livre dans sa globalité

Quid Est Homo

 










 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Livre I

Savoir et Vérité

 

 

 

 

 

 

 

Livre I :

Savoir et Vérité

 

 

Préambule

 

 

              La philosophie n’a pas fait de progrès depuis près de 500 années. Voici la proposition qui fonde la base de notre épopée. Et c'est sur cette constatation que repose toute l’importance de notre tâche. Car l’heure est enfin venue. Il est grand temps de redonner à la pensée sa véritable vocation. Celle qui, aujourd'hui, plus encore que jamais, se trouve en grande déperdition. 

 

La philosophie et la pensée de manière générale se doivent de retrouver le chemin du progrès et enfin en finir avec cette petite pensée moderne dénuée d'intérêt. Il faut que la majestueuse et fastueuse grandeur d’âme des sages d’antan puisse se réincarner dans les esprits de notre temporalité. Non pas en tant qu’écho lointain, mais comme une force vive, capable de façonner l’avenir. Notre mission consiste à raviver cette flamme éteinte depuis toutes ces années, de la nourrir et de la propager pour qu'elle éclaire de nouveau les sentiers que l'humanité empruntera vers l'acquisition de son salut de lumière. Il nous faut réapprendre à penser en grand et enfin parvenir à redonner à la réflexion sa noblesse d’antan.

Il faut en finir avec l'idée du philosophe qui en connait plus sur l'histoire de la pensée que sur la pensée même. Cette injonction démonstrative de la perdition des valeurs du bon penseur, celui qui apprend à penser de lui-même avant de vouloir se confronter à autrui. 

En finir avec ces modèles philosophiques entièrement dépourvus de sens pratique, totalement déconnectés de la réalité et du concret, simplement produits pour servir l’égo de certains individus malades et souffrants de leur faiblesse d’esprit.

En finir avec cette décadence conformiste et dogmatique. Celle qui cherche à construire dans la déconstruction, celle qui cherche à faire fleurir des savoirs pourris et vouée à la mort prématurée car inaptes à la vie et à sa beauté.

En finir avec ce relativisme ambiant qui ronge les vertus de la bonne pensée, celle qui permet d’élever, de développer, de construire et de produire.

En finir avec cette hyperspécialisation académique qui fait en sorte de morceler le savoir et les connaissances entre quelques poignées d’individus saugrenus. Ces académiciens évoluant dans des milieux qui ne parlent qu’entre eux, pour eux et par eux.

En finir avec ces principes stylistiques tirés de la sophistique qui font en sorte de sur-complexifier les énoncés pour en masquer leur pauvreté et leur superficialité.

En finir avec ces débats incessants et inintéressants se confrontant sans cesse sur des erreurs de raisonnement dans leurs fondements. Ces fondements jamais clairement déterminés, preuves sanglantes du manque de méthode et de rigueur dont font preuve la grande majorité des penseurs de la modernité. Ceux qui ne font qu’étudier les travaux de leurs prédécesseurs, ne faisant que de les déformer pour les faire conformer à leur vision bornée d’un monde artificiellement appauvri et limité à la seule volonté de ces traîtres au progrès. 

 

Amoureux des idées, cet ouvrage aura pour finalité de vous former. De former vos esprits à penser, à réfléchir par eux-mêmes et pour eux-mêmes. C’est tyranniquement que cette lecture vous ordonnera, vous poussera, vous restreindra par l’endoctrinement le plus profond à la tâche de la réflexion. Et cela, de sorte que cet entraînement vous exacerbe et prenne part à toutes vos activités. De sorte que vos quotidiens en soient rythmés par de folles danses de questionnements chantants. Questionnements qui vont mèneront presque par enchantement, à cette douce et enivrante sagesse bien aimée. 

              Cette aventure sera une véritable formation à l’obtention d’une liberté certaine, la plus importante de toute, celle de la pensée. Nous partirons vers de lointaines contrées encore jamais explorées jusqu’alors, et nous ne nous reposerons que dès lors que le travail aura été prodigué. Un travail qui nous mènera à la gloire pour l’éternité. 

Oui, c’est cela, nous écrirons l’histoire de façon à ce que les générations futures puissent se pavaner dans la splendeur de leurs aînés, ceux qui auront arpenté toutes les vérités.

 

C’est pourquoi, face à la dérive de la philosophie moderne, une nouvelle forme de pensée doit émerger. Une pensée qui s’émancipe des principes relativistes, une pensée qui ose réaffirmer la possibilité d’un accès à la vérité, d’un retour à la grandeur et à la noblesse d’une philosophie véritablement libératrice. 

Cette nouvelle philosophie sera une réponse à l’errance des esprits, une main tendue vers ceux qui cherchent des repères dans un monde où tout semble fluctuant, décadent, décevant. Elle ne se contentera pas de proposer des théories abstraites ou des systèmes conceptuels fermés, mais elle s’ancrera dans le réel, dans la vie quotidienne, afin de guider l’homme vers une existence pleine de sens.

En redonnant à la prudence la place qu’elle mérite, cette philosophie nouvelle réintroduira l’art de bien penser, de réfléchir avant d’agir, d’examiner chaque chose avec soin avant de tirer des conclusions profondes et emplies d’une sagesse rarement atteinte.

Elle réhabilitera l’importance du jugement réfléchi, de la contemplation sage, et de l’acceptation des limites inhérentes à la condition humaine. Ce retour à la prudence est nécessaire pour contrebalancer l’excès d’audace intellectuelle qui, trop souvent, conduit à la confusion, à l’erreur, voire pire, à la destruction des valeurs sans pour autant avoir réussi à en bâtir de nouvelles. 

Mais cette philosophie ne sera pas tournée vers le passé dans un élan de nostalgie stérile. Elle sera résolument moderne dans sa volonté de répondre aux défis contemporains Elle réconciliera la tradition et l’innovation, en forgeant un cadre de pensée où l’ancien et le nouveau se rejoignent pour offrir une vision du monde plus juste, plus équilibrée. Elle aura pour objectif de mettre en place la cadre nécessaire à l’apparition de la bonne et grande pensée. Et celui-ci aura pour objectif de balayer du revers de la main toutes les connaissances et réflexions fondées sur des infondés. Non pas en rejetant les connaissances du passé, mais en les intégrant, en les peaufinant et en les utilisant comme de fertiles engrais. 

 

Il nous faudra sans cesse repousser les savoirs préétablis et ne pas s’abandonner aux arguments d’autorités. Ce pourquoi, nul auteur ni idée ne sera ici cité. Dans ce récit initiatique, seuls nos raisonnements et les réflexions que pourront produire ces derniers se doivent d'être étudiés. Permettant ainsi l'émergence d’une forme de singularité procréatrice, non enchaînées par les dires et faits du passé dépassé. 

Mais bien qu’aucune idée d’auteur ne sera ici abordée, il ne faut toutefois pas nier le fait que nombres de ces raisonnements pourront se voir rapprocher à des derniers. Car notre monde moderne se trouve être la résultante du travail de ses penseurs passés. Leurs illustres influences nous parviennent par-delà les livres, par-delà leurs écrits en ayant façonné un monde dans lequel nous existons et subsistons. 

Bien que n’ayant lu aucun livre lors de l’entièreté de mon existence, je vous proposerai ici une réflexion entièrement originale d’une profondeur abyssale, puisée dans les méandres de mes pensées libérées des influences directes des grandes œuvres qui ont façonné l'humanité. Ce que je vous invite à découvrir n'est pas une répétition des idées établies, mais une exploration audacieuse et autonome de concepts qui cherchent à transcender les limites du connu, les limites du déjà-vu. Ainsi, ce récit se veut être une quête vers une vérité qui n'appartient qu'à notre époque, tout en restant un hommage à la sagesse intemporelle de ces auteurs de génie qui ont su résister à l'épreuve du temps et des changements.

             

              Et c’est via l’usage d’un style simple et clair qui laisse transparaître l’entière nudité de mes pensées, que je vous déploierai mes plus profondes et poétiques idées. Cela, sans qu’aucune pudeur ne soit exprimée. Car nous partons ici du principe que toute idée ayant besoin de se masquer ou de s’incarner par un langage que trop sophistiqué est hantée par un terrible secret. En réalité, le style complexifié à outrance a toujours été une façon détournée de masquer sa pauvreté et sa laideur intérieure. Seuls ceux qui ne sont pas confiant de leurs idées se sentent contraint de les maquiller de la sorte. 

Car il est bien facile de masquer sa faiblesse d’esprit et son manque cruel de profondeur en usant de techniques littéraires alambiquées, où le verbe s'érige en barrière plutôt qu'en pont vers la compréhension. Ce vernis trompeur peut impressionner, mais il ne saurait dissimuler longtemps la vacuité du fond, du profond. Ici, chaque mot est choisi pour sa vérité et non pour son éclat. Je m’efforcerai de vous livrer des idées dépouillées de tout masque, ne recherchant ni l’admiration ni la grandeur dans la forme, mais bien plus la pureté dans le contenu. Car la véritable profondeur ne s’encombre pas d’accoutrement ridicules et superflus. Elle se révèle dans la simplicité d’un discours direct et honnête, où chaque pensée, dans sa clarté, aspire à être comprise plutôt qu’adulée.

Cet ouvrage veut devenir le miroir limpide des idées qu'il véhicule. Il exposera les concepts dans leur plus pur et simple appareil, permettant ainsi d'en saisir l'essence avec la plus grande aisance. Car encore une fois, c'est dans la simplicité que réside la véritable force d'une pensée. Et c'est avec cette conviction que nous avancerons, refusant tout procédé sophistiqué pouvant altérer la clarté et la pureté de ce qui sera exprimé.

              Et comme vous l’aurez certainement déjà remarqué, ce style s’incarnera de la plus rustre des façons. Celle que prodigue le bon et honorable discours. Car l’entièreté de l'œuvre que je vous propose sera écrite et voulue ainsi. Une forme d’immense oratoire qui laisse entrevoir dans sa grandiloquente éloquence, la beauté, la puissance et la portance d’une vive voix emplie d’assurance. Amplifiant la portée si importante d’une philosophie braquée sur l’avenir et le désir de déployer toute notre vivacité, notre propension à l’aventure et à la découverte d’environnements pourtant si effrayants.

             

              Mais trêve de considérations quant à la forme de notre quête, il est maintenant tant de parler de son fond. Dans cet ouvrage, nous aborderons les sujets les plus importants qui soient, et tout naturellement, les plus utiles et pratiques possibles. Là se trouve toute l'étendue de nos ambitions.

              Nous décomposerons notre épopée dans les tréfonds de l'humanité en cinq actes différents, chacun contenant plusieurs parties répondant chacune à des points méritant notre plus haut intérêt sur de vastes et diversifiés sujets. De la théorie de la connaissance, l’histoire de l’humanité, la dualité corps esprit, en passant par l’absurde, le surhumain et l’art, pour terminer par les enjeux et les solutions de la modernité. Ces cinq actes, décomposés en dix ouvrages au total, nous permettrons d’établir les outils et connaissances nécessaires pour nous permettre de résoudre l’ensemble des problèmes de notre monde moderne. L’économie, l’éducation, la justice, les valeurs, la paix, le bonheur et la sagesse, bien sûr sans oublier l’humanité et son futur. Voici ce que proposera cette œuvre nouvelle, cette œuvre magistrale et emplie de noblesse, d’ambition, de désir de vivre et de vigueur d'esprit.

                           

              Le premier livre formera l’ensemble du premier acte de notre récit. Dans ce premier jet, nous poserons les bases du savoir et établirons l’objectif ultime de l’entièreté de notre travail. C’est dans l’établissement d’une nouvelle forme de philosophie du savoir que nous embarquerons vers les tréfonds de la pensée humaine à la recherche de réponses capitales. 

              Mais nous ne disserterons pas sur des sujets absurdement complexifiés et inutiles à la bonne pensée. Nous ne traiterons que des plus valeureux d'entre eux et établirons les bases d’une philosophie future solide et fertile. Ces bases nous permettront par la suite de poser nos raisonnements et réflexions tout en se sachant raccordé au plus profond de notre humanité, au plus profond de notre faculté de penser. 

