Il était une fois dans un pays lointain, qui fut un temps prospère, joyeux et dont le nom, si vous l'entendiez, vous semblerait sûrement familier, un seigneur très riche, très puissant et fort avisé. Ce seigneur, il est vrai, s'il possédait à ne plus savoir qu'en faire des richesses, des terres, de l'or et s'il savait s'illustrer dans la meilleure des sociétés, était bien seul en vérité.
Il était, pour tout vous dire, si esseulé, que même les saules pleureurs de son vaste jardin, qui étaient pourtant larmoyant, solitaire, et triste à en mourir entre les pins, se sentaient moins seuls que leur seigneur quand leurs feuilles rougissantes touchaient terre et les laissaient nus dans le soleil du matin.
Ni la compagnie des ducs, des comtes, du roi, ni celle des saules du jardin ne soulageaient le cœur du seigneur seul au milieu des siens. Si bien qu'un beau jour son cœur, ne sachant plus pourquoi il battait jour après jour, matin après matin, se figea dans sa poitrine alors qu'il songeait à abattre les pins. S'il battait toujours, dans sa pauvre cage, triste, sans rythme, ni musique ni entrain, il demeura après ce jour comme fait de glace tant et si bien que le grand seigneur, même s'il partageait la compagnie de ses contemporains, semblait agir comme une marionnette tirée par des files au bout d'une main.
De ce sommeil éveillé, sans rêves, sans promesses, sans attentes et sans lendemains, le seigneur qui avait oublié sa solitude ne voyait plus que son jardin.
Lui qui avait tant souffert ne ressentait plus rien. Il contemplait chaque jour les saules pleureurs et le dernier de tous les pins. Un jour il s'aperçut que, malgré l'absence des pins, les saules pleuraient toujours, que leurs feuilles rougeoyantes tourbillonnaient inlassablement vers le tapis du sol, les laissant nus et frêles entre les souches des anciens qui se consumaient dans la cheminée pleine de cendres et d'on la fumé embaumait désormais l'amère parfum du pin.
Et le dernier d'entre eux, au fond de l'immense jardin, ployait sous le chagrin, seul entre les souches mortes et les saules privés de leurs écrins.
Le grand seigneur, qui avait été autrefois si avisé, fut presque troublé par le malheureux qui larmoyait. Mais son esprit, en même temps que son cœur, s'était endormi.
Alors il se contenta de contempler le jardin en faisant bruler les bûches dans sa cheminée, insensible désormais au malheur des arbres, tout comme aux platitudes de la bonne société.
Un matin cependant, le dernier pin qui demeurait, seul et triste s'il en fallait, s'en était allé, quand le grand seigneur s'en vient le contempler.
Le vieil arbre flétri était mort de chagrin. Seuls les saules pleuraient encore dans le jardin. Mais lui qui avait été grand de cœur et d'esprit, se rappela l'espace d'un instant, sa solitude d'antan. Et son cœur qui dormait profondément se réveilla l'espace d'un battement.
Contemplant son jardin où s'était autrefois côtoyés les saules et les pins, qui n'était plus que bois nu et mort dans la lumière du matin, le grand seigneur sentit son cœur se tordre et se plier sous le poids du chagrin. Alors le tourment et la solitude, qu'il n'avait plus depuis si longtemps ressentit, se rappelèrent à lui si vite et si fort qu'il partit retrouver les pins brulés qui reposaient dans les cendres de la cheminé. Ainsi il ne ressentit plus ni joie, ni tristesse, ni solitude, ni peine. Ni rien. Mais plus jamais personne ne dit du grand seigneur qui était mort pour avoir préféré aux larmes l'oubli qu'il était avisé en parlant de lui.