Traditionnellement, la dernière espèce enfantée par Nunn est désignée sous le vocable de derniers nés de Nunn jusqu’à ce qu’un de ses représentants accomplisse un exploit retentissant. Alors, ce nouveau héros donne son nom au nouveau peuple du bouclier-monde. Pour ne pas encourager le culte de la personnalité, le patronyme est néanmoins subtilement modifié. Ainsi, Paigaze qui fut le premier cheval ailé à s’illustrer en menant le mythique roi elfe Sarvalur à la guerre, donna son nom aux pégases. De la même manière, les héros Lu-Thym, Lykorn, Jéan, Cyrène et tant d’autres ont transmis leur patronyme à leur peuple.
Pour distinguer les mâles des femelles, plusieurs techniques sont employées. A l’origine, aucune distinction n’était appliquée, mais la pratique montra les problèmes de confusion que cela engendrait. Ainsi, on apporta une distinction aux noms suivants comme géants et géantes, centaures et centauresses. Parfois, cette distinction ne sonne pas bien à l’oreille. Alors on prend le nom de l’époux/épouse ou du père /de la mère du héros.
Le nom des enfants de Nunn
Encyclopedia Gnomnica
« ...et c’est alors qu’un amuruq a surgi de nulle part, père ! »
« Un amuruq ! Comment diable a-t-il pu passer à travers les mailles de notre battue ?! » Choqué par cette révélation, le roi Roll coupa son fils, le prince Sirius dans son explication. Puis, sans même le regarder, il s’adressa sèchement au maire du palais. « Otto j’exige une explication ! »
« C’est la faute des derniers nés, mon roi ! Les derniers nés braconnent sur les chasses royales, Sir. Par conséquent, le gibier y est par trop chiche ! Ainsi les prédateurs se trouvent affamés et présentent des comportements déroutants... »
« Cela illustre une fois de plus l’incompétence de la mairie du palais et de la cinquième caste à faire respecter la loi sur les domaines royaux ! De tels problèmes n’existent pas dans les prérogatives des quatre premières castes, mon roi ! » Ugmar préférait largement traquer ses ennemis politiques plutôt que pratiquer la chasse à cour. Et Otto venait de lui offrir une nouvelle occasion de s’adonner à son sport favori.
« Nous réglerons tout cela lors du prochain conseil messieurs ! » coupa le souverain en levant la main pour clore la joute verbale qui s’annonçait. « Et toi Sirius ! Que faisais-tu si loin en arrière ? Tu contais encore fleurette à Victoire ! »
« Pouvons-nous les blâmer, mon roi ? » intervint malicieusement Ugmar. Il allait dans son intérêt que l’idylle entre sa fille et le dauphin aboutisse à un mariage. Ainsi, un jour, s’il arrivait malheur au roi Roll, il deviendrait le beau-père du souverain en place, encore un peu plus prêt de la couronne. « J’aimerais par contre connaître la raison de la présence de ce maître fauconnier dernier né, le premier jamais nommé si je ne m’abuse. »
Par sa manœuvre, le grand chambellan faisait mine de méconnaître le garçon et restait volontairement flou en attendant d’en savoir plus sur la situation.
« Ome nous a sauvé papa ! » répondit Victoire. « Quand il est arrivé, nous étions en mauvaise posture ! Sirius venait d’être désarçonné et l’amuruq le menaçait ! Ome a risqué sa vie pour nous ! »
« C’est vrai ça mon garçon ? » demanda le roi Roll. Sans un mot, Ome acquiesça. « Comment t’appelles-tu ? »
« Ome, seigneur ! » répondit ce dernier en effectuant une révérence. « Mais je n’ai fait que mon devoir. »
« Eh bien, Homme ! Nous pouvons dire que tu as accompli un haut fait d’arme ! Le premier haut fait d’un dernier né de Nunn ! Ainsi, conformément à la tradition, ceux de ton peuple ont à présent un nom ! Baron Otto, nous comptons sur vous pour rédiger le décret royal et le diffuser. À présent, les derniers nés de Nunn seront reconnus sous le patronyme d’homme. »
« Un haut fait ! Un simple fait de chasse en pleine trêve séculaire ! » s’offusqua le maire du palais.
