Leurs poèmes ne reflétaient aucun lyrisme, mais plutôt le mal ce siècle instable, voire désespérant pour certains.
L'écriture leur permettait souvent de rester vivant, de laisser une trace. Ils vivaient avec la tranquillité d'un homme qui se doit de parler en faveur des opprimés, de ceux que l'on tait. Idolâtrés, les deux poètes se trouvaient pourtant en marge de la société. Maudis ; c'était sans doute le bon terme.
Les plus beaux textes, dans leur immense solitude, ils les avaient écrits ensemble, avec ardeur et langueur.
Ils s'aimaient. Pas comme non aime un frère, son père, ou un ami ; pas comme on admire un professeur. Non, ils s'aimaient comme deux âmes souhaitent s'offrir leur cœurs pour l'éternité. Deux âmes, peut-être damnées mais qui, un jour, s'étaient trouvées.
*
Pierre avait emmené Augustin à un dîner mondain, tandis que celui-ci venait de faire publier son premier recueil.
Une grande salle, très éclairée. Augustin à fleur de peau, contraint d'écouter des confrères vomir des poèmes sur l'absinthe et ses ravages. Aucune originalité. Ni dans le fond, ni dans la forme.
" Pierre, allons-nous-en !
- Attends encore un peu. Il en reste un. "
Irrité, Augustin, qui n'avait pas la langue dans sa poche, se leva et dit :
"C'est ça que vous appelez de l'art ? J'appelle ça une chiasse vernaculaire !
- Taisez-vous donc, lui rétorqua quelqu'un. "
Or, Augustin ne prêta aucune attention à cette remarque, et continua de s'acharner sur le pseudo-poète, qui devait avoir le double de son âge. Ils se disputèrent, puis Augustin se fit expulser. Pierre le suivit dans les rues de Paris, sous la pluie, hilare.
" Jamais quelqu'un n'aurait osé dire ce genre de choses et contester son œuvre ! Tu sais, beaucoup de gens pensent comme toi - quoiqu'avec moins de virulence.
- Pourquoi personne ne dit rien alors ?
- Parce que même entre nous, même si l'on connaît le travail difficile que ça représente, on est hypocrite. Il n'y a qu'un poète pour comprendre un poète, or, tous se tournent le dos et se crachent dessus.
- Je crois que ce genre de cérémonial n'est pas fait pour moi. S'ils ne veulent pas être en marge de la société, qu'ils changent de métier !
- Oh, mais certains sont banquiers, ou chefs d'entreprise.
- Alors ce ne sont pas des poètes, car ils ne se consacrent pas aux autres. Ecrire, c'est à plein temps - ou ce n'est pas de l'art. "
Pierre sourit. L'audace d'Augustin lui plaisait beaucoup.
Tandis qu'ils discutaient, après avoir monté plusieurs marches dans d'innombrables éclats de rire, ils arrivèrent enfin, trempés jusqu'aux os, au logis d'Augustin. Il était pauvrement meublé d'un vieux sofa, d'un lit, une chaise et une table en bois, et éclairé à l'aide de deux bougies.
Augustin s'installa sur le sofa. Pierre, quant à lui, tira la chaise afin de se mettre face à lui.
" On pourrait partir, décréta Augustin.
- Partir où ?
- Voir la mer. Le soleil. Je n'y suis jamais allé. "
Pierre, qui avait dix ans de plus qu'Augustin, comprenait ses envies de voyage, bien qu'elles se fussent pour sa part envolées au fil des années, car non assouvies. Mais, pour Augustin, il était prêt à faire l'effort. D'ailleurs, la perspective de partir en voyage rien qu'avec lui l'enchantait. Une petite parenthèse...
" C'est d'accord. ( Augustin sourit. )
- Nous écrirons là-bas. Je renouvellerai ton inspiration Pierre. Je serai ton nouveau souffle de vie. "
Un silence s'installa entre eux. Les cheveux bruns et désordonnés d'Augustin brillaient dans la pâle lueur de la pièce. Ils auraient dû frissonner dans leurs costumes humides, mais quelque chose persistait à les réchauffer, à les éloigner du froid de novembre.
Le regard d'Augustin se fit à la fois de plus en plus perçant, et de plus en plus tendre.
Le jeune homme se rapprocha de Pierre, lui caressa la joue de sa main droite, pendant que, de l'autre, il replaçait une mèche rousse derrière son oreille. Enfin, il posa timidement ses lèvres sur les siennes.
Pierre le scruta un instant, déconcerté. Puis, dans l'élan de son cœur qui n'en pouvait plus de battre et d'imploser, il embrassa en retour Augustin avec une fougue et un désir ardents.
Ils avaient tant attendu. Attendu de bien se connaître, d'être certains ; attendu de se choisir. Leur patience, à présent, se trouvait enfin satisfaite.
Jamais auparavant ils n'avaient ressenti cela. Ce bonheur, cette intimité partagée, ce plaisir de découvrir le corps de l'autre, de pouvoir le toucher.
Les bougies s'éteignirent peu à peu ; or, ils n'avaient nullement besoin de se lumière pour se voir. Plus maintenant.
Ils savaient leurs secrets mutuels, les joies, les blessures, jusque dans les moindres cicatrices. Cette nuit était leur guérison.
Il ne s'agissait pas de passion, car jamais leur amour ne se consumerait - même dans la petite mort, qu'ils s'offraient après le hurlement jouissif d'un " je t'aime ! " -
J'ai beaucoup aimé ton texte, court et efficace ! Le début, au dîner mondain est très réussi. J'aime bien comment tu traduis la relation de Rimbaud et Verlaine, à travers ces deux personnages fictifs ( mais on les reconnaît bien !), je trouve que cela permet de prendre des libertés par rapport à leur réelle histoire, et le rendu est très réussi.
Est-ce qu'il y aura une suite ?
À bientôt !
En tout cas, c'est bien écrits.
Je voulais simplement donné une issue, bien que fictive, heureuse à leur relation orageuse...
Merci pour ton retour !! ^^
J'ai beaucoup apprécié ma lecture ! Je trouve ton écriture très fluide et que tu choisis très bien tes mots ! J'espère que beaucoup de lecteurs découvriront ta plume !