Livre 2 - Chapitre 26

Dusan posa sa plume et s’enfonça dans son fauteuil. Il fixa le Capitaine Ottmen avec intensité et demanda :

— Combien de Daroviens avez-vous trouvés dans cette cargaison ?

— Une trentaine de personnes, tous avec de faux papiers. Ils sont actuellement aux arrêts à la frontière, répondit l’homme d’un ton relevé.

Le regard sombre du Dusan s’illumina d’une lueur énigmatique. Le Duc Veerhaven se redressa, mal à l’aise. Le Prince annonça :

— L’Ambassadeur de Darovir dira qu’il n’est au courant de rien. Nous ignorons encore leurs intentions, d’après ce que nous savons, ils sont à la recherche de certaines connaissances sur l’énerite.

— C’est ce que je pense aussi, Votre Altesse, dit le Capitaine en relevant les épaules.

Dusan resta un instant songeur, se demandant ce qui pouvait pousser un pays allié à envoyer des espions en douce.

— Je vous remercie de votre rapport, Capitaine. Vous m’informerez du reste, Damjan Duatir suivra également avec attention cette affaire.

Le chevalier salua les deux hommes avec respect, faisant claquer ses talons au passage, puis quitta les lieux.

Dusan tourna son regard perçant vers le Duc de Veerhaven, qui semblait mal à l’aise.

— Commençons la réunion, dit-il solennellement.

Le ministre des Transports remua la tête, tripotant nerveusement sa broche.

Son majordome laissa entrer une dizaine de personnes dans son cabinet de travail. La pièce, très large, contenait toujours l’ancien bureau de Giselle.

Le Prince accueillit ses invités d’un simple signe de la main.

Le comité assemblé autour de lui était composé de nobles et de parlementaires. Les domestiques installèrent des chaises avec des gestes discrets et l’introduction de Dusan commença :

— Si je vous ai réunis aujourd’hui, c’est pour vous remercier du soutien que vous apportez à la mémoire de ma défunte Mère Carolina.

— Que la Mère l’accueille dans son sein, murmurèrent les personnes d’une même voix.

— Elle avait à cœur de représenter la mère dans tous l’Empire et elle servait les Dieux chaque jour avec conviction et humilité. Elle a œuvré toute sa vie avec l’Église et nous pouvons dire qu’à cette heure, grâce à elle, nous possédons une relation privilégiée avec le Saint-Siège. La Papesse Hildegarde est aujourd’hui une amie précieuse. Mais nous pouvons aller plus loin. Bien sûr, la Sainte Citée Verte est la capitale de notre foi, mais chaque historien, chaque croyant sait que l’origine de notre confession est ici. Le culte de la Mère est né en Dalstein.

Les invités hochèrent la tête d’approbation.

— Ma mère, avant de mourir, travaillait sur un projet avec la collaboration de certaines religieuses. Certains d’entre vous connaissent d’ailleurs les résolutions dont je vais vous parler… Il s’agit du développement de l’énerite en Dalstein. L’Église souhaite prendre une position impartiale sur le sujet, dans tous les pays suivant notre religion. L’énerite représente un enjeu de plus en plus important, les daslteinis réclament l’utilisation de l’électricité pour tous. J’entends ce projet et je suis en accord avec lui. Cette énergie ne doit pas être donnée qu’à nous, privilégiés.

Le Prince, le visage contracté par ses paroles, jeta aux nobles et aux fonctionnaires un regard implacable :

— Il est de notre devoir, nous personnes de rangs de partager nos bénéfices avec le peuple. Nous avons pour tâche de servir, protéger et développer Dalstein. Je tiens à vous annoncer que je prends la suite de ma mère sur la distribution de l’énerite à tous les sujets de l’Empire. La Princesse Oriana, en tant que future Impératrice, m’aidera à me mener à bien la vision de Carolina.

Une parlementaire leva main pour demander :

— Vous voulez dire que l’énerite ne sera plus la propriété de l’État et de ses acheteurs, mais de l’Église seule ?

— Oui. Je vais vous confier une nouvelle de la plus haute importance, qui m’a été donnée par le Duc de Veerhaven et par le Capitaine Ottmen de la Garde impériale, avant même le début de cette discussion.

Le Duc se redressa sur sa chaise et pinça le bout de sa moustache.

