Le voyage d'Omar

Prostré au sol, des larmes chaudes roulaient le long de son visage. Il était seul dans l’étendue du désert. Il s’était égaré en fuyant. Sa mère lui avait dit de courir et de ne pas se retourner. Il avait tout perdu en l’espace d’une nuit. Sa tribu. Ses parents. Sa famille. Il essuya ses joues une nouvelle fois, mais les perles salées redoublèrent dès lors qu’il ôta la main de sa figure. 
Sa tribu nomade avait été attaquée par une autre. Si la sienne était pacifiste, la seconde était composée de pilleurs et destructeurs. Ils étaient arrivés dans leur camp avant les premières lueurs de l’aube. Dans la panique, il n’avait pu que fuir.

Désormais, il regrettait sa décision. Il n’était encore qu’un enfant, certes, mais comme son père le lui répétait souvent, il serait bientôt un homme. Il se devait de se comporter comme tel, mais la peur avait pris le dessus sur son courage.

Omar se redressa tant bien que mal. Il n’avait rien à boire, rien à manger, et s’il continuait ainsi, le sacrifice de sa famille serait vain. Il devait continuer de vivre malgré la vive douleur au creux de sa poitrine. Il avança dans l’étendue de sable, sans réellement savoir quelle direction il prenait. Il espérait atteindre une autre tribu non hostile, ou une ville. Il mettait ses maigres espoirs sur ses jambes qui le portaient, un pas après l’autre.

Le soleil fit sa course plus vite que ses pieds. Ce dernier écrasait Omar. L’enfant était éreinté, affamé, mais surtout assoiffé. Il était jeune, mais avait assez entendu les avertissements des adultes de sa tribu pour comprendre qu’à ce rythme, il ne tiendrait pas longtemps. Mourir dans le désert, était-ce son destin ? Fuir le campement attaqué n’avait-il fait que repousser son échéance ? À ces pensées, il regretta une nouvelle fois, amèrement, de ne pas être resté auprès de sa famille.

Il retint difficilement ses larmes. Sa tête était de plus en plus lourde, comme le reste de son corps. Bientôt, il se retrouva sans même s’en rendre compte agenouillé sur le sable. Omar ferma les yeux, puis ce fût le noir. Lorsqu’il les rouvrit, il ne sût combien de temps s’était écoulé. Un homme était accroupi près de lui. Omar sentit son visage trempé et vit l’homme lui tendre une gourde. Il s’en saisit sans réfléchir et but de grandes gorgées. Quand il eut fini de boire, il la rendit à l’homme en le remerciant.

— Hé bien alors, petit, comment se fait-il que tu sois seul ? s’enquit l’inconnu. 

En guise de réponse, Omar laissa aller sa tristesse, qui roula le long de ses joues. L’homme attendit qu’il eut cessé de pleurer, puis le garçon lui rapporta les derniers événements. Cette personne lui était totalement inconnue, mais pouvoir se confier à quelqu’un après avoir été séparé de sa famille et d’avoir erré seul sans espoir fut une bénédiction pour Omar. Lorsqu’il eut regagné en énergie, l’homme lui proposa de rester avec lui. Omar accepta aussitôt.

L’homme hissa Omar sur son chameau, puis monta à son tour. Le balancement sur le dos de la bête fût comme une berceuse rassurante pour Omar. Il savait maintenant qu’il ne mourrait pas au milieu de ce désert.

— Quel est votre nom ? lui demanda enfin Omar. 
— Je m’appelle Makir.

Ils poursuivirent leur route jusqu’au coucher du soleil. À la tombée de la nuit, Omar aida Makir à établir le camp et à allumer un feu. L’homme lui donna un peu de sa nourriture.

— Maintenant que j’y pense, murmura Makir. Je crois avoir vu des hommes emmener leurs prisonniers peu après l’aube. Ce sont peut-être les membres de ta tribu. 
— Vraiment ? Par où sont-ils partis ? 
— Ils sont sûrement allés vers la ville la plus proche pour les vendre aux plus offrants. 
— Si j’avais de l’argent, dit Omar, j’aurais racheté ma tribu.

Makir s’esclaffa :

— Pas possible ! Il te faudrait la richesse d’un calife ! Par contre… tu pourrais acheter quelques-uns d’entre eux, avec une grosse somme d’argent.

Omar soupira. Il ramena ses genoux sous sa tête et les entoura de ses bras.

