Danovan
Muet, je soutiens le regard du type qui me fait face. Ses yeux bleus glacés me scutent d’un air inquisiteur. Hors de question qu’il prenne l’ascendant. D’accord, il est plutôt pas mal, mais c’est pas pour ça que je vais lui obéir. Dans la vie, il ne suffit pas d’avoir des muscles et une tête de gangster pour que ça fasse le job. En plus, j’ai cru comprendre que la petite rouquine est sa copine. Le genre de relation qui me fait bien rire. Plus superficiel, tu meurs.
Je ne comprendrais jamais pourquoi certains mecs ne se sentent plus pisser quand ils sont en compagnie d’une femme plus jeune. Des histoires qui finissent bien vite. Soit elle en trouve un autre plus intéressant, soit il en a marre de se trimballer une idiote.
Le mec qui n’a pas jugé bon de se présenter, tente de me soutirer des informations. Il peut se gratter. Ses questions, il peut se les mettre où je pense. En aucun cas, je ne suis tenu de lui répondre. À moins qu’il ne fasse parti de la police. Si c’est le cas, je demande à voir son insigne avant de commencer l’interrogatoire.
Visiblement, il n’a pas l’intention de bouger pour m’aider à retrouver Oscar. Pour la gamine et les ados, je peux comprendre. C’est pas une situation habituelle, donc ils doivent être un peu paumés. Mais venant du mec qui tente de faire croire qu’il va tout gérer d’un claquement de doigts, c’est fort. Il n’a qu’à rester là à animer sa colonie de vacance, moi, je bouge.
A peine ai-je eu le temps de formuler cette pensée que la rouquine revient accompagnée d’une femme noire d’une quarantaine d’année. Je ne l’avais pas encore vu celle-ci. Du coup, je décide de rester un peu histoire de voir ce qu’elle peut raconter. On ne sait jamais, des fois qu’elle est croisée Oscar.
Derrière elles, un des ados ferment la marche. Le deuxième jette des coups d’œil hésitant un peu partout autour de lui. Je l’imagine à la recherche de zombie. Il n’a pas l’air d’avoir inventé la poudre, le pauvre.
– Est-ce qu’il y a une poubelle dans le coin ? finit-il par demander.
Dans sa main, il agite la bouteille en plastique. C’est un peu comme s’il cherchait à l’éloigner de lui pour se protéger. Son expression est assez risible. Pour peu, j’éclaterais de rire.
– Pose-là par terre, soupire son ami.
Il a l’air un peu plus doué.
– Imagine si un enfant la trouve et la boit, ça peut être dangereux !
Je crois que personne ne l’écoute. Il reste donc comme un idiot avec son eau minérale entre les doigts.
Mon attention se reporte sur la nouvelle arrivée. La rouquine s’empresse de faire les présentations. L’adolescente me paraît moins stupide que les autres. Son copain, lui, ne dessert pas la mâchoire. Il écoute sans poser ses questions. J’imagine que ce n’est que partie remise.
– Je vous présente Neslie. Elle vit ici, et sa fille, adolescente, a disparu.
Cette phrase retient mon attention. Ainsi, Oscar n’est pas le seul. Sans savoir pourquoi j’ai aussitôt un élan de sympathie pour cette femme.
– Voici, Cef, mon petit-ami, déclare la rouquine en désignant le grand barbu. Les deux adolescents, c’est Fabio et Liam.
J’en déduis qu’ils sont interchangeables.
– Et le motard ne s’est pas encore présenté…
J’admire sa façon de tourner les choses à son avantage. Cette fille est douée.
– Danovan. J’ai un ami qui a disparu lui aussi.
Autant attaquer tout de suite, j’ai pas de temps à perdre à prendre des gants. Aussitôt la mère me regarde. La tristesse sur son visage est plus que visible. Avant qu’elle ne puisse prendre la parole, le barbu décide de l’ouvrir. Comme si on avait besoin de lui.
– Expliquez-nous dans quelles circonstances cela s’est passé.
Que de complexité pour demander des renseignements ! Je suis fatigué d’avance. Si on pouvait aussi m’expliquer ce qu’on fout tous là ? Ça m’aiderait grandement.
– C’est… Elle n’est pas rentrée ce soir… Là, la nuit est tombée. En plus, avec la coupure d’électricité… Ce n’est pas normal…
– Peut-être qu’elle est partie ?
Tous les regards se tournent vers l’idiot à la bouteille d’eau. Il paraît mal à l’aise et décide de se taire. Un bien pour la communauté.