— Des agents de Darovir ont été arrêtés il y a quelques jours. Ils ont eu pour objectifs de trouver nos secrets de recherches sur l’énerite.

Un murmure de désapprobation parcourut les invités, qui échangèrent des regards indignés. Les découvertes qu’avait faites Dalstein sur la pierre bénite avaient consacré l’Empire comme l’une des nations les plus puissantes.

— Imaginez donc que nos recherches puissent se revendre, ou bien si l’un des sujets de Dalstein cédait de l’énerite à une organisation afin de satisfaire ses propres intérêts…

Un silence tomba sur la pièce, chacun prenant la mesure des paroles du Prince.

— Une situation terrible en naîtrait, compléta le Duc de Veerhaven d’un ton entendu, l’énerite ne profiterait qu’aux actionnaires et aux corporatistes sans scrupules.

— L’énerite est un don des Parents, annonça un noble, effectivement, nous ne pouvons pas laisser son utilisation sans contrôle.

L’assemblée échangea des paroles d’approbation.

— Que pense Son Altesse Joren de cette réforme ? Sa Majesté Impériale lui a confié certaines responsabilités en ce qui concerne l’énerite, questionna une marquise en agitant son éventail. Également, les autres pays accepteront-ils de faire de même, la pierre est une telle source de pouvoir !

— Damjan Duatir est actuellement en déplacement dans l’Est, à la rencontre des ambassadeurs de l’Arbise. Le duc de Madalberth œuvre en ce moment même à l’Ouest, en Skadiali. Concernant Joren Primtir, il…, le jeune homme fit exprès de laisser sa phrase quelques secondes en suspension. Nous attendons de connaître sa position sur le sujet. Après tout, il doit… mûrement réfléchir. Darovir était également le pays de la première Impératrice Ulrika.

Les parlementaires s’échangèrent des regards, la bouche grimaçante. Les nobles gardèrent un visage impassible, mais on pouvait voir dans leur rictus des soubresauts d’agacement.

Depuis le retour de son épouse à la capitale, le Prince Héritier n’avait donné nul signe de vie. Il avait pourtant la réputation d’être un homme solide, son surnom n’était-il pas La Gueule de Lion ? Pour soutenir son père malade, il devait agir et se montrer présent. Où était-il ? Pourquoi la Première Princesse était-elle de retour de façon si subite ? Mais finalement, que sait-on vraiment ce prince des usages de la cour et de sa position ? La moitié de sa vie s’est déroulée dans le Nord, sous le soleil des tropiques. Son absence lui donnait des torts et il n’était pas là pour se rattraper.

Les murmurent s’élevèrent. Dusan écouta d’une oreille les commentaires acerbes et une satisfaction monta en lui. Il échangea un regard avec le Duc de Veerhaven et mit fin à la réunion. Les invités prirent le chemin de la sortie, délibérant toujours sur la défaillance de Joren.

Le Duc vient à lui, un sourire au visage :

— Si je puis me permettre, Votre Altesse, ma fille s’est bien reposée de son voyage et adoptera ses nouvelles fonctions demain. Auriez-vous le temps de lui rendre visite ? Elle est nerveuse à l’idée de revenir à la cour après tant d’années d’éloignement.

Dusan accepta.

Peu après le départ du Duc, Léonie fit une entrée inopinée. La jeune femme, portant l’une des robes qu’il lui avait offertes, jaune et crème montée sur plusieurs volants de mousseline, tourbillonna dans la pièce pour se lover dans ses bras.

— Où t’en vas-tu, ainsi bien habillé ? demanda-t-elle après l’avoir embrassé.

Dusan s’était effectivement changé, vêtu d'un costume gris perle rehaussée d’une broche en saphir en forme de sablier, symbole du Dieu Kertion.

— Je vais rendre mes hommages à Oriana, répondit-il en laissant son valet de pied fixer ses boutons de manchette.

Léonie grimaça légèrement.

— Est-ce que je peux venir avec toi ? Je dois partir pour Hautebröm dès demain matin afin que les ingénieurs commencent les travaux de ce pont…

Comme s’ils avaient besoin de moi pour poser la première pierre ! L’architecte n’a même pas encore été sélectionné ! Ne peuvent-ils pas envoyer les dessins ici ?