— Je veux les revoir. Ma famille, une dernière fois.
— Tu en es sûr, petit ? Je veux bien t’y conduire, mais ça ne sera pas beau à voir. 
— Je le veux. 
— Bien, alors nous partirons dès l’aube. Je dois m’y rendre aussi. 
— Comment ça ? 
— Je suis marchand, c’est dans les villes que je gagne le plus.

Omar passa une nuit agitée, pressé que le jour se lève. Il n’espérait qu’une chose : retrouver sa famille. Il était déjà réveillé lorsqu’il vit les premières lueurs du jour. Le chameau aussi. Mais ce ne fut pas le cas pour Makir. Ce dernier ronflait encore. Omar dut le secouer à plusieurs reprises avant qu’il ne daigne ouvrir les yeux.

— Monsieur Makir ! s’écria Omar. Nous devons nous rendre en ville au plus vite. 
— Ça va, ça va, j’ai compris, parvint-il à répondre.

Omar contempla Makir se lever lentement pour préparer son thé. L’observant prendre son temps, Omar murmura pour lui-même :

— J’ai connu des marchands plus matinaux. 
— Tu vas devoir te contenter du marchand le plus lent que tu connaisses. 
— Je vous en prie, j’ai vraiment besoin de revoir ma famille.

Makir avala sa tasse de thé d’une traite, puis ils reprirent route le long des dunes de sables. Le chemin parut interminable pour Omar. Le sable s’étendait à perte de vue, même à dos de chameau. Il commençait à désespérer de ne jamais atteindre la ville et ne plus revoir sa famille lorsqu’il aperçut au loin la silhouette des vieilles bâtisses de la cité.

— Nous y sommes, monseigneur, lâcha Makir avec ironie.

Lorsqu’ils entrèrent dans la ville, Omar insista pour se rendre au marché d’esclaves. Omar courrait presque dans la direction indiquée par le marchand. Quand ils arrivèrent sur place, il sentit l’angoisse monter, remplacée rapidement par la tristesse et la déception. Il ne vit aucun visage familier. Makir alla interroger quelques hommes présents, puis revint vers lui.

— Écoute petit, j’ai deux nouvelles pour toi. Les prisonniers de ta tribu étaient bien ici, mais ils ont été vendus.

Omar sanglota. Il masqua son visage de ses mains pour ne pas montrer son chagrin à l’homme. Makir posa une main sur son épaule :

— Attends, petit. Ils ont été vendus à une famille riche en ville. On peut les retrouver.
— Alors, je pourrai les revoir ? 
— Peut-être. Et peut-être plus même.

Omar l’interrogea à plusieurs reprises, mais Makir ne répondit pas à ses questions. Ils empruntèrent d’autres rues du marché, puis Makir installa son étal. Il sortit de son sac des objets en tous genres, qu’Omar observa à peine. Ça ne devait pas valoir grand-chose. Pourtant, quand les passants approchaient son étal, Makir effectuait de grands mouvements de ses bras, en leur désignant un objet pour en vanter les mérites.

— Cette jarre, madame, appartenait à un roi lointain, en des temps anciens. Personne ne vous proposera un trésor pareil à un prix aussi bas. Ne ratez pas cette occasion !

Il parvenait à argumenter de longues minutes, parfois une bonne heure, pour que les clients achètent ses marchandises. Omar s’étonna :

— Incroyable. Je ne savais pas que vos marchandises avaient autant de valeur. Je croyais que c’était des babioles. 
— Allons, petit, fit Makir en se penchant vers lui, avant de chuchoter à son oreille : ça ne vaut pas un brin de paille.

Il poursuivit ainsi un bon moment. Omar fut surpris de voir comment le marchand parvenait à persuader les passants avec de telles paroles. Makir s’adaptait à tous ses interlocuteurs, savait trouver les bons mots pour mieux les appâter. Lorsqu’il y eut moins de monde dans la rue, il remballa ses marchandises dans son sac et se redressa. Omar fit de même.

— Viens par ici, lui intima l’homme. 
Omar le suivit. 

De toute façon, c’était lui ou l’errance. Il était sans argent ni nourriture, pas même de l’eau. Il se disait qu’il n’avait plus sa famille près de lui. Que c’en était fini. Makir s’arrêta devant une maison. Après avoir frappé trois coups à la porte, cette dernière s’ouvrit sur une femme. Elle sembla le reconnaître lorsqu’il s’adressa à elle :

— J’aurais besoin de vos talents, encore une fois.

