Litchi qui fait brûler son soutif à la cafet de Rennes Pontchaillou

43. Litchi qui fait brûler son soutif à la cafet de Rennes Pontchaillou
(By Victor Carmin)

Quand je me suis pointé chez Diak après le boulot, celui-ci n’était pas chez lui. Moi qui étais impatient de parler à Kiwi, ça n’allait pas être pour tout de suite. Chibi était là, par contre, en train de squatter un des termi de Driss pour jouer à un jeu vidéo.

- Il est passé où Diak ? J’ai demandé.

- Sorti prendre l’air. Kiwi l’a déprimé.

Le clone a dit ça avec une espèce de triomphe mesquin, surement parce qu’il n’avait toujours pas le droit de dire bonjour à sa souche. Je commence à avoir envie de lui laisser ma place bordel, Kiwi est si affreux que ça ?

- Et toi, depuis quand t’es là ?

- Je suis venu à midi pour finir les restes, ils m’ont invité.

Ah okay, le mec se fait inviter et il en profite pour squatter tout l’aprèm. Pas étonnant que Diak craque. Comme le copier/coller était hyper concentré sur son jeu, je me suis tourné vers Grenade qui lisait des trucs sur un autre terminal (il y en a plein la baraque) :

- Quoi de neuf Grenadine ?

Il est resté une seconde à me jauger avant de se rappeler comme j’avais été sympa avec lui la veille :

- J’ai pu contacter Litchi et Noisette grâce à ton plan cul.

Sans aucune raison, je me suis senti fier. Il est doué mon plan cul, pas vrai ? Heureusement qu’il était pas là pour entendre que même Grenade l’appelait comme ça, sinon notre cuisinier officiel se faisait virer de l’appart.

- Cool. Ils vont bien ?

J’ai demandé ça un peu à contrecœur, Litchi devait être tellement vénère contre moi, je préférais qu’on s’oublie mutuellement

- Ils vont bien. Ils sont revenus en France.

- Ah bon ?

- Depuis un certain temps déjà, Ils sont rentrés peu après que Chibi ait disparu, pour le retrouver avant qu’il se fasse arrêter. Ils ont pris beaucoup de risques, ils étaient morts d’inquiétude.

Oups. C’est vrai que pour Litchi et Noisette, comme pour Grenade et Kiwi, Chibi est un peu leur gosse.

- Litchi ne me déteste pas trop ?

- Si.

Pourquoi j’ai posé la question, moi ?

- Et, euh... tu leur as parlé du plan pour libérer Kiwi ? Ils vont nous aider ?

- Pas surs qu’ils puissent. Tu as entendu parler de ce qui se passe au CHU de Rennes ?

C’est vrai que je vous ai pas raconté ça ! J’avais trop de problèmes perso à gérer, mais c'est une histoire de dingues ! Je vous fais un petit topo pour vous remettre à jour :

Sur les 35 clones que Santorga a repris à KEx, une douzaine étaient “orphelins”, c’est à dire que leur souche était morte pendant leur période de liberté. C’est ce qui était arrivé à la souche de notre Lisa qui avait eu la chance d’être réclamée par les proches. Les onze autres, parmi lesquels il y avait ma copine Amanda Rodès, une fois endormis on les avait envoyés aux facs de médecine en toute discrétion pour ne pas faire hurler les médias.

Déjà que les gens supportaient pas qu’on réendorme les 12000 clones qui n’avaient vécu que deux mois, alors envoyer comme cobayes les clones de Kartrouville Ex, dont certains avaient vécu sept ans, ça allait jamais passer. Mon patron avait été forcé de prendre cette décision pour pas avoir l’air faible, et parce que tant que Leclerc-Berger n’avait pas rempli sa mission, on manquait de capsules.

De toute manière, c’est là-bas que les clones orphelins sont voués à aller, disait Prigent. C’est ce qu’on a toujours fait. Où d’autre ? J’avais glissé d’un ton indifférent qu’on pouvait leur rendre leur liberté, les refourguer à la DDASS ou à la SPA, je sais pas, Amnesty International serait content et nous lâcherait la grappe une petite semaine. De toute façon ces clones avaient déjà une conscience alors foutu pour foutu... Manque de bol pour moi, mon patron n’a pas apprécié et j’ai eu droit à une formation de deux heures sur la psychologie marketing, pour apprendre le mal que ça faisait médiatiquement de ne pas tenir sa ligne de conduite jusqu’au bout. Quand j’y pense, c’est sûr et certain que Santorga va accepter de greffer Kiwi avec les membres de son clone s’il en fait la demande.

Mais bref, le rapport avec cette chère Litchiasse et son mari dans tout ça : Le transfert des clones orphelins vers les facs de médecine de Rennes, Lille et Toulouse devait se faire dans le secret absolu, mais j’ai appris par des collègues où ils étaient envoyés, et je l’avais dit à Diak. L’info était parue sur internet le lendemain.