— Et je n’ai jamais rencontré la Première Princesse, continua-t-elle en soupirant, ne vaudrait-il pas de préférence que je le connaisse avant ? J’ai peur de faire une erreur si je me présente à elle en public.

Dusan hésita, les joues rouges et le regard inquiet de sa maîtresse lui arrachèrent un sourire. Il lui caressa le sommet de ses longs cheveux soyeux :

— Tu es si douce Léonie, tu essaies toujours de faire de ton mieux. Tu m’accompagneras, mais il faudra te montrer discrète. Concernant le pont, je suis heureux de voir que tu t’investis.

La jeune femme grimaça intérieurement. Sans la pression de sa tante, jamais elle ne serait retournée à Comblaine. Elle embrassa le jeune homme sur la joue en signe de reconnaissance.

Ils se rendirent tous deux à l’heure du thé à la somptueuse demeure du Prince Héritier. Souvent absent de la capitale, Joren y avait rarement mis les pieds, préférant loger directement au Palais Impérial. La résidence était donc toute acquise pour Oriana, qui y avait établi ses quartiers dès son arrivée.

On guida le jeune couple dans les galeries, décorées aux murs par des peintures de fleurs et de végétaux. Léonie resta bouche bée face aux décors, à la fois raffiné et délicat.

— On dirait que seules des femmes habitent ici…, murmura-t-elle à Dusan

— Bien observé, je me demande à quoi doit ressembler sa demeure dans le Nord.

— À un boudoir géant sans doute, gloussa-t-elle en imaginant une vieille fille frustrée et désœuvrée par son mari.

— Oriana est réputée pour ses goûts, le palais est superbe, répliqua Dusan d’un ton légèrement sec. Il a été habité par des générations d'Héritiers.

Léonie ne répondit rien. La résidence était effectivement magnifique. Dans une entrée, ils croisèrent la statue en cristal d’une ourse et de ses petits, animal incarnant la Déesse Délia.

Ils furent reçus dans un salon d’été, abrité dans une serre à l’ambiance tropicale. Des canapés au tissu rose et jaune étaient disposés autour d’une table basse sertie de nacre et d’émail irisé.

Au moment où ils prirent place, un bruissement se fit entendre. Les deux jeunes gens tournèrent la tête pour croiser le regard d’une femme qui arrivait derrière eux.

Elle était de grande stature, habillée d’un exquis chemisier couleur ivoire et brodée de myosotis, qui découvrait ses épaules. Sa bouche, bien dessinée, était marquée par un sourire discret et ses yeux, d’un bleu profond, brillaient d’un éclat vivace. Elle avait le visage ovale, la taille un peu large, mais une gorge généreuse. Sa jupe, ceinturant sa silhouette, était de soie cobalt et descendait en une légère traine derrière ses talons. Sur sa tête était posée une petite couronne faite de perles et d’argent, symbole de son rang. En présence d’un membre de la famille impériale, il était usage pour elle de la porter.

Son maintien, à la fois gracieux et imposant, dégageait une marquante aura de dignité.

Léonie compta quatre dames de compagnie à sa suite, toute des nobles triées sur le volet.

Dusan se redressa et la salua selon le protocole.

— Dusan Tritir, cela fait si longtemps, répondit Oriana, je n’ai malheureusement pas pu rendre hommage à Sa Majesté Carolina, ayant été souffrante. Votre mère me manque beaucoup. Vous avez tant grandi et vous ressemblez chaque jour un peu plus à beau-papa. Quel charmant jeune homme vous êtes devenu ! Comment se porte Damjan ?

— Je suis heureux que la Mère vous a accompagné dans votre rétablissement. Mon frère va bien, il œuvre pour l’Empire et se trouve aujourd’hui dans l’Ouest, pour une charge diplomatique.

— Oui, je vois, avec les Arbisiens, n’est-ce pas ? Damjan a toujours été si sensible, j’espère que ses humeurs nostalgiques se soigneront en bord de mer. Il aime tant être détaché du monde.

Léonie rit intérieurement, le second Prince était loin d’être un mélancolique !

Oriana fit signe à son hôte de s’asseoir, le thé fut livré.