La femme les fit entrer. Omar fut surpris de la décoration à l’intérieur. Les tissus qui tapissaient les murs étaient somptueux, comme ceux des coussins. À bien regarder la maîtresse des lieux, elle aussi était très bien vêtue. Makir s’adressa à elle :

— J’aurais besoin des plus beaux vêtements que vous puissiez coudre. Pour moi et pour le petit. 
— Quoi ? s’étonna Omar. 
— Bien sûr, répliqua la femme. Si tu as l’argent.

Quand le marchand lui tendit deux bourses, la femme les vida pour en vérifier le contenu. Omar observa, ébahi, les pièces se succéder dans ses mains pour les ranger dans ensuite. Lorsque ce fût fait, elle prit leurs mesures. Après cela, elle discuta un moment avec Makir sur les vêtements, les tissus.

— Revenez demain soir, leur dit-elle. Vos habits seront prêts.

Il leur restait le reste de la journée, ainsi que le lendemain. Mais Omar ne comprenait toujours pas le but de cette manœuvre. Après qu’ils eurent quitté la demeure de la couturière et traversé quelques rues, il se permit d’interroger Makir :

— Mais pourquoi vouloir des vêtements aussi soignés ? 
— Parce que j’ai une idée.

Omar haussa les épaules, tandis que l’homme poursuivait :

— Imagine ça. Tu es un riche commerçant dans la ville, mais tu voudrais étendre ta richesse. C’est à ce moment-là qu’un marchand à la carrière prometteuse te propose d’importer des denrées venues de l’autre bout du monde et même d’exporter tes marchandises. La seule contrepartie, une bonne répartition des recettes. 
— Je ne vois pas le lien. 
— Mais si ! Je suis le marchand et ce commerçant, c’est celui qui a acheté ta tribu, ta famille. Nous allons entrer dans sa demeure, petit. 
— Attendez, vous voulez leurrer cet homme ?! Ce n’est pas possible. 
— Il suffit d’un peu d’entraînement et d’être persuasif. Cette couturière est capable de nous confectionner des vêtements dignes de nobles pour pas cher. Il ne nous manque plus qu’à entrer dans nos rôles. 
— Comment ça, j’ai un rôle ? 
— Oui. Tu seras mon esclave et mon assistant.

Omar n’eut pas le temps de s’étonner davantage : Makir commença tout de suite à lui expliquer la marche à suivre. Ils trouvèrent une auberge où passer la nuit. Dans leur chambre, Omar passa une bonne partie de la soirée et même un peu de la nuit à écouter attentivement son aîné. Makir lui expliqua quel serait son rôle, comment ils allaient procéder pour entrer dans la demeure du riche commerçant. Omar se passionna tout particulièrement de la partie dans laquelle il serait susceptible de retrouver sa famille et sa tribu.

Le lendemain, ils passèrent la journée à faire du jeu de rôle. Makir entra facilement dans celui du grand marchand, en revanche, ce fût plus difficile pour Omar. L’homme dut le corriger à plusieurs reprises sur sa gestuelle, sur son comportement et sur sa façon de parler. Dès qu’il eut assimilé les conseils les plus importants, Omar se montra plus convaincant dans sa performance d’esclave. Ils poursuivirent cet entraînement jusqu’à la fin de la journée.

Ils se rendirent chez la couturière à l’heure du rendez-vous. Leurs tenues étaient prêtes comme prévu, mais la femme tenait à ce qu’ils effectuent des derniers essayages pour vérifier les vêtements et éventuellement y apporter quelques retouches. Omar hésita avant de se vêtir. Cette tenue était somptueuse, jamais il n’avait ne serait-ce que toucher un tissu aussi fin. Il était né et avait grandi dans le désert, et là-bas, on pensait plus au côté pratique qu’à l’esthétique de ses habits. Il s’exécuta cependant, mais prudemment, pour les essayages. Lorsque la couturière fût satisfaite de son travail, elle les libéra.

Après cela, ils retournèrent à l’auberge pour y passer une dernière nuit. Demain, ils devraient entrer dans leur rôle, et cette fois, aucune erreur ne serait envisageable. Omar ne parvint pas à trouver le sommeil, anxieux. Il était partagé entre l’idée de retrouver sa famille et celle d’être exposé au danger. Que leur arrivera-t-il si l’on découvrait leur tromperie ? Makir ne semblait pas aussi soucieux que lui. Était-il vraiment détendu ou faisait-il semblant de l’être ? Omar n’en avait pas la réponse, puisqu’il ne le connaissait pas assez.