               

              Le second acte se composera de trois ouvrages aux tonalités consonantes. Il représentera la plus imposante part de notre travail dans sa globalité. C’est en se sachant appuyés par les bases apportées lors du premier livre, que nous nous dirigerons vers la description de l’humain sous toutes ses déclinaisons. 

Nous commencerons par l’étude de notre passé et de notre histoire afin de retracer les raisons pour lesquelles nous nous trouvons ici aujourd’hui. Dans le second livre, nous livrerons bataille et partirons à la rencontre du fonctionnement des sociétés humaines d’antan afin de mettre en lumière les fondations de nos humaines civilisations.

Dans le troisième, nous plongerons dans ces sociétés même afin de décrire les raisons proprement individuelles qui nous ont poussés à atteindre notre modernité. Biais cognitifs, instincts et animalité, mais également les raisons de notre entendement. Ce troisième livre nous emportera dans les tréfonds du fonctionnement de notre psyché et de notre corporalité. 

Puis finalement, non rassasié par ces découvertes et réflexions nous nous engouffrerons encore plus loin dans les raisons qui nous poussent à agir comme nous le faisons. Car dans le quatrième et dernier livre de ce second acte, nous irons au-delà de l’individu pour étudier et relater les raisons qui forment notre individualité même. Nous irons à la rencontre de la vie, de ses composants et des lois qui la régissent. Véritable voyage initiatique à l'existence et son sens. 

             

              Une fois ce travail effectué, celui qui nous aura permis de déterminer les fondements de notre existence et des lois que l’univers nous pourvoit, nous nous attaquerons au troisième acte. Celui-ci aura pour objectif de nous rendre dans les contrées de la conscience, cette reine de l’existence. 

              Nous bataillerons lors du cinquième livre sous son commandement et établirons des victoires spectaculaires face à nos déterminismes et notre animalité. Nous établirons une nouvelle théorie de l’esprit, nous permettant de trouver la voie de l'élévation de nos personnes par-delà nos simples sens. C’est alors que nous pourrons introduire la notion la plus importante de notre épopée, celle de la surhumanité.

              Et c’est lors du sixième livre que les dangers de nos travaux feront enfin surface après tant de péripéties. Ces derniers nous prendrons de court et nous emporterons directement vers les contrées de l’absurdité, celle qui ronge par le manque de sens à l’existence. Mais notre rage de vaincre n’en sera pas diminuée pour autant, car nous entrerons dans le salvateur et libérateur quatrième acte.

             

              Lors de ce quatrième acte, nous tenterons, non sans mal, de trouver des solutions à la résolution du problème de l’absurde qui rongera et irritera l’instable équilibre de notre esprit. Nous partirons lors du livre sept vers l'étude de ses solutions vers la direction de l'élévation de son humanité au profit du celui du surhumain via l’établissement d’une nouvelle philosophie de la souffrance au profit de l'intelligence.

              Les huitième et neuvième livre nous emporteront finalement vers l'étude de ces bénédictions à travers l’art de la contemplation et de la sagesse intemporelle.

             

              Et tout cela, pour finalement arriver au dernier de nos actes, celui traitant directement des problèmes de la modernité. Celui qui nous permettra, grâce à toutes les connaissances préalablement amassées, de fonder les raisonnements nous permettant de sauver l’avenir de l'humanité. De la libérer de ces chaînes passionnelles qui la déchirent en interne. 

             

              Voici toute l'étendue de ce que je vous proposerais dans cette aventure. Mais sachez bien une chose. En entrant dans ces contrées, jamais plus le retour en arrière ne sera à votre portée. Ce voyage est à sens unique, sans retour ni espoir de revenir à son insouciance d’antan. 

Mais trêve de mise en garde, si vous êtes fin prêt, commençons dès à présent avec la première aventure de notre fabuleuse épopée. Entrons dans les méandres du premier livre, le plus important de tous, celui qui posera les bases de nos futures aventures. 

             

             

Partie 1 : Le meilleur des savoirs

             

             

Chapitre 1 : Le premier questionnement 

             

 

 

              Mais assez de cette introduction, il est maintenant grand temps de commencer. Rentrons donc, si vous me le permettez cher collègues aventuriers, que dis-je, chers frères d’armes, ou devrai-je encore vous appeler amis. Car si vous êtes ici, c’est bien que le bon dieu vous en ait fait ouïe. Ou encore mieux, que vous êtes là de votre plein gré. Et si tel est le cas, faites donc en sorte que la Terre soit assez robuste pour qu’elle ne s'effondre pas sous le poids de ma joie. 

              Oui, rentrons ensemble mes amis dans le cœur de cette épopée. Et pour vous mettre d’entrée de jeu en appétit, laissez-moi vous offrir un petit aperçu du bouleversement philosophique que produira en vous pareille aventure. Laissez-moi vous faire preuve de ma gratitude en vous offrant le fruit défendu de mes éternelles réflexions. Car c’est avec cette première pensée que nous introduirons le commencement de cette philosophie de l’avenir. Cette réflexion représente ce que toute réelle philosophie se devrait de savoir maîtriser à la perfection avant l'énoncé de quelconques réflexions.

              Car le fait est que tous les philosophes jusqu'à présent se sont toujours mépris sur l’identité de la question la plus fondamentale de toute la philosophie. Pour beaucoup, cette question cardinale, la plus importante de toute se résumait à savoir ce qu'étaient les concepts de vérité, de liberté, ce qu’était le but de la vie ou encore ce qu’était le bien ou le mal… Eh bien sachez que ces questionnements sont bien futiles et ridicules en comparaison à la complexité de celui que je me dois de vous soumettre. 

              Car cela peut paraître amusant d'affirmer savoir quelle est la vérité de l’univers, de savoir ce qu’est la liberté, le bien véritable, ou de méditer sur des sujets complexes et de donner des réponses diverses et variées pour définir des concepts. Mais dans le fond, mes amis, pourquoi ? Car si l’on recherche plus en profondeur encore, si l’on va plus loin, si l’on recherche la question qui précède toutes les questions, sur quoi tomberons nous nécessairement ? Vers quoi buterons nous ? Quelle est la limite de toute question, celle qui ne peut être dépassée, celle qui ne peut être surpassée ?

             

              Le fruit défendu que je vous offre à goûter, celui qui m’a tant fait vaciller, n’est rien de plus qu’une question. Cette question mes amis, la plus cardinale de toute, la plus primordiale, celle qui se trouve à la base de toute pensée, là voici sans plus attendre dans sa plus rustre simplicité. Celle-ci n’est nulle autre que celle qui nous pousse à nous demander : Pourquoi savoir ? 

             

Car aussi simple que cette question puisse paraître, elle renferme en elle-même la réponse aux infinis problématiques humaines. Je vous le demande à vous, ô penseurs superficiels de tout temps. Pourquoi savoir quelle est la vérité de notre monde ? Pourquoi savoir quel est le sens de la vie ? Pourquoi savoir ce qui doit être bon ou mauvais ? Pourquoi devrions-nous même ne serait-ce qu’y réfléchir ? Qu’est-ce que tout ce savoir apporte-t-il à l’esprit de celui qui s’y aventure, si ce n’est l’impression d’avoir acquis une connaissance fondée sur des bases incertaines ? Qu'est-ce que le savoir fait-il du genre humain ? Que serions-nous sans lui ? Et pourquoi diable préférer le savoir au non savoir ?

              Cette question si banale en apparence renferme une signification extrêmement profonde. Elle renferme un gouffre béant, un abîme hurlant que personne jusqu'alors n’a réellement pu explorer à fond, que personne jusqu'alors n’a pu ébranler ne serait-ce que l’un de ses innombrables piliers. 

              Je vous le dis, sa hauteur et sa grandeur ont toujours effrayé les penseurs. Ils ont toujours été épris d’une peur viscérale à l’égard de ce qu’elle pouvait impliquer, de ce qu’elle pouvait représenter. Cette question de tous les pêchers, celle de tous les crimes contre la pensée, celle qui s'immisce et qui chuchotent à l'oreille de ces grands : “ne m’oublie pas, moi aussi je suis là. Qu’en as-tu as faire de ces autres enfers, tu m’as moi et cela ne te suffit pas ?”

              En effet, savoir pourquoi savoir, connaître ce que représentent de tels savoirs, connaître ce que représente de telles connaissances, ne sont ni plus ni moins que des moyens détournés de répondre de l’utilité de la pensée, de l’utilité de la philosophie toute entière. La voilà la grandiloquente vérité. Nous en avons fini de jouer et d'aligner mots et raisonnements tels des enfants. Car c’est ici que se trouve le plus important. Ce bastion qui renferme les clés de notre liberté, les secrets de la compréhension de notre prison de réflexion. 

              Ce colosse de la pensée nous toise de son regard désabusé, sagement dissimulé au loin dans les vallées. Mais soyez en sûr, si rien ne vous apparaît encore, vous n’avez qu'à lever les yeux au ciel. Ce colosse de la pensée se trouve au-delà de ces nuages. Nous ne pouvons encore qu'apercevoir sa silhouette aux allures de montagne embrumée en haut de ces divins sommets. Car il ne s’agit ici pas de rendre compte de la simple valeur ou de la simple utilité de ces savoirs. Non, ce pourquoi résonne plus profondément encore dans nos corps et dans nos cœurs cherchant tant le bonheur. Il ébranle la valeur même de ce qu’est l’utilité. Ce pourquoi-ci, est plus abyssal, plus singulier, unique et spécifique. Il nous pousse à chercher plus loin.

             

              Haaa, mais n’est-il seulement qu’humain ? 

             

              C’est cette assonance qui dégoûte et qui répugne. C’est cette lourdeur qui rebute. Cette sensation de dégoût, de mépris envers ceux qui osent se réclamer partisans de ce questionnement. Tous ces penseurs superficiels n’ont cessé de crier à l'absurdité et à l’inutilité de la tâche qui pourtant les tracasse tant.

              Mais nous, nous ne sommes pas comme ces pleutres qui réfléchissent en feignant d’être convaincu que cette question n’a point lieu d’être. Nous, pionniers et aventuriers, ne reculons pas devant l’adversité. Non, nous nous y engouffrons avec ardeur et entrain. Le voici notre point de départ. Celui qui nous emportera loin, loin, très loin, jusqu'aux cieux s’il le faut. C’est ici que notre épopée commence mes amis.

              Ce terrain dans lequel nous nous apprêtons à pénétrer est tumultueux, rempli de dangers et de guêpiers. Et il serait absolument inconscient de vouloir s’y engouffrer sans s’y être préalablement préparé. Ce pourquoi, pour répondre à cette question capitale, il nous faudra nous équiper des meilleurs atouts de toute pensée. Le chemin s’annonce incroyablement périlleux. Mais son issue s’avère être d’autant plus capitale qu’elle symbolise l'avènement d’une nouvelle ère. Oui mes amis, elle en deviendra la silhouette salutaire de l’humanité toute entière.

             

              Une fois l’introduction de ce problème terminée, il s’agira de décrire quelles seront les bases sur lesquelles nous nous appuierons pour le surmonter. Quels seront donc les haricots qui nous emporteront si haut, nous possesseurs d’âmes de guerriers. Et c’est tout naturellement, que l'outil qu’il nous faudra apprivoiser en premier, sera le savoir humain dans sa globalité. Car pour le comprendre intimement, pour pouvoir l’étudier patiemment, il nous faut le posséder tout simplement.

              Le voici, le but de la première partie de notre récit. Comprendre ce que sont les savoirs humains et comment nous les construisons ? D'où nous viennent-ils et que font-ils raisonner en nous ? Et cela dans l'objectif de faire la lumière sur le pourquoi du savoir même.

              Plus que leur apprivoisement, nous partons à la recherche des meilleurs d'entre tous. Car nous ne voulons posséder, en réalité, que les plus valeureux d'entre eux. Ceux qui sont à même de satisfaire notre appétit et d’étancher notre inextinguible soif de pouvoir et de gloire. Allons-y mes amis, partons en quête de ces fameux savoirs au nom de l’humanité et de notre vouloir d'aventuriers de la pensée. 

