L'espoir

Par Puzzle
Notes de l’auteur : Cette nouvelle est écrite dans le cadre de l'appel à texte Réticule#9 : Choc. Malheureusement, elle n'a pas été sélectionnée, alors je la poste ici ^^
Bonne lecture !


    Stérile. Aucun mot ne peut décrire plus parfaitement cet endroit. Tout est propre. Les murs et le sol sont de couleur pâle. Les lieux n’ont pas d’odeur, et c’est ce qui fait qu’ils en ont une si caractéristique. Ici, il n’y a rien de superflu. Pas de bruit, pas d’agitation, rien de trop stimulant. Dès qu’un rayon de soleil passe par l’une des fenêtres grillagées, une douce et chaleureuse lumière envahit les lieux. On se sent bien en ce lieu, ou du moins tout est fait pour. Le quotidien s’écoule paisiblement, et c’est comme si le temps n’avait plus d’importance.

Je n’aime pas cet endroit. Pour moi, ce havre de paix n’est rien de plus qu’une illusion. Je ne suis pas la seule dans ce cas là. Tous, ici, ne faisons que fuir une dure réalité, remplie de problèmes, de douleur, et de tristesse. Si tout ici est si simple et paisible, ce n’est que pour nous faire oublier tout cela. Nous passons à autre chose, nous nous détachons des idées noires. Et que nous reste-t-il ? Rien. Si nous sommes censés ressentir quoique ce soit d’autre, les médicaments ont tout inhibé, comme ils ont inhibé notre malheur.

J’attends. Mon rendez vous avec le psychiatre aurait dû commencer il y a un moment, et pourtant, je n’ai toujours pas été appelée. Je m’ennuie. L’ennui est le pire ennemi ici. Il vous replonge dans votre passé, transforme votre futur en cauchemar… Et le présent ? C’est l’ennui. Cette fois, j’opte pour le passé. Non, je ne devrais pas, mais c’est plus fort que moi. Je ne peux que penser à lui.

Lui que j’ai rencontré par hasard sur le net, lorsque je n’étais même pas majeure. Lui qui m’a aidée à fuguer le domicile familial, trop lourd pour l’adolescente que j’étais. Lui qui m’a promis de prendre soin de moi pour toujours, et qui n’est pourtant plus là…

Rapidement, ma vie s’était mise à graviter atour de lui. Plus rien ne comptait pour moi, si ce n’est lui. Quoiqu’il arrive, j’avais promis moi aussi que je resterais toujours à ses côtés. Quoiqu’il fasse, j’avais tenue bon et jamais mon amour n’avait flanché. Il me frappait, m’insultait, m’utilisait, m’humiliait, mais il m’aimait, et je l’aimais en retour. Il était mon monde, mon bonheur, ma douleur. Celui sur lequel je m’étais construite. Celui qui m’avait aussi tant de fois détruite. Il était tout. Le bien et le mal en une entité. Seulement, il l’était, et il n’est plus.

 

Je me souviens du jour de sa mort comme si c’était hier. C’était un jeudi. Il ne rentrait pas, et je craignais qu’il ne soit encore parti boire avec ses amis. Je m’inquiétais, bien sûr, mais j’avais aussi peur. Peur qu’il me frappe. Peur qu’il s’énerve sans raison, comme chaque fois qu’il buvait un peu trop. J’étais en colère aussi, contre lui pour être si irresponsable, et contre moi pour être si faible.

À vingt-trois heures passées, l’inquiétude avait surpassé la peur. Ce n’était pas la première fois qu’il ne rentrait pas, et ce ne serait certainement pas la dernière, me disais-je. Seulement, j’étais dépendante. Trop. Je le savais, je me doutais que c’était mal, mais je ne pouvais faire autrement. Je tournais alors en rond, attendant encore et encore, dans l’espoir d’entendre une voiture se garer dans la rue, ses pas alourdis par l’alcool s’approcher de la porte, la poignée grinçante qui s’abaisse…

Le seul son qui me parvint ce soir là fut celui du téléphone. Minuit quarante-quatre, une infirmière veut me parler de mon mari. Dans ma tête, l’inquiétude grandit tellement que la peur ou la colère disparaissent complètement. Tous les pires scénarios se jouent, et je n’écoute déjà plus ce que l’on me dit à travers le téléphone. Seuls quelques mots se démarquent, confirmant mes craintes : « alcool », « Accident », « Minuit cinq », « mort ».