Les dames de compagnie restèrent debout, derrière le dossier du canapé, le visage souriant et dénué de toute autre expression. Léonie prit place aux côtés de Dusan.

La jeune femme, fascinée par les manières d’Oriana, demeura un instant immobile. Dusan, pourtant rompu aux mondanités et habitué à côtoyer chaque jour des personnes de haut rang, avait également du mal à détacher le regard de sa belle-sœur.

Elle servit elle-même le thé au jeune homme, au moment où la main gracieuse allait reposer la tasse, Léonie prévint :

— Je prendrai deux sucres, s’il vous plaît.

La main d’Oriana resta en suspend, la tête délicate de la princesse se tourna vers elle :

— Oh, vraiment ?

Dusan pinça des lèvres. Léonie sentit son amant se raidir légèrement et comprit immédiatement qu’elle avait commis un impair.

— Je vous présente Léonie de Madalberth, qui a été adoptée récemment par le Duc…, commença-t-il d’une voix qui se voulait ferme.

— De Madalberth, c’est bien cela ? demanda Oriana en servant une seconde tasse de thé.

Les deux jeunes gens hochèrent la tête. Oriana regarda Léonie. Cette dernière lui fit sa plus belle expression embarrassée et déjà, des petites larmes apparurent au coin de ses cils. La princesse lui jeta un sourire éblouissant.

Léonie hésita, devait-elle se mettre à pleurer ? Ou bien s’excuser d’avoir parlé la première ? Elle ne sut pas comment tomber dans ses bonnes grâces, comme elle avait réussi à le faire avec tous les autres nobles d’auparavant.

— Votre tasse, dit simplement Oriana en déposant la coupe accompagnée de deux morceaux de sucre.

Léonie cessa la montée de larmes et avala sa salive.

— Léonie fait son entrée dans le monde…, essaya d’expliquer Dusan.

Le jeune homme se sentit soudain ridicule. Qu’est-ce qui lui avait pris d’accepter d’amener Léonie avec lui ? Il vit les dames de compagnie agiter leurs éventails.

Mais Oriana ne releva pas l’information. Elle but sa tasse en sans un mot.

— Avez-vous des nouvelles de mon frère Joren ? demanda-t-il.

— Non, répondit Oriana après avoir avalé une gorgée.

— Votre père vous a-t-il rapporté notre échange ?

— Effectivement.

Dusan garda un instant le silence, mal à l’aise, cherchant un angle pour aborder le sujet. Léonie eut quelques secondes le regard fixé sur la couronne posée sur la tête de la princesse, les lèvres légèrement entrouvertes. Elle se rappela les paroles de sa tante.

— Vous dites que mon époux, l’héritier au trône de Dalstein, est impliqué dans la mort de votre mère. Quelle preuve avez-vous contre lui ? Il a toujours eu un grand respect pour Carolina.

La question, énoncée avec calme, s’éleva dans l’air. Dusan glissa un regard vers les dames de compagnie, qui l’observaient subitement avec intensité. Son entrevue avec Oriana aurait dû être discrète, mais, n’avait-il pas amené lui aussi sa maitresse ? Le jeune homme commença sans ambages :

— L’Église a demandé à ce que le corps de ma mère soit examiné après son décès. Ils ont découvert une grande quantité de poison, absorbé depuis longtemps par son organisme. Ce qui explique l’œdème pulmonaire qui la faisait souffrir depuis plusieurs mois. Une enquête a été faite et de la poudre de ricine a été trouvée dans son talc. Elle s’en servait chaque soir, après sa toilette, et nous savons tous les deux que c’est Joren qui lui en livrait en cadeau deux fois par an. Une dispute a opposé Caroline et l’Héritier il y a deux ans, au sujet de la réforme sur l’énerite et de sa conduite envers l’Église. Vous êtes la mieux placée pour connaître sa position sur le sujet. Il souhaite écarter notre religion des décisions de l’État et détruire tout ce que ma mère a entrepris. Il est très influencé par Darovir et sa vision politique. Elle en fait part dans son journal intime, ainsi que bien d’autres choses...

Oriana haussa des sourcils face à cette annonce :

— Vous avez lu le journal intime de votre mère ?