              C’est vers une théorie de la connaissance toute particulière que nous nous dirigeons. Une théorie qu’il nous faudra bâtir ensemble mes amis. 

             

Chapitre 2 : L’importance des définitions

             

 

 

              Mes amis, c’est avec honte mais aussi fierté que je vous confesserai que cet ouvrage est d’écriture française, la seule langue qu’il m'ait été possible d’apprendre en profondeur. Honteux de ne pas avoir eu la patience d’apprendre comment m’exprimer avec d’autres nobles langues, des langues complexes et subtiles comme le latin, le grec, l’allemand ; mais fier d’avoir la capacité de pouvoir m’exprimer avec l’une des plus belles langues que la Terre n’ait jamais portées. 

              Le français est tout aussi complexe et varié que son homologue allemand. Son vocabulaire est étoffé, sa rythmique entraînante et sa noblesse envoutante. La palette de nuances qu’apporte cette langue permet la création d’idées et de raisonnements aussi profonds que délicats. Sa fluidité et ses honorables manières de respect permettent d'embellir nombres de propos et de dires. Voilà la parole que se doit de porter tout amoureux du français, et voilà ce qui vous attendra tout au long de cette aventure intellectuelle.

              Mais pourquoi alors vous parlais-je du français me demanderez-vous, si ce n’est pour en faire l’éloge ou expliquer directement ce que la langue signifie dans l’expression d’une pensée? Eh bien je vous répondrai que le français renferme en lui-même bien des problèmes que je me dois de vous énoncer. 

              Pour commencer, le français est une langue très ambivalente. Un même terme, un même mot, une même prononciation peut vouloir signifier diverses choses à la fois ou bien des choses totalement différentes voire contradictoires ou opposées. Pour exemple avec le terme “Hôte” qui peut signifier tant celui qui accueille, comme celui qui est accueilli. La signification des mots ainsi employés dépend bien souvent d’un contexte précis, ce qui en font des symboles très malléables et ambivalents. Et cette ambivalence permanente dans la langue est source de malentendus grossiers et de défauts de raisonnements, de manques de précision flagrants. 

              Cette ambivalence est à double tranchant, elle permet tantôt l'apparition d’une forme poétique d’expression, n’en déplaise à tous ces majestueux poètes français emplie d’émotions, mais également tantôt, des disparités dans les interprétations. Le poétique est chose essentielle, il est source artistique impressionnante, voyage enivrant et exploration trépidante, mais pour ce qui est de la précision, de l’universel et de l’intelligible, il est loin d’être le plus adéquat. 

              Ici se pose le problème. Cette langue si poétique soit elle, manque de précision intrinsèque, de précision naturelle. Le français est naturellement la langue des poètes, la langue romantique par excellence, la langue artistique, et non la langue philosophique. Le français n’est pas comme l'allemand, la langue des philosophes, et son infinité de possibilités pour décrire un même concept. Cette langue rigide, technique et précise à volonté. En comparaison, le français reste à la traîne. Il peine à pouvoir exprimer avec précision les concepts les plus importants intuitivement. C’est alors en grande partie pour cela qu’il me faudra constamment définir avec précision les termes que j’emploierai dans l'entièreté de l’ouvrage. Il me faudra sans cesse faire en sorte d’atténuer ces disparités.

             

              Oui mes amis, la clarté et la précision seront de mise. Car pour nous permettre d’écrire l’histoire de la pensée, il nous faudra user de mots bien ordonnés et des définitions sans ambiguïté. 

              Une définition n’a pour objectif initial que de fluidifier le discours ou le développement d’une idée en regroupant une signification complexe, singulière et nuancée dans un seul terme, qu’il suffit simplement de répéter par la suite pour en exprimer toute la profondeur. Ce mot ainsi défini n’a plus besoin d’être continuellement réexpliqué sachant sa commune compréhension acquise entre les deux parties. Celle-ci reste avant tout un outil. Les mots définis ne sont pas des absolus dont il est formellement interdit de changer leur sens sous peine d’être damné par des hordes de puristes de la parole. Les mots et leurs significations sont au service de la pensée et non l'inverse. Les définitions ont alors pour rôle de rendre digeste le fil du récit tout en permettant à la profondeur de prendre pieds dans les écrits.

              Les définitions devront être précises, sans ambivalence possible. Il faudra qu’elles soient aussi limpides que l’eau des lacs montagnards, aussi clairs que le ciel du Sahara, aussi pointilleuses que le plus perfectionniste des peintres. Car chaque définition ne fait que construire des significations bien particulières sur des bases intuitives et communes à tous. Ces bases sont des mots dont la signification se veut simple, immédiate, intuitive et précise. De ce fait, un mot n’a de valeur que ce dont à quoi il se rapporte intuitivement. Ce pourquoi le mot ainsi défini se verra attribuer les mêmes racines étymologiques et sémantiques que son homologue de sens commun pour en conserver le sens premier du mieux possible, tout en y apportant nos spécificités et notre poésie proprement à la française.

              Il peut exister une multitude de définition pour un même mot, une multitude de mots pour une même définition, ce qui m’oblige à clairement et rigoureusement définir ce dont je parle. Transformant ainsi ce processus pesant et pompeux en un véritable art créatif doté d’une technique fantastique aux multiples possibles. Mélangeant le meilleur des deux parties, la poésie et la clarté du récit.

              Finalement une définition ne pourra comporter un autre terme à définir si celui-ci n'est pas défini au préalable ou dans la continuité du récit. C’est plus ou moins ce que l’on a coutume d'appeler le bon sens avec plaisanterie.

             

              Commençons alors avec certaines des définitions les plus générales et importantes de cet ouvrage. Leur définition sera sans doute inintelligible à première vue, mais prendra toute son importance au fur et à mesure de notre avancement. L’emploie de définitions précises nous permettra par la suite l’expression de conceptions philosophiques de plus en plus complexes et en accord avec le système de pensée général. Elle nous préparera à ce qui nous attend dans ce si profond gouffre de la psyché. Voici donc les quelques définitions générales qu’il nous faut intégrer.

             

- Est considéré comme abstrait, ce qui n’est présent que dans l’immatériel, représentant ou prenant comme source le matériel par une généralisation intelligible par l’esprit humain.

- Est considéré comme concret, ce qui est présent dans la réalité matérielle directement, supposément sans intermédiaire. Est synonyme de réel, de matériel.

- Est intelligible ce qui est compréhensible par un esprit humain, le niveau d’intelligibilité peut varier suivant la difficulté de l’information à intellectualiser. 

- Est inintelligible ce qui ne peut pas être intellectualisé, compris par un esprit humain.  

- Un axiome est une déclaration ou une proposition fondamentale et intuitive qui est acceptée comme vraie dans un certain référentiel sans nécessiter de preuve ou de démonstration. 

- Un postulat est une déclaration ou une proposition non intuitive qui est acceptée comme vraie dans un certain référentiel sans nécessiter de preuve ou de démonstration. 

- Un phénomène caractérise toute action, événement, fait, se déroulant aussi bien dans le concret que dans l’abstrait. 

- Est absolue ce qui existe en dépit de tout référentiel relatif.

- Est relatif ce qui existe selon un référentiel donné. 

- Est idéal ce qui peut être voulu comme absolument parfait par l’esprit et l'imagination.

- Est a priori ce qui est déduit par un raisonnement grâce à des données antérieures à l’expérience concrète.

- Est a posteriori ce qui est déduit ou imaginé grâce à des données postérieures à l’expérience concrète.

- Un individu est une entité dotée d’une forme de conscience. Elle peut être concrète comme abstraite.

- Une personne est une entité unique dans sa façon de réfléchir, consciente de sa place dans son environnement, capable de prendre des décisions personnelles exemptes de déterminismes directs.

             

              Il me faut préciser que ces définitions sont celles de termes basiques qui nous seront utiles tout le long de l’ouvrage et ne représentent pas toutes les définitions importantes. N’ont été dictées que les plus générales. Chaque définition autre devra se dévoiler au fil de l’avancement des développements. 

              Et, car j’apprécie fort bien la précision, il est important de noter que l'extrême majorité des mots employés ne seront pas ici définis. Le dictionnaire est déjà fait pour cela. Seuls les termes ayant une portée philosophique ou une définition autre seront ici décrits et introduits. Ce fait va de soi, mais la précision ne fait jamais de mal dans une telle entreprise. 

             

             

Chapitre 3 : Référentiels et sujets 

             

 

 

              Vous aurez très certainement remarqué lors de la lecture de ces quelques définitions que les concepts de sujet et de référentiel sont apparus à maintes reprises. Mais avant que vous ne vous indigniez du fait que j’ai moi-même outrepassé la définition de la définition, de ne pas placer un concept dans une définition sans le définir au préalable, laissez-moi vous expliquer ma démarche. Les notions de sujet et de référentiel sont très importantes à elles seules et ne peuvent se voir doter de définitions simples et générales comme exprimées précédemment sans quelques explications supplémentaires. 

              Ces concepts répondent en réalité à un problème de la plus haute importance philosophique. Dans ma constante recherche de précision, je me heurte de très nombreuses fois, et de diverses façons, face au même mur de réflexion. Ce mur invisible pareil à une arène de verre bloquant toute vérité, les laissant se confronter entre elles jusqu'à ce qu’il n’en reste qu’une, celle la plus populaire, la plus intuitive et la plus médiocre. Pour une même idée, une même expression, une même affirmation, il existe en réalité tant de différentes manières de penser sa validité, d'éprouver sa vérité. Le référentiel a pour objectif de créer une passerelle unique pour l’une des idées de l'arène, la sauvant de cet avenir d’éternelle oubliée. 

              La validité d’un concept dépend de son référentiel, voici l'affirmation que je vous propose mes amis. Toute proposition dépend d’un référentiel donné. Et c’est dans ce même référentiel que l’affirmation se verra attribuer sa validité. Car aussi simple et intuitif cette règle puisse-t-elle être, sa puissance et son impassibilité la fait se transformer en véritable rempart de la bonne pensée. Cette règle permet de protéger le sens et la portée d’une idée en l’enfermant dans un cadre bien précis et délimité. Un cadre incorruptible, indestructible qui protège l’idée et sa formulation de toute mauvaise interprétation, de tout mauvais détournement.

              Car c’est surtout historiquement, que les régimes autoritaires fondés sur les idéologies stupides, dangereuses, irascibles et irraisonnés telles que le racisme et l’antisémitisme en tout genre, se sont appuyés sur des dires et idées de nombres de grands savants. Ce fut le cas pour ce pauvre Friedrich Nietzsche, penseur d'ailleurs fondamentalement contre toutes les formes d’antisémitismes de son temps, mais aux pensées et idées trop sujette à interprétations diverses. Nul mal à cela, loin de moi cette idée. L’interprétation est un moyen efficace de donner matière à penser et pousser l’esprit de ses lecteurs à sans cesse devoir se dépasser, réfléchir et cogiter. Mais celle-ci, comme énoncé précédemment, est à double tranchant. Elle peut se voir utiliser à des fins radicalement différentes. 

              Il n’y a nul doute au fait que si cet illustre penseur libre eut pris plus de lignes pour développer dans ses ouvrages la portée et les référentiels de ses idées, qu’il n’aurait pas été utilisé par ces idéologies fallacieuses et absurdes pour la réalisation et la légitimation de leurs macabres desseins.

              Outre la formidable capacité et le potentiel que l’interprétation peuvent proférer à un ouvrage, dans ce monde moderne, la précision est de mise. Que dis-je, cette précision est capitale. Car la moindre interprétation fallacieuse peut s'avérer devenir extrêmement dangereuse. Et peut amener les individus à s’en servir pour tenter de légitimer de nombreuses atrocités à l’encontre de la bonne pensée.

              Mais, grâce au pouvoir des référentiels, nous sommes à même de les protéger. Le fait est que toute pensée émise hors de ce cadre, hors du référentiel dans lequel elle est née, sera alors à voir comme invalide, hors du contexte, hors du référentiel. Et alors, un référentiel apposé à une idée agit comme un bouclier qui rend son détournement radicalement plus contraignant. Ce pourquoi il nous faut nous emparer de ce pouvoir pour la survie de nos idées, pour le salut de la bonne pensée.