Tout, autour de moi, se déchire. Mes jambes perdent leur force et me lâchent. Ma respiration se fait saccadée. J’entends l’infirmière me proposer une aide psychologique. Elle me dit que je peux venir demain pour voir mon mari. Mais je ne l’écoute plus. Je ne vois plus rien non plus. À cet instant, mon monde s’est effondré. Il était tout pour moi. Il était. Il est mort. Tout est mort.

 

« Excusez moi madame, tout va bien ? »

 

Je sursaute, reprends mes esprits, et lève les yeux. Sur la chaise devant moi se tient un homme, dans la quarantaine environ. C’est sa femme qui est actuellement en rendez-vous avec le psychiatre – rendez-vous qui empiète sur le miens, d’ailleurs – . Je réponds par un hochement de tête, et me mord les lèvres de honte : je me suis encore laissée aller dans mes souvenirs. Je prends mon téléphone et regarde l’heure. Seules quelques petites minutes ont passées. À en juger par les bribes de conversation qui fuient par la porte, il faudrait attendre encore un moment. Encore une fois, j’opte pour le passé.

Ce soir là, celui où il est mort, je n’ai pas dormi. Je ne sais pas combien de temps avait passé depuis l’appel, mais j’étais restée à genoux, amorphe, au moins quelques heures. Mon cerveau n’acceptait pas ce qu’il s’était passé, mon corps ne recevait plus de directive. Sans lui, j’étais vide. Je le savais déjà, à cet instant, mais je n’en réalisais pas encore l’étendue.

Au matin venu, je n’osais pas aller le voir. Je restais enfermée et appelait sa famille, pour annoncer la triste nouvelle. Je ne comptais plus le nombre de condoléances reçues. Je ne parviens pas à bien me souvenir des jours qui suivirent : j’étais dans un état second. Il fallait préparer l’enterrement, appeler le notaire, continuer de prévenir les proches… Les sentiments n’étaient plus que superflus, alors j’agissais sans réfléchir, sans prendre le temps de penser à moi. Les repas se décalaient. Les nuits se raccourcissaient. M’occuper des préparatifs de l’enterrement me permettait de garder le fil, de ne pas craquer, de tenir bon, ne serait-ce qu’encore un peu. Cependant, sans m’en rendre compte, je me tuais à petit feu.

L’enterrement se déroulait cinq jours après le décès. Il y avait des pleurs, des mots de soutiens, encore des condoléances. Je ne pus en voir le bout. Prise de tournis, je perdis connaissance. À mon réveil, j’étais à l’hôpital. Verdict du médecin : Surmenage, dénutrition, et manque de sommeil. J’étais allée trop loin.

Durant les jours qui suivirent, je ne sais quel sentiment m’avait semblé le plus oppressant. J’étais bien trop attristée par sa mort. Il me manquait. Je réalisais à quel point je l’aimais. Je lui en voulais pourtant aussi, pour tout le mal qu’il m’avait fait. Je culpabilisais de me sentir libérée de ses chaînes. La surcharge émotionnelle qui m’avait assaillie à ce moment là était bien trop lourde. Du service de soins, je suis alors passée au service psychiatrique.

 

Stérile. Aucun mot ne pouvait mieux décrire cet endroit. C’est ce que j’ai pensé en arrivant ici, et désormais je comprends mieux pourquoi. Ici, il ne se passe jamais rien, aussi les sentiments s’effacent-ils peu à peu. L’habitude les minimises, et laisse place à la lassitude, au vide.

Le vide. C’est peut être le mot qui correspond le plus à mon état actuel. La tristesse, le manque, l’amour, la colère, la culpabilité, tout cela a disparu. Mon deuil est fait, désormais. Cela dit, je ne vais pas mieux pour autant. Si toutes émotions négatives ont disparues, je n’ai plus rien pour m’accrocher, plus rien de positif. Il était mon monde, ma raison de vivre, et reconstruire un monde ne se fait pas en deux semaines. Aujourd’hui, je me fiche bien de rester ici ou de sortir. Je n’ai pas d’objectifs, pas d’envies, pas d’espoir. Je n’ai rien, alors je me fiche de tout.

