Chaudement couverte d’un superbe manteau blanc doublé de fourrure, Giselle se dirigea vers le perron de sa demeure citadine. Constance ouvrit l’imposante porte d’entrée en lui souhaitant bonne route. Clovius, le majordome de la famille Madalberth depuis trente ans, se tenait sur le seuil. Le dos raide, il portait un plateau en argent sur lequel reposait une magnifique boite en carton peinte, fermée par le nœud d’un ruban jaune-pastel.
Le cœur de Giselle accéléra :
— C’est parfait, Clovius ! Le boitier est splendide. Je reviendrai sans faute cet après-midi, ne m’attendez pas pour le déjeuner.
Le majordome hocha la tête et regarda sa jeune maîtresse quitter la maison. Cette dernière s'engouffra dans une luxueuse voiture qui patientait au bord du trottoir.
Giselle serra des dents, il faisait un froid mordant en ce début de morte-saison. Elle s'enveloppa les jambes d'une couverture en laine laissée sur les sièges. Deux gardes impériaux, chargés de l’escorter dans chacune de ses sorties, la saluèrent au travers de la fenêtre. Elle vit leurs joues rouges, éraflées par les températures hivernales et nota que l’un d’entre eux avait les lèvres gercées.
— À notre arrivée à l’Église, commença-t-elle en s’adressant au chauffeur, demandez à ce que ces deux hommes soient servis d’une boisson chaude. S’il se met à neiger, autorisez-les à monter dans la voiture.
La voix de Giselle était douce et ferme, habituée à être entendue et écoutée. Le chauffeur démarra la voiture en douceur.
Derrière elle, les sabots ferrés des chevaux de la garde impériale tapèrent le pavé.
Giselle posa les yeux sur la boite que lui avait donnée le majordome ; rectangulaire et mince, elle était élégante. Elle cachait sur un coussin de soie pourpre, un magnifique mouchoir blanc brodé. L’ouvrage, réalisé par Giselle, était splendide. Elle avait mis de longues semaines à réfléchir à sa confection, à choisir les motifs et s’était reprise à plusieurs fois avant de se lancer. C’était un cadeau intime, destiné à l’Impératrice Carolina, sa future belle-mère. Elle avait déjà offert deux mouchoirs semblables, un à sa mère, qu’elle voyait rarement et l’autre à une de ses plus proches amies. Cependant, celui-ci était encore plus splendide.
Giselle était sûre de son talent, maîtriser la broderie faisait partie des nombreux domaines qu’on lui avait enseignés dès son plus jeune âge. Elle avait mis dans son travail, tout son cœur et toute sa reconnaissance et elle espérait que ses sentiments sincères se dévoileraient dans les plis de tissus et de dentelles.
Elle poussa un soupir et pensa à l’Impératrice, qui depuis toujours prenait soin d’elle. Ses rêveries se tournèrent ensuite vers Dusan et un frisson envahit son corps. Elle tira la couverture en laine à nouveau vers elle et respira l’air froid dans la cabine. Enfin, elle tourna son regard vers les rues de la capitale et le souvenir des lettres et des nouvelles du jour lui revint. Elle réfléchit au travail qui l’attendait plus tard dans la journée et se plongea dans des réflexions administratives et financières.
La voiture circula lentement, les passants regardèrent filer la magnifique berline accompagnée par deux fringants soldats de la garde impériale, montés à cheval. Chacun connaissait sa passagère, la célèbre Giselle le Tholy de Madalberth. Elle était fiancée depuis plusieurs années au troisième Prince de l’Empire, Dusan Fretnarch Tritis de Dalstein.
Les journaux ne présentaient plus Giselle depuis des années. Jeune femme accomplie et brillante, sa réputation la précédait jusqu’à l’étranger. Elle faisait partie des perles de l’Empire et incarnait toutes les valeurs de la noblesse, de l’intelligence et de la bienveillance.
