Les limites d'un monde

Le lendemain du café, Camélia était différente. Pas extérieurement, elle portait toujours ses pulls un peu trop larges et son sac en toile élimé mais à l’intérieur, quelque chose avait changé. Une faille s’était ouverte, fine et lumineuse, là où il n’y avait que routine, solitude, et des rêves à moitié éteints.

Elle ne s’attendait pas à le revoir tout de suite. Pourtant, le surlendemain, en sortant de son TD de poésie moderne, elle le retrouva adossé contre un lampadaire, téléphone en main, comme s’il attendait là depuis une heure.

— Tu suis tous mes cours, maintenant ? lança-t-elle, mi-agacée, mi-amusée.

— Non. Juste ceux où tu brilles sans t’en rendre compte.

Elle roula des yeux, mais elle sourit malgré elle.

Il proposa une balade. Ils marchèrent longtemps, sans destination précise. Le vent parisien balayait les feuilles d’automne et les passants, tandis qu’eux semblaient dans une bulle. Il parlait peu, l’écoutait surtout. Elle, qui n’ouvrait jamais vraiment son cœur, se surprit à parler de son enfance à Bordeaux, de sa mère prof de français, de son père qu’elle n’avait plus vu depuis sa tendre enfance.

Il l’écoutait comme s’il écoutait une musique. Une mélodie nouvelle dans un monde trop prévisible.

— Pourquoi moi ? demanda-t-elle finalement, en s’arrêtant devant les grilles du jardin du Luxembourg.

— Parce que tu ne fais rien pour plaire. Tu es vraie.

— Et ça t’attire ?

— Non. Ça me désarme.

Elle baissa les yeux. Il était dangereux, elle le savait. Pas dans le sens classique. Alexis ne jouait pas. Il ne mentait pas. Mais il vivait dans un monde où tout avait un prix, une stratégie, un calcul. Et elle vivait dans un monde de poésie, de livres d’occasion, de doutes.

— Ce n’est pas raisonnable, souffla-t-elle.

— Je ne t’ai jamais dit que je l’étais.

Et sans qu’elle ne s’y attende, il tendit la main. Juste ça,  sa main, ouverte, offerte.

Elle la regarda longuement. Puis, lentement y posa la sienne.