Bonjour.
C’est ce que l’on dit aux premières personnes que l’on voit. C’est ce qui marque le début d’une journée. Ce qui fait le lien entre deux personnes aussi. C’est pourtant la simple contraction de « bon » et « jour », comme si le fait de le souhaiter faisait que chaque journée était bonne et positive.
Sauf que Monsieur Maunier n’avait personne à saluer. S’il avait tourné la tête en se réveillant, il n’aurait vu qu’un oreiller vide à côté du sien. Il n’était pas du genre à s’en plaindre, il s’était habitué à cette solitude que produisait sa vie à chaque instant. Il se levait, se lavait, mangeait, travaillait et retournait se coucher. Seul.
Ce matin-là, le monde n’accabla pas Ernest Maunier plus que de mesure ou, tout du moins, avait trouvé le moyen de le faire d’une façon différente. En effet, une douleur lointaine le prit à la tête et il s’assit en se tenant celle-ci entre ses mains. Il essaya de définir où est-ce qu’il avait mal exactement et, pendant que ses doigts fouillaient ses cheveux grisonnants, il crut sentir une sorte de renfoncement.
Là, quelque part à l’arrière de son crâne, se trouvait comme un trou dans lequel il pouvait faire passer le bout de son index. Cela ne provoqua pas de douleur supplémentaire et il décida de se lever, songeant que ce mal finirait bien par passer. Alors, après ce réveil quelque peu particulier, il finit de se préparer, manger son petit
déjeuner, bu son café et prit la route pour son lieu de travail.
L’université était un endroit fourmillant de vie. Plusieurs centaines d’âmes allaient et venaient entre ces lieux, avec chacunes leurs histoires, leurs problèmes, les émulsions de ce qui font une existence.
Le Professeur Maunier était comme imperméable aux éclats vivaces des autres autour de lui. C’est comme s’il vivait à l’intérieur d’une bulle de plastique et que rien de ce qui se trouvait à l’intérieur, ne se mêlait avec l’extérieur. Il n’avait pas d’élève favori, ne communiquait pas plus que de praticité avec ses collègues et quand on aurait pu lui trouver une amitié imaginaire avec le concierge, celui-ci ne faisait que hocher la tête sur son
passage par simple politesse.
Debout dos à l’immense tableau noir probablement aussi vieux que l’université elle-même, le professeur déblatéra son cours face à quelques étudiants endormis. Avec le temps, l’homme ne réalisait même plus que sa classe se vidait au fur et à mesure des années. Il avait pris l’habitude de discourir dans le néant, sans jamais
personne pour lui répondre. Il n’essayait d’ailleurs même plus de poser des questions ouvertes, préférant plutôt réciter son texte d’une voix atone comme s’il se trouvait seul dans l’amphithéâtre.
Monotone était sa journée, et rien ne vint l’égayer durant la pause de midi où il acheta un modeste sandwich triangle quelque part sur le campus. Son après-midi fut l’exact miroir du jour d’avant, et du jour encore avant, de sa salle de classe jusqu’à ce qu’il ferme la porte derrière lui une fois rentré à la maison. Vide. Il n’y avait pourtant aucune tristesse dans ce constat, juste l’observation de faits qui formait son quotidien. Personne ne l’attendait au
retour du travail et personne ne venait s’enquérir de l’avancée de son livre, dont le manuscrit vierge était à présent, et depuis longtemps déjà, enfermé dans le tiroir de son bureau.
Son repas fut un plat préparé acheté directement au supermarché, il passa quelques temps à corriger des copies avant d’aller au lit, notant toutefois une gêne, encore, derrière sa tête.
Mais il se dit qu’il verrait cela demain matin.
Cette fois-ci, la douleur le tira pleinement de son lit. Il tanga en allant dans sa salle de bain, face à son miroir, essayant de tourner la tête en espérant voir quelque chose. Ce n’était pas semblable à un coup, mais plutôt comme si on lui enfonçait une paille en métal à l’arrière de crâne.
Les mains sur la tête, il alla téléphoner au secrétariat de l’université pour prévenir son absence et la douleur avait déjà commencé à s’estomper lorsqu’il composa le numéro de son médecin. En revanche, s’il n’avait plus mal lorsqu’il arriva dans la salle d’attente aux murs présentant des motifs fleuris, il avait toujours cette sensation, quand il passait ses doigts dans ses cheveux, qu’un trou s’était fait une place derrière sa tête. Dans sa salle de bain, il avait essayé. Il pouvait maintenant placer deux doigts dans le mystérieux orifice et ces derniers s’enfonçaient à présent assez pour qu’il soit incapable d’en atteindre le fond. Il espérait que le docteur pourrait lui donner des réponses cependant, il fit face à un visage perplexe quand il lui exposa la situation.