Lorsque le soleil se leva et que la ville fût baignée de lumière, Makir et Omar se dirigèrent vers la demeure du grand commerçant. Lorsqu’ils virent qu’un serviteur se tenait à sa porte, Omar resta en arrière, la tête basse, tandis que Makir s’exprima avec éloquence pour se présenter.

— Permettez-moi de rencontrer le maître de maison. Voyez-vous, j’ai une offre des plus alléchantes à lui faire. Il n’en ressortira que gagnant ! 
— Je ne peux pas vous laisser entrer. Mon maître est occupé. 
— Certes, je comprends tout à fait que vous vous souciez du bien-être de ce grand homme. Mais je pense qu’il ne sera pas réjoui, s’il apprenait qu’il a perdu une opportunité en or.

Omar, qui était en retrait, pouvait suivre entièrement la conversation. Makir gardait le visage impassible, derrière ce mystérieux sourire persuasif. En face de lui, le faciès du serviteur commençait à se décomposer, entre la perplexité et la crainte. Était-ce son maître qui lui inspirait cette peur ? En tout cas, la stratégie de Makir fonctionna : le serviteur les fit entrer dans la cour de la maison, puis se dirigea à l’intérieur.

— C’est là que ça va devenir compliqué, petit, lui ditil. Tu te rappelles de ce que tu as à faire ? 
— Oui.

Il n’eut pas le temps d’ajouter quelques pa roles à l’attention de son complice : la porte s’ouvrit sur un nouvel homme. Ce dernier était encore mieux vêtu que lui et Makir. Omar garda la tête basse et emboîta le pas du marchand quand il s’approcha de l’inconnu.

— Quel honneur de vous rencontrer, Monsieur ! s’écria Makir. Votre réputation s’est répandue si loin que j’ai pu entendre parler de vous. Je me devais de vous voir le plus tôt possible. 
— Mon serviteur m’a parlé d’une offre. De quoi s’agit-il ? 
— J’aimerais vous proposer un partenariat commercial. Serait-il possible d’en discuter ?

Cet échange suffit au riche commerçant pour les laisser entrer dans sa demeure. L’intérieur était aussi beau que le laissait présager l’extérieur : la décoration était raffinée, les serviteurs étaient tous sublimement vêtus. Omar garda la tête basse, tout en essayant de croiser les regards de ceux qui passaient près d’eux. Il espérait y trouver un regard familier, un visage de sa tribu. Il se savait maintenant près d’eux. Il ne suffisait que de quelques pas, d’un coup d’œil. Ils entrèrent finalement dans un salon toujours aussi délicat et des domestiques s’occupèrent de disposer des biscuits et de servir le thé.

Parmi ces gens, il y avait une femme dont la démarche sembla familière à Omar. Il ne pouvait pas faire de gestes trop brusques. Il se tenait droit et immobile, debout près de Makir. Ce dernier s’etait assis avec le maître de maison.

— Sers-moi le thé et les biscuits, lui ordonna soudainement Makir.

Omar s’exécuta : il s’approcha d’un plateau, prit une tasse de thé et une coupe sur laquelle était disposée des biscuits. La servante s’approcha de lui pour aider ; ce fût à ce moment-là que leur regard se croisèrent. Ils se reconnurent tout de suite. Sa mère étouffa un hoquet, un sanglot, ou quelque chose qu’il ne parvint pas à identifier. Omar baissa aussitôt la tête et tâcha de ne pas trembler en servant Makir. Il retint son trop-plein d’émotions avec difficulté, tandis qu’il entendait un serviteur – certainement un supérieur – réprimander sa mère.

— J’ai acheté cette esclave récemment, expliqua le maître de maison à Makir. Il y en a encore d’autres. Toute une tribu, vous imaginez ? Mais ils ne sont que des incapables. Il leur faut du temps pour comprendre comment les personnes civilisées vivent. 
— Je comprends tout à fait. Le mien aussi a été difficile à dresser !

Omar se retint de répondre ou de réagir. Il savait que Makir jouait la comédie, mais il ne supportait plus ni la situation, ni cet homme qui proférait de telles immondices. D’autant plus qu’il parlait ainsi de sa tribu, dont les membres n’avaient jamais demandé à devenir ses esclaves. Il devait prendre son mal en patience et attendre. Tout ce qui importait était de faire en sorte que le plan de Makir fonctionne. Omar attendait le signal, le moment où il pourrait agir.