             

              De plus, le référentiel permet également de conférer une valeur de vérité à une idée ou à une affirmation. Un fait présenté dans un certain référentiel peut s’avérer faux une fois pris dans un autre. Comme nous le verrons par la suite, la valeur de vérité d’une idée correspond principalement à ce à quoi elle se renvoie dans un référentiel donné. Pour ce faire, prenons donc un exemple et démontrons ce à quoi ce phénomène renvoie.

              Prenez les expressions françaises : “perdre du temps” et “gagner du temps”. Ces expressions seront ici étudiées sous trois de leurs référentiels. Cet exercice aura pour but de montrer à quel point une proposition se trouve captive du cadre, de l’angle de vue, du point de vue, du référentiel dans lequel elle est énoncée.

              Pour commencer, quelle est la définition que représentent intuitivement ces expressions ? Quelle est l’unique définition étant sortie de l’arène de verre, celle qui est émise intuitivement du fait de sa médiocrité ? C’est sans nul doute celle du référentiel de la société. Tous les citoyens sont d’accord sur le fait que l’expression “perdre du temps” a à voir avec la notion d’ennui, de perte de productivité. Lorsque quelqu’un dit : “je perds mon temps”, c’est généralement qu’il ressent l’impression de consacrer de son temps à une activité qui ne lui apporte pas profit. Et gagner du temps reviendrait à dire que l’on perd moins de profit et de productivité en effectuant ladite action, qu’en en effectuant une autre, moins efficace et moins profitable. Ici le temps gagné est à prendre comme temps non perdu, ou temps mieux rentabilisé. Il est affecté à cette définition dans le référentiel sociétal, celui que la société lui donne. 

              Car le sens de ces expressions change du tout au tout lorsque l’on considère le temps gagné suivant un autre référentiel. Zoomons et prenons un référentiel plus petit, celui d’un individu maintenant. Le temps d’un individu n’est cette fois ci non pas pris par rapport à un plan de productivité, mais à un temps de vie, à une espérance de vie. Lorsque l’on dit perdre du temps, ce n’est ni plus ni moins que de décrire le vieillissement corporel, le fait que la mort se rapproche et que le temps nous est compté. Le fait de “gagner du temps” dans un référentiel qui prend en compte comme temps l'espérance de vie de l’individu serait par exemple de pratiquer une activité physique cardio vasculaire régulière. Maintenir son corps en bonne santé prend du temps, mais ce temps est rendu au double lors du vieillissement. Ici le temps est celui du temps de vie, et n’a plus rien à voir avec la définition du temps que la société conférait à ces expressions. 

              Mais plus fondamentalement, peut-on réellement gagner du temps ? Même en effectuant une activité physique bénéfique ou en augmentant son efficacité, le temps s'écoule toujours de la même manière. L’humain ne peut qu’en perdre, si tant est que le temps puisse lui appartenir. Le temps est en lui-même irréversible et le fait de gagner du temps voudrait signifier pouvoir remonter celui-ci, aller à l’encontre des lois de la physique, des lois de l’univers. Lorsque l’on prend le référentiel de l’univers, celui qui donne au temps sa définition la plus universelle, l’expression gagner du temps ne peut plus être valide, elle devient erreur, baliverne et ineptie. 

              Cet exemple peut paraître intuitif, outre la grande polysémie que le terme “temps” introduit naturellement, mais démontre toutefois le propos que je défends. L’expression gagner du temps dépend de son origine, de son référentiel donné. Il en va de même pour son sens et sa validité.

             

              De même si l’on prend d’autres exemples comme les concepts de bien et de mal. Si l’on admet que ces termes soient bien des concepts, il faut aussi admettre que leur signification dépend de leur référentiel. Ceci explique que le bien et le mal ne peuvent être considérés comme valides que suivant certains points de vue dans des temporalités définies et des cultures précises. Le bien pour un individu peut apparaître comme mal pour un autre, dans une autre société, dans un autre temps. Ne nous attardons néanmoins pas trop sur ce sujet délicat, il sera traité plus en détails dans la suite de l’ouvrage. 

             

              En clair, nous voyons ici que le principe de référentiel est nécessaire pour l’instauration de définitions claires et précises. Le fait de donner un référentiel au début de chaque expression d’idée permet de définir un cadre inviolable qui lie la pensée à celui- ci. 

              Notre travail est similaire à celui d’un physicien. Nous étudions les idées dans des cadres bien délimités. Nous en étudions leur nature, leurs mouvements, leurs balbutiements, leurs envolées et leurs portées. Nous nous faisons les physiciens de la pensée et usons de méthode et de formalisme scientifique dans ce que représente le principe de référentiel des idées. Grâce à celui-ci, nous sommes à présent capables de protéger la véracité de nos résultats et du fruit de nos recherches tout au long de nos péripéties. Ce principe méthodique agit alors comme garde-fou et nous évite la difficile et fatigante tâche de toujours avoir à faire face au précipice des pensées condamnées. Ce précipice qui entraîne et qui infecte la bonne pensée de sa fièvre du mauvais interprète damné.

             

              Et c’est pour toutes les raisons précédemment énoncées, que la démarche en sera donc modifiée. Dès à présent, il nous faudra sans cesse définir les termes employés et leur en attribuer un référentiel. De sorte que clarté, précision, sens et bon sens puissent pénétrer dans nos idées.

              Mais revenons donc aux définitions. Il faut dès maintenant clairement définir ce que sont les termes référentiels et sujets que voici :

Un référentiel est un cadre immatériel ou matériel, abstrait ou concret défini. Il assure la validité des propositions qui sont posées en son sein ; Un sujet est un référentiel qui décrit le monde de façon subjective au travers d’un point de vue conscient. Il faut ajouter le fait qu’un sujet est un référentiel, alors qu’un référentiel n'est pas forcément un sujet.

             

              Nous avons vu pourquoi l’instauration d’un référentiel est nécessaire pour le développement d'idées claires et précises, autant pour leur validité que pour leur protection. Son emploi sera capital dans la suite de l’ouvrage. Ce concept nous servira à plonger plus profondément encore dans des sujets tous plus dangereux les uns que les autres. Le référentiel agit comme une protection supplémentaire, une armure, un bouclier nous permettant d'affronter les périlleux obstacles de la libre pensée. Tout comme dans la physique mécanique, le choix du référentiel nous permet de projeter le résultat de nos mouvements sur le support de nos questionnements.

              Il n’est toutefois pas suffisant pour nous permettre de nous aventurer à de telles profondeurs en toute sécurité, si tant est que la toute sécurité soit possible à atteindre dans des univers encore inexplorés. Il nous faut pour cela encore nous prémunir de nombreuses bases solides, de solides fondations, pour échafauder le bâti de la bonne pensée, celle qui nous mènera vers les abysses du monde humain et qui nous borde vers la félicité de l'humanité.

                            Maintenant les préliminaires terminés, il est grand temps, mes très chers amis, de nous engouffrer dans cette quête de la pensée.

             

Chapitre 4 : Valeur et vérité 

 

 

             

              Une fois toutes ces précisions et préliminaires posés, il est maintenant temps pour nous de revenir sur notre véritable sujet. La question que nous cherchons à élucider fait partie des plus compliquées, si toutefois elle ne l’est pas elle-même étant donné ses implications et sa profondeur abyssale. Pourquoi donc savoir ? Cette interrogation primordiale, la plus importante de toutes. Fière représentante de la portée philosophique de par sa singulière et irascible sonorité. Cette interrogation mes amis, sous-tend un fait capital. Elle nous somme de chercher loin, encore plus loin, toujours plus profondément dans les méandres de la pensée. Cette forme de “à quoi bon” ne doit pas nous effrayer. Futurs aventuriers que nous sommes, elle doit au contraire nous motiver, nous donner l’envie de la surmonter.

              Et, pour nous permettre d’aller l’explorer plus à fond, pour nous permettre de réécrire l'histoire de la philosophie, il nous est apparu clair qu’il nous fallait tout premièrement aller à la rencontre du savoir dans sa plus pure et simple déclinaison. Et plus que cela, il nous faut pouvoir l’apprivoiser, le dompter et le dominer. En bref, nous l’accaparer afin de l’utiliser tout au long de notre périple de la pensée. 

              Mais comme nous ne sommes pas de ces vils penseurs superficiels qui se contentent de leurs maigres et fragiles pensées, nous voulons trouver quels sont les meilleurs de ces savoirs, les plus valeureux d’entre eux. Nous souhaitons nous accaparer leur tout puissant pouvoir. Ce pouvoir qui fait voir dans l'obscurité des ténèbres qui s’ouvrent et se découvre à tous ceux qui s’y aventurent de trop près. Ce pouvoir qui offre vérité et gloire à tous les illuminés, à tous les penseurs bien nés. Ce pouvoir qui a toujours et fera toujours rêver l’humanité. Oui mes amis, nous souhaitons nous enchérir de ce pouvoir-ci, celui qui nous sera tant utile à l’avenir. 

             

              Pour parvenir au résultat que nous escomptons, pour nous permettre d’arriver jusqu’au si convoité savoir, il nous faut passer par plusieurs étapes clés qui baliseront notre voyage en terre de la pensée. Voici notre plan de voyage : Nous partirons à la recherche des composants des savoirs, qu’il nous faudra en trouver la sources et l’origine. Pour ce faire, nous passerons au travers des jungles des sensations, des idées, des connaissances et des croyances et nous étudierons leur formation grâce aux facultés de l'esprit telles que l’imagination ou l’usage de la raison. Et cela, pour nous permettre de déterminer comment ces savoirs se forment-ils ? Que pouvons-nous espérer trouver ? Par quels critères les différencier et comment déterminer lesquels d'entre eux sont les plus valeureux ? Voici la première quête que je vous ai promis à vous, mes amis. 

              Et pour nous permettre de doucement commencer à se faire à notre nouvelle vie d'aventurier, c’est avec le plus aisé que nous allons commencer. Car avant de vouloir goûter au goût âcre et relevé de ses savoirs de l'humanité, il nous faut commencer par nous entraîner. Car lorsque nous les rencontrerons enfin, il nous faudra être fin prêt. Il nous faudra être capable de discerner lesquels sont ceux que nous recherchons, les meilleurs d’entre eux, afin de ne pas nous perdre dans cette masse d'idées putrides et malades qui pourrait finir par nous engloutir et nous submerger. 

              Pour le moment, l’heure est à la valeur. La première de ces clés qui nous permettra d’ouvrir la porte de la connaissance consistera donc à trouver ce que peut bien signifier le terme de valeur ajoutée. Ô Humain que nous sommes, créatures vivantes, mouvantes et pensantes, notre cœur ne bat que pour cela, le savez-vous seulement ? Savoir ce qui est utile, ce qui a de la valeur, voilà la tâche de notre discernement. Pour nous, pour l'instant tout du moins, déterminer quels sont les meilleurs savoirs, c’est déterminer quelle valeur peut-on, et doit-on donner au savoir lui-même. Et pour arriver à cela, la valeur en tant que telle se doit d’être plus profondément discutée. En quelque sorte, Il nous faut ici donner de la valeur au savoir et du savoir à la valeur. 

              Tâchons de suivre notre intuition première, celle-ci s’avère porteuse de nombreuses et prodigieuses avancées. Car déterminer ce qu’est la valeur en elle-même, déterminer ce qui peut être intéressant et utile à l’humain, est le meilleur des moyens d’arriver à nos fins. La valeur, la quête de tout être, le déchaînement de toutes les passions, le commencement de toutes les aventures. Nous aussi, nous la recherchons, celle qui nous apporte la félicité et la gratification. 

              Là se trouve toute son importance, la valeur nous permet, à nous humains, de déterminer le bon du mauvais, le vrai du faux, le beau du laid, l’honorable du miséreux. Pour trouver ce qu’est la valeur, il faut se questionner sur ce que nous recherchons dans celle que nous conférons aux phénomènes. Qu’est ce qui offre valeur aux objets et à nos idées ? Quelle est donc cette source de valeur, ce flot qui déchaîne tant les passions ? 