– Un trou ?
L’homme dans sa blouse blanche dodelinait de la tête, un peu à la manière d’un pigeon. Il se frottait le menton, comme le ferait quelqu’un possédant une barbe, ce qui n’était pas son cas, tout en réfléchissant. Puis, il tapa du plat de ses mains contre ses cuisses.
– Voyons donc ce fameux trou.
Il se leva, pris des gants en plastique transparents qu’il enfila et, après s’être placé derrière le professeur, il lui fit légèrement pencher la tête vers l’avant avant de commencer à fouiller dans ses cheveux.
– Oh ! je le vois.
Fit-il sur un ton de surprise. Peut-être ne s’attendait-il pas à effectivement trouver un trou derrière le crâne de son patient. Peut-être qu’il s’était imaginé une lubie soudaine de la part de l’homme, il n'était pas rare que des personnes viennent en se croyant affublé d’un mal, un mal qui n’existait en réalité que dans leur esprit.
– Est-ce que vous avez mal ?
– Non, aucunement.
Répondit Ernest en faisant en sorte de bouger le moins possible.
– Et là ?
Il sentit une sensation étrange, mais rien de comparable à l’éclair de douleur qui l’avait pris un peu plus tôt ce matin.
– Toujours pas non.
– Je vois.
Le médecin retira ses gants en retournant derrière son bureau. Il commença à tapoter quelque chose sur son clavier et jetait de petits coups d’oeil au professeur, le regard brillant, comme s’il se trouvait face à une grande trouvaille.
– Je vais vous donner une prescription de médicaments pour la douleur. Touchez le moins possible à ce ...trou. Surtout, reposez-vous et si la douleur revient, ou que la situation change, prévenez-moi immédiatement.
– Très bien Docteur.
Il rentra donc chez lui, non sans un arrêt à la pharmacie, le plus directement possible pour se reposer comme son médecin le lui avait indiqué. En revanche, ce qui fut plus difficile, c’était de ne pas toucher au trou derrière sa tête. Plus d’une fois, il eut cette sensation étrange, dans ses cheveux. Il levait alors la main, s’arrêtait quand ses doigts frôlaient sa
masse capillaire, puis la rabaissait pour garder bonne conscience.
Cependant, ce manège ne dura pas très longtemps.
En effet, après s’être recouché pour dormir un peu, Ernest se leva sur les coups de midi. Il se prépara, en guise de modeste repas, quelques pâtes et légumes. Ensuite, après avoir mangé, il était allé errer dans son bureau où il ressortit le cahier qui lui servait de manuscrit pour son livre. Il le regarda comme si toutes les solutions allaient lui apparaître. Son trou dans la tête qui disparaissait, et lui qui retrouvait l’inspiration tant attendue. Lentement, il ouvrit la première page, vierge. Alors, son torse commença à se serrer, sa respiration, à se raccourcir. Le cahier s’était comme éloigné tout à coup, la pièce tournait, et il eut cette impression qu’il n’allait pas y arriver. A quoi ? A rien. Rien.
Rien.
Un bourdonnement latent se fit entendre et le professeur attrapa soudainement sa tête entre ses mains. La douleur était revenue, plus vive encore que ce qu’il avait déjà expérimenté. Un pas en arrière, le cahier était tombé à terre, sur le tapis épais et rouge qui décorait le bureau. Il gémit en faisant crisser ses dents, se tourna rapidement pour atteindre le sac de la pharmacie qu’il avait laissé dans son salon. Il avait les mains qui tremblaient en sortant les comprimés, la vision trouble lorsqu’il se prépara un verre d’eau. Néanmoins, les médicaments firent rapidement effet et Ernest se laissa tomber dans son épais fauteuil gris, soupirant de soulagement.
Comme ça, il ne mit pas longtemps à s’endormir. Il se réveilla plus tard dans l’après-midi, décida de passer le temps en allumant la télé, et passa en revue quelques-uns de ses cours dans la soirée. Suite à quoi il se coucha, prêt à passer sa nuit comme chaque autre nuit. Il était au tableau comme à son habitude. La lumière du néon grésillait, le tic tac de l’horloge au-dessus de sa tête résonnait doucement. Mais, cette fois-ci, quelque chose était différent. Le professeur était en train de réciter son cours quand il le réalisa tout d’un coup : il était seul.
