Le cœur de Cérès avait cessé de battre hier soir. Contrairement à son corps étendu sur le lit, le jour se leva, inondant de sa lumière laiteuse la pièce meublée en bois et décorée de guirlandes de lierre.
Samuel restait penché au-dessus de celle qu’il aimait tant depuis sa tendre enfance. Elle était son épouse, la mère de leur petit garçon, son bonheur. Seulement, elle s’était endormie pour l’éternité…
Les joues trempées de larmes, les yeux vidés de toute trace de lucidité, Samuel demeurait aussi statufié que Cérès. Si son cœur continuait de pomper le sang, son âme, elle, semblait inexistante.
La seule présence qui bougeait dans son dos était le fruit de leur amour : le petit Lucian.
Agenouillé dans un coin, le garçonnet fit voler ses jouets en bois au-dessus de sa tête. Cheval, chien, lapin… Toutes ces adorables créations avaient été façonnées des mains expérimentées de son père.
Puis Lucian interrompit sa session de jeu, ne supportant plus le silence de ses parents, et encore moins l’odeur de renfermé mêlée à celle de la bougie fondue. Il se leva alors en fixant son père de ses yeux brillants de curiosité.
— Papa, maman va bientôt se réveiller ? s’enquit-il d’une voix insouciante.
Samuel sursauta à cette question. Cette question à laquelle tout son être ressentait l’envie de hurler joyeusement un « oui »… Malheureusement, la réalité était tout autre. Immuable, fataliste, cruelle…
Lucian s’approcha de son père à pas lents. Il focalisa ensuite toute son attention sur sa mère.
— Maman est tellement belle quand elle dort. On dirait même qu’elle sourit. Elle doit faire un beau rêve en ce moment, non ?
Samuel se remémora aussitôt le dernier sourire de Cérès. C’était ici, juste avant qu’elle ne pousse son soupir d’adieu. Oui, il se souvint combien elle souriait paisiblement lorsqu’elle entendait les rires lointains de Lucian…
— Quand elle se réveillera, on ira faire ce pique-nique au bord de l’étang ? enchaîna plus vivement le petit garçon.
— … Il n’y aura pas de pique-nique… Il n’y en aura même plus jamais, avoua enfin Samuel d’une voix éteinte alors que de nouvelles larmes débordaient au coin de ses yeux. Tout est fini, Lucian ! Elle… elle…
Samuel se recroquevilla comme une feuille sèche au chevet de sa tendre Cérès. La mort, l’appellation tant crainte par les vivants, se perdit dans sa gorge. Ce fut finalement un sanglot qui franchit ses lèvres gercées.
— Oui, tout est fini ! s’époumona-t-il, tremblant de rage. Je n’ai pas réussi… à la sauver ! Je n’ai pas réussi à rassembler la somme nécessaire pour le remède ! Je… je veux partir… Oui, je dois partir le plus rapidement possible pour la revoir !
Lucian observa son père pendant quelques instants, la mine soucieuse. Soudain, il tressauta sur place lorsqu’une idée foudroya son esprit tel un éclair.
Sans dire quoi que ce soit, le garçonnet se rua vers sa chambre pour se saisir de sa tirelire, qu’il apporta ensuite à son père avec un sourire triomphant.
— Tiens, papa : prends mon argent pour lui acheter une horloge à coucou ! Après tout, tu veux justement sortir pour la voir se réveiller dès ton retour, non ?
Samuel leva doucement son visage vers celui de Lucian.
— Lucian… ? souffla-t-il.
— Maman se lève toujours quand elle entend les oiseaux chanter dehors. Mais…
Le regard de Lucian s’assombrit.
— Mais aujourd’hui, ils ne chantent pas, donc c’est sûrement pour ça que maman n’arrive pas à se réveiller. Alors, s’il te plaît papa, prends toutes mes pièces, et achète-lui une horloge à coucou pour lui donner l’envie de se lever. Tu n’as pas à t’inquiéter pour maman, je reste ici pour la protéger !
