Les astronomes du dimanche n'ont pas de radar

Le temps a été couvert toute la semaine. Le ciel était blanc, parfois pluvieux.

En Europe, la foule s'agitait dans les rues, derrière des banderoles et sous des drapeaux rouges et noirs. Les mêmes mots et symboles usés par les pâles révolutions qui n'ont rien changé depuis les années 30.

Les écrans de télévision étaient constamment occupés par de méprisants et haineux politiciens, journalistes, syndicalistes, qui criaient leur opinion par-dessus de fausses tables éblouissantes qui empêchaient de voir ce qui se cachait dans l'ombre.

Personne ne regardait plus en l'air.

En Asie et en Amérique du Sud, les caméras juchées sur des toits étaient pointées sur les foules qui réclamaient ce qu'on leur disait de réclamer.

Une force centripète forçait toute création humaine à stagner aussi bas que terre.

Rares étaient les farfelus qui s’acharnaient à vouloir pénétrer les nuages nocturnes, dans un constant questionnement métaphysique.

Des scientifiques en blouse blanche, ou des astronomes du dimanche en pantalon de velours.

Mais les astronomes du dimanche n'ont pas de radars.

Ils ne pouvaient voir ce qui se cachait là, derrière le voile des nuages.

 

Les scientifiques du monde entier, eux, se regardaient, silencieux, les uns les autres avec de grands yeux incrédules. Leurs écrans d'ordinateur et d'instruments de mesure parlaient pour eux. Ils avaient besoin de ce moment de silence pour analyser, trier, comparer, calculer, vérifier et commencer à donner un semblant de sens à ce que les résultats leur hurlaient.

Ils commencèrent à s'enflammer, autant que des scientifiques le peuvent ; ils remuèrent leur jambes encore plus nerveusement sous leur table, se passèrent la main dans les cheveux, remontèrent des manches et réajustèrent des lunettes sur leur nez. Ils scrutaient une somme considérable de données, alors qu'ils leur suffisait de lever la tête vers le ciel.

Car c'était là.

Au Chili, un astronome se leva, le regard droit devant lui, en direction des persiennes, repoussa sa chaise, et se dirigea vers la porte sans même prendre son écharpe, sous le regard médusé de ses collègues. Il disparut dans le couloir et ils suivirent le son de ses pas puis celui de la porte de sortie de secours, généralement utilisée par les employés de l'Institut qui sortaient fumer sur les marches de l'escalier métallique.

A peine une demi-minute plus tard c'étaient plusieurs scientifiques qui se bousculaient sur la petite plateforme, la tête en l'air. Leur silence était si total qu'ils s'aperçurent soudain que les bois qui entouraient l'observatoire abritaient des dizaines d'oiseaux.


L'armée, toujours anxieuse, possédait des radars, mais pas de ce type. Ils ne couvraient pas l'altitude géostationnaire.

 

Les scientifiques, propulsés en première ligne, clamaient une joie mondiale.

Ils tinrent des réunions avec leurs autorités, des directeurs de cabinet aux secrétaires d'Etat. Ils préparaient secrètement des réunions publiques pour annoncer ce qui était, cette fois, une véritable révolution.

Dans les jours qui suivirent, des satellites furent redirigés, des sondes envoyées, des lancements de fusées planifiés.

Les sites internet spécialisés d'abord, puis les magazines scientifiques se préparèrent à ce qui constituerait un véritable changement d'ère.

Les journaux généralistes eurent vent de la découverte et confièrent à leurs vulgarisateurs le soin de préparer des schémas explicatifs, des animations, et de trouver la meilleure image qui leur permettrait de propager la nouvelle le plus rentablement possible.

Lorsque ce fut annoncé et que la nouvelle se répandit dans tous les médias possibles, ce devint l'unique sujet de conversation.

Un objet non terrestre volait au-dessus de nos têtes, suivant une trajectoire qui obéissait à la loi de Kepler.