Il n’y avait en effet personne dans l'amphithéâtre, et quand il baissa les yeux sur son bureau, il remarqua qu'une impressionnante couche de poussière sablonneuse s’y était installée. Il y passa la main, laissant une trace claire de son passage et remarqua le même niveau de dégradation sur tout ce qui l’entourait. Comme si le temps s’était écoulé sans âme qui vive pour faire vivre les lieux.
Tout à coup, les lumières au fond de la pièce sautèrent, l’endroit se faisant dévorer par l’obscurité. Dévorer n’était pas un terme faible, le noir était si épais qu’il était semblable à une masse gloutonne. Et d’autres ampoules sautèrent, faisant progresser la chose. Ernest se précipita jusqu’à la sortie, se retrouvant dans les couloirs de l’université. Sauf que le néant s’approchait depuis le fond du couloir, un abîme infini au fond duquel s’engouffraient des feuilles volantes, aspirées par un vent mystérieux.
Face à l’avancée de plus en plus rapide de ce gouffre palpable, le professeur se mit donc à courir. Son cœur tambourinait si fort qu’il l’entendait battre dans ses tempes. Sous ses pieds, le sol commença à se dérober, grignoté par la masse noire.
Et il tomba.
Monsieur Maunier se réveilla d’un coup dans son lit, la sueur collée à son dos, sa nuque et perlant sur son front. La chambre était vide, autant que d’ordinaire, hormis que cette fois-ci, le vide était perceptible, au point où l’on aurait pu le découper au couteau. Un amas malléable dans l’air qui rendait ses membres gourds. Ainsi, sans attendre que son rythme cardiaque ralentisse, il se leva.
Debout, dans la cabine de douche étriquée, le professeur fermait les yeux. Il essayait de se détendre malgré l’affolement s’emparant de son cœur. Que lui arrivait-il ? Qu’est ce qui se passait ? Comment les choses allaient-elles évoluer ?
Il eut une sensation étrange, comme si ses cheveux se dressaient tout seuls malgré l’ondée qui s’écrasait contre son crâne. Il leva une main, et son esprit lui hurlait de ne pas le faire. Il approcha celle-ci de l’arrière de sa tête, et ses oreilles se mirent à produire un bourdonnement sourd. Il avança alors ses doigts vers la peau de son crâne, mais il ne toucha rien.
Rien du tout.
Il sentait pourtant les bords de l’orifice, contre sa main, mais l’extrémité de ses doigts, eux, ne reposaient contre rien du tout. Il les remua légèrement et il sentit comme un craquement. Le genre de bruit que font les os lorsqu’on s’étire trop fort, et il retira la main pour la tendre devant lui, sous son regard.
Rouge.
Il eut un sursaut en voyant le sang, et ce n’est qu’en observant le liquide carmin disparaître progressivement sous le jet de la douche pour se perdre dans le goulot d’évacuation qu’il réalisa qu’il avait en réalité une douleur à l’arrière du crâne.
Sa respiration s’intensifia et des points noirs dansèrent devant ses yeux. Il s’appuya de son autre main, paume contre la paroi carrelée de la douche et pencha la tête vers l’avant. Il eut tout à coup cette curieuse impression alors que l’eau frappait la gueule béante se trouvant derrière sa tête. Elle s’y engouffrait à la manière d’un enfant sur un toboggan et des tâches de couleurs vives vinrent s’ajouter aux points noirs qui se dessinaient devant lui.
C’est comme si ses jambes étaient faites de coton et que le poids de l’eau l’incitait à se pencher, jusqu’à ce qu’il tombe à genoux sur le sol blanc où de fins filaments rouges venaient s’infiltrer. Qu’avait-il fait ? était-ce parce
qu’il avait voulu toucher le trou de son crâne que tout dérivait de la sorte ?
Le front appuyé contre la cabine de douche, l’homme haletait. Encore une fois, le trou était devenu plus grand, et il n’y avait rien qu’il ne pouvait faire pour l’empêcher de grossir. Il se demandait : quand est-ce que ça s’arrêtera ? Jusqu’à ce que le trou dévore tout et qu’il n’aitmême plus un visage pour exister.
Après avoir pris les médicaments pour la douleur, Ernest, dans son grand peignoir, écoutait le message laissé sur son téléphone. C’était le médecin, qui lui disait qu’il ferait des examens à l'hôpital pour définir d’où venait ce trou derrière sa tête. Le professionnel de santé demandait après ses disponibilités et l’homme attrapa le téléphone pour rappeler immédiatement. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais il sentait que son temps était compté.
