Livre 3 - Chapitre 37

Dusan se frotta les tempes en réfléchissant encore à toutes les tâches qui lui restait à accomplir. Sur son bureau s’étalaient des piles de documents et des dossiers demandant à être signés.

Depuis le décès d’Auguste, le Premier ministre et lui-même étaient débordés. L’Empire de Dalstein venait de perdre ses souverains à quelques mois d’écarts et cela n’étaient pas arrivé depuis plusieurs siècles. Au Parlement, les tensions allaient croissantes entre les Élus. Les partisans de Joren se révélèrent au grand jour et la publication du journal de Carolina était attendue avec impatience.

— C’est une question de temps en ce qui concerne le journal, mais le rouleau n’a pas encore été retrouvé, soupira-t-il. C’est la preuve irréfutable que l’Héritier est destitué.

Un bruit tapant au carreau de sa fenêtre le fit sursauter. Dusan se releva et tira le rideau de velours d’un revers de bras. Un homme, vêtu de sombre, était suspendu à son volet et lui faisait signe d’ouvrir.

— J’ai été envoyé par Son Altesse Damjan Duatir.

— Qui êtes-vous ? questionna Dusan d’un ton sec en regardant l’homme en face de lui.

— Je ne peux pas vous le révéler de moi-même, demandez-le-lui si vous le voyez. N’appelez pas vos gardes, j’ai tout fait pour les éviter afin de ne pas créer de soupçons. Ce que j’ai à vous dire ne peut pas s’annoncer officiellement et ma venue ne doit pas être enregistrée dans vos archives.

Le jeune prince observa l’inconnu, vêtu d’une simple chemise brune et d’une paire de chaussures usées. Il avait grimpé silencieusement, sans un bruit.

— Je n’apprécie pas vos méthodes et je ne vois pas pourquoi je vous ferais confiance, déclara Dusan en fixant l’individu derrière la vitre.

— Votre frère m’a demandé de vous informer que demain, plusieurs journaux vont éditer un article révélant l’ingérence de la famille impériale dans la mort de l’impératrice Carolina.

Dusan fronça les sourcils. L’inconnu, s’aidant d’un bras, sortit un dossier des replis d’une sacoche en bandoulière.

— Si vous pouviez me laisser entrer, Votre Altesse.

Dusan considéra l’individu et se saisit d’une dague, rangée dans l’un de ses tiroirs. Il ouvrit la fenêtre et l’homme, avec une agilité surprenante, exécuta une pirouette d’acrobate avant de poser ses pieds sur le tapis.

Dusan tendit la main vers lui, prêt à recevoir le dossier et révéla la dague en signe de menace. L’homme regarda l’arme finement ouvragée en haussant des épaules :

— Le même dossier à été envoyé par un expéditeur anonyme, à l’intérieur, il y a des lettres et des rapports rédigés par les personnes s’étant occupés du corps de l’Impératrice après son décès. Ils annoncent que le poison employé n’est pas de la ricine mais un neurotoxique et qu’ils ont falsifié la vérité.

Dusan ouvrit le paquet, il trouva une note, accompagnée d’une liasse de documents fixés par une simple ficelle.

Les sourcils froncés, il se mit à lire :

La Mère a dit : dans ma lumière règne la vérité et la vérité tu suivras.

Le soleil jaloux ne saurait souiller la lune discrète

Car elle ne reflète que la lumière de la Mère.

— Vous savez qui a rédigé ces mots ? demanda-t-il, intrigué.

— Non, sa calligraphie ne correspond à aucune des personnes que nous connaissons. Nous avons comparé avec toutes celles que nous avons dans nos fichiers.

Avec précaution, Dusan ouvrit le simple cordon et observa les documents qui s’étalèrent sur sa table.

— Ce sont des rapports médicaux réalisés le soir du décès de ma mère, constata-t-il.

L’homme hocha la tête.

— Ils ont été rédigés par les médecins et les prêtresses qui étaient en service ce soir-là. Je reconnais leur écriture. Il y a même les directives des responsables.

La bouche de Dusan était devenue sèche :

— Ce sont des aveux ?

— Nous avons interrogé toutes les personnes impliquées dans ce dossier, ils jurent que ce ne sont pas eux qui ont écris certains de ces documents.

— Donc il y a parmi ces éléments, des rapports qu’ils ont bien rédigés ? C’est pourtant bien le papier officiel qui est utilisé par endroit, et je reconnais la manière d’écrire du secrétaire d’État.

— Nous pensons que de faux fichiers ont été conçus parmi les vrais.

Dusan jeta l’une des feuilles, qui tomba nonchalamment à ses pieds :

— C’est un coup monté par l’Héritier.

Il tourna la tête, rageur.

Ce dossier ne va faire que gagner du temps à Joren avant la publication du Journal…

— Vous constaterez que ces documents ne l’innocentent pas pour autant. À l’heure actuelle, il nous est impossible de distinguer les rapports d’origines des faux. Toutes les personnes s’incriminent les unes les autres de tromperies.

Dusan se tourna vers l’homme avec furie :

— Pourquoi ?

— L’un demandait des informations à l’autre, qui lui répondait. Le premier affirme qu’il n’a rien fait, alors le second l’accuse d’avoir été piégé. Le premier demande justice. Chacune de ces personnes est suspecte.

