Le Vermisseau et la Lune
Un ver de terre aimable avait pris habitude
De se divertir les soirs de solitude
En rêvant obstinément
A l'astre garant de son éclairement
Mais, une nuit, plus rien !
Ce noir immuable terrien
Ni Lune, ni les autres
Avec ou sans patrenôtres.
Personne ici-bas n'osa dire
Et encore moins trouva à redire.
Il en est ici des choses en ce bas monde
On ne s'étonne guère plus d'une seconde
Personne ? Disais-je ci-dessus...
Sauf...Sauf, je ne me rappelle plus
Cette molle et longue créature
Que nous donne pour la terre Dame Nature.
Je crois me souvenir, c'était un ver de terre
Cultivé (ça va de soi) comme un vieux notaire.
Il entreprit de questionner sa mère Terre
"Terre bleue, où est ta compagne,
Ta soeur, celle qui t'accompagne.
Hier encore, elle était mi-close;
Fuite ou métamorphose ?
Oubli ou métempsychose ?"
(Ce ver avait fait des études, je suppose...)
Mais la Terre bleue dormait
La nuit, comme à l'accoutumée
Tout comme l'albatros
Et sans doute le reste du cosmos.
A cette heure, nul ne voulait veiller
Et on venait la réveiller !
...La Terre rugit, la Terre gronde:
"Est-ce une heure pour réveiller son monde ?
(l'humeur était maussade)
Qui que tu sois, camarade
Auguste doyen ou facétieux gamin,
Laisse-moi en paix et passe ton chemin !
Sais-tu, insensé à qui tu t'adresses
avec autant de morgue et d'impolitesse ?"
Notre ami Ver, pour un peu, tombe à la renverse
Mais répondit sans entrer dans la controverse:
"Grand Dieu, loin de moi ce manque de respect,
Je n'avais pas vu la chose sous cet aspect.
Je conçois une si mauvaise humeur
Losque l'on réveille ainsi un si bon dormeur
Mais je ne voulais pas vous désobliger
Et vous m'en voyez là tout affligé.
Je voulais savoir si par le plus grand des hasards
Vous n'auriez pas vu la lune. A t-elle eu quelque retard ?
Elle était là, hier, je vous en fiche mon billet,
Avec sa mine claire et son air gentillet.
Sans elle, je marche ici ou là, à tatons
Ne sachant mettre là ou ici mes ripatons.
Je suis bien heureux, je vous l'assure,
d'arriver jusqu'ici sans une meurtrisssure.
Ma foi, cela dit sans arrière pensée
La lune, lasse de son office et harassée
Se serait-elle en un autre lieu éclipsée ?
Faites-moi, messire, la grâce, opportunément
De répondre, sans tarder à mon questionnement,
Et je vous promets, là, foi de coquin repenti
D'être dans les plus brefs délais aussitôt reparti ".
La requête était juste et attendrissante
Mais sans doute, un peu longue et redondante.
Messire Terre s'était, par instants, assoupi
De sorte qu'il n'avait pas tout compris, et pis,
Avait compris tellement de travers
Qu'il pensait ses oreilles être à l'envers.
L'aurait-on confondu avec sa soeur la lune ?
Ou allait-on chercher là une vieille rancune ?
Levant les yeux, il cherchait dans le ciel
Une réponse ou un signe providentiel,
Qui, on s'en doute, ne pouvait advenir
Car le ciel aussi a le droit de dormir.
Sire Terre bougonne, puis fulmine
Et songe in petto qu'à tort on l'incrimine.
On lui cherche, il s'en convainc, mauvaise querelle
Pour un brinborion ou une bagatelle:
"Que me veux-tu créature minuscule ?
Sont-ce des billevesées que tu fabules ?
Et crois-tu qu'une si petite bestiole
Puisse, là, me réveiller pour une babiole ?
Nous ne somme, je crois, ni frères, ni germains.
Retourne d'où tu viens par le même chemin.
Douterais-tu que, d'une simple torgnolle
Je puis te faire danser la carmagnole ?
On a beau être des plus charitables,
A-t-on vu chose aussi intolérable ?
Qu'un corpuscule avec un nom sans particule
Puisse importuner, et ceci sans préambule,
Et la nuit, pour renfort de potage,
En faisant tant et tant de tapage.
Quand on a un doute sur la personne,
Il vaut mieux s'enquérir chez qui l'on sonne.
On ne peut, impunément, soyez en sûr,
Troubler le sommeilo du juste, je vous l'assure".
Pendant tout ce temps-là, et on sait bien pourquoi,
Notre habitant des sols ne dit mot et se tient coi,
Se demandant encore quelle est cette vermine
Qui avait pu piquer la si bonne voisine
Et provoquer un tel courroux, tant de colère,
Et bien d'autres outrances de vocabulaires.
Devant tant d'incohérences et de déraison,
L'hôte des tourbes se dit "Voyons, avisons,
Faut-io hic et nunc m'enfuir à la billebaude
Ou montrer sans tarder une mine penaude ?"
On se doute bien qu'en une telle situation,
L'ami choisisse la seconde solution,
Car s'enfuir, pour un ver de terre,
N'était pas dans son savoir-faire.
Prenant son courage à deux mains,
Ou plutôt faisant comme si
Et sans attendre demain,
Il lui déclara ceci:
"Que sa Majesté, la Terre ronde
Daigne m'écouter une seconde.
Qu'elle me pense un animal grotesque,
Pour sûr, elle aurait raison ou presque.
Est-ce que à mon corps défendant,
Ma langue, ici ou là, a fourché ?
Il ne faut pas y voir cependant,
De vous blesser le désir caché.
Ai-je été à ce point équivoque
Pour que mon propos tant vous provoque ?
Si sa Grandeur me le permettait,
J'aimerais là lui expliciter
Qu'il y a ici malentendu
Dont je suis fautif, c'est entendu".
Et voilà que, derechef,
Promettant de rester bref,
L'asticot du potager
Se reprit à verbiager.
Par égards pour le lecteur indulgent,
Nous serons compendieux et même diligents
ET nous ne reproduirons point in extenso
Ce qu'a pu dire ce charmant vermisseau,
La deuxième mouture étant la même, quasi,
Si ce n'est quelque effet de manche bien choisi,
De sorte que les les mêmes causes, on le sait,
Produisant en principe les mêmes effets,
L'astre somnolent à demi
Se trouva de nouveau endormi
La moralité, on l'aura deviné
En ces circonstances, point faut être obstiné;
Clarté, simplicité font mieux que longueur.
Restons nets et précis, jamais épilogueurs
Jean-François