Quand ils se retrouvèrent dans l’une des salles du grand bâtiment gris de l’hôpital, le docteur lui demanda s’il s’était passé quelque chose. Ernest hésita à lui parler de la douche, sans trop savoir pour quelle raison, mais il évoqua le fait que le trou lui semblait plus grand. Suite à l’analyse du médecin, il confirma ses dires, le trou avait en effet grossit depuis la dernière fois. Pour aujourd’hui, le professeur irait se placer dans une impressionnante machine, allongé, sur le ventre, la tête maintenue de façon fixe.
Dans l’orifice qui laissait place à son visage, Ernest regardait le sol carrelé. La machine était bruyante et il s’entendait difficilement. C’était
peut-être une bonne chose. L’homme n’avait pas envie que ce trou envahisse sa vie, qu’il devienne peut-être dangereux. Parce qu’il avait l’impression que c’était ça : il allait disparaitre avec ce trou et ... il réalisa qu’il ne laisserait pas grand-chose après lui. En pensant à toutes
ces choses inachevées, les larmes montèrent à ses yeux. Et il dut se retenir de renifler lorsqu’on lui annonça qu’il pouvait se redresser. Devant lui, le nombre de médecins s’était multiplié. Ils étaient plusieurs, à présent, à observer les résultats des analyses.
– Tout bonnement fascinant.
– On a les résultats sanguins ?
– Première fois que je vois ça, en toute une carrière !
Au moins, ils avaient l’air heureux, quelque part. Ernest n’osa pas les déranger. Le constat était là : ils n’avaient aucune idée de ce qu’il lui arrivait, il était une curiosité médicale sans précédent. Et, ils demandèrent à ce que d’autres examens soient faits. Voire même que Monsieur Maunier demeure à l'hôpital le temps que tout se fasse. Il fallait le dire, le professeur
n’était pas enjoué à l’idée de quitter son chez-lui.
Il passa donc une dernière fois à son appartement pour récupérer des affaires. Quelques vêtements, sa brosse à dents. Dans son bureau, il se figea. Ce fut comme une impression pressante, à la manière de l’animal fuyant instinctivement le feu. Sauf qu’il ne s’agissait pas de fuir, non. Il ouvrit les tiroirs de son bureau et en sortit son cahier vierge. Soudainement, il repensa à ce livre qu’il n’avait jamais terminé.
A vrai dire, il ne l’avait même pas commencé.
Ernest tira la chaise et s’installa en s’emparant d’un stylo. Il n’avait jamais trouvé les bons mots mais il sentait que s’il ne faisait pas ça maintenant, il n’aurait plus aucune chance de le faire. Derrière lui, le trou grondait, ses oreilles bourdonnaient, sa chair pulsait à chaque battement de son cœur affolé.
Un début, c’était tout ce qu’il lui fallait. Et au fur et à mesure qu’il y réfléchissait, le gouffre dans sa tête rugissait en rétrécissant. Mais ça, Ernest était incapable de le voir. Ce qu’il sentait lui, c’est que son esprit se précisait, qu’il savait ce qu’il allait avoir à raconter. Le trou n’existait déjà presque plus lorsqu’il coucha un premier mot sur
le papier :
Bonjour.
J'ai adoré ce récit que je trouve très original !
Par contre, maintenant, je vais être inquiète quand j'aurai le syndrome de la page blanche ! ^^
La chute n'est pas mal du tout, non plus, je ne m'attendais pas à ce que ce trou puisse disparaître aussi facilement.
J'ai tout de même remarqué des choses étranges dans ton texte. Notamment au niveau de la tournure d'une phrase : "cette solitude que produisait sa vie à chaque instant". Le verbe produisait ne sonne pas très bien dans la phrase, il vaudrait peut-être mieux le remplacer par "cette solitude qui imprégnait sa vie à chaque instant"...
La deuxième chose qui m'a un peu bloquée au début, c'est le découpage des paragraphes... Je ne sais pas si c'est fait exprès ou pas mais ils sont très éloignés les uns des autres et, parfois, une phrase est coupée en deux et continue à la ligne d'en dessous.
Bref, à part ça, que de bonnes choses !
Tu as raison pour la tournure, je vais corriger ça de ce pas. J'ai aussi essayé de modifier la mise en page , en espérant que ce soit plus agréable à présent.
Merci encore pour tes retours ! Je suis heureux que ce court t'ai plu !