— Qu’a dit mon frère ?

— Qu’il est prêt à tenir contre la vague qui déferlera demain, récita l’agent en baissant les yeux. Du côté de Joren Primtir, il ne semble y avoir aucune connaissance de ce rapport.

— Et comment pourriez-vous le savoir ?

L’homme esquissa un sourire :

— Je ne révèlerai rien. Je travaille pour votre frère, pas pour vous.

Dusan lui lança un regard dédaigneux, puis se mit à réfléchir.

— D’où viennent ces enveloppes ? Comment ont-elles été envoyées ?

L’agent répondit nonchalamment.

— Directement au domicile des journalistes. L’entreprise postale ne sait rien. L’expéditeur a laissé seulement pour note : de l’Impitoyable Rancune à l’Insupportable Raclure. Le paiement s’est effectué en liquide et ils ont été livrés depuis plusieurs bureaux de l’Empire.

Dusan garda un moment le silence, puis déclara d’une voix décidée :

— Bientôt, il y aura un scandale, nous allons devoir nous montrer ferme et discrets. Vous direz à mon frère que les journalistes vont étudier ces documents avec beaucoup de sérieux et ils demanderont certainement qu’une enquête soit menée. Je rédigerai un communiqué pour annoncer que nous prenons les choses en main et que nous punirons les responsables. Ces dossiers ne vont pas paraître avant la fin de la cérémonie… Les journalistes vont d’abord vouloir parler de l’enterrement et enchaîneront là dessus…

Par les Dieux… ce rapport tombe mal, nous allons arrêter l’autre imbécile dès l’hommage terminé. Il faut que l’attention du pays soit directement tournée sur sa trahison. Si la population voit que nous n’avons pas été capables de découvrir le crime de ma mère, ils ne trouveront pas crédibles les accusations contre l’Héritier.

— Il sera difficile de démêler la vérité, Votre Altesse.

Dusan haussa les épaules :

— Ma mère a été assassinée, que ce soit par un poison ou un autre ne change rien. Tout ceci ne servira qu’à déstabiliser les partisans de Damjan et le Parlement. Les dalsteinis n’ont pas besoin de cela. Il nous faut garder les idées claires.

Dusan observa les papiers étalés sur sa table et grimaça. Il se recula sur sa chaise et commença à réfléchir.

L’auteur de ce rapport ne pouvait être qu’un noble, un politique ou bien un journaliste. Nous devons découvrir tous les partisans de Joren. Mais je ne peux pas ordonner au Gouvernement de les espionner. Il est encore le Prince couronné.

— Trouvez tous les ennemis de Damjan et continuez l’enquête, dit Dusan en soupirant. Et surveillez les directeur de journaux, ils vont vouloir faire des recherches de leur côté. Autre chose… Où est mon frère ? Il a disparu depuis plusieurs jours et j’ai besoin de lui ici. J'ignore ce qu'il fait dans sa maison de vacances mais il a encore de nombreuses tâches à accomplir, sa présence est impérative à Lengelbronn.

— Je ne sais pas, Votre Altesse. C’est lui qui fait appel à moi. Je lui ferai part de vos remarques dès qu’il me convoquera.

L’agent hocha la tête et quitta de nouveau la pièce par la fenêtre.

Une fois seul, Dusan ferma les yeux :

Damjan a déjà anticipé tout cela, je n’ai pas pensé à recruter des hommes tels que ceux-ci. Il a toujours eu une longueur d’avance sur moi… Mais je ne comprends pas, depuis la mort de père, il semble… différent. Garance a sans doute raison, sa peine l’empêche de réfléchir… il doit se montrer fort sinon… sinon…

En tirant sur un cordon caché derrière un rideau, Dusan appela son secrétaire particulier, qui ne tarda pas à faire son entrée :

— Donnez-moi la liste des guildes de mercenaires actives dans tout l’hémisphère sud, ordonna-t-il.

D’un œil colérique, il fixa l’étrange dossier sur son bureau. De l’Impitoyable Rancune à l’Insupportable Raclure… l’auteur de ces mots ne pouvait être qu’une personne animée par la revanche, ou bien était-ce juste une vague plaisanterie ?

Malgré lui, le visage souriant de Joren lui apparut dans un souvenir. D’un geste rageur, Dusan balaya les documents d’un revers de bras, éparpillant les papiers sur le sol dans un bruit mou et de feuilles froissées.

Je vais rendre visite aux Veerhaven puis à Garance… Nous devons planifier l’arrestation de l’Héritier avec la plus grande prudence.

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Livia Tournois
Posté le 23/09/2021
Chaque camp abat ses cartes, ne reste plus qu'à savoir lequel gagnera le duel face à l'opinion publique. Je me suis un peu perdue dans ce chapitre, sur la provenance du dossier et à qui il avait été envoyé. J'en ai conclus que les documents ont été rédigés par Giselle pour brouiller les pistes.
AnneRakeCollin
Posté le 24/09/2021
Oui, tout à fait ! j'ai gardé les initiales I.R (Ilda Roding) en indice... mais est-ce que ça ne fait pas maladroit du coup, que ca tombe comme un cheveux sur la soupe ?
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