             

              Commençons par réfléchir sur la valeur des objets provenant du monde concret. Et c’est de façon toute intuitive et toute naturelle que, possède de la valeur tout ce qui est rare. La rareté dans le monde matériel est chose de valeur. Car plus un objet est rare, plus il sera difficile à obtenir. Un phénomène concret peut donc avoir de la valeur de par sa rareté. On dira que l’or est rare sur terre car il n’existe qu’en petite quantité, lui conférant une forme de valeur propre ; la pluie dans un désert a de la valeur du fait qu’elle n'apparaît que très rarement dans ces milieux arides ; les pierres et autres objets précieux tirent eux aussi en partie leur valeur de par leur grande rareté. 

              Il ne faut pas oublier qu’un phénomène rare n’est pas forcément un phénomène de valeur. Certains déchets ont beau être considérés comme rares, ils ne représentent en aucun cas une forme de valeur ajoutée. Ils sont même l’exact opposé d'où leur qualificatif de “déchet”. Les “déchets” sont des objets sans valeur, voire à valeur négative, au contraire. Vous aurez certainement remarqué chers amis, que le référentiel dans lequel j’énonce ces affirmations est celui centré sur les sociétés. Car la rareté est souvent un phénomène émergeant, jugé et apprécié par l’époque et renvoie ce à quoi de pareils phénomènes peuvent apporter à leur possesseur ou leur bénéficiaire.

              Toujours étant que cette source de valeur est souvent à prendre comme secondaire. Loin de moi l’idée de vouloir affirmer que la valeur d’un phénomène concret ne provient que de par sa rareté. Non, il existe un critère bien plus important, un critère qui supplante et qui donne tout son sens à la rareté. Ce critère se prénomme utilité.

              L’or a de la valeur car il est rare mais aussi surtout car il présente de nombreux avantages. Il est très bon conducteur électrique, utile à l’élaboration de circuits imprimés ; très malléable, utile à la confection de parures inoxydable à pression ambiante ; mais aussi et surtout une superbe et intemporelle monnaie financière. 

              L’utilité, tout comme la rareté, bien que celle-ci soit induite par la première du fait que ce qui est rare est souvent attrait au pouvoir, est mouvante, changeante, se transforme au gré des avancées technologiques et sociétales humaines. Comme exemple le plus frappant se trouve le pétrole. Car l’or noir ne fut considéré comme incroyablement utile que des lors que l’humain inventa le moteur à explosion. Avant cela, c’était le kérosène des lampes à huile qui dominait. Et encore avant cela, le bois et le charbon. 

              Pour l’humain, chaque matériau concret est d’utilité relative suivant ses propres besoins et ses nécessités du moment. Mais de façon plus absolue, la nature se fiche bien qu’il y ait plus d’or, de pétrole ou de diamant en son sein. La valeur, pour elle, n'a pas de réel sens ni de réelle vocation. Tout bonnement car elle n’exprime pas de besoin, elle n’a pas de nécessité. La valeur d’un phénomène concret, peut être sous de nombreux point de vue, uniquement imputable à l’humain et à ses mouvements. La valeur est apposée aux objets. Ce sont les sociétés ou, de façon plus particulière, les individus eux-mêmes, qui décident et qui octroient à chaque chose qu’ils voient et qu’ils convoitent, ce fameux critère de valeur. Il n’est qu’une forme d’évaluation sur les phénomènes qui nous entourent et qui nous permet leur possible emploie.

              Nous pouvons donc affirmer que la valeur d’un objet concret peut s’évaluer par le biais d’un calcul faisant intervenir plusieurs variables dont la plus importante sera celle de son utilité dans le référentiel sociétal. La valeur d’un phénomène concret sera par la suite influencée par les autres variables moins importantes qui sont sa rareté premièrement, et secondairement son importance esthétique, artistique, historique, émotionnelle, sentimentale, religieuse… Il existe une multitude de facteurs qui permettent de définir la valeur d’un phénomène concret dans un certain référentiel, le plus important étant celui reflétant les désirs et mouvements des sociétés humaines. Les phénomènes du concret ont de la valeur suivant ce que l’homme peut en faire. Tout ce qui lui est hors de portée, ce qui lui est inutilisable n’a, de ce fait, pas grande valeur à ses yeux.

             

              Mais ce n’est pas tant le concret qui doit ici nous intéresser. Car les savoirs sont des entités de l’abstrait produites par nos esprits. Ce qui doit retenir toute notre attention est donc ce qui est attrait à l’abstrait, au monde abstrait. Le calcul est-il le même que pour le concret ? Les produits de l’esprit sont-ils pareils dans leur valeur à ceux du concret ? 

             

              Pour clarifier d’avance ce qu’il faut entendre et comprendre du terme “monde abstrait”, celui-ci ne correspond pas à une réalité à part entière pareille à celle du monde concret. Le monde concret, dans notre vision de celui-ci, est un monde à la réalité bien défini qui existe et se maintient sans que conscience ne soit nécessaire. C’est un univers qui se maintient et se soutient lui-même, sans qu'observateur ne soit là pour le percevoir. Le monde abstrait quant à lui, n’a pas de réalité propre et dépend entièrement des esprits qui l'invoquent. Ce monde peut être multiple et est présent de différentes manières dans chaque intellect. Il ressort bien plus du produit de l’esprit que d’un univers à la réalité tangible et invariante. Il nous faudra toutefois apporter quelques précisions et modifications à notre description de cet univers, mais contentons-nous de cela pour le moment.

             

              Pour répondre assez simplement à ces interrogations, il semble à l’évidence assez absurde de vouloir comparer le concret avec l’abstrait. Le fait est que l’abstrait n’a pas en lui-même une composante de rareté propre. Cela venant du fait qu’il peut s’étendre et se multiplier, se créer, se transformer et disparaître. Pour qu’une idée se développe, il suffit de l’enseigner à d’autres. La pensée n’est alors pas à considérer comme matière, elle peut naître et mourir, ce qui la fait absolument se différencier du concret. Mais alors comment définir la valeur d’un phénomène abstrait ? Qu’est ce qui est porteur de valeur dans un discours philosophique, dans les concepts partagés dans les sociétés ? Et dans le respect, la confiance, dans une déclaration sentimentale ? Qu’est ce qui, dans tous ces cas-là est porteur de valeur ?

              Dans cette clivante différenciation entre concret et abstrait, une composante flagrante apparaît, qui n’était pourtant pas problématique dans le concret. Car ce qui est le plus important dans tout phénomène abstrait, ce qui est porteur de valeur et d’importance intrinsèque, n’est nul autre que cette chère vérité. La vérité, voilà le héraut de toutes les valeurs, le preux chevalier de l'intérêt. La vérité, voilà celle qui porte naturellement toute attention sur elle. 

              Le fait est qu’un objet concret, de par sa composante concrète, est déjà considéré comme vrai dans l'absolu du référentiel humain et nous pousse intuitivement à ne pas réfléchir sur sa composante de véracité. Un objet matériel est par définition réel, ce qui n’est pas le cas pour tout phénomène abstrait. Une idée, un commérage, une pensée, un dire, ne sont pas par définition le reflet du réel et ne font donc pas toujours acte de véracité. Le mensonge en est le représentant parfait, un mensonge n’est pas le reflet de la réalité, il est un masque à la vérité, une dissimulation ou une transformation de celle-ci. 

                            On dira d’un homme que sa parole a de la valeur si elle est reconnue comme étant faisatrice de vérité. La parole d’un menteur n’a aucune valeur en tant que tel dans un référentiel humain. Car cette parole bafoue la confiance que l’on peut y accorder, la véracité qu’elle peut représenter. Sans ce lien qui fait concorder abstrait et concret, la parole s’en trouve dénuée de toute importance, de toute valeur en tant que telle. 

              Remarquez ici mes amis, que la définition octroyée au terme vérité est celle de la concordance, du lien entre les faits abstraits et le concret. Il va de soi que cette définition nécessite de multiples améliorations. Mais contentons-nous de celle-ci pour le moment. Le vrai est ce qui concorde avec ce que l’on tient intuitivement pour vrai, ce qui se rapproche de notre expérience du monde concret, du monde réel. 

              Ce qui a de la valeur dans une déclaration amoureuse, c’est l’intention profonde et sincère qui en émane ; ce qui a de la valeur dans un jugement philosophique, c’est son rapport à une forme de réalité toute particulière et proche d’une vérité singulière ; ce qui a de la valeur dans tout concept partagé comme l’argent, c’est la confiance que les gens lui accordent, la vérité qu’il fait transparaître aux yeux de ceux qui en usent. C’est le semblant de vérité qui est apporté par tout phénomène abstrait qui lui confère sa valeur première. Ce caractère concret apporté par l'abstrait nous permet entre autres de comprendre le monde et son fonctionnement, ce qui transforme cette information en outil utile et porteur de sens.

              De plus, la valeur d’un phénomène abstrait en lien avec ce caractère de concordance avec le concret, peut s’incarner par une forme d’explication et de compréhension de ce dernier. Un phénomène abstrait, souvent une connaissance ou un savoir, permet d’établir des liens de causes à effets entre différents phénomènes concrets. Et tout cela, en plus d’une façon toute particulière d’en expliquer les implications et ses modes de fonctionnements qui permettent souvent à l’abstrait d’acquérir de la valeur. Il nous permet alors de comprendre notre environnement, de mieux saisir les implications logiques et causales de certains phénomènes concrets. Souvent dans le but de s’en prémunir, de l’apprivoiser, de s’en servir…

             

              Il faut néanmoins faire attention, l’intention de vérité seule n’est pas l’unique composante de valeur que comporte tout phénomène abstrait. Tout comme le concret, la valeur de l’abstrait se détermine suite à l'exécution d’un calcul faisant intervenir plusieurs composantes, dont la plus importante est la véracité du phénomène auquel elle se rattache. Plus secondairement, l’utilité de tout phénomène abstrait est également à prendre en compte. Plus un phénomène abstrait est utile à la résolution d’un problème, plus il est utile au maintien d’un équilibre, d’un fonctionnement social, plus il aura de valeur. 

              Prenons comme exemple pour cela : la monnaie moderne. Le fait est qu’un billet a beau être concret, fait de matière, lui conférant une certaine valeur découlant des critères énoncés précédemment, celle-ci n’est pas la seule source de valeur du billet. Le coût de fabrication d’un billet est largement inférieur à la valeur que ce billet représente de façon abstraite. La valeur abstraite de l’argent est principalement assurée par la confiance que tous y portent. Si le billet représente une telle valeur pour l’un, il faut qu'il représente la même valeur l’autre. Ce qui fait de lui, un objet de valeur concrète largement sublimée par sa valeur abstraite. 

              Sa valeur abstraite est supportée de par l’utilité que l’argent peut avoir pour une société. Il permet le maintien d’un ordre, l’expansion et le développement global. Il se veut le représentant abstrait d’une valeur travail concrète, reconnue par tous comme tel. Bien évidemment, nous ne manquerons pas de revenir sur ce sujet-là lors des prochains livres. En clair, la valeur de l’argent est donc dû largement par son utilité en tant que représentation abstraite d’un système d’échange sur le concret, lui conférant toute son importance. Son lien avec le concret s’exerce par la concordance que le billet a avec une forme de production matérielle retranscrite en son sein.

              De façon encore plus secondaire que l’utilité de tout phénomène abstrait, leur rareté est parfois, dans certains cas, porteuse de valeur. La valeur d’une déclaration amoureuse vient de sa véracité, de sa sincérité mais également de par la rareté de ce phénomène. On dira d’un homme coureur de jupon, de sa énième déclaration, qu’elle ne représente que très peu de valeur, tant elle aura déjà été exprimée à d'autres. Certains phénomènes abstraits ont de la valeur de par leur rareté, de par leur singularité. Ce qui est parfois prisé, est la résilience qu'à un phénomène abstrait contre sa multiplication. Bien que ce caractère de n’ait point vraiment de sens en lui-même du fait de la capacité de l'abstrait à pouvoir s’étendre infiniment. Mais ce sens de l'exception fait souvent chavirer les cœurs et les mœurs.