— Oui, des gens du peuple ont demandé à ce que ses mémoires soient publiées. Nous l’avons trouvé dans ses affaires personnelles peu de temps après sa mort. L’Empereur est le seul, avec Damjan et moi-même, à en avoir pris connaissance, mais il interdit à divulguer ce qu’il contient. Je soupçonne mon père de se dérober, par sentiments envers son fils aîné. Il n’ose admettre la vérité et refuse qu’elle éclate au grand jour… C’est certainement honteux et cela éclaboussera notre famille de déshonneur pour plusieurs générations, ce crime restera certes dans l’histoire… Mais nous devons connaitre la vérité. La lumière dans nos racines est la devise de Dalstein. Il semblerait que l’attitude de Joren soit factice depuis des années. C’est un lâche et un menteur. J’ai essayé d’en parler à mon père, mais l’Empereur, depuis qu’il a lu le journal, s’est plongé dans un mutisme et dans un désespoir total. Il l’a rangé dans une pièce, scellé dans les sous-sols du château et a interdit quiconque d’y toucher. Ma mère ne s’est jamais méfiée de celui qu’elle a considéré comme son fils.

Oriana resta songeuse un moment. Elle pouvait effectivement croire que son mari était un hérétique, mais malgré leur rapports distants, savait qu'être animé par la vengeance ne lui ressemblait pas.

— Le Prince Héritier a déjà été amené à tuer lors de ses missions en mer. C’est un homme de terrain. Je ne l’imagine pas fomenter un plan si pervers, déclara Oriana d’un ton ferme.

— Une troisième chose, qui sans doute raisonnera dans votre esprit… Ma mère fait état dans son journal de quelque chose d’édifiant. Elle y a écrit qu’elle soupçonne Joren de ne pas être le fils de l’Empereur. Comme vous le savez, Ulrika et elle étaient cousines. L’Empereur était fou amoureux de cette dernière, qui aurait dû épouser un autre. Ce fut une grande affaire à l’époque… Au dernier moment, les familles ont interchangé les fiancées. Mais Ulrika nourrisait des sentiments pour son premier prétendant.

Oriana ferma un instant les paupières. Les premiers mois de son mariage, Joren et elle avaient essayé de s’entendre et s’étaient forcés aux confidences. Elle se rappela clairement que le jeune héritier avait émis des doutes quant à sa propre légitimité. Il lui avait été difficile de le rassurer, étant donné que son visage était le portrait craché de sa mère et qu’à l’époque, les rumeurs circulaient encore.

La Première Princesse articula après un long silence :

— Mon honnêteté ne peut que vous confirmer que le Joren Primtis n’est pas en mesure d’affirmer avec certitude qu’il est le fils de l’Empereur. Je dois vous dire qu’il m’a appris que Sa Majesté lui a fait lire le journal de votre mère, il y a fort longtemps, à l’intérieur se trouve des passages rédigés par Ulrika. C’était pour le rassurer… Elle y explique comment elle est tombée enceinte et y décrit ses interactions avec beau-papa. Mais je me rappelle clairement que ces passages étaient susceptibles de porter à confusion.

— Personne ne le peut. Mis à part les quelques personnes mises aux secrets de ce qui s’est passé avant ce mariage, qui avait fait grand bruit à l’époque. Nous avons demandé à Liselotte de confirmer l’authenticité du journal et elle l’a bien reconnu comme étant celui de ma mère… Nous avons également lu ces confidences avec Dusan, et effectivement, ils ne prouvent en rien la légitimité de l’Héritier.

Léonie pinça des lèvres, elle eut subitement envie de rire :

Ah, comment vas-tu réagir à cela, Madame Perfection ? Ton mari est un traître et un bâtard, ton monde s’effondre ! Vas-tu te terrer dans ta chambre comme cette imbécile de Giselle ?

Ses yeux rencontrèrent ceux d’Oriana, qui semblaient avoir lu dans ses pensées. La Princesse eut un large sourire :

— Bien évidemment Dusan, je continuerai à œuvrer dans l’intérêt de l’Empire. C’est notre devoir.

Léonie vit Dusan hocher la tête avec force :

— Oui, votre travail ne saurait être oublié par l’Empereur et Damjan.

Oriana prit délicatement sa tasse entre ses doigts graciles et après avoir bu une gorgée :

— j’ai parfaitement confiance en Sa Majesté et en votre frère, dit-elle avec satisfaction.