 

« Madame Martin, c’est à vous. »

 

C’est le psychiatre qui avait parlé. Il m’attend devant la porte ouverte de son bureau, tandis que sa précédente patiente s’en va avec son mari. Je me lève, lui serre la main, et entre. À peine me suis-je assise qu’il commence déjà :

 

– Comment vous sentez vous, aujourd’hui ?

 

Question basique. J’ai envie de répondre « bien», réponse de base, mais j’opte plutôt pour l’honnêteté :

 

– Vide. Je me sens vide, mais c’est déjà mieux qu’avant.

 

– Je vois. Cela dit, figurez-vous que vous n’êtes peut être pas si « vide » que ça, dit-il.

 

– Que voulez vous dire ?

 

– En fait, j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. C’est en rapport avec les examens médicaux que nous avons fait l’autre jour.

 

Je suis intriguée. Lorsque je suis arrivée ici, mon corps réagissait mal au traitement d’anti-dépresseurs que l’on m’avait donnée. Il a alors fallu chercher la cause de ce rejet, et j’ai dû passer des examens médicaux. Cependant, je ne vois pas quel genre de bonne nouvelle pourrait avoir un rapport avec tout ça.

 

– Les résultats de la prise de sang ont révélé un taux anormal d’hormones HCG dans votre corps, continue-t-il. Autrement dit, vous êtes enceinte.

 

À ces mots, un bref souvenir remonte en moi : la veille de sa mort, un moment charnel partagé avec lui. Je ne savais pas qu’il n’avait pas utilisé de protection, ou du moins l’avais-je oublié. S’il était encore là, je lui en aurait peut être voulu un peu. Seulement, il n’est plus, mais il ne m’a pas laissée seule. Cette idée me fait l’effet d’une brise de printemps, chaleureuse, balayant le rude hiver qui s’était installé en moi. Oui, je le sens, à cet instant, l’espoir revient.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Cocochoup
Posté le 08/01/2021
Je ne suis pas déçue d'avoir lu ce texte.
Il y a cette lassitude qui court entre les mots, on ressent ce sentiment de creux de ton personnage
Cette femme qui est dépendant de "lui" et qui va devenir dependante de ce bébé...
C'est une joli thématique, forte et complexe.
Je rejoins Alice sur le fait que distiller quelques réflexions plus personnelles donneraient une teinte plus caractéristique à ce texte ❤️
Puzzle
Posté le 08/01/2021
Merci pour ton commentaire ♥️
Je pense que j'essaierais de réécrire ce texte en y ajoutant plus de "moi" quand mon projet de recueil de nouvelles autour de cette histoire se concrétisera ^^
J'ai tout plein d'idées en ce moment pour ça en plus :o
Alice_Lath
Posté le 29/10/2020
Mmh, c'est vraiment une nouvelle qui aborde des thèmes très durs dis-moi haha. C'est vraiment tout en douceur, malgré la violence sous-jacente et on visualise bien le voile trouble qui tombe devant les yeux de Mme Martin.
Il y a juste un petit truc qui me chiffonne : il y a beaucoup de choses dites, mais finalement ça fait assez raconté. Le tout manque d'un petit grain qui est ta vision personnelle des choses :) je parle pas de grands messages, mais de petits détails ou de petites réflexions qui rendrait ce texte pleinement un reflet de toi
Puzzle
Posté le 30/10/2020
Lorsque j'ai écrit le texte, je pensais surtout à tenter de dépeindre au mieux l'état mental du personnage (Mme Martin), chose que je n'avais jamais faite auparavant, et je n'avais pas pensé à mettre un bout de moi dedans. Après, quand je l'ai terminé, j'avais aussi l'impression que le texte manquait de quelque chose, alors c'est probablement ça. Je garderais ça en tête, pour la prochaine fois que j'écrirais quelque chose dans ce genre là !

Merci pour ton commentaire ^^
Vous lisez