Les noces naufragées
On a crié « Ah ! Vive la mariée ! » et les mouettes se sont envolées sur la jetée, emportant avec elles
l’odeur poisseuse et moite du poisson qui pourrit. Il pleuvait ce jour-là, des litres et des litres de
larmes qui convulsaient le ciel. Son voile à elle, c’était celui des bateaux ivres, des nefs qui prennent
la mer en sachant qu’elles n’en reviendront pas. Et voilà que depuis la fenêtre de sa chambre, elle
écrase dans un cendrier la moitié de son cœur, et ses rêves de grande dame en blanc.
Les draps sont froids de son absence à lui, les vases vides de son amour aussi. C’est un grand hôtel,
que celui dans lequel ils sont censés s’unir. C’est devant cet autel qu’ils étaient supposés
s’agenouiller pour s’aimer pour toujours. Un Palais de porcelaine, de pas étouffés par la moquette,
de services dorés. La robinetterie luit et les oreillers restent intouchés.
C’est une cage dorée de mots que l’on ose à peine faire rouler sur ses lèvres. Lui, pourtant, ne s’en
est pas privé. Mais elle, ô majestueuse rêveuse, impératrice naïve, demoiselle toute de soie parée et
d’espoirs recouverte, elle a du mal à les sortir, ces mots qui font mal, à les lui jeter à la figure, à les lui
faire mordre sans craindre ses crocs en retour. Alors elle reste là, penchée à la fenêtre et la brise
maritime fouette son visage dénudé, ses yeux gonflés d’écume, ses joues rougies par sa froideur à
lui, et son départ houleux. Une valise, un chapeau, le bout d’une veste qui disparaît à l’angle d’une
pièce. Et l’océan, superbe d’indifférence, qui gronde loin derrière eux.
Un drame en un acte, bercé par le chant des flots.
Elle attendait les rires, les plaisanteries à deux, les sourires complices au petit-déjeuner, les choses
futiles d’une vie à deux. Douce idéaliste que la vie a trahie, on se prend de pitié pour elle ; on la
maudit aussi. Elle devait s’y attendre, aurait dû le quitter. Si faute il y a, il faudrait qu’elle soit sienne.
L’amour ne réside pas dans les anneaux que l’on se passe au doigt. On crève trop souvent de ses
rêves pour n’en plus être amer.
C’est un naufrage, ce mariage. Une coque qui se brise contre les rochers de l’amour indicible, de la
torpeur mouillée d’une affection passée. L’écume qui lèche les plaies béantes de cette enfant
maudite rit en silence de sa jolie bêtise, mais c’est la noyade qui l’emporte, et alors on ne pense plus
à rire.
Entre des draps intacts, l’infante appelle la mort, lui chante des mots du cœur, nage dans la cendre
de ses mirages glorieux, se perd dans les volutes de ce qui aurait pu être mais ne sera jamais. Elle
boit la tasse, la mariée. « A la sienne ! A la sienne ! ». La foule la hue et les marées recueillent ses
beaux discours de macchabée tout de blanc habillée. On boit la tasse à sa santé. C’est quasi-religieux,
cette catastrophe d’eau salée qui ruissèle sur un tas de galets. On entend sonner le glas dans le
crissement du sable. Deux coups de grosse cloche, puis un coup de petite cloche, lents et séparés.
Son cercueil l’attend déjà sur le rivage. On fêtera demain les noces funèbres de l’épousée.