Après quelques échanges mondains, Dusan et Léonie quittèrent la demeure, raccompagnés par un majordome.

— Alors, que penses-tu d'Oriana ? demanda le jeune homme en prenant place dans sa voiture.

— Et bien…, j’ai du mal à trouver mes mots…

Léonie comprit qu’elle se sentait vexée et agacée, voire pire, humiliée par cette visite. À aucun moment, elle n'avait daigné lui adresser la parole.

— Oui, il est difficile de la décrire. Oriana est une femme formidable, une des plus épatantes que j’ai jamais rencontrées. Elle sera une Impératrice à la hauteur.

Léonie grimaça intérieurement et se rappela de la mince couronne que portait cette princesse, sur le sommet de sa tête.

La jeune femme sentit la main de Dusan se glisser dans son corsage, il lui agrippa la nuque.

— Pas maintenant, Votre Altesse, je dois aller dès demain à Comblaine pour ce pont… je dois rentrer et tout préparer pour mon voyage.

Le Prince regarda sa maitresse, interloqué, puis partit dans un grand éclat de rire :

— Oui, tu as raison ! Je vais te raccompagner. J’ai également beaucoup à faire pour les prochains jours, je dois écrire à Damjan sur cet entretien avec Oriana et je dois lancer les recherches sur ce traitre de Joren…

Léonie embrassa Dusan durant tout le reste du trajet et faillit céder à ses avances. Mais la jeune femme, déterminée, sortit de la voiture en ne pensant qu’à Oriana et à sa propre position.

— J’espère que je vais vous manquer…, chuchota-t-elle dans le creux de l’oreille de son amant.

— Énormément, répondit-il avant de fermer la portière de sa berline.

Il observa la longue silhouette sombre de Léonie se glissa derrière sa porte d'entrée.

— Où allons-nous, Votre Altesse ? demanda le chauffeur d’un ton placide.

— À l’endroit habituel, annonça Dusan en serrant les dents.

La voiture clinquante partit, le domestique ramena son maître à la résidence principale et changea de véhicule.

Dusan, enflammé par sa rencontre de l’après-midi, tournait mille réflexions dans sa tête. Le jeune homme se mit à rêver, à imaginer. Que serait Dalstein dans ses ambitions les plus folles ? Qu'est-ce que Damjan était capable de réaliser ?

Il prit de nouveau la route, et le chauffeur , devenu cocher le conduisit dans un simple fiacre, au travers des rues peu à peu plongées dans l’obscurité.

Une fois la nuit tombée, Dusan arriva devant une bâtisse cossue, d’où s’échappaient de la musique et des éclats de rire étouffés. Depuis une fenêtre, on le vit avancer et une étroite porte dérobée s’ouvrit.

Dusan s’approcha, lissant d’un revers de main ses cheveux noirs. Une femme passa sa tête dans l’embrasure :

— C’est vous, mon doux Prince ? Vous avez de la chance, j’ai Blanche de disponible, mais aussi la petite Augustine. Vous souhaitez que j’appelle laquelle ?

— Je prendrai les deux, répondit le jeune homme d’un ton rempli de fièvre.

La maquerelle ouvrit la porte et regarda Dusan entrer, un sourire au coin.

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Cléo
Posté le 19/09/2022
Je me demande quand Dusan trouve le temps de vaquer aux occupations de son rang, avec une telle libido... Le pauvre n'était pas très haut dans mon estime, et il n'est pas en train de remonter...

Léonie a intérêt à se concentrer un peu si elle veut suivre le rythme, surtout maintenant que Oriana est de retour.

En tout cas, tu déroules ton intrigue impeccablement. Je suis captivée ^^
hannah.gurnard
Posté le 25/05/2022
Oriane semble être un personnage très important dans la trame et son caractère me plaît beaucoup.
Quand à Dusan, j'avais un peu d'espoir...plus maintenant.
Mais j'ai hâte de voir le développement de Léonie.
Livia Tournois
Posté le 26/08/2021
Ah oui d'accord donc le monsieur est porté sur la chose. Oriana a vraiment l'air très impressionnante. Après cette entrevue, je me demande si Léonie peut prétendre au titre de future femme de Dusan...
AnneRakeCollin
Posté le 26/08/2021
Exactement !
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