Ce n'était ni une roche, ni une comète, ni un astéroïde, mais un aéronef dont l'enveloppe extérieure était composée d'éléments connus des humains et présents dans l’univers, mais en des proportions inédites. Les résultats des spectromètres atomiques étaient fébrilement analysés afin de déterminer, par comparaison, l'origine de l'engin.

Sous l'autorité de l'armée, des tentatives de contact furent entreprises et des missiles furent armés.


Et rien.

Aucune communication ne sembla possible. L'astronef ne paraissait pas équipé de moyens qui la rendait possible. Il n'émettait rien de perceptible, aucune onde sonore, ni photonique, ou électromagnétique.

Des missions spatiales furent planifiées afin de l'atteindre physiquement. Au moyen de drones non habités dans un premier temps. Et bientôt une course démarra entre les différentes agences spatiales. Elon Musk promit même de le ramener sur terre au moyen d'une de ses fusées réutilisables. Il nomma son programme The Doggo. Il ne s'agissait, après tout, que de rapporter une balle de l'espace.


Des semaines et des mois passèrent avant que des budgets purent être établis, contestés, modifiés, votés, approuvés. Mais le temps est bien relatif, et l'espèce humaine bien connue pour sa capacité à prioriser. Il apparut que les Japonais, les Chinois et les Russes étaient les plus intéressés.


Lorsque le temps était beau et les conditions idéales, il était visible au moyen d'une simple lunette astronomique. Les observatoires étaient assaillis d'appels téléphoniques, de courriels. On frappa même à leur porte à n'importe quelle heure, surpris de n'y trouver parfois que le gardien de nuit.

Comme aucun progrès immédiat ne fut observé, les médias reléguèrent le sujet en seconde puis troisième page. Jusqu'à ne plus être que brièvement mentionné à la fin des éditions de nuit.

Il continuait d'intéresser cependant les pages économiques, où l'on discutait essentiellement de sa valeur et de l'utilité de dépenser des millions pour une issue incertaine.

Le monde scientifique tentait de faire comprendre que l'on assistait là à une étape décisive dans l'histoire de l'Humanité, que cela dépassait l'alunissage d'Apollo, que cette découverte pouvait nous en apprendre sur nous-mêmes et notre place dans l'Univers.


Mais pour la plupart des politiciens, des journalistes et des syndicalistes, les pas importants étaient ceux des prochaines manifestations. Les petites tentatives de révolutions reprirent, derrière des banderoles usées.


Et, comme les astronomes du dimanche n'ont pas de radars, on ne sut jamais vraiment à quel moment l'appareil disparut.

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Margerie Kremer
Posté le 25/02/2024
J’ai trouvé cette histoire très agréable à lire, et l’écriture claire, fluide et vive.
L’ambiance d’agitation générale se fait ressentir, et au fil des phrases je voyais les hordes d’humains en train de se débattre avec passion et entêtement avec cet aéronef implacable, et le mini univers grouillant et vain qu’ils forment à l’échelle du cosmos (enfin, que nous formons).
Un petit récit de science-fiction typique rondement mené. J’en ressors à la fois avec un sentiment de légèreté et de mélancolie. Bravo !
PS : j’ai beaucoup aimé le passage avec The Doggo, haha.
Stefan_G
Posté le 25/02/2024
Merci beaucoup !
Je suis heureux de voir que ce que je voulais montrer a été bien compris.
Je suis presque sur que ça pourrait se passer ainsi dans la réalité.
Le clin d'oeil au Doggo fonctionne mieux an anglais (langue dans laquelle l'avais d'abord écrit ce récit), mais je l'ai gardé tel quel.
Margerie Kremer
Posté le 26/02/2024
Effectivement il faut comprendre la blague en anglais, mais c'est dans cette langue qu'elle garde aussi tout son intérêt.
En tout cas, la version française de ce texte est super.
Stefan_G
Posté le 28/02/2024
Merci ! L'avantage de traduire soi-même, est qu'il est plus facile d'adapter le texte pour correspondre à l'intention première.
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