Le son strident de la sonnette me vrille les tympans. J’ouvre un œil.
6h03.
Pas moyen. Le gus se fatiguera avant moi.
Dring. Dring. Dring. Driiiiiiing. Dring. Dring. Dring. Driiiiiiing.
6h05.
J’attrape mon oreiller et m’en sers pour étouffer les vociférations de la sonnette à laquelle un grand malade est en train d’infliger la 5e symphonie de Beethoven. Reste seulement cet acouphène entêtant. Je suis bien vivant mais il fait le même bruit qu’un électrocardiogramme plat.
Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip. Driiiiing.
6h07.
Je décide de me lever. Je m’assois sur le lit, la gorge sèche et la bouche pâteuse. J’avale un fond de whisky qui croupit dans une flûte à champagne oubliée sur ma table de nuit. Lorsque je me mets debout, le sang pulse jusqu’à mes tempes et des mouches assombrissent subitement mon champ de vision.
Dring. Dring. Driiiiiiiiiing.
Ça ira. Il me reste juste assez d’énergie pour coller mon poing dans la gueule à ce petit comique. Ouais, enfin, sauf si c’est ma mère. Il est quelle heure, déjà ?
J’ai froid. J’attrape le premier truc qui me tombe sous la main, tant pis si c’est la cape de catch qu’on s’est refilée toute la soirée d’hier. Le plancher craque sous mes pas. Les sons sont tellement amplifiés par la migraine qui m’enserre le crâne que j’ai l’impression qu’il va s’effondrer sous mon poids. J’enfile un premier chausson ; je trouverai surement le second en chemin.
Je navigue à vue au milieu d’une mer sur laquelle flottent des cadavres de bouteilles vides. Je largue les amarres une première fois au milieu du couloir. Ça tangue. C’est La croisière s’amuse sous amphét dans ma tête.
Driiiiiiiiiing.
Bordel, je vais me le faire.
Je traîne ma carcasse jusqu’à l’entrée. Je ne prends même pas la peine de regarder par le judas. J’ai changé d’avis : qui que ce soit, il prendra l’escalier en sens inverse à coups de pieds au cul.
J’ouvre la porte et, le temps que mes yeux daignent faire la mise au point, ils s’égarent sur une paire de sandales. Ils se posent tour à tour sur des mollets trop poilus pour être ceux de la jolie voisine du n°304, une jupette en cuir et un épais plastron pectoral. J’ai un léger mouvement de recul quand je me rends compte que le gars porte un casque dont les fentes laissent apparaître un regard fou.
Le mec tient une hache. Les allers et retours qu’ils lui inflige jusque dans sa paume me filent des frissons. Je fais un léger retour en arrière oculaire. Il me semble avoir négliger un détail qui a son importance. Le gars a le cou d’un taureau. Qu’est-ce que j’avais dit, déjà ? Ah, oui, lui casser la gueule. Changement de tactique.
— Tu t’es égaré, Étranger. La soirée costumée, c’était à l’étage du dessus. Ah, et pour info, t’es un peu en retard.
Sur ces mots, je lui claque la porte au nez.
Au moment où je tourne les talons, le bruit de l’acier qui éventre ma porte me force à réévaluer la situation. N’importe quel mec sensé aurait appelé les gendarmes. Ouais, n’importe lequel. Quand je rouvre la porte, la lame de la hache reste accrochée au battant. Les connexions ne se font pas dans mon cerveau. Enfin, pas les bonnes. Je reste là, l’œil hagard, à voir s’envoler les billets de ma caution. De fait, je n’ai pas le temps d’anticiper le geste de la montagne de muscles qui se tient devant moi. Le Spartiate en sandale m’attrape à la gorge et me soulève du sol. Mon unique chausson glisse. Sans stress, il décroche sa hache et referme la porte. C’est visiblement trop tard pour appeler les flics.
Le gars me balance au sol. J’ai l’élasticité d’un chat qui pressent que la chute est inéluctable. Même mon vol plané est ridicule. Ma tête heurte violemment le coin de la table basse mais à l’étonnant avantage de réaligner mes pensées. Je finis enfin par faire terre-soleil. Première réaction sensée du jour :
— Bordel, mais c’est quoi ton problème ? Ça t’arrive souvent de sonner chez les gens à 6h du mat’ un 1er de l’an ? T’es au courant que c’est une violation de domicile ?
— Tu m’as ouvert la porte.
— Hein ?
— C’est toi qui m’a laissé entrer, reformule-t-il.
— Ouais, d’accord, je vois le genre. Alors, voilà ce qu’on va faire : tu vas me suivre gentiment et foutre le camp. Avec un peu de chance je vais réussir à me rendormir et, dans deux heures, j’aurai oublié que t’as essayé de me tuer.