« Sentor a bravé mille morts pour mériter un tel honneur ! » fit remarquer le général Ull. « N’est-ce pas prématuré ? »
« Ce dernier né vient de sauver les deux héritiers les plus importants de l’empire ! Que vous faut-il de plus ? Baron Otto, nous comptons sur vous pour rédiger le décret royal et le diffuser ! À présent, les derniers nés de Nunn seront reconnus sous le patronyme d’homme. »
« Il sera fait selon votre bon plaisir, mon roi ! » répondit le maire du palais avec une moue réprobatrice.
Ugmar ne savait que penser de cette décision prise à l’emporte-pièce par le roi. Quels avantages pouvait-il tirer de ces évènements inattendus ? Devait-il révéler ses liens avec le garçon ? Surtout la vive réaction du général Ull lui posait souci. Il ne désirait pas se mettre à dos son allié de longue date. Enfin, le souverain elfe avait tranché dans le vif, ce qui pour une fois délestait le grand chambellan du poids des jeux d’influences. Le roi reprit son interrogatoire.
« Et d’ailleurs, le grand chambellan a raison ! Que fait un dernier né de Nunn parmi mes gens ? Pourquoi accompagnez-vous la vénerie, jeune … « homme » ? » reprit le souverain intrigué.
« J’ai été choisi pour représenter mon peuple il y a sept ans. Je suis le premier dernier né mâle à faire partie de votre maison, mon roi ! Et aujourd’hui était le jour de mon intronisation. »
« Sept ans vous dites ! Je n’en ai aucun souvenir ! Allons ! Allons ! Votre intronisation mérite une toute autre cérémonie ! Plus spectaculaire ! J’avoue que j’ignorai tout de cela ! Baron Otto, pourquoi une cérémonie si confidentielle pour le premier des « hommes » ? »
« Hein ! C’est que...euh... »
Ugmar avait agi dans le dos de cet imbécile d’Otto. Son idée première était d’effectuer une intronisation discrète pour derrière présenter Ome en conseil sans que l’opposition n’eut son mot à dire. Les évènements récents modifiaient légèrement la stratégie à employer. Le grand chambellan vola donc au secours de son ennemi.
« Nous avons agi selon les desiderata du conseil, mon roi. Il était convenu de ne pas mettre en avant outre mesure cet évènement. »
« Eh bien nous changeons d’avis ! Et nous décidons que demain, nous organiserons une remise de charge officielle ! Comme je viens de le faire remarquer, ce dernier né de Nunn, cet « homme » vient de sauver les deux héritiers les plus importants de l’empire ! »
Le baron serrait sa bride à en blanchir ses poignes. Il enrageait de devoir subir pareille humiliation. Cela n’était plus arrivé depuis la guerre des cynocéphales. Perdre la face devant le baron Otto, c’était perdre de sa superbe. Franchement, Ome n’aurait-il pas pu s’abstenir d’intervenir ? Il remettait en cause le faisceau d’intrigues que le grand chambellan avait consciencieusement tissé. Et alors qu’Ugmar pensait l’incident clos, le prince Sirius vint encore compliquer la chose.
« Vous dites que ce dernier né nous a sauvés ! Ne vous emballez pas, Père ! Il nous a seulement permis de nous réfugier dans les arbres. L’amuruq n’est pas mort ! C’est votre arrivée qui nous a sauvé ! »
Pourquoi cet imbécile de Sirius intervenait-il ? Il donnait l’impression de vouloir dénigrer Ome. Sans lui il aurait certainement péri dévoré par la bête ! Était-ce pour camoufler son aveu de faiblesse ? Ou bien simplement parce qu’il le détestait depuis le premier jour ? C’est en tout cas ce qui ressortait des entretiens matinaux du jeune espion. Le dauphin abhorrait les derniers nés en général et Ome en particulier. Ugmar n’avait pas les moyens de contredire l’héritier de Roll, d’autant qu’il partageait son aversion pour ceux qu’on allait appeler à présent hommes. Il devrait peut-être sacrifier le garçon qu’il avait mis tant de temps à rendre dévoué, il n’hésiterait aucunement.