Ce moment arriva enfin. Makir cria quand sa tasse de thé se renversa sur son costume.

— Laissez donc mes serviteurs nettoyer votre chemise, lui proposa le maître de maison. 
— Je vous ai déjà assez dérangé comme ça, répliqua Makir. Le mien peut s’en charger sans problème. 
— J’insiste, dit-il cette fois d’un ton plus ferme.

Le maître de maison fit signe à un homme de venir ; Omar se leva en gardant la tête basse et le suivit lorsqu’on le lui demanda. Il n’osa pas la redresser jusqu’à ce qu’ils empruntent les couloirs. Il se détendit lorsqu’ils furent seuls, à l’abri des regards indiscrets.

— Tu es le fils de Khadija, lui dit le domestique. Elle m’a parlé de toi. 
— Vraiment ? 
— Oui, elle s’inquiétait beaucoup pour toi, comme ta famille. 
— Est-ce qu’ils sont tous ici ? 
— Le maître refuse d’acheter les esclaves qui sont trop âgés. Mais le reste de ta tribu est bien ici.
— Je vous en prie, laissez-moi les voir et leur parler.

Le serviteur parut hésiter un moment. Il considéra la chemise tachée et Omar suivit son regard, le cœur cognant contre sa poitrine.

— Je pourrai dire à mon maître que la tâche était coriace.

Omar se retint de bondir de joie et lui emboîta le pas le long des couloirs. Ils entrèrent enfin dans une pièce. Elle était plus vide que le reste du palais, moins décorée. Il y avait surtout beaucoup de matelas et le minimum pour faire sa toilette. Ce devait être un genre de dortoir pour les serviteurs. Il repéra tout de suite la personne qu’il recherchait :

— Maman !

Khadija redressa la tête. La voyant le visage baigné de larmes, Omar avança pour la serrer dans ses bras ; elle fit de même. Quand il se détacha de sa mère, il n’eut pas de mal à reconnaître son père et les autres membres de sa tribu. Les larmes redoublèrent le long de ses joues. Il se força à se reprendre. Il avait une opportunité en or, il se devait de la saisir :

— Je ne peux pas rester et vivre loin de vous et vous ne pouvez pas vivre ainsi. Nous pouvons partir, quitter cette ville. 
— Mais toi aussi, tu es un esclave, non ? s’enquit sa mère. Cet homme, c’est ton maître ? 
— Non, c’est un ami. Il m’a aidé à venir jusqu’ici.

Il y eut un silence. Omar reprit :

— Profitons de sa diversion pour fuir. Cette villa n’est pas surveillée, la ville est calme. Personne ne viendra nous chercher. 
— Vraiment ? répondit son père. Nous pensions que nous étions cernés. Enfin, c’est ce que le maître des lieux nous faisait croire.

Omar lut rapidement le soulagement dans les regards des membres de sa tribu. Près de la porte, le serviteur était resté silencieux.

— Vous ne direz rien ? s’enquit son père. 
— Moi ? Je n’étais pas ici, je n’ai rien vu, j’étais trop occupé à nettoyer la chemise de notre invité.

Et d’agiter brièvement sous leurs yeux la che mise. Il poursuivit :

— Le maître est bouffi d’orgueil à cause de sa fortune. Il se pense tellement aimé des autres et avoir du pouvoir sur cette ville qu’il croit être intouchable. Je le méprise pour son attitude à notre égard : nous ne sommes pas que des pantins à son service. Ce serait satisfaisant de le voir en difficulté.

Le serviteur leur expliqua comment quitter la villa ainsi que la cité sans être vu. Ils devaient vite glisser hors d’atteinte du maître de maison, s’ils ne voulaient pas être pourchassés. Il fut convenu qu’Omar prévienne Makir avant de partir. Sa tribu partit donc en premier. Omar revint auprès de Makir, après que son complice eut apporté une nouvelle chemise pour remplacer celle qui était tâchée.

Makir le consulta d’un regard furtif tandis qu’il l’enfilait. Omar, la tête basse, lui sourit discrètement. Il comprit au regard de son aîné que le message avait été reçu. La discussion se poursuivit, le riche marchand croyait avoir gagné une affaire en or. Makir lui affirma qu’il reviendrait avec les marchandises le lendemain. Il y eut des remerciements, des aux revoir, puis Makir et Omar quittèrent la demeure.

