Le temps se gâte dans le ciel bourguignon en ce début d'automne. La pluie battante vient lester les toitures de ce petit ilôt au centre du monde. C'est ici, au Creusot, au pied du parc national du Morvan que se dresse l'ilôt des Colombes. Un espace de vie, un éco-lieu dit-on. Un lieu où le souffle passe, où la vie résonne dans ce qu'elle a de plus brute, de plus vibrant. Ici donc, des centaines d'âmes nourricières passent à l'année pour apporter leur pierre à l'édifice, leur grains de sel en cuisine, ou encore pour semer leurs graines au jardin.
Trois âmes pour autant y sont fidèles à l'année.
Jonathan a quitté sa Savoie natale il y a plus d'une dizaine d'années. Un élan, une soif d'Esprit qui l'a poussé vers le royaume du Maroc tout d'abord. Il y a découvert sa chaleur, l'hospitalité légendaire de ses habitants, la vibration de l'Appel, et le silence du désert. Ce premier voyage par delà la méditerranée ne laissa pas notre cheminant indifférent. Sa soif et sa quête s'en trouvèrent nourries davantage. Après un bref retour en France, il prit la direction de la Palestine. Sur les traces du Maître, Jonathan s'ouvrit à la vie, sur les sentiers menant de Jérusalem en terre de Galilée. Une pluie d'étoiles s'abattit sur lui durant ce voyage, et ce au fil des différentes nuits qui venaient éclairer ses journées pleines. Là-bas, il découvrit l'expérience mystique qui dès lors, l'invita à devenir quelque peu, et en toute humilité, comme un scribe du Verbe divin. Ce qui le rammène à la terre, c'est justement son rapport à la Mère. Car c'est comme cela qu'il nomme Pachamama, la Terre-Mère commune à tous. La Marie archétypale qui enfante chaque fils du Divin, qui fait germer en son sein, chaque grain de sénévé qui consitue le chapelet de l'humanité.
Puis, la vie dans son ballet virevoltant a ramené le voyageur esthète en terre parisienne. En quête de sens, c'est au sein d'un petit studio d'abord, puis d'une caravane ensuite que Jonathan a trouvé son petit bonheur. Dans la simplicité, dans l'humilité, dans la grâce. Toujours, en fond de trame, résonnait pour lui l'appel vers la terre, le sol, l'ancrage aussi en fait. Finalement, il se retrouvait à quelques 350 kilomètres de la capitale; dans la fameuse "diagonale du vide" qui sépare, ou lie selon les points de vue, la France en sa partie plus peuplée, industrialisée,, urbanisée en fait, et sa partie plus champêtre, bucolique. Même si dans les faits, et heureusement, le pays de Malik et de Zinédine regorge de forêts et de prairies en tout lieux. Et ce, même à quelques encâblures des grands axes agglomérants.
La Bourgogne donc, comme nouvelle terre d'accueil. Devenu ilôtier en prêtant allégance au vivant, se mouvant colibris pour subtilement porter sa goutte d'eau à la forêt d'actualités brûlantes, Jonathan est alors devenu un homme. Dans un mouvement initiatique que permet ce genre de lieux, se situant entre mythe et réalité, entre contes et faits, il sema ses premières graines en terre. Genêts, Monnaie du pape, et autres plantes fixatrices d'azote prirent alors leur course vers le soleil, les printemps suivants. Tels des petits dont il fallait prendre soin, Jonathan est le gardien de la serre. Il veille à tous ses petits printemps comme hiver. Jeunes pousses, boutures, plants de vivaces se cotoient au chaud avant de se lancer dans le grand bain de la vie. Et d'être repiqué vers une autre terre d'accueil, en contre-bas, sur l'une des merveilleuse terrasses qu'offre l'Ilôt des Colombes.
Ce dernier pourrait être le quatrième personnage de cette mention. Celui qui veille sur les trois qui se lovent en son sein. Que dire alors de l'Ilôt, si ce n'est que son nom en dit tant sur ce qu'il représente pour ses colombes. Un havre de paix, une ressource face aux tumultes de la vie affairante, et tournée vers le veau d'or matérialiste. Rue des Rieux donc, au Creusot, s'ouvre une vallée ou plutôt une combe, une fenêtre sur la petite ville au passé industriel florissant qui se situe en contrebas.
Un bâtiment central surplombe le site. En son sein, le cocon rassemble. Le poêle à bois central représente le coeur de ce haut lieu représentatif de la fraternité humaine. Les ilotiers aiment à s'y retrouver. Et aux histoires, et aux chansons, et aux confidences d'y virevolter tels des derviches tourneurs en quête de sens. Les tables d'hôte en pin massif sont robustes et accueillantes à la fois. Disposés en plusieurs ilôts justement, il n'est pas rare qu'elles soient rassemblées en une seule afin de redécouvrir les joies des grandes tablées et autres banquets. Ici, les bardes ne sont jamais bien loin mais on ne les attache pas à un arbre, ils ont tous le loisir de gratter, de pianoter, de chantonner. Pour le plaisir de tous. On dit mêmes que les notes se glissent dans les coeurs et dans les assiettes, comme en cuisine, où les chants et la gaieté ne sont jamais exclus des préparations culinaires bariolées.
