Le Souffle sépulcral

Le paysage monochrome n'était rompu que par quelques roches et arbustes. Même le vent lui paraissait blanc, d'un blanc glacé à faire crisser les os.

Elle s'impatientait. Et pas seulement à cause de la chaleur corporelle qu'elle abandonnait aux éléments, des orteils qui la tenaillaient, ni des mains qui ne sentaient plus que la brûlure mordante du froid.

Elle s'impatientait parce que devant elle, un tombeau, temple perdu ou cité ensevelie attendait seulement qu'on l'ouvre, qu'on perce sa noirceur, son silence, qu'on exhume ses secrets. Qu'on lui redonne vie.

Elle héla les silhouettes qu'elle distingua enfin au loin, ses mots dévorés par le vent ; s'élança à leur rencontre. Parmi elles, des amis de longue date, des maîtres respectés.

On se présenta rapidement pour ne pas traîner dans les griffes du froid : Expert en explosifs, enchanté. Archéologues, pas attendu trop longtemps ? Interprète, bonjour, contretemps à cause du vent. Guide, bienvenue.

— On a bien les autorisations du conseil électoral, mais pas du communal. Le ministre nous a quand même donné le feu vert, puisque le refus est purement superstitieux.

Le guide leva un sourcil. Les histoires de malédiction, c’était sans doute ridicule aux yeux des étrangers, mais les traditions de son village méritaient quelques égards.

— Donc le plan n’a pas changé : on fait un dernier tour de la porte scellée, et puis bang !

L’équipe s’affaira. Les doigts gourds parcoururent les notes, vérifièrent les relevés, complétèrent les croquis. Enfin, on installa les explosifs, et tout le monde retint son souffle.

Dans une déflagration sitôt avalée par la neige, la ruine immémoriale laissa entrer la lumière pour la première fois depuis… depuis… Qui sait.

On alluma les lampes et examina les parois pour noircir de nouveau les blocs-notes.

Quelques chercheurs s’émerveillaient des lignes rigoureuses de l’édifice ; d’autres tombèrent à genoux devant des inscriptions pour l’heure indéchiffrables.

— Magnifique…

— La précision du tracé est incroyable.

— On dirait que plusieurs scripts se mêlent… un religieux et un séculaire, peut-être ? Royal et roturier ? Public et occulte ?

Des représentations de crânes et autres symboles macabres s’étalaient sur les murs, similaires à ceux qui décoraient l’entrée et avaient valu aux vestiges leur réputation funeste.

— C’est typique des tombes royales, fit remarquer une archéologue au guide nerveux. Ça vise à intimider les pillards.

— Et l’hypothèse de ton collègue ? Qu’est-ce que c’était… Des crânes pour honorer la tombe d’un guerrier.

— Possible. Il est trop tôt pour trancher.

Un tapotement métallique attira l’attention sur la chercheuse qui s’était avancée dans la galerie souterraine.

— La voie est bloquée, annonça-t-elle.

Après quelques bougonnements, les lampes et les regards cherchèrent l’expert en explosifs, qui frappa la paroi à son tour.

— C’est épais. Je devrais pouvoir la faire péter, mais pas sans emporter le passage avec. Faudra forer.

Les silhouettes s’échappèrent, sauves, du boyau dont elles avaient troublé la nuit et le silence. Il s’en retourna à son repos, bientôt réveillé par une agitation pire encore. On perçait ses dernières défenses.

L’équipe de forage mit de la hargne à l’ouvrage, curieuse peut-être, pressée sans doute d’abandonner ces lieux mornes et gris ; inhospitaliers.

— Ça fait quoi alors, de profaner une tombe ?

Les sourires joyeux des archéologues contrastaient avec la mine crispée du guide, qui n’était plus si sûr de la naïveté de ses ancêtres.

L’impasse s’éventra sur une antichambre titanesque, dont les galeries sombres et nues s’enfonçaient sans fin vers les entrailles de la terre.

Le sinistre des lieux fit fuir le guide, parti se réfugier sous le fouet glacé des rafales.

Le reste des frêles silhouettes s’enfonça dans la carcasse du colosse, griffonnant de-ci de-là, forant ici et là, avides d’exploration mais freinés par les trouvailles incessantes, appréciées des archéologues seuls dans cette antre lisse et vide.

Mais la nécropole n’était pas d’humeur à accueillir, et ne le serait pas avant des milliers d’années encore, pas tant que ses résidents continuaient d’expirer. Là, alors, et là seulement, elle daignerait sortir de son repos, laisser la vie s’infiltrer dans ses veines. Mais pas encore.

Aussi frappa-t-elle les intrus de sa malédiction, lesquels sacrifièrent aux couloirs le magma de leurs viscères avant de fuir. Mais il était trop tard.

Un mal inconnu s’était échappé par la voie libérée, punissant les envahisseurs indésirables comme les villages craintifs, alentours comme lointain.

Les fuyards se dérobèrent, loin dans leurs contrées ensoleillées. Mais nul ne se sauve quand le mal vous agrippe par la chair et les os.

Vidés de leurs tripes, vieillis prématurément, les profanateurs s’éteignirent un à un. Les villageois aussi.

Tranquilles à nouveau, les catacombes ne se rendormaient pourtant pas. Leurs griffes déchaînées se laissaient porter par les vents, frappaient sans distinction ni états d’âme, moquant sans les comprendre les inscriptions murales laissées par ses geôliers.

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