             

              Finalement le calcul largement simplifié de la valeur d’un phénomène abstrait s'effectue en prenant tout premièrement sa véracité, sa composante de concordance avec le réel, ou sa capacité d’expliquer son fonctionnement, puis son utilité et finalement sa rareté, pour les principales. Il existe bien évidemment de très nombreuses autres composantes pour lesquelles je ne prendrai pas le temps de m'étendre telles que l’esthétique, l’éthique, la valeur historique et émotionnelle…

              Le voici celui que nous cherchions. Le calcul de valeur de l’abstrait, monde dans lequel le savoir se constitue, se forme et survit. Pour pouvoir trouver les meilleurs savoirs, il nous faut alors par la même trouver ceux qui se rapprochent le plus d’une forme de vérité concrète, d’une forme d’explication de son fonctionnement retranscrit dans les mots et les esprits. 

             

             

Chapitre 5 : Introduction aux concepts absolus de vérité

             

 

 

Maintenant les bases de la notion de valeur acquises, il nous est possible de rendre compte de la valeur de tout savoir. Nous faudrait-il seulement nous rendre capable de reconnaître ces derniers. Car la polysémie d’un pareil terme laisse à nos esprits bien des difficultés à l’appréhender. Parle-t-on de simples formes de connaissances, de simples idées ou explications sur le concret ? Parle-t-on d’acquis, de théorique, de pratique, de divin ou encore d’historique ? De savoir-faire, savoir comment, savoir pourquoi, ou, quand, que… ? Parle-t-on de savoirs religieux, mathématiques, logiques, mystiques ou scientifiques ? Quelles différences pourrait-on alors faire entre ces derniers ?

              Il semble assez clair que de vouloir dès à présent nous aventurer à débattre sur des cas et des possibilités aussi stériles est une perte de temps inutile. Les savoirs ne se laissent pas approcher si facilement, loin de là. Tout du moins, ceux qui nous intéressent savent bien comment se dissimuler derrière tous ces autres imposteurs de la pensée. Il nous faut aller au-delà de l’habituel dissertation sur des ensembles de cas et possibilités sans aucun intérêt. Nous devons ici effectuer un travail précis et calculé. Un travail sérieux et ambitieux. Celui qui nous permettra de passer outre toutes ces confusions et incertitudes qui nous brouillent la vision.   

              Et c’est pour parvenir à cerner ce savoir si bien dissimulé que nous sommes chargés, nous, âmes d’aventuriers et de guerriers, de partir à la recherche de ses constituants et composants. Ceux qui nous permettront de comprendre la singularité de pareilles entités. De ces phénomènes abstraits qui dirigent le monde et l’entièreté de l'humanité étant donné leur incommensurable pouvoir. Celui que nous recherchons tant et tant. Et de ses composants, nous ne voulons également que les plus intéressants et les plus valeureux. Ceux aptes à créer ces si puissantes entités.

             

              Nous sommes malheureusement bien embêtés. Nous n’avons aucun chemin à emprunter. Les penseurs d'antan n’ont toujours fait que de saccager ceux que nous aurions jadis pu choisir. Tous ces sentiers défigurés, sans plus aucun intérêt. Ces chemins ayant perdu leur âme et leur beauté. Ces routes barrées et malfamées où se réfugient les esprits malades et affamés, ceux qui se sont abandonnés à des philosophies du passé inachevées, naïves et exemptes de toute forme de noblesse. 

              Mais qu’importe cela, nous prendrons notre propre chemin. La récompense n’en sera que plus délectable. Nous les pionniers d’un tout nouveau sentier. Un sentier de la pensée qui doit être exploré du tout au tout, du nouveau au renouveau. Une nouvelle théorie de la connaissance s'apprête à voir le jour, et il revient à nous de la créer et de la faire s’élever au-delà de tout ce qui n’a jamais été jusqu’alors produit. 

              Et c’est tout naturellement à l’aveugle qu’il nous faudra avancer. Avancer sans jamais pouvoir savoir comment et vers où nous nous dirigeons. Telle est la bénédiction de tous les preux et courageux, telle est la malédiction de tous les penseurs damnés et condamnés à errer dans ces terres inhospitalières cherchant désespérément à contenter leur âme de pauvres et maigres idées sans intérêts. 

             

              Et, mes amis, c’est par l’usage de notre intuition première que nous commençons la construction de ce sentier. C’est par l'introduction de notions élémentaires que notre aventure en terre de la pensée peut enfin prendre pieds. J’ai nommé, les concepts et les idées. Ces termes renferment en eux-mêmes une incroyable réflexion sur les valeurs de vérité de par leur formation par l’esprit et la pensée. Comme nous le verrons, les idées sont parties intégrantes du processus de création de savoir. Les questions seront donc les suivantes : qu’est-ce qu’une idée, qu’est-ce qu’un concept ? Quelles sont leurs différences et points communs ? 

             

              Voici donc la définition du terme d’idée que nous conserverons pour le moment et qui se devra d’être améliorée au fil de nos avancées : une idée est une représentation abstraite d’un phénomène généralisé. Aussi simple que cette définition puisse paraître, elle recèle beaucoup d'interprétations différentes. 

              Cette représentation peut tant bien être fondée sur le réel que l’irréel, le matériel que l’immatériel, sur le passé comme le futur. Une idée est simplement une pensée imagée, une représentation d’une pensée. On dira que l’on doit se faire une idée sur un sujet nouveau. Se le représenter intérieurement. Se l'approprier et le faire devenir abstrait, intellectualisable. On pourra également dire “j’ai une idée” pour la résolution d’un problème. C'est-à-dire, se faire une représentation abstraite d’une façon de résoudre le problème, un moyen par lequel il pourra être résolu. Finalement on appellera idée, ce qui se veut immatériel, lié au ressentiment, à l’imagination. L’idée d’un beau, l’idée d’une liberté, l’idée d’un savoir… Ces idées ci sont également des représentations abstraites de phénomènes mais cette fois ci immatériels. 

              Une idée peut alors être considérée plus généralement comme un point de vue, une façon de décrire des phénomènes suivant ses propres avis subjectifs. Une idée peut être multiple, un même objet tant matériel qu’immatériel peut être décrit par une infinité d'idées différentes, une infinité de points de vue. Il en existe à chaque fois une multitude, une incroyable pluralité. Chaque individu, chaque sujet, chaque référentiel subjectif peut juger et attribuer des idées sur la multitude de phénomènes qui se présentent à ses yeux. Chacun d’entre nous a la capacité de décrire les éléments de nos environnements différemment les uns des autres. Non pas forcément de façon fondamentale, mais souvent dans les détails. En émettant des petites variations, des petits changements et précisions ayant des caractères personnels. 

              Ce phénomène explique fort bien pourquoi les idées sont toujours au centre des débats. C’est la confrontation des idées, des points de vue différents, des façons de voir les objets, le monde, qui permet à la subjectivité du sujet de s’exprimer. Le sujet est avant tout sujet du fait de sa subjectivité, par la division entre sa vision et celle des autres sujets, de par la multiplicité des possibilités, des opinions et des avis. Le sujet est sujet en apportant un regard sur les phénomènes qui lui sont apportés, en exprimant des idées, en se créant une opinion individuelle. Un phénomène, un objet peut donc être affublé d’une infinité d'idées, d’une infinité de façon d’être observé, décrit, perçu. 

              Mais ces idées sont-elles intéressantes à connaître, à intérioriser ? Car si elles peuvent être si nombreuses, quelle valeur peut-on leur donner ? S’il existe autant d'idées d’un même phénomène qu’il n’existe d’étoiles dans l’univers, quelle est la limite par-delà laquelle ne peut-on plus affirmer que pareilles idées représentent encore un semblant de vérité dans le concret ? N’existe-il pas une idée unique pouvant être intériorisée absolument, une idée fondamentalement vraie et utile, une idée transcendant toute erreur, toute interprétation fallacieuse ? Une unique idée, symbole de vérité absolue que chacun pourrait intellectualiser, prendre pour vrai, utile, unique ? Une idée apte à servir de matière première de qualité pour la construction de savoirs parfaits ?

             

              C’est ici mes amis, que rentre dans l’arène de la pensée, sous nos yeux ébahis, un combattant féroce et empli d’une ardeur indéfectible pour la vérité. Ce combattant, ce guerrier, n’est nul autre que ce cher concept de vérité.

              Car l’on est bien souvent amené à penser que dans l’infinité d’idées possibles et imaginables sur un même phénomène, il puisse en exister une, ou tout du moins une caractéristique qui soit commune à toutes, qui puisse se vouloir la parfaite représentation de ce qu’est ce phénomène en lui-même. Nous sommes naturellement et intuitivement porté à constater que dans toutes les idées portant sur un même sujet, une entité ténue, discrète mais pourtant présente partout, se dissimule sous toutes ces visions imparfaites et différentes. Cette faible lueur qui rallie toutes les idées d’un phénomène sous sa, bannière, cette entité qui représente par-delà l'interprétation ce dernier, se nomme concepts de vérité.

              Sera alors considéré comme concept, l'objective façon de définir un phénomène. La parfaite et idéale façon de le décrire tel qu’il est “en soi”, tel qu’il est “en lui-même”, tel qu’il doit et veut être vu. Le concept est alors un outil philosophique, une échelle de vérité, de réalité. Le concept est ce qui par-delà toute subjectivité peut définir la pluralité en une unité singulière et absolue. Le concept réunit toutes les idées possibles en son sein. Il est l’unique aux infinies déclinaisons, la racine de l'arbre aux idées, aux représentations. Un concept est ce qui est vrai indépendamment de tout référentiel. Peu importe l’époque, le temps, les situations, les jugements, le concept restera lui-même et ne se verra pas modifier de quelconque façon. 

              Le concept de la Justice se veut être l’unique moyen de la décrire et de l’apprécier véritablement ; Le concepts du Bien et du Mal veulent être les seules et uniques façons de véritablement comprendre comment agir comme tel ; Le concepts du rouge se veut être la seule et unique véritable façon de percevoir ce qu’est véritablement cette couleur ; Tout comme le concept du tabouret se veut être l’absolue façon de le décrire en dépit de tout et pour tout. En clair, le concept se veut être l’absolue manière d’intérioriser et d’apprécier un phénomène tant abstrait que concret. 

              Cette conception est directement sortie d’un monde des idées de perfection immaculées de lumière. Ce monde au-delà des apparences, au-delà de l’imprécision, au-delà de notre subjectivité qui nous trompe et qui nous fait voir un monde imparfait et empli de pluralité. Les absolus concepts de vérité sont à voir pareils à des divinités de la pensée, les plus parfaites idées qu’il soit possible d'intégrer, celle qui font voir le monde tel qu’il est réellement, celle qui font voir le singulier, le parfait en soi. Ils sont les ponts unificateurs entre la pluralité et la singularité. Ils sont ceux qui rassemblent tout sous la même bannière. Ils sont les moules de tout ce qui se rapporte à eux et façonnent tout grâce à son burin céleste. Ils sont tout ce qui représente le cheval et tout ce qui fait du cheval un cheval. Ils sont tout ce que représente la liberté et tout ce qui fait des actes que nous accomplissons, des actes libres en soi. Ils sont tout ce que représente l’amour et tout ce qui fait que nos passions puissent devenir amour en soi.

              En voici un bon représentant de ce qui peut avoir de la valeur. Le vrai absolu, le concept, ce qui est vrai, véridique, intrinsèquement parfait. La connaissance venue d’un autre monde, d’un autre univers, transcendant nos pauvres âmes humaines et traversant le ciel de par sa divine clarté. Ces idées qui résoudraient tous nos problèmes de valeur ajoutée. L’en soi, le par soi, ce qui existe sans pourquoi et sans par quoi.