Son éducation s’était faite par le biais des meilleurs professeurs particuliers. Peinture, musique, langues, mathématiques et sciences. Elle maîtrisait ces domaines sur le bout des doigts et avait une curiosité naturelle pour les études. Consciente de sa position, elle avait pris très tôt ses responsabilités et s’était évertuée à s’occuper de ses terres et des sujets de son père du mieux possible.
Assez rapidement, l’Impératrice Carolina fut piquée d’intérêt pour la jeune fille, qui suivait son père partout dans ses affaires. Elle avait remarqué son humilité et son sens du devoir. À l’âge de quinze ans, elle la demanda à son service. Le Duc avait hésité, craignant que la jeunesse de sa fille lui fasse défaut. Giselle, sérieuse dans ses tâches, avait refusé. Mais l’Impératrice fut si douce et patiente dans ses arguments que la famille de Madalberth céda. Giselle continua alors son éducation en même temps que son service à la cour.
Au début mal à l’aise à la capitale, Giselle s’y retrouva finalement comme un poisson dans l’eau. Elle comprit vite la nécessité d'être en pleine lumière, alors que ses parents venaient de divorcer.
Le Duc était un homme de petite taille, à la tête très ronde et aux cheveux grisonnants. Le dos tordu et les bras légèrement asymétriques, il se déplaçait même parfois en crabe. Giselle avait hérité de sa mauvaise constitution. S’il menait son rôle et ses travaux d’une main de maître, le Duc n’avait en revanche aucune autorité sous son toit et se montrait quelquefois lâche envers les femmes. Sa première épouse, qu’il avait ardemment aimée dans sa jeunesse, l’avait quitté du jour au lendemain pour se rendre au couvent et prendre le voile. C’était une femme de caractère et insatiable, mais intelligente. Le Duc finissait par toujours lui céder. Elle avait transmis à Giselle un certain entêtement.
Leur divorce fit évidemment jaser et couler beaucoup d’encre dans les journaux, on voulut savoir pourquoi la Duchesse de l’une des plus grandes familles avait préféré abandonner homme et enfants pour se consacrer à la prière. Il planait sur la famille une ombre de honte.
On disait aussi que le fils aîné, Oskar, était un jeune garçon aux activités louches et aux relations peu fréquentables. La dépression du père suite à la subite vocation divine de son ex-femme n’arrangea pas les choses.
L’Impératrice Carolina eut le nez fin, l’entrée dans le monde de Giselle fut vite remarquée. À dix-huit ans, date à laquelle Giselle devait prendre des fonctions plus officielles à Hautebröm, la famille impériale lui demanda d’accepter des fiançailles avec le troisième héritier à la couronne.
Giselle avait donné son accord, les joues roses. Cela faisait longtemps qu’elle et Dusan avaient des sentiments partagés.
Ses efforts ne s’arrêtèrent donc pas là. Après avoir finalisé l’apprentissage lié à son rang de fille de Duc, Giselle dut commencer celui de Princesse de l’Empire. Elle s’y plongea pleinement. C’était une travailleuse acharnée, toute dévouée à ses tâches. Elle ignorait tout des après-midis à flâner dans les jardins ou des journées de vacances en bord de mer. Elle n’avait dans tous les cas personne pour l’accompagner, Giselle était seule, et avait peu d’amis.
La jeune femme soupira, repensant malgré elle aux innombrables choses qu’elle avait à faire après le déjeuner. Elle allait sans doute devoir déléguer certains sujets à Iphigénie, sa belle-mère.
La voiture s’arrêta aux marches de l’église. Des badauds s’écartèrent, peu habitués aux manœuvres des véhicules à moteurs. Celle-ci, prêtée par l’Empereur Auguste en cadeau de fiançailles, était luxueusement rutilante.
Giselle regarda la haute façade blanche merveilleusement taillée avec un sourire. Le chauffeur ouvrit la portière et lui offrit son bras, tout en lui intimant de prendre garde à ne pas glisser sur les pavés.
Elle monta les marches prudemment et observa autour d’elle les magnifiques maisons qui entouraient la place. La cité de Lengelbronn était splendide, même en hiver. Déjà, une foule toute vêtue de blanc arrivait et les cloches se mirent à sonner. Une bouffée d’émotion la submergea.