Je touche la bosse sur mon front puis regarde mes doigts. Ils sont couverts de sang.
— Bon, j’aurais peut-être pas oublier. Ou alors c’est parce que souffrirais d’un hématome sous-dural. Et que je serais dans le coma. Ou peut-être mort. Tu fais chier, bordel.
Le Spartiate fait un pas vers moi. Je me relève d’un bond et je recule sur le même tempo. Je fais un cha-cha-cha avec un Spartiate le jour de l’An.
Fantastique.
Le soldat me pousse à reculer. Je renverse le sapin et manque de trébucher. Je jète un discret coup d’œil à la table basse. Je viens d’y apercevoir mon salut, et ça n’a rien à voir avec la bouteille de rhum arrangée qui y est posée. Dans un sursaut de lucidité, j’attrape le plateau en étain que j’ai emprunté à ma mère hier pour servir les petits fours. Je le brandis comme un glaive. J’ai l’air d’un soldat romain. Un soldat romain à poils en cape de catcheur.
Le Spartiate accueille ma prise d’initiative par un grognement animal. Je monte sur le canapé sans lâcher mon bouclier couvert de beurre et de tarama. Il attrape d’une main la table basse et de colère, la renverse. Tous les verres se brisent. Je décide qu’il est vraiment temps de débarrasser le plancher. Je saute. Pas de chance, il attrape un bout de ma cape au vol et m’envoie valser sur le tapis comme un lanceur de poids aux JO.
OK. J’opte pour une nouvelle voie de navigation : je rampe, le couloir en ligne de mire. Le colosse me regarde progresser ainsi sur un mètre avant de poser un pied sur mon dos de sorte à me plaquer au sol. Il fait le poids d’un âne mort.
— Là d’où je viens, on ne tourne jamais le dos à son adversaire, me dit-il en se penchant vers mon oreille. On ne s’enfuit pas non plus. Tu n’es qu’un lâche incapable d’assumer sa destinée.
J’ai envie de lui répondre que ma destinée était toute tracée jusqu’à ce qu’il débarque : décuver me semblait bien assez ambitieux. Il appuie si fort sur ma cage thoracique qu’aucun son ne sort de ma bouche. J’arrive à peine à respirer.
— Maintenant, tu vas bien m’écouter. Ceux qui m’envoient m’avaient prévenu. Tu es voué à accomplir de grandes choses, Greg, mais ma grand-mère est plus courageuse que toi.
Le guerrier finit par desserrer son emprise. Je me retourne sur le dos. L’air défroisse ce qui me sert de poumons dans un craquement douloureux.
— 30 pompes, réclame-t-il.
— Quoi ?
— Tu m’as bien entendu. Est-ce que tu veux que je répète ? Tu te mets en position et tu me fais 30 pompes.
Je fais volte-face et tente à nouveau de m’enfuir. C’est le plat de la lame de sa hache qu’il vient d'abattre sur le plancher qui m’arrête.
— Aux secours !
L’appel à l’aide qui s’échappe de ma gorge est bien plus aigu que ce que j’avais prévu.
— J’ai franchi une faille spatio-temporelle pour arriver jusqu’ici. Tu n’as pas la moindre idée de ce que j’ai dû endurer. Tout ça pour venir te chercher, toi, l’Élu. Ne me fais pas regretter d’avoir risqué ma vie pour toi. Ne fais pas mentir les Oracles. Si ce qu’elles disent est vrai, tu vas sauver Sparte de l’invasion orchestrée par Épaminondas. Tu dois venir avec moi. Mais pour ça, tu dois être prêt.
Je le regarde d’un air ahuri. Se pourrait-il que ce gars soit vraiment un Spartiate ?
— 30 pompes, répète-t-il.
Je m’exécute. Au bout de 8, je suis au bord de l’évanouissement. À la 20e, il me semble que je m’apprête à vomir des morceaux de poumons encrassés par 15 ans de tabagisme. Je sue par tous les pores de ma peau. À la 30e, je m’écroule sur le plancher.
— Bien. Maintenant tu me suis dans la cuisine.
Je feins d’obtempérer mais à la première ouverture, je me promets de m’enfuir. Cela se produit une minute plus tard quand le Spartiate attrape une bouteille d’eau sous le micro-ondes. Brutaliser un homme, ça donne soif visiblement. Je détale comme un lapin et réussis à atteindre la porte d’entrée. Je sens le grognement de ce taureau humain faire vibrer les cadres suspendus le long du couloir. Tout à coup, j’entends un objet siffler dans l’air. Mes deux pieds s’emmêlent et mon menton heurte le sol. Le monstre attrape mes deux chevilles liées et me traîne jusqu’à la cuisine. Je ne suis plus qu’une serpillère qui éponge sa propre urine.