– Cacilie ne partirait jamais sans me prévenir. Avec ma fille, nous sommes très proches. C’est ça que je ne comprends pas. En plus, je n’ai pas trouvé Bernie.
La mère a repris du poil de la bête. C’est bien. Elle en aura besoin.
– Qui est Bernie ?
Encore le barbu et ses questions…
– C’est le neveu de Larry, l’homme qui tient ce motel. Un garçon qui a presque le même âge que ma fille. Ils passent beaucoup de temps ensemble…
Pas besoin de faire un dessin pour je comprenne de quoi il s’agit. Une amourette d’adolescent… Le départ précipité pourrait correspondre. Moi aussi, si j’habitais dans ce coin paumé, j’aurais envie de me casser. Déjà qu’il y a pas beaucoup de monde dans mon patelin et que certains me tapent vraiment sur le système… Sauf qu’il y a le frérot… Il est plus enraciné d’un chêne centenaire. Pas moyen de le faire bouger. Du coup, je me coltine les mêmes gueules de cons à longueur de temps.
– Vous n’avez aucune nouvelle des deux ? Quand les avez-vous vu pour la dernière fois ?
– Non… Je ne les ai pas vu depuis midi. Enfin un peu avant… D’habitude, ça ne pose pas de problème, mais ce soir…
Ça ne doit pas être toutes les nuits qu’elle trouve des gens qui se réunissent dehors devant la seule lumière qu’ils trouvent. Enfin si l’on excepte le feu, dans lequel la rouquine dépose un morceau de bois. J’ai bien envie de partir, mais je veux entendre la fin du récit. Ça pourrait m’être utile.
– Le courant qui saute et ne revient pas… Et puis…
Sa main passe sur son visage. Elle ne termine pas sa phrase. Est-ce qu’il y a quelque chose qu’elle ne nous dit pas ?
– Tout est vétuste, mais ici, il y a de la lumière…
D’un geste, elle désigne le lampadaire. J’ai la furieuse impression qu’on veut nous pousser à être là. Pas la chose qui me fait le plus envie. Je ne suis pas un rat dans une cage qu’on peut manipuler.
– Jamais un tel événement ne s’est passé ?
En silence, j’écoute. J’avoue que le barbu n’a pas que des questions idiotes.
– Non. Ça saute, mais ça revient.
– Vous louez une chambre dans le coin depuis longtemps ?
Une ombre passe sur le visage de Neslie. Elle est mal à l’aise. Est-ce à cause de sa situation ?
– Plusieurs mois…
Sa voix n’est qu’un souffle.
– Il ne s’est jamais rien passé d’étrange pendant ces mois ?
Elle secoue la tête.
– Est-ce que vous allez m’aider à retrouver ma fille ?
Pauvre femme, je ne compterais pas sur ce type. Que de la gueule et rien derrière…
– Le mieux serait que tout le monde retourne dans sa chambre.
Après un échange de regard avec la rouquine, il continue.
– Je récupère quelque chose dans la mienne et ensuite, j’irais faire le tour du motel.
J’ai presque envie de rire à ce discours. C’est quoi ce dégonflé ? Le type dit qu’il ira seul comme ça, s’il se cache dans un coin, personne ne le saura. Mon poing se serre sous l’effet de la colère. Le mépris que j’éprouve pour lui, doit être visible sur mon visage puisqu’il croit bon d’ajouter qu’il préfère que nous soyons en sécurité.
Ma sécurité, je l’assure seul. J’ai jamais eu besoin d’un mec pour veiller sur moi. Cependant, je ne dis rien. Me battre contre ce con, ne me dira pas où est Oscar. Je préfère rassurer la mère et lui assurer que je ferais mon possible pour retrouver sa fille. J’y peux rien, j’ai un grand cœur.
Il y a juste un point qui me chiffonne, mais c'est sans doute juste moi.
Quand Miri parle de Liam et Fabio et qu'elle dit "les deux adolescents" alors qu'elle n'est pas tellement plus âgée, j'ai trouvé ça bizarre. Elle montre sans doute qu'elle se sent bien plus âgée qu'eux en le disant comme ça, mais ça me parait toujours étrange quand des ados se qualifient eux-même ou ceux de leur entourage d'adolescents. "Ces deux gars-là" ou "ces deux ahuris" m'aurait moins gêné. Même si ahuris serait peut-être un peu violent de sa part ^^