Giselle entra, dans l’immense bâtisse résonnaient les échos d’une douce musique religieuse. Elle vit de loin le groupe des dames de compagnie impériales et avisa Carolina.
Le sol était dallé d’une pierre grise, lissée par les milliers de pas qui s’étaient pressés ici. Sur les murs s'étiraient des fresques colorées, scintillantes dans la lumière du jour encore jeune. De magnifiques vitraux centenaires veillaient sur la solennité du lieu.
Au milieu de l’église, après le par-terre de bancs et de sièges agencés pour les fidèles, se trouvaient une pelouse verte, avec une herbe grasse bien entretenue. Et en son centre un arbre, baigné par les rayons du soleil. Giselle s’en approcha d’un pas rapide. Elle prit place en saluant le groupe selon les usages, légèrement éblouie. Au-dessus de leur tête, une immense coupole en verre était soutenue par les voûtes de pierres, savamment construites dans tout le bâtiment. Le toit, transparent, recouvrait l’assemblée ; quelques branches effleuraient les vitres.
La Prêtresse, le visage encadré par un voile ocre et blanc, regarda l’Impératrice et fit un geste aux Sœurs présentes. Peu après, une foule s’engouffra dans le lieu saint.
Dalstein était l’un des Empires les plus vastes et les plus prospères du monde. Augustine XIII, la grand-mère de l’Empereur actuel, eut un règne d’une longueur historique. Ayant mené deux guerres à la victoire, elle avait permis à son pays d’ancrer ses valeurs. La lumière dans nos racines était sa devise. Son influence diplomatique et culturelle rayonnait sur le globe. Depuis des siècles, le pays se distinguait par ses sciences et ses avancées dans la médecine.
Mais ce qui faisait la particularité et l’influence de Dalstein, était sa religion. Car au sein de leur église, le Dieu qu’ils vénéraient était une femme.
De plus, un personnage plus que vrai, consciente de son statut et ses responsabilités de noble et future membre de la royauté.
Et la religion/église vénèrant une femme...m'intéresse fortement !
Je poursuis ma lecture avec grand plaisir.
Je n’ai pas trouvé de lourdeur dans tes descriptions. Elles interviennent à bon escient et elles distillent des informations essentielles sur Giselle. Ce qui est intéressant, c’est que tu arrives à ne pas en faire un personnage insupportable de perfection. Avec toutes les qualités qui lui sont prêtées, on pourrait la trouver agaçante mais pas du tout. Peut-être du fait de son physique peu éclatant ? Quoi qu’il en soit, malgré sa position indéniablement enviable à la cour, tu arrives à insuffler l’idée que ce tableau n’est pas aussi parfait qu’il le semble au premier abord.
De plus, le chapitre se clôt sur une révélation qui donne envie d’en savoir plus. Cette idée de religion féminine est passionnante ^^
A bientôt pour la suite
Alice
A très bientôt !
j'ai un peu l'impréssion d'assister à une émission de Stéphane Bern,
J'attend avec impatience que coule sang de l'Impératrice.....
Que coule le sang de l'impératrice
Mais Giséle est une brave fille qui se soucie du sort des petites gens....
Sissi , Lady di?
Même si je suis Républicain à fond
Je ne peux m'enpêcher d'aimer cette princesse
Et j’apprécie toujours autant le fait que Giselle soit loin des canons de beauté des héroïnes ; ça rend l’histoire plus captivante, plus crédible, et le personnage plus attachant.
Sinon, j’ai trouvé des répétitions qui alourdissent un peu le texte et que tu pourrais peut-être remplacer pour un meilleur rendu.
Par exemple :
Boite => écrin, caissette…
Giselle/Elle => la jeune fille, la future Princesse, la jeune fiancée, l’héritière de Madalberth…
En tout cas, cette histoire s’annonce prometteuse.
Bon courage pour la suite ! :-)
je ferai les modifications :)