Sans me lâcher, le soldat s’empare de la bouteille de flotte. Il dévisse le goulot à l’aide de ses dents, m’assoit sur ses genoux et approche le goulot de ma bouche. Je proteste mais il force ma mâchoire à s’ouvrir en pinçant fermement mes joues entre son pouce et son index. Il m’enserre comme un bébé à qui l’ont donne le biberon, la tendresse en moins, et je finis par vider toute l’eau de la bouteille. Quitte à choisir, je signerais bien pour trente pompes supplémentaires.
— Bien. Il est temps de se mettre en chemin, lâche finalement le soldat en se levant.
Appuyé au-dessus de l’évier, il fixe la ligne d’horizon à travers la petite lucarne de la cuisine. En vérité, tout ce qu’il doit apercevoir, c’est le parking du SuperU en contrebas.
— Tu as autre chose à te mettre ? Je vais être la risée de tout Spartes si je te ramènes accoutré comme ça.
Tandis que le soldat prononce ces mots, mots n’ont toujours aucun sens pour moi, j’aperçois un petit morceau de papier fiché dans la raie de plumes qui se dresse sur le sommet de son casque. Je rassemble le peu de force qu’il me reste et m’approche. Doucement. C’est une étiquette. Je penche la tête pour essayer de lire l’inscription.
« Déguizla... ». Déguizland ?
Des bribes de la soirée d’hier me reviennent. Me mettre au sport. Boire plus d’eau. C’était quoi, ma troisième résolution déjà ?
Ah, oui.
Accueillir l’imprévu.
Sinon j'ai relevé pet-être une petite chose à rectifier :
" Je fais volte-face et tente à nouveau de m’enfuir. C’est le plat de la lame de sa hache qu’il vient d'abattre sur le plancher qui m’arrête.
— Aux secours !"
Ca serait pas plutôt " Au secours ! " ?
Au plaisir de lire tes autres textes.
Je n'avais pas pu tout lire à l'époque du concours, c'est con, j'avais loupé ton texte ! Bref, très chouette découverte !
Et oublie pas qu'on attend toujours l'histoire du couloir <3
J'ajoute de l'eau au moulin : c'est vraiment bien et surprenant ! Et on est tellement habitués aux différentes histoires racontant la recherche et les décisions d'un élu qu'on se laisse avoir assez facilement !
J'ai ri à plusieurs moments : la description des situations à cause des vapeurs alcoolisées est géniale !
Comme tous les autres ont dit avant moi, et bien plus encore.
Je me suis bien marré, et il était impossible pour moi d'arrêter. C'est pas facile de faire un préquel à 300, mais tu t'en es très magistralement sorti !
Très bien écrit, haletant amusant :)
Les résolutions de début d'année font mal au réveil pour le Greg. Son ami le spartiate l'a pris au mot, je pensais que la chute serait le vrai réveil hahaha mais j'aime beaucoup celle ci, très surprenante :)
Merci ça m'a bien fait rire en ce jour confiné, faites attention à vos résolutions post confinement :)
La hache ne doit cependant pas venir de Deguizland pour enfoncer une porte comme ça ! :)
Encore bravo!
Une petite erreur qui m'a fait tiquer : "je jète un discret coup d'oeil", ce serait plus "jette".
Encore félicitations !
Je me suis éclatée à lire ta nouvelle qui a amplement méritée de gagner le concours ! (Et pourtant j'en ai lu des très bien...)
Très très agréable à lire et la chute est géniale, un grand bravo à toi !
Bravo ! C'est très réussi.
J'aime beaucoup ta manière d'écrire et de décrire. Le récit est fluide et captivant. La situation est tellement cocasse que je pensais que c'était la description d'un rêve, mais c'est mieux que ça !
Encore bravo et merci pour le sourire que tu viens de coller sur mon visage :)
J'aime beaucoup ton style d'écriture, et le passage ou le spartiate évoque sa grand mère m'a bien fait rire.
merci pour ce bon moment de lecture ;)
Fy
Mdr pour le Spartiate qui vient d’une faille spatio-temporelle chercher l’Élu qui n’a rien demandé.
Mais j’avoue que ce qui m’a achevé c’est « Déguizland » !
Bref, histoire très bien écrite et qui se lit facilement.
Bonne chance pour le concours, et comme le dirait Gerard Butler, heu… Le roi Léonidas & sa troupe :
Ahou ahou ahou !
J'ai adoré certaines comparaisons que tu fais ! C'est parfaitement délicieux !
Et cette formidable résolution... Je vais bien réfléchir à ce que je note, moi, mercredi ^^
Je suis bien contente d'avoir découvert ta petite nouvelle ! Elle est excellente ;)
ça me donne encore plus envie de découvrir tes autres récits !