La ruche, est un lieu qui permet le recentrage, la lecture. On y trouve des ouvrages de permaculture, axe majeur de la philosophie du site, mais aussi quelques manuscrits de développement personnel, ou encore grimmoire de recettes achalandées. Les passants et badauds s'y sentent tellement bien, qu'il devient difficile d'en sortir; malgré les journées de grand soleil. Et pourtant, le site est exceptionnel et captive rapidement tous les sens. Les merles et les geais y dansent à tout azimuts, sifflotant leurs airs mélodieux pour qui sait écouter. Les abeilles ne sont pas loin; leur grondement tendre et bourru est facilement repérable sous le tilleul et la chaleur du début d'été. Les terrases sont harmonieusement agencées suivant les grandes lignes de la permaculture. Tout a un sens, de l'orientation des terrasses de culture, à l'implantation de certains arbres et arbustes, en passant par les plantes couvre-sol et autres associations de végétaux.
Django, le cheval, pâture en contrebas. Il foule le sol généreux qui le précède, d'un pas lent et sûr. Il délivre gracieusement le bon fumier qui retournera aux différents jardins nourriciers afin d'en fertiliser le sol. Cercle vertueux, l'orchestre s'harmonise joyeusement, chaque instrument de l'Artisan est à sa place. Les moutons se rebiffent sur les contreforts du site, là-bas un peu plus loin, dans le verger. Ils se promènent en semi-liberté et représentent en quelque sorte les rares esprits rebelles de la vie à l'Ilôt. Et pourtant, même ce semblant de rebéllion s'inscrit dans un champ plus large de symbiose.
Les arbres fruitiers puisent dans le sol leurs ressources, pour rendre aux vivants leurs fruits les plus murs et les plus savoureux. Les plantes aromatiques participent aux échanges nourrissants des habitants de l'Ilot, en se laissant amoureusement réchauffer, à l'aune d'une tisane frémissante.
Jean-Pierre est natif de la belle Strasbourg. Il en a gardé son dynamisme et l'entrain qui anime la capitale alsacienne. Pourtant, ce n'est pas un poil qu'il a dans la main, mais bien un arbre. Et souvent d'ailleurs. Mais qu'à cela ne tienne, car ce n'est pas en chantre de l'oisiveté mais bien en sujet du Vivant. Puisqu'aussitot qu'un jeune plant, en motte ou à racines nues se pose au creux de ses mains, peu s'en faut pour que Jean-Pierre lui trouve un bel emplacment qui lui sied parfaitement, là, sur une des terrasses du Creusot. Et si cela lui tient tellement à coeur à Jean-Pierre, de planter des arbres et de semer des graines, c'est parce que le pionnier de l'Ilôt est un visionnaire. Il projette son regard au loin, pour lui, sa famille, ses enfants, ceux des autres...pour que chacun, chacune puisse tirer la sève de son bouleau, le fruit de son travail, faire germer les pousses au sein de son esprit. A la manière d'un fruit découlant de la fleur, provenant elle-même de l'arbre contenu dans le génome de la graine, l'Ilôt représente aujourd'hui le fruit, l'aboutissement d'une graine qui a été semée il y longtemps dans le coeur de l'alsacien bourguignon.
Des études en biologie, un parcours estudiantin pour le moins classique, mais jalonné déjà d'un vif intérêt pour le Vivant sous toutes ses formes. En parallèle de cela, Jean-Pierre développe sa fibre écologique et spirituelle. Il se met en quête d'un moyen de vivance au fond de son être, lui permettant de se relier au Ciel et à la Terre. Il trouva alors, au gré de ses voyages et autres pérégrinations, nombreuses lectures et rencontres, une terre d'accueil au sein de la tradition mohammedienne. Une parole du Maître vint alors à son oeil, et à son coeur tel un flambeau qui allait illuminer son chemin et nourrir en son esprit, la vision du fruit qui devrait alors venir après plusieurs printemps de germinations:
« Si le monde est sur le point de disparaître alors que vous pouvez planter un arbre, faites-le ! »
Aussi, il exerca près de 5 années en tant que professeur des écoles. Multipliant les expériences sensorielles et techniques, il initia alors d'autres jeunes pousses, à la vie, aux mécanismes naturels de l'existence.