« Les derniers nés ne sont autorisés qu’au port de la lance ! Avec un arc ou une épée, j’aurai sûrement fait mieux ! » protesta le fier garçon.
Le visage du général Ull s’empourpra instantanément à la remarque de l’insolent.
« Sacrilège ! Un dernier né de Nunn avec une épée ! C’est un privilège réservé aux cinq premières castes ! » renchérit le prince Sirius.
« Oufti ! Une exception est accordée aux représentants des autres castes il me semble ! Ça est mon cas en tant que cheffe des gens de l’eau ! » contesta Jolly la nouvelle amirale de la septième caste.
« Dame Jolly a parfaitement raison ! » appuya le maître architecte Vinci.
Le grand chambellan marchait sur des œufs. Il ne pouvait pas froisser ses deux récents alliés, représentants de la sixième et de la septième caste. En même temps, il partageait l’opinion du général Ull sur le fait de limiter au maximum l’ascension des derniers nés. Surtout, il sentait poindre une querelle intestine au sein de son parti politique. Pour éluder le conflit potentiel, il créa donc une diversion en changeant de sujet.
« Mon roi, comment allons-nous désigner les femelles des derniers nés à présent ? Hommesses ? Hommettes ? Je trouve ces termes disgracieux ! »
« Comme à l’accoutumée, vous faîtes preuve de pragmatisme et de bon goût, cher grand chambellan. Vous avez raison, ces termes sont inappropriés. Et bien, jeune « homme » avez vous déjà pris épouse ? »
« Non, seigneur Roll. »
« Dans ce cas, pouvez-vous nous donner le nom de votre mère ? »
« Elle s’appelle Fame, seigneur Roll. »
« Fame...femme...cela sonne mieux à l’oreille ! Ne trouvez-vous pas, grand chambellan ? »
« Pour sûr, mon roi ! En tout cas, mieux que hommesse. »
« Et pour le port de l’épée, mon roi ? » questionna Otto, trop heureux d’avoir décelé une faille dans la coalition adverse.
« Oui, pour l’épée, mon roi ? » soutenu le général Ull.
« Il suffit messieurs ! Comptez-vous discuter toutes mes décisions ? Ce garçon a sauvé mon fils unique, je vous le rappelle ! Monsieur le maire du palais, pour le mois prochain vous organiserez une cérémonie officielle d’intronisation au rang de maître fauconnier du premier représentant des derniers nés de Nunn. Faites savoir qu’à compter de ce jour, les derniers nés de Nunn seront désignés sous le nom d’hommes pour les mâles et de femmes pour les femelles ! De plus, nous octroyons au représentant desdits hommes le droit de ceindre l’épée et de recruter une compagnie d’archers. »
Ugmar se demanda comment il pourrait se dépêtrer de ce problème. Son objectif avait toujours été de maintenir les « hommes » dans leur précarité. Jusqu’à présent, il était parvenu à les empêcher d’obtenir le moindre privilège. La sentence royale apparaissait irrévocable. En un battement de cils, sur un coup du destin, les derniers nés de Nunn venaient d’obtenir plus d’avancée sociale qu’en presque un siècle. Et la masse des proscrits risquait de s’avérer plus coriace à affronter que ce ballot de maire du palais. Ome était à sa botte, entièrement dévoué, il ne le craignait pas. Son nouvel ennemi s'appelait opinion publique ou vindicte populaire, monstre immatériel et immortel. Le grand chambellan obtenait enfin un défi politique à la hauteur de son talent. A terme, il triompherait, inévitablement, comme à l’accoutumée, mais le parfum d’un combat nouveau le grisait. Et pour un instant, il oubliait ses pulsions animales, focalisé sur ses réflexions cérébrales.
En tout cas, tout s'accélere et j'ai hâte de connaître la suite 🙂