               Le concept est par définition abstrait mais représente le réel parfaitement. Il veut l’incarner idéalement et veut représenter le véritable de la plus singulière des manières. Le graal de la connaissance, du savoir, de tout ce qui peut représenter de la valeur à nos yeux. L’intemporel, l’inchangeant, ce qui coule dans les veines des secrets mêmes de notre univers. Le savoir parfait, des absolues possibilités, du vrai en soi par-delà tout jugement et idée préconçue.

              Haaa, mais quelle fantastique entité que ce concept de toutes les vérités… Quelle merveilleuse connaissance que celle-ci. Merveilleuse en effet, à tel point qu’elle semble bien trop parfaite pour pouvoir réellement exister. Car si ce genre de connaissance existait bel et bien, cela ferait bien longtemps que tous en parleraient. Les débats auraient cessé d'exister, tout comme les cultures, les religions, les états. Tout formerait un tout guidé par une connaissance absolue impossible à remettre en cause. Or nous le savons bien assez, le monde humain ne nous apparaît pas comme cela. En pratique, ces concepts paraissent bien difficiles à appréhender et à comprendre réellement. Mais, mes amis, là n’est-il pas notre objectif ? Celui de débusquer et de trouver le moyen de s’approprier les meilleurs composants du savoir parfait ? 

              Bien que ces concepts puissent nous paraître quelque peu paradoxaux, bien qu’ils nous fassent ressentir ce frisson spécial, étrange traverse nos membres, celui qui veut mettre en doute, celui qui nous pousse à vous questionner sur le sujet, celui qui nous pousse à remettre en question ce genre d'affirmations… Bien que tout cela nous bouscule et nous bouleverse, nous restons des chercheurs de trésors, des chercheurs de valeur. Et ces idées parfaites sont peut-être la clé de notre succès. Car si nous réussissons à nous les accaparer, le savoir parfait pourra alors apparaître à notre pensée.

              La grande question qui se pose alors à nous est la suivante : Sommes-nous capables du haut de notre humanité, d’intellectualiser pareille idée ? Sommes-nous aptes à comprendre la perfection de ces absolus concepts de vérité, ou alors ne sont-ils que des chimères, des légendes produites par nos esprits incapables de les saisir entièrement ?  

             

             

Chapitre 6 :  Les sources de l’information

             

 

 

              Mes amis, c’est alors que vous commencez quelque peu à me connaître. La résolution du problème initial n’est pas à prendre à la légère, et il serait précipité de vouloir y apporter une réponse directe. Ne vous inquiétez pas, les minutieuses précautions que nous avons adoptées et que nous adopterons par la suite peuvent, certes, paraître languissantes, voire ennuyeuses, mais elles sont toutefois, et n’en doutez pas, nécessaires. Gardez ici à l’esprit que nous écrivons l’histoire de la philosophie, nous cherchons à répondre à la question des questions, la reine de toutes les questions, la plus basique mais importante de toute. Alors ne perdez pas patience mes amis, ne relâchez pas non plus votre attention, c’est dans ces moments ci que le travail le plus crucial s’effectue, la suite n’en sera que plus radieuse et agréable. 

              Ce travail est d’autant plus difficile que nous ne pouvons pas nous adosser aux connaissances des sciences et de tout autre système de pensée, sans avoir préalablement défini leur valeur propre. Une fois que nous aurons déterminé leur valeur, il nous sera possible d’utiliser leurs dires et conclusions pour avancer plus vite et plus loin dans nos questionnements, à la manière d’un scribe découvrant le principe d’impression, à la manière d’un calculateur découvrant un ordinateur. 

              Mais restons tout de même dans nos clous, ne nous précipitons pas trop vite vers ces douces contrées si charmantes soient elles. Il nous faut encore avancer dans la pénombre. Nous fabriquons la machine qui nous permettra d’avancer à des vitesses vertigineuses dans les tortueuses pensées et questionnements que l’avenir suscite. 

                           

              Nous sommes donc arrivés à nous demander qu’est ce qui peut être intelligibilisé par l’esprit humain ? Réfléchir sur ce sujet nous permettra de déterminer si la vérité absolue, les concepts, sont effectivement intelligibles, ou si vouloir les comprendre est chose vaine et impossible. Ce travail sera d’une grande aide, soit en nous offrant la possibilité d’atteindre des idées parfaites, véritables joyaux de la pensée, soit en nous apportant la preuve que de nombreux sujets sont, de par leur nature paradoxale, inutile et inatteignables. Nous évitant ainsi la harassante et chronophage tâche de nous y attarder.

              C’est alors que, pour répondre de cette interrogation de la possible ou non intelligibilité de telles informations, il nous faudra déterminer par quels processus ces mêmes informations pourraient bien pénétrer notre pensée. En clair, il nous faut déterminer ce qui, mais également comment, est intelligible toute information. 

              Et pour nous lancer de plus belle dans cette quête dirigée vers les concepts, parties intégrantes de potentiels savoirs parfaits, nous devons premièrement déterminer quelles sont les différentes sources de connaissances d'où puise nos esprits pour leur développement et leur accroissement. Car déterminer quelles sont les sources, nous mènera vers les différentes manières d’en extraire leurs minerais de pensée. Oui mes amis, partons à la rencontre de ces sources d’informations.

             

              Nous séparerons ces différentes sources en plusieurs catégories. Elles pourront soit être d’origine interne à l’individu, soit externes à ce dernier. Et pourront faire partie soit de l’univers concret ou bien de celui de l’abstrait. Nous prenons la liberté d'éliminer d’office la possibilité qu’une information puisse provenir d’autres sources que celles mentionnées, délimitant clairement les prérogatives de notre épopée en terre de la pensée. Ainsi que le fait qu’une connaissance solide et réfléchie puisse apparaître sans cause première dans un esprit. Il nous faudra alors admettre qu’aucun phénomène autant abstrait que concret ne puisse apparaître spontanément sans cause antérieure en contact directe avec les individus humains. Cela nous facilite la tâche et nous permet de nous concentrer sur des sources de connaissances compréhensibles, différentiables et caractérisables autrement que par l’heureux hasard.

              Et avant que cela ne puisse m’être reproché, sera considéré comme information tout ensemble de données ou de faits pouvant être perçus, interprétés et ou organisés par l'activité cérébrale dans l’esprit d’un individu.

             

              Mes amis, commençons sans plus tarder avec le cas des sources internes dont font partie les sources acquises et innées. Pour nous permettre de mieux visualiser à quoi font référence de telles sources, nous explorerons un cas bien précis qui servira de délimitation à leur rayon d’action que voici : Toute information catégorisée comme interne se doit de pouvoir être intelligibilisée et intégrée tout en étant coupé de tout stimulus sensoriel externe à l’esprit et au corps. Cette condition revient à être placé dans un caisson insonorisé, les yeux bandés, dans le noir compet, sans possibilité de sentir ou de gouter, tout en étant en lévitation afin de ne pas avoir à ressentir son propre poids… En clair, les information interne doivent être accessible tout en étant coupé du monde extérieur, du monde que nous percevons au-delà de notre propre être.

              Dans ces sources internes se trouve celle des informations innées. Ces informations sont inscrites dans la corporalité même de l’individu. Cette source est liée directement à l’expérience propre du corps qui comporte entre autres sa position spatiale, la perception des sensations internes liées à la contraction des muscles et de l’activités des organes, aux sensations de températures, des mouvements de l’air et des fluides buccaux à travers l'œsophage et les poumons ainsi qu’aux sensation de faim et de soifs... En bref, toute information provenant uniquement du corps et de son activité interne. Activité qui s'opère naturellement et de façon innée, servant principalement au bon fonctionnement de l’organisme, sans qu'action volontaire de l’esprit ne soit forcément nécessaire. 

               Il ne faut également pas oublier les informations inscrites dans le corps de l’individu dès sa naissance matérialisées par ce que l’on nomme communément instincts. Ces informations peuvent être découvertes par l’esprit après expérimentation de celle-ci. Sont comptés comme connaissances internes innées, les instincts de survie, de recherche de nourriture, de socialisation, instincts maternels et paternels, de reproduction qui ne nécessite pas l’expérience du monde extérieur directe pour se manifester intérieurement.

              Ces instincts sont des connaissances en puissance, qui deviendront connaissances dès lors que le corps les aura fait intervenir sur le sujet. Elles ne sont donc pas connaissances absolues, mais entièrement subjectives. 

             

              En plus de cette source en puissance de connaissances internes innées. Une source acquise peut y être ajoutée. Car, toujours en étant coupé de tout stimulus externe, l'esprit peut tout naturellement continuer son fonctionnement. Et c’est de par ce fonctionnement, de par l’usage de notre faculté à penser, à faire régner notre volonté et à imaginer, que de nouvelles idées peuvent faire leur apparition. Ces processus plus ou moins conscients sont en eux-mêmes une source prodigieuse de potentielles informations. Dont le plus connu d’entre eux, l’imagination, se devra d’être détaillé plus tard lors de notre avancée. 

              Se retrouvent dans cette source d’informations internes acquises tous les ressentiments et sentiments intellectualisables par l’esprit. Les réactions, les sensations, les émotions sont des phénomènes purement internes et ne dépendent pas exclusivement du monde externe au sujet. Dans cette source d’information, se retrouve également toute connaissance pouvant être acquise via l’usage volontaire des fonctionnalités corporelles principalement liées au mouvement, telles que les différentes contractions et étirements musculaires produisent des stimuli internes nociceptifs. Ce type d'information diffère de celles innées de par la caractéristique de mise en mouvement volontaire des membres, ainsi que de la gestion consciente de la respiration, permettant d’acquérir consciemment des précisions quant à la mobilité de son corps et les effets d’usages de volonté répétés.

             

              Par la suite, après avoir traité le cas des sources internes, il nous faut traiter celui des sources externes au sujet. Ces sources qui, cette fois, ont comme condition de ne pas pouvoir être atteintes sans que stimuli externes il n’y ait. Elles représentent toute information provenant de la mise en lien du monde extérieur avec le monde intérieur précédemment décrit et exploré. 

              Commençons avec la source externe abstraite qui représente toute information purement abstraite pouvant être enseignée, acquise, intégrée via l’apprentissage. Elle regroupe les règles logiques, les langues, les connaissances historiques, mathématiques, grammaticales. En bref, toutes les connaissances créées par l’abstrait pour l’abstrait. Ces informations ont la particularité, étant donné leur caractère abstrait, de ne pas forcément représenter le concret. Elles peuvent en être dissociées, disjointes. 

              Elles sont principalement créées par l’esprit à partir de règles de logiques préétablies à l’avance qui permettent, à l’aide de nombreuses facultés mentales, de poursuivre des raisonnements, des schémas de construction, et d’établir des découvertes purement abstraites. Découvertes abstraites qui peuvent ensuite se voir enseignées et partagées à autrui. 

              Cette source abstraite externe regroupe également toute idée, toute connaissance et toute réflexion ayant été établie par autrui. Ces informations, bien qu'internes pour celui qui les a créées, représentent une source abstraite externe pour les autres, et inversement. En clair, les sources abstraites externes peuvent êtres multiples, tant via la lecture de texte et de raisonnement, tant via l'apprentissage oral ou la démonstration gestuelle…

             

              Finalement, c’est alors que nous arrivons tout naturellement vers la source des sources, la plus importante et impressionnante de toutes, celle représentant les informations concrètes externes. Cette source regroupe toutes les informations intégrables en puissance par l'esprit sur le monde concret extérieur à l’expérience de sa corporalité interne. 

              Cette source primordiale se trouve être à la base de bon nombre de nos connaissances. Les informations que cet univers recèle sont d’une impressionnante, passionnante et obnubilante diversité. La voici la source de tous nos frissons, de toutes nos passions. Cet univers aux infinies déclinaisons. Cet univers colorées, peint sur la toile magnifiée par nos perceptions personnelles. 

              Le monde concret, cet environnement suscitant curiosité et admiration quant à sa beauté et sa rustre cruauté. La voici cette source tant attendue. Toute chose que nous voyons, toute chose que nous touchons, toute chose que nous sentons et percevons sont toutes issues de cette source d’informations que nous vénérons. 