Samuel plongea ses yeux pleins d’incrédulité dans ceux de Lucian. Les dernières paroles de l’enfant résonnaient en lui tandis qu’une chaleur réconfortante embrasait son cœur.
— Tu restes… ici ? lui demanda-t-il tout en suffoquant comme si un docteur était en train de le réanimer dans le même temps.
— Oui ! Donc, tu peux partir, papa ! Je reste ici ! réaffirma Lucian en lui souriant plus chaleureusement.
Ces mots, pourtant si anodins en apparence, chassèrent une bonne fois pour toutes la brume ténébreuse qui submergeait l’âme de Samuel. L’homme secouait la tête tout en toisant son fils avec horreur. Il prit alors conscience de l’erreur qu’il désirait commettre. Abandonner lâchement Lucian, une partie de sa chair et celle de Cérès… Inconcevable !
— Bon Dieu… Qu’est-ce que… j’ai voulu faire ? s’interrogea Samuel d’un ton chargé d’épouvante, blême.
— Papa ? l’appela Lucian en penchant la tête comme un chiot.
— Lucian… Je…
En pleurs, Samuel enlaça soudain son fils.
— Je suis désolé ! Oh oui, je suis désolé ! Moi aussi, je reste… Oui, je reste avec toi !
— Mais pour l’horloge à coucou ? Il faut réveiller maman, lui rappela Lucian, inquiet.
— … Ta maman ne se réveillera plus jamais, mais toi, en revanche… tu as réussi à me réveiller à temps. Merci, Lucian…
Un sourire placide fleurit sur les lèvres de Samuel.
— Tu as raison : allons acheter cette horloge à coucou, ensemble. Si les oiseaux ont fui la peste, alors… écoutons celui de l’horloge pour ne pas nous endormir pour l’éternité.
Je suis vraiment touchée, retournée par toutes les émotions que tu transmets dans ton texte. C'est tragique mais l'enfant représente le rayon d'espoir qui vient illuminer la scène pour redonner courage à son père. L'innocence des répliques de Lucian est attendrissante et ton écrit transmet une certaine force, une envie de vivre même si tout va mal.
Merci pour cette magnifique lecture,
Au plaisir de te lire :)
Fy
Merci à vous pour votre avis ! Bien heureux d'apprendre que le message vous parle !
Pour mes futures créations, pour le moment, c'est assez compliqué, étant sur mon plus gros projet, mais oui, je compte bien publier à l'avenir d'autres nouvelles de ce genre ! Mon cerveau regorge de nombreuses idées !
Encore une fois, merci à vous.
Aster.L
Ce texte est si joli, émouvant ! J'ai beaucoup aimé ton style poétique, le regard que tu proposes, la confrontation entre la mort et la vie, la vision de l'enfant et le retour aux choses simples.
On se laisse bercer par ton histoire même si j'ai remarqué des sonorités qui se répètent un peu comme : "ne supportant plus ce silence pesant qu’il n’osait pas percer" mais dans l'ensemble la lecture reste fluide et agréable !
Le texte est court, peut-être que tu aurais pu développer certains aspects de leur passé commun afin de donner plus d'intensité encore ou expliciter les circonstances. Mais peut-être aussi que la longueur était un choix de ta part, ce que je comprends.
Je pense que tu devrais prendre confiance en toi car tu écris vraiment de belles choses ! On sent de la sensibilité et de la profondeur, les mots choisis sont justes et l'on ressort vraiment apaisé de cette lecture. Je terminerai donc par cette phrase : libère le coucou qui hiberne en toi ;)
Au plaisir de te relire ! :D
Un grand merci à vous pour votre avis qui m'a rassuré ! Oui, je souffre d'un manque de confiance en moi, me considérant encore comme un renardeau égaré dans le milieu de l'écriture, mais ce n'est qu'un début !
En tout cas, je suis content que le message ait pu être clair selon vos dires, surtout que c'est un texte que j'avais écrit en une vingtaine de minutes. Pour le style, oui, je pense que j'aurais pu encore le fluidifier, notamment côté sonorité comme vous l'avez bien évoqué ! :) Encore une fois, merci à vous !
Aster. L