plissés et sa voix éraillée, m'avait semblé appartenir à un autre temps, un temps de superstitions et de croyances obsolètes.
"Prends garde ! Jeune fille," m'avait-elle dit, "Le train que tu prendras connaîtra un destin funeste. Mais tu peux échapper au pire."
J'avais écouté ses paroles avec une curiosité distante, plus intéressée par le spectacle des vagues que par ses avertissements.
J'avais toujours considéré les trains comme le summum du progrès et de la sécurité. Lorsque cette vieille dame, rencontrée par hasard lors de mes promenades à Granville, m’avait prédit un accident ferroviaire, j'avais souri poliment, tout en pensant intérieurement qu'une telle chose était impensable. Le train, symbole de modernité et d'efficacité, ne pouvait être sujet à de tels aléas en cette fin du 19 ième siècle.
Elle avait insisté pour que je prenne un vieux médaillon, un bijou usé par le temps, affirmant qu'il me protégerait. J'avais accepté par politesse, tout en doutant de son utilité.
"Lorsque le danger viendra, souviens-toi de te cacher sous la banquette," avait-elle ajouté.
Je m'étais contentée d'un hochement de tête, ne prenant pas ses conseils au sérieux.
Le 22 octobre 1885, assise confortablement dans le train, je regardais le paysage défiler, bercée par le rythme régulier des roues sur les rails. La prédiction de la vieille dame était loin dans mon esprit, éclipsée par la confiance que j'avais dans ce mode de transport moderne et réputé sûr.
Cependant, lorsque le train avait commencé à accélérer de façon alarmante, un frisson d'inquiétude m'avait parcouru. Je me rappelais alors vaguement les avertissements de la vieille dame, mais c'était trop tard. Le train était hors de contrôle, et la catastrophe, une fois impensable, devenait une réalité terrifiante.
Les secousses violentes de l'accident m'avaient laissée désorientée, et le médaillon, serré dans ma main comme un dernier recours, semblait être l'unique lien avec la réalité. Le souvenir des paroles de la vieille dame à Granville me hantait. Son avertissement, que j'avais pris pour une fantaisie de vieille femme, s'était révélé d'une précision effrayante. L'ironie de la situation ne m'échappait pas: j'avais ignoré ses conseils, persuadée de la fiabilité du progrès, pour me retrouver au cœur d'un des pires accidents ferroviaires.
Le médaillon, que je n'avais accepté que par courtoisie, pesait lourd dans ma main. Était-ce une simple coïncidence, ou y avait-il une vérité plus profonde dans les paroles de cette étrangère? La logique voudrait que je rejette toute idée de prédiction, mais l'expérience que je venais de vivre ébranlait mes convictions.
Dans les jours qui suivirent, alors que je me remettais de l'accident, je repensais souvent à cette rencontre. La vieille dame avait-elle vraiment vu l'avenir, ou n'était-ce qu'une coïncidence troublante? Je ne le saurais probablement jamais. Mais une chose était certaine: cette expérience avait changé ma perception du monde, m'ouvrant les yeux sur l'existence de forces inexpliquées et sur la puissance des intuitions humaines.
La vie, comme le médaillon maintenant accroché autour de mon cou, était un mystère à la fois terrifiant et fascinant. Et, bien que je ne comprenne pas tout, je savais que je ne regarderais plus jamais le monde de la même façon.
J'étais là, témoin d'un miracle, d'un avertissement venu d'ailleurs, d'une leçon inoubliable sur l'humilité et le respect de l'inconnu. Si on me l’avait raconté, je ne l’aurais pas cru.
Louise, les jours suivants l’accident ferroviaire de la gare de l’Ouest à Paris le 22 juillet 1885
Un texte intriguant!
J'aime bien l'univers que tu développes (qui pourrait ne pas aimer le cadre de la Belle Époque ^^), il y a un beau contraste entre la vieille femme mystique/fantastique et la jeune femme davantage rationnelle. J'ai l'impression aussi d'un monde avec un petit 'twist' steampunk, avec des moyens de transports très éprouvés et surs comparés aux nôtres (j'avoue j'aimerais en savoir plus, notamment savoir quels autres aspects sont impactés).
Sur une note un peu plus sérieuse, concernant ta couverture, est-ce que tu as bien lu toutes les guidelines de Plume D'Argent?
à plus!
Merci pour ton commentaire! Cela m'a fait plaisir!
Je comprends ton point de vue et je respecte les sensibilités artistiques de chacun.
Pour ma part, je considère que le montage, même assisté, apporte une dimension visuelle qui enrichit l'expérience du lecteur.
Quel dommage de voir des créations sans image et sans histoire qui n'exploitent pas pleinement le potentiel de ce magnifique site!
Bien à Toi!
Mais par contre je te conseille vraiment de bien relire les guidelines. Si une touche d'images générées (même partielle), est détecté sur une couverture, c'est le ban définitif sans sommation, sans récupération, sans retour possible.