Dans les rues de la ville, Omar voulut accélérer pour rejoindre sa tribu, mais Makir le retint :

— Il nous observe peut-être. Prenons le temps de marcher, traversons quelques rues, puis nous quitterons tranquillement la ville. Nous retrouverons bientôt ta famille. 
— D’accord…

Ils empruntèrent des rues peu fréquentées. Makir semblait savoir où aller et comment y faire. Alors que le silence s’installait, la curiosité finit par dévorer Omar. Il s’adressa à l’homme :

— Je ne pourrais jamais vous remercier assez pour ce que vous avez fait. Pour ma tribu, pour moi… Mais pourquoi ?
— Quoi ? 
— Pourquoi m’avoir aidé ? Vous ne me connaissiez pas, vous avez pris de grand risques, vous auriez pu vous mettre en danger, voire pire. Alors pourquoi ?

Makir sourit. Ses lèvres s’étirèrent et fendirent ses joues. Mais ce qui fût le plus étonnant, c’était qu’il avait un vrai sourire, brillant de sincérité. Ce n’était plus celui du charmeur quand il voulait vendre des babioles, ou celui trop sûr de lui lorsqu’il voulait arnaquer quelqu’un. Makir souriait pour lui-même.

— Je suis passé par là, moi aussi. Enfant, ma tribu avait aussi été attaquée. Durant plusieurs années, j’ai été un esclave, avant de fuir. J’ai souffert, cela a été dur, je n’ai jamais retrouvé les miens. Tout ce que je possède, je l’ai obtenu en passant de lourdes épreuves et en faisant bien des sacrifices. Quand je t’ai vu seul, désemparé, j’ai revu celui que j’étais, à ton âge. Je ne pouvais pas laisser ce malheur se répéter.

Tout prenait sens désormais. Omar le comprenait, sans avoir vécu tout ce qu’il sous-entendait. Sans se contrôler, les larmes roulèrent sur ses joues, encore une fois. Ils arrivèrent sans qu’il ne s’en soit rendu compte devant l’auberge et Makir récupéra son chameau. Ils traversèrent la ville sur le dos de l’animal, puis la quittèrent pour se diriger vers le désert. Leur trajet dura un petit moment.

Au loin, sur une dune, Omar reconnut sa tribu. Il trépignait d’impatience sur le dos du chameau et Makir lui demanda à plusieurs reprises de cesser de gesticuler. Lorsqu’ils furent à leur hauteur, Omar descendit de la monture pour enlacer sa mère et son père. La tribu remercia chaleureusement Makir et lui proposa même de la rejoindre.

— Navré, répondit-il, mais je vais continuer ce voyage seul. Je tiens à ma liberté, vous savez. 
— Vous serez toujours le bienvenu, répondit le chef de la tribu. À nos yeux, vous êtes l’un des nôtres.

Omar s’approcha de Makir et l’enlaça. À sa grande surprise, il sentit les bras de l’homme entourer ses épaules.

— Je prierai chaque jour pour que nos chemins se croisent à nouveau, murmura Omar. 
— On se reverra, petit. C’est promis.

Makir remonta sur son chameau, fit un dernier signe de main, puis prit la route le long des dunes. Omar observa cet homme qui avait d’abord été mystérieux, mais qui s’était ensuite révélé être le meilleur compagnon de voyage, s’éloigner à l’horizon.

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Pouiny
Posté le 24/03/2021
Bravo pour cette histoire :) On s'attache bien aux personnages et je trouve qu'on ressent de partout l'univers dans lequel on est et c'est très agréable. Pour cette histoire néanmoins, je reste un peu sur ma faim : j'avais envie d'en savoir plus sur la réaction du maître d'esclave en voyant qu'ils ont disparu, est-ce qu'il les a cherché, est-ce qu'il s'est encore fait roulé, comment ?

Je m'attendais beaucoup aussi avec un personnage comme Makir a une bonne grosse ruse et non à une évasion pure et simple !
Encre de Calame
Posté le 24/03/2021
Merci !

Malheureusement on n'est pas dans le point de vue du marchand (je suis restée limité à Omar). Il a sûrement du les chercher, mais trop tard, étant donné que les esclaves à son service ont été complices de la fuite de la tribu de Omar.

En soi, c'est une petite ruse, mais peut-être que ce passage est à retravailler ? Je m'y pencherai peut-être un jour.

Merci !
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