C'est à bord de sa Simca 3000 lui, qu'il quitta sa terre natale, vers sa terre d'accueil, de consécration. Un peu son voyage nocturne, son ascension. Pas de créature ailée, pas de vision ultime, de lotus de la limite...juste une intuition, un projet de vie. Il faut dire qu'en la personne de Aisha, son épouse, il avait trouvé une épaule sur laquelle s'appuyer, une force vivante qui allaient leur permettre ensemble de penser, puis de fonder l'Ilôt des Colombes. S'en suit le démarrage forcéné du montage du projet, l'acquisiton des premiers bâtiments, l'extension de ces derniers, les travaux de rénovation et la préparation de gîtes pouvant accueillir du public. Une aventure, un monde.
Heureusement, les enfants du couple ainsi que de nombreux bénévoles vinrent rapidement les entourer et conférer au projet la force et la dynamique qu'il est toujours possible d'y retrouver aujourd'hui.
Jean-Pierre s'est formé chaque jour à la lumière du soleil, et à la sensibilité de la nouvelle terre qu'il travaillait. Puisant dans les enseignements de la nature, et de nouveaux mentors, enseignants en permaculture, il s'est doté d'une palette d'outils et de connaissances permettant à l'Ilôt de fonctionner à ce jour de manière optimale.
Patrick lui, prends son imper vert à capuche, et se revet avec, tel un gardien de troupeau. Il pourrait faire penser à ce mystérieux personnage des écritures saintes, que l'on appelle le Maître Vert. Il enseigne à chacun de ses passages, à chacune de ses prises de paroles, sans en avoir la prétention, ou même sans s'en rendre compte. La Vie se donne par transmission à travers ce grand personnage qu'elle n'a pourtant pas ménagé. Mais comme dit l'adage, la Vie semblerait mettre davantage au travail, ceux qu'elle chérit, afin de les faire grandir, évoluer, croître. Exactement commes les graines de Jonathan, qui deviendront des jeunes pousses puis des arbres forts, en dépit des bourrasques et des intempéries vrombissantes. Patrick a vécu de longues années de galère; à la recherche de sens, à la recherche de son Etre profond, à la recherche d'un lieu d'ancrage. Lorsqu'il évoque ses péripéties, le silence se fait roi, majestueux. Son parcours impose le respect et l'émotion. Parcours de résilience comme il en existe peu, d'une telle intensité. Si Patrick s'inscrit aujourd'hui avec les ilotiers dans ce grand mouvement des colibris, il n'en est pas moins devenu un phoenix, revenu du royaume d'Hadès, revenu d'entre les morts. Son visage creusé en dit long sur les événements qui ont jalonnés sa vie. De lieux d'accueil en refuges, de ville en villages pour finalement arpenter les rues de la capitale pendant des années, il est un de ces voyageurs de la vie, pour qui le mot épreuve devient la norme, et même le pain quotidien. Passé à moultes reprises, dans le four alchimique, ou sur l'éclume du forgeron, son coeur, son métal est arrivé à une maturité sans nom. Chaud, généreux, le caillou brut est devenu un joyau. Aussi, en bon organe central, au sein de sa poitrine large et imposante, il distille les actes de générosité tel le vent qui souffle en tempête, où la pluie qui s'étiole par milliers de gouttes. Il est une nuée bénéfique pour ceux qui viennent visiter l'Ilôt à l'année, il est une terre d'accueil pour ceux qui s'asseoient à ses côtés, enfants ou aînés, un grand soleil pour les autres habitants qu'il sait chérir sans en oublier aucun : ni Django l'étalon, ni la troupe de moutons balladants, chacun aura droit à sa ration quotidienne, de nourriture, de tendresse, d'affection. Il aurait pu en vouloir à la terre entière, de l'avoir maudit, de l'avoir abandonné à lui-même, à ses quelques forces qui tant de fois ont sembler lui manquer. Et pourtant, il est là, debout, droit et poursuis sa tâche. Un jour, la providence à mis une ilôtière en cavale sur sa route. Celle-ci a invité Patrick à se rapprocher de la vie de l'Ilôt, de son foyer, de son lieu d'ancrage. Il y a peu, il a célébré sa première année de présence là-bas. Un an de bon et loyaux services, un an d'investissement sans failles. Dans une logique de don et contre-dons, de rapports humains vertueux et une logique d'entraide et d'économie circulaire, Patrick donne, beaucoup, et reçoit tout autant. Un toit, un accompagnement aux démarches administratives, mais surtout de la chaleur humaine, de la reconnaissance, de la gratitude de tous les colibris et autres mésanges qui rejoignent le nid. Et cela pour lui, ça n'a pas de prix.
La Vie célèbre alors, dans un chant de louange et d'allégresse, ces lieux où existent encore de telles valeurs cardinales. Ces lieux qui restent gravés dans les mémoires et dans le marbre, où dans la terre. Car venir en soutien d'une âme humaine, c'est convenir à l'amour de toute l'humanité.