J'ai passé un super moment à lire ton histoire, elle était drôle, bien écrite et originale ! Merci pour ce beau moment <3
Bisous volants
Cette idée un peu saugrenue, mais originale est présentée avec beaucoup d’humour et elle colle parfaitement au thème. Bravo !
Coquilles et remarques :
— J’ouvre un oeil [œil]
— de la sonnette à qui un grand malade est en train d’affliger la 5e symphonie [à laquelle / infliger]
— dans une flûte à Champagne [champagne]
— Ca ira. / Ca tangue. / Ca t’arrive souvent de sonner [Ça*]
— la cape de catch qu’on s’est refilé [refilée]
— Ils se posent tour à tours [tour à tour]
— les allées et retours qu’il lui inflige jusque dans sa paume me file des frissons [allers et retours / me filent ; on écrit « allers et retours », mais « allées et venues », d’où la confusion]
— retour en arrière occulaire [oculaire]
— Tu t’es égaré, Etranger / t’es un peu retard [Étranger* / en retard]
— N’importe quel mec censé / Première réaction censée du jour [sensé / sensée ; qui a ou qui relève du bon sens]
— Quand je réouvre la porte [rouvre ; on dit « réouverture », mais « rouvrir »]
— Le spartiate en sandale [Le Spartiate en sandales / le ou un Spartiate : à corriger 6 fois dans le texte ; le substantif prend une majuscule quand il désigne une personne]
— d'un hématome sous dural [sous-dural]
— Je viens d’y apercevoir mon Salut [salut]
— Ok. J’opte pour une nouvelle voie [OK]
— De là d’où je viens, on ne tourne jamais le dos [Là d’où je viens]
— Je fais volte face et tente [volte-face]
— Ne me fait pas regretter d’avoir risquer [fais / risqué]
— Ce pourrait-il que [Se ; dans « il se pourrait que », c’est plus évident]
— A la 20e, il me semble que [À*]
— faire vibrer les cadres suspendu [suspendus]
— un bébé à qui l’ont donne le biberon [l’on]
— si je te ramènes accoutré [ramène]
* L’Académie française comme Grevisse recommandent de mettre les accents, trémas et cédilles aux majuscules parce qu’ils ont pleine valeur orthographique.
Et oui, tu as vu juste, ses amis ont recruté un acteur déguisé ;) Merci de ta lecture !
Encore bravo !
J'ai bien peur que non, la maîtrise, ce soit toi !
Parc contre, une erreur impardonnable qui fait montre d'une légèreté inadmissible à ce stade de la compétition : j'ai bien cherché, sur le site déguisland, il n'y a pas de costumes de spartiate. Oh !
Si je n'avais pas donné mon vote à la petite souris, il aurait été tien !
Oui, j'ai un truc à régler avec les souris, sorry !
Je me suis vraiment demandé où on allait avec ce pauvre personnage… Et je dois dire que j'ai été obligé d'interrompre ma lecture deux fois car ton texte… MAIS TON TEXTE… ! Il y avait tellement de perles que je t'ai citée dans le topic de citations pour le projet "raclette" sur le forum. Ces citations méritent de figurer sur des cartes de visite servant à promouvoir PA.
Bref, j'ai adoré ! C'est tellement WTF et… imprévu, pour le coup. Le pire, c'est que ce serait typiquement le genre de résolutions que j'aurai pu faire. Ce qui est flippant. Donc, merci pour la mise en garde ! :P
Merci pour ta participation ! :D
Merci pour ta lecture et ton commentaire. Je suis ravie que tu aies aimé ;)
ha ha c'était très drôle, joli approche du thème, j'ai beaucoup aimé le ton humoristique et ta plume ! C'est un peu dur comme réveil matin... surtout après un 31 bien arrosé :) Bravo !
Bravo ! :)
Merci pour moment
" Je ne suis plus qu’une serpillère qui éponge sa propre urine." -> énorme !
Bravo pour ton texte XD Je ne m'y attendais pas du tout !
Au début, j'ai cru que le gars était un pompier, à cause de la hache (j'avais fait l'impasse sur la jupe en cuir). Mais non, c'est encore plus imprévu que ça !
Merci pour ce sketch désopilant !
Et la serpillère qui essuie sa propre urine, c’est génial.
Ahah moi pareil, c'est un vrai défouloir l'écriture quoi...
Je me suis bien marrée en lisant ta nouvelle !
Le "Le gars a le cou d’un taureau. Qu’est-ce que j’avais dit, déjà ? Ah, oui, lui casser la gueule. Changement de tactique." m'a achevée XD.
J'adore ce petit concours du jour de l'an décidément <3
Merci pour les rires !
C'était vif, léger malgré l'angoisse du moment
Je n'ai qu'une chose à dire, Encore !