Un soir d’hiver, là où silence et paix régnaient, un manoir se tenait là. Dans le tréfonds de la nuit où nul ne pouvait accéder, dissimulant une chambre bien particulière.
Effectué par de petites mains, un dessin prenait vie. Les contes pour enfants opposaient souvent le bien et le mal, nous rabâchant que c’était inné, qu’aucun choix ne pouvait être fait. Pourtant, la petite fille tenant le crayon avait le pouvoir de prouver le contraire. L’esquisse qu’elle réalisait n’avait rien à voir avec ces contes. Il était froid, morbide, sans vie. Difficile à croire qu’une âme si pure puisse exécuter une œuvre si macabre.
Seul un passé sinistre pouvait ternir l’innocence. La détruire. Transformer toute forme de joie en morosité, et toute forme de bonheur en désespoir.
Les séquelles produisaient des tourments que nul ne pouvait refréner, condamnant l’âme à une fin sans issue. C’est ce qui arrivait au cœur de la fillette. Dans son antre, où nul ne pouvait entrer, en raison de son malheur, elle refrénait ses émotions, les laissant s’échapper par le seul biais qu’elle pouvait se procurer : l’art.
Ses coups de crayon étaient précis, ne laissant pas la place au hasard. Toutes les lignes sombres étaient le fruit même de la dépravation, son esprit chaotique ne pouvant les refréner. C’était une délivrance qu’elle-même ne voulait pas s’avouer avoir besoin. Elle sombrait petit à petit, le papier recouvert de noir en était témoin, et le silence dans le manoir aussi. Tout le monde la craignait, non pas à cause de ses traumatismes, mais à cause des sifflotements qu’elle laissait échapper la nuit, ou encore à cause de ses fixations tordues, qui lorgnaient sans vergogne. Elle n’était que l’ombre d’elle-même, les démons ayant pris possession d’un corps qui ne leur appartenait pas.
Dans sa chambre, seul le frottement furieux du crayon faisait écho dans la pièce, ne laissant pas sa respiration anxieuse se faire entendre. Elle était habituée au mutisme du manoir, ce qui la laissa perplexe quand elle entendit un couinement. Elle se figea dans son mouvement, tendant l’oreille à la recherche d’autres bruits. Et l’inhabituel couinement continua.
D’un geste judicieux, la fillette posa son outil et se leva, le parquet en bois grinçant sous ses pieds nus. Elle s’avança et entreprit d’ouvrir sa porte, un son strident fut émis par celle-ci en réponse.
Imperturbable, la fille continua son chemin, la cacophonie la tenant en alerte. Le même son retentit quand elle ouvrit l’antre mystérieuse.
Le plancher craqua sous le poids frêle de la jeune fille, formant un vacarme doux en accord avec le bruit étrange maintenant plus prononcé. Ses yeux parcoururent la salle, à la recherche du coupable qui l’avait obligée à se défaire de son répit illusoire. À sa grande stupeur, à côté d’une fenêtre entrebâillée, un oiseau se tenait là, coincé sur le sol entre des cordes de fer. Celui-ci se débattait avec le peu de force que son petit corps pouvait lui procurer, mais ce n’était pas suffisant. Il n’arrivait pas à se défaire de son malheur.
L’enfant, sous ce spectacle saisissant, ne sut quoi faire.
Cette créature était piégée, incapable de se délester de ses chaînes la retenant. C’était exactement ce qui se passait dans le cœur de la jeune fille, et une hésitation prit naissance dans cette même enclave. Pourquoi l’aider alors qu’elle-même ne pouvait pas goûter à cette liberté ? Pourquoi lui offrir une délivrance qu’elle ne pouvait pas se procurer ? Il y avait tant de raisons la poussant à laisser cet oisillon s'effondrer dans la douleur d'un espoir vain.
Mais un tout autre choix fut saisi.
La petite avança, une symphonie se créant avec les cris du volatile. Ils s’intensifiaient, prenant la prédatrice pour un bourreau alors qu’elle était tout autre. Elle était sa libératrice. Elle s’abaissa et ses petits doigts s’enroulèrent autour de l’être accablé. Méticuleusement, les fils se dérobaient, libérant le souffrant. D’un coup d’aile, il se déplaça et s’envola par la fenêtre entrouverte.
Soudain, une réalisation prit forme dans la tête de la petite. Le supplice dans lequel son âme était plongée ne pouvait pas être guéri par elle-même. La force dont elle pouvait faire preuve pour s’échapper de son malheur était vaine, une aide était requise, même la plus subtile. Car ses fils de fer, à elle, ne pouvaient se défaire seuls. C’était incontestable.