Les Matins

Par David.J

Le café de la place s’animait doucement sous les rayons dorés du matin. Derrière le comptoir, une femme au tablier bleu nouait ses cheveux en chignon, ses gestes précis et familiers, comme une danse répétée mille fois. La radio grésillait légèrement, diffusant un vieux morceau de jazz qui semblait flotter au-dessus des tables encore vides, accompagnant la respiration calme du café qui s’éveillait.

— Un café, s’il vous plaît, souffla l’homme en déposant quelques pièces sur le zinc.

Elle hocha la tête, fit couler l’expresso avec lenteur. La machine ronronna, un filet de vapeur s’éleva, et l’arôme du café chaud se mêla aux premières voix des habitués. Il observa ses mains habiles, la façon dont elle essuyait le bord de la tasse avant de la poser devant lui. Chaque geste semblait imprégné d’une routine réconfortante, un savoir-faire transmis par le temps.

— Vous aimez les matins ici ? demanda-t-il, plus pour combler le silence que par réelle curiosité.

Elle posa la tasse devant lui et sourit, son regard effleurant la terrasse encore vide, où quelques feuilles mortes frémissaient sous une brise timide.

— J’aime le moment où la ville se réveille, murmura-t-elle. Quand tout est encore suspendu, comme si le jour hésitait à commencer.

Il hocha la tête en soufflant sur son café, prenant le temps d’observer la scène qui s’étalait sous ses yeux. Dehors, une feuille morte tournoya avant de se poser sur une table. Une femme passa, ajustant son écharpe, et un enfant tira sur la manche de sa mère en riant. Une camionnette de livraison s’arrêta un instant pour déposer quelques cageots de fruits à l’épicerie voisine. Un chat gris s’étira sur le rebord d’une fenêtre avant de bondir souplement sur le pavé.

— C’est vrai, admit-il. Il y a quelque chose de beau dans ces instants-là, comme si tout reprenait sa place.

Elle acquiesça en essuyant le comptoir, ses pensées ailleurs, peut-être dans une de ces matinées infinies, où le temps semble s’étirer avant que le tumulte ne l’emporte.

À travers la porte entrouverte, un bruissement d’ailes attira leur attention. Un moineau, téméraire, picorait les miettes d’un croissant abandonné. La serveuse le regarda avec tendresse.

— Lui aussi profite du matin, souffla-t-elle.

L’homme sourit et but une gorgée, savourant la chaleur du liquide, l’amertume qui réveillait ses sens. Il savait qu’il reviendrait ici. Pas seulement pour le café, mais pour ces fragments de temps qui rendent la vie plus douce.

Le tintement d’une clochette retentit, annonçant l’arrivée d’un nouveau client. Un vieil homme, coiffé d’un béret, s’installa au comptoir, son journal sous le bras. Il salua la serveuse d’un signe de tête complice, comme s’ils partageaient un rituel secret depuis des années.

— Comme d’habitude, René ? demanda-t-elle avec un sourire.

— Comme d’habitude, ma fille. Et mets-moi un peu plus de sucre aujourd’hui, il fait un froid à couper le souffle !

L’homme au café les observa échanger quelques mots, témoins silencieux d’une routine réconfortante. Il aimait cette impression de stabilité, cette petite mécanique du quotidien qui offrait un semblant d’éternité aux choses simples.

Les conversations s’animaient, les rires fusaient par moments. Un couple s’installa à une table, partageant une viennoiserie et des regards complices. Une femme en tailleur noir parcourait les pages d’un livre, marquant certaines lignes du bout du crayon entre deux gorgées de thé. Chaque personnage semblait tisser un fil invisible dans le canevas de cette matinée paisible.

La porte du café s’ouvrit à nouveau, laissant entrer une bourrasque fraîche. Une vieille femme emmitouflée dans un châle épais avança lentement vers une table près de la baie vitrée. Elle posa son sac sur la chaise voisine et s’installa avec précaution, ses mains striées d’histoire caressant le bois poli.

Depuis le comptoir, la serveuse la reconnut et prépara une théière fumante. Elle s’approcha de la table et posa doucement la commande devant elle.

— Bonjour, madame Léonie, lança-t-elle avec chaleur.

— Bonjour, mon enfant. Aujourd’hui est un bon jour pour écrire, vous ne trouvez pas ?

La serveuse sourit et hocha la tête. Léonie tenait un journal depuis toujours. Un journal où elle consignait non pas ses souvenirs, mais les fragments de vie qu’elle captait ici et là. Chaque matin, elle s’asseyait à la même place et écoutait les murmures du monde.

L’homme au café, qui n’était plus tout à fait un étranger, termina sa tasse et observa la scène un instant avant de se lever. Il jeta un dernier regard à la salle animée, puis vida sa tasse d’un geste lent. Il laissa quelques pièces de plus sur le comptoir et ajusta son manteau.

— À demain, peut-être, lança-t-il avant de franchir la porte.

La serveuse, le suivit du regard tandis qu’il disparaissait dans la lumière pâle du matin. Elle savait qu’il reviendrait. Ici, les habitués ne partaient jamais vraiment.

Le bruit des tasses s’entrechoquait, des cuillères tintaient contre la porcelaine. À l’extérieur, le jour montait lentement, étirant les ombres le long des pavés luisants. Un marchand ambulant s’installa non loin, déposant sur son étal des bouquets de fleurs fraîches, la rosée perlée encore accrochée aux pétales.

Il inspira profondément, sentit l’air encore frais du matin, empli de la promesse du jour à venir. Puis, sans trop y réfléchir, il rebroussa chemin et s’installa à nouveau au comptoir.

— Un autre café, s’il vous plaît, dit-il doucement.

La serveuse ne fut pas surprise. Elle lui servit une nouvelle tasse, un sourire complice aux lèvres. Ici, on ne venait pas seulement pour le café. On venait pour le temps suspendu.

Et quelque part, dans son carnet, madame Léonie notait ces fragments de vie, donnant à ces instants anodins une éternité secrète.

 

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Spinari
Posté le 09/03/2025
Un beau texte contemplatif pour sublimer le banal.
Une certaine magie se dégage malgré l'ordinaire.
Les odeurs de café envahissent et cette idée de temps suspendu me plaît tout particulièrement (comme un lieu hors du temps).
Donc, tout comme MITH, j'attends la suite avec impatience
David.J
Posté le 10/03/2025
Merci beaucoup Spinari !
MITH
Posté le 08/03/2025
Comme c’est beau, comme c’est imagé et précis, on a l’impression de regarder un film !
Les scènes sont superbement décrites et dégagent tellement d’émotions. Vraiment bravo..
Et quelle plume !
Bref j’adore mais je pense que tu l’avais déjà compris :)
J’attends la suite avec impatience
David.J
Posté le 09/03/2025
Merci infiniment, MITH ! Ton commentaire me touche beaucoup. Savoir que mes mots t’ont transporté comme un film est le plus beau des compliments. Je suis ravi que l’ambiance et les émotions t’aient parlé.
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