Litchi et Noisette, qui se planquaient dans un camping en province (l’horreur) avaient appris l’info et, n’ayant aucune piste pour retrouver Chibi ni Grenade, ils avaient décidé de se rendre utiles. Grenade m’a raconté qu’ils s’étaient rendus à Rennes, étaient entrés dans le CHU comme si de rien n’était, et en quelques jours ils avaient organisé une émeute dans la fac. Qui pouvait accepter sans rien dire qu’on fasse des expériences sur des êtres humains vivants qui savaient parler et marcher ? Pas les étudiants de Rennes Pontchaillou. Ils avaient fait une descente à 800 jusqu’à l’endroit où étaient stockés les clones, et ils les avaient tous réveillés : Amanda, Tyson et Sylvain, plus quatre autres clones orphelins qui n’avaient pas de lien avec KEx. Maintenant, les étudiants bloquaient leur fac, interdisant l’accès aux forces de l’ordre. Entre Litchi, Noisette et les keufs, il y avait 3000 étudiants déters. Ça durait depuis déjà une semaine. Personne ne savait que deux terroristes ses planquaient parmi les étudiants, avec cette info, les CRS auraient le feu vert pour entrer en force, quitte à blesser des civils. Heureusement, Litchi et Noisette s’étaient bien démerdés. D’après Grenade, Litchi avait assuré une éventuelle sortie de secours via les faux plafonds. Ça m’a fait sourire. Comme elle gère ! Et vous savez pas le mieux : La fac de Rennes avait rapidement été imitée par les facs de Lille et de Toulouse, où se trouvaient d’autres clones de KEx, mais aussi par les facs de Bordeaux, Lyon, Marseille, Paris et un tas d’autres. Des tas de clones orphelins destinés à la dissection ou je sais pas quoi avaient été réveillés et se voyaient offrir une chance de vivre. Plein d’étudiants en lettres, en socio et tous ces trucs de branleurs venaient prêter main-forte à ceux de médecine, en apportant leurs banderoles et leur savoir-faire de gauchiasses. Aux infos, on disait que la jeunesse de France était à feu et à sang. Et au milieu de tout ce bordel, Litchi et Noisette, guidés sans le savoir par Diak, lui-même informé par moi. C’est magnifique putain ! Dommage que Kiwi ne voie pas ça, il aurait adoré.

On ne pouvait donc pas compter sur Litchi pour nous aider à délivrer Kiwi, mais ça tombait bien : on avait pas besoin d’elle. Je peux parfaitement faire le boulot tout seul. Elle est recherchée et sa photo est diffusée régulièrement à la télé, pareil pour Noisette (et Grenade aussi, d’ailleurs,  ce qui fait que je sais à quoi il ressemble. Enfin plutôt à quoi il ressemblait il y a dix ans, la photo de Rahim Ozkan que les médias diffusent est celle d’un gamin de même pas 20 ans, non brûlé, qui ne devait pas être ressemblante du tout. Grenade disait qu'il n'existait pas de photo plus récente de lui, et il zappait systématiquement), mieux valait qu’ils restent à l’abri derrière leur armée d’étudiants. Litchi avait dit à Grenade : “Tu sauves Kiwi et nous on s’occupe de maintenir la révolte en l’attendant. Quand il sera dehors on passera à l’action”. Je ne sais pas à quoi elle pense, mais je suis prêt à la suivre.

- Et, euh... tu lui as dit que j’étais avec vous ? j’ai demandé à Grenade.

- Oui. Je lui ai dit que c’était grâce à Champignon qu’on pouvait se parler par téléphone, et que c’était toi qui avais retrouvé et ramené Chibi. J’ai vraiment essayé de prendre votre défense. Mais tu sais, Litchi est rancunière, et elle n’aime pas être trompée.

Pendant que Grenade me racontait tout ça, Chibi avait enlevé son casque et décollé son nez du terminal pour faire rouler le fauteuil vers nous :

- Ils sont pas trop balèzes ? Ils assurent un max, Litchi et Noisette ! T’inquiètes pas Totorou ils sont encore plus vénères contre moi que contre toi.

- Non, loin de là, a fait Grenade. Désolé pour toi Totorou.

Les surnom, putain, c’est comme des pandémies. J’ai fusillé Grenadine du regard. Bon okay, c’était de bonne guerre.

La porte d’entrée s’est ouverte à ce moment-là, et Diak a débarqué. Il portait dans ses bras un sapin de Noël, mais il avait l’air de tellement mauvais poil qu’on a pas osé faire de commentaire. Grenade est allé l’aider :

- Pourquoi tu m’as pas demandé de descendre ? T’es fou de porter ça avec tes points de suture.

Diak l’a ignoré, enfin il lui a d’abord collé le sapin dans les pattes et ensuite il l’a ignoré. C’était un vrai sapin, genre en bois et tout. Ça avait été interdit il y a quelques années pour des raisons écolos mais les gens étaient tellement furax d’être privés de leurs vrais sapins que le gouvernement a fini par les réautoriser cette année, c’était même un des arguments phares de la campagne de Macron. La planète va cramer avant la fin du siècle, de toute, alors qu’est-ce qu’on va nous interdire les sapins en sapin ?

Driss s’est installé sur le canapé, soulevant son pull pour regarder l’état de son pansement. Chibi s’est lancé courageusement :

- On va faire la fête ?

Le pauvre s’est pris un regard assassin.

- Vous emballez pas les parasites, ce sapin est pas pour vous. J’invite de la famille ici pour Noël. Carmin tu prendras Grenade chez toi, ça t’évitera de faire le réveillon tout seul avec ta mère comme tous les ans.

- Ça c’est bas. En plus j’adore ça fêter le réveillon avec ma mère.

Regard de pitié.

- T’as parlé à Kiwi ?

- Ben non. Je t’attendais.

Il s’est levé péniblement.

- On va faire ça tout de suite.

Purée c’est Kiwi qui me l’avait mis d’aussi mauvaise humeur ? Vous imaginez pas comme je me chiais dessus quand j’ai accompagné Diak jusqu’à sa chambre. Chibi me suivait des yeux, l’air fermé. Il était dégouté que je puisse parler à notre héros et pas lui. Franchement ça m’aurait pas dérangé qu’on échange nos places, si Kiwi avait mis Drissou dans cet état j’allais prendre cher.