             

              Pour récapituler tout ce que nous avons mis en lumière, les différents types de sources que nous venons de catégoriser sont au nombre de quatre. Elles peuvent tant bien être basées sur le concret, telles que les sources innées et concrètes, soit sur l’abstrait, telles que les sources acquises et abstraites. Ces sources d’informations peuvent alors être catégorisées comme internes au référentiel du sujet avec les sources innées et acquises, ou bien externes à celui-ci avec les sources concrètes et abstraites.

              Les sources internes sont liées à la réflexion et à l'introspection de manière générale ainsi qu’aux sensations produites par le fonctionnement du corps même. Et les sources externes sont principalement liées à l’apprentissage de connaissances réfléchis par autrui ainsi qu’à la découverte de notre environnement concret. La question de la possible existence d’autres sources que celles relevées reste toutefois à explorer. Mais, comme nous le verrons plus tard, cette possibilité reste terrée dans son évanescence et semble difficile à intégrer comme légitime à notre système de pensée.

             

              Maintenant ce précieux travail de caractérisation effectué, l’avancée dans cette impénétrable jungle de la pensée nous est à nouveau rendue possible. La question qu’il nous faut alors nous poser sur ces sources de toutes les possibilités, est celle de leur accessibilité. Car nous avons décrit quelle était leurs caractéristiques propres, celles qui nous permettent de différencier ces types d’informations, mais la manière de les atteindre nous est encore obscure et incertaine. En clair, mes amis, il nous faut chercher par quels moyens pouvons-nous atteindre, intégrer et comprendre de pareilles informations ?

              Cette question est de la plus haute importance. Car les absolus concepts de vérité sont les dignes et vindicatifs représentants de ce monde concret comme du monde abstrait dans sa plus parfaite et idéale représentation. De ce fait, il nous est crucial de comprendre par quels moyens ces mondes peuvent être compris et intégrés intérieurement par notre esprit. Comment diable faisons-nous pour intégrer ces idées de l’éternité à partir de ce monde pourtant externe et, semble-t-il, distant de nos pensées ?

             

              Pour ce qui est du cas des sources abstraites, la question est encore trop complexe pour l’instant. Déterminer par quels processus l’abstrait peut-il s’acquérir est chose difficile qui a la fâcheuse tendance de produire de nombreux débats et ébats. Toutefois, pour ce qui est du cas du concret, la chose semble de suite bien plus aisée à intégrer. Car de façon assez intuitive, pour le cas des informations provenant du monde concret, cette interrogation nous emporte vers les expériences liées à nos sens. 

              Les sens, véritables capteurs corporels, véritables radars qui nous permettent de sonder et d'apprécier notre environnement. Ces géants du connaissant, ces titans de la découverte, sont les grands négociateurs qui discutent patiemment avec le monde, composant sans cesse avec celui-ci sur la façon de nous le faire observer. Ce sont eux qui nous permettent d’accéder à cette source d’informations prodigieuse. 

              Des simples couleurs, aux odeurs, à l’équilibre, la pesanteur, le goût, le toucher en passant par les sensations de contractions et d’étirement lors de mouvement et tant d’autres encore qui nous seraient inaccessibles autrement. Nos sens, nos sensations, sont les ponts unificateurs entre l’extérieur et notre for intérieur, les gardiens de passage de l’information, les grands artisans de nos représentations. 

              Le monde concret n’est appréciable que de par le dialogue que nous entretenons continuellement avec lui. Et ce dialogue s’effectue avec nos sens, ceux sont eux qui nous donnent à voir, à sentir, à ressentir. Ce sont eux qui font la jonction entre notre esprit et ce monde-ci. Enlevez nos sens, et c’est notre rapport au monde concret qui disparaît par la même.

              Car nous partons du principe qu’un sujet vivant dans le noir profond, les yeux bandés, ne connait pas la couleur par nature. Celle-ci n’est pas présente dans son esprit sans l’avoir préalablement ressentie, éprouvée et appréciée. Il en va de la structure même de nos réseaux cérébraux.

              Nul doute au fait qu’un aveugle de naissance puisse comprendre et intérioriser la définition même de ce qu’est la couleur. Cela peut passer par la compréhension de leurs actions et l'effet qu’elles produisent sur les objets. Mais cela n’enlève en rien le fait qu’il ne peut tout simplement pas en saisir la réalité matérielle et concrète. Peu importe qu’il sache comment la couleur se forme dans les yeux, comment le cerveau interprète les signaux, ce qu’est la lumière physique et ses mouvements d’onde électromagnétique. 

              La réalité fait qu’il ne pourra jamais atteindre cette information provenant du concret, cette information qui semble transiter par la sensation. Voir même cette information créée par la sensation. Il en va de même qu’avec la chaleur que nous ne pouvons intégrer sans en avoir senti l'ardeur, cette sensation qui nous fait brûler d’envie. Ainsi qu’avec la douceur, l’odeur petrichor des rosées, la forme des montagnes qui jalonnent celle des vallées et tout autre phénomène concret externe au sujet. 

             

              Mais finalement, comment utilisons-nous ces sensations pour créer et apporter du sens à notre environnement ? Comment les arrangeons-nous pour pouvoir catégoriser les phénomènes concrets ? Comment, à partir de ces simples sensations, ces paquets de données, pouvons-nous arriver à créer des idées et des concepts de vérité ?

              C’est ici que se trouve la clé de notre avancée en terre de la pensée. Les sources d'informations du concret finiront par nous permettre de comprendre comment notre connaissance sur ce dernier s’édifie et se construit. Et cela, toujours dans le but de trouver les meilleures idées, parties intégrantes des meilleurs savoirs.

             

             

Chapitre 7 : Les types d’expériences

             

              Pour nous permettre de plonger dans les abysses des connaissances apportées par les sens, nous étudierons une figure bien particulière qui introduira notre façon d'organiser nos sensations du concret. La figure mes amis, la voici : Qu’est-ce qui différencie l’esprit d’un nouveau-né de celui d’un homme âgé ? 

              Car outre les évidentes différences physiques et biologiques entre ces deux individus, qui ne sont ici pas l’objet de ce questionnement. Il s'agit ici de parler des différences dans l’esprit en lui-même. L’esprit en tant que contenu et non en tant que contenant. L’esprit en tant que pont reliant le conscient au monde réel, en tant que créateur d'idées, grand confrontateur, grand imaginateur. Si l’on se place dans cette optique ci, il est clair que la réponse nous vient très promptement. La différence cruciale entre l'esprit d’un nourrisson et celui d’un homme âgé n’est ni plus ni moins que leur contenu. Tant sa diversité que sa taille. En bref, la quantité d'informations et de données que contiennent chaque esprit respectif. 

              Car l’humain ne naît pas uniquement doté d’un bagage intellectuel défini et inchangeant comme c’est le cas pour la majorité des animaux moins cérébraux. Non, l'humain, lui, est capable de bien plus, il peut apprendre et comprendre, intégrer et apprécier. L’homme développe son esprit et le nourrit continuellement de nouvelles informations. 

              L’esprit du nouveau-né est par définition sans contenu, sans informations en quantité développée. Les instincts qui lui sont conférés ne sont pas suffisants pour le placer d’égal au vieil homme, qui lui a vécu une vie remplie, qui a arpenté les travers de celle-ci. Cet homme qui a appris de ses meilleurs succès et qui a su se relever de ses pires échecs. Cet homme qui a su surmonter les temps difficiles et affronter l’adversité d’une existence emplie de beauté et de cruauté. Cet homme qui a sans cesse découvert et réfléchi sur le monde qui s’offrait à lui. Cet homme-là a bien perdu en condition physique, son corps se décrépi à cause de son âge avancé, mais il a gagné en esprit, en connaissance. 

              C’est cette différence de contenu et de capacité qui sépare ces deux esprits. L’enfant né pareil à un sac presque entièrement vide, prêt à recevoir et à récolter toutes les données que le monde a à lui offrir. Lorsque le vieil homme quant à lui, essaie de maintenir ses souvenir dans ce sac plein à craquer qui commence à se percer de tous les côtés.

              Mais de quoi ce sac est-il rempli mes amis ? D’idées, de connaissances, voire même de savoir. Oui. Mais c’est principalement d’expériences de vie passé dont il est empli. Les expériences, voilà ce qui immerge toutes les connaissances avoisinantes, véritable solvant des réactions chimiques de l’esprit. C’est principalement de cela dont il est plein. Voici ce qui différencie le plus l’enfant du parent. 

             

              Et c’est tout naturellement que le parallèle avec le chapitre précédent nous apparaît fort heureusement. Car mes amis, je vous le dis et vous l'affirme avec la plus grande des diligences, le constituant de toute expérience sont ces fameuses sensations rapportées par nos sens. Empressons-nous donc d’aller explorer plus à fond ce que signifie le terme d'expérience sensorielle et ses implications dans notre recherche des processus de création d’idées abstraites.

             

              La définition que nous octroierons à l’expérience humaine sera la suivante : Une expérience est un ensemble de sensations appropriées et comprises, arrangées ensemble afin d’en faire ressortir une signification propre. En clair, cette définition de ce qu’est une expérience nous informe sur sa composition et son objectif. Une expérience est composée d’un paquet d’informations apportées par nos sens qui sont arrangées entre elles pour représenter un phénomène particulier ou un événement temporel vécu. A la différence de simples informations ou sensations, l’expérience peut s’intégrer consciemment et se doit d’être comprise et acquise par l’esprit. C’est cette plus ou moins profonde compréhension qui permet à notre mémoire de stocker de façon ordonnée et chronologique de pareilles entités. 

              Pour exemple de cela, nous prendrons l’expérience de la conduite en voiture. Celle-ci est composée d’une multitude de sensations différentes dont font parties celles que procurent nos mains au contact du volant, celle de l’accélération et de la vitesse dans notre champ de vision, de cette sensation visuelle représentant la route et de ce qui la borde qui avancent et se déroulent continuellement devant nos yeux, ainsi que ce vrombissement caractéristique du moteur à explosion ou de ces turbulences constantes liées au contact des roues avec le goudron et les gravats… Ces ensembles de sensations tirés du monde concret forment ensemble, une fois réunies et intégrées comme conjointes, l’expérience de ce que peut être la conduite. Chacune de ces sensations prisent séparément nous sont incompréhensibles, ne peuvent représenter rien d’autre qu'elle-même. Le sens, la caractérisation de toute expérience naît de cette mise en relation, de cette liaison entre toutes ces sensations.

              Une expérience peut tout à fait n’être composée que d’une seule sensation à laquelle toutefois l’esprit la traite à minima, la replaçant dans un certain contexte, dans une certaine temporalité ou causalité. Comme par exemple l’expérience d’une couleur particulière, composée de la sensation renvoyée par la vue et traitée comme représentant la vision de celle-ci à un instant particulier ayant succédé ou succédant à d’autres événements. La temporalité dans toute expérience est chose importante qu’il nous faudra détailler.

             

              Toujours étant qu’il existe plusieurs types d’expériences dont les plus importantes sont : Les expériences primaires, les expériences secondaires, qui prennent effectivement leur origine dans les sources d’informations concrètes, et, celles qui doivent retenir toute notre attention, les expériences artificielles, qui écopent de plusieurs particularités clefs. Ces types d’expériences se subdivisent en d’autres sous catégories : individuelles et externes. Commençons tout d'abord par décrire les cas les plus simples :

              Les expériences primaires individuelles désignent toutes les informations en provenance des sens. Toute expérience qui provient de la vue, de l’ouïe, du goût, du toucher, de l’odorat, des capteurs de chaleur, de pression… est considérée comme individuelle tant que les informations créées proviennent du corps auquel se rattache l’esprit qui les capte. Ces expériences sont propres à celui qui les expérimente. 

              Le jugement, l’interprétation, la valeur émise et la façon d'intellectualiser cette expérience sont purement subjectifs et dépendent uniquement du sujet. L'expérience est donc unique dès son expérimentation dans le concret. Elle reste d’origine concrète car elle provient des sens, qui sont en contact direct avec le réel, le concret. Ressentir son propre poids, ressentir au toucher le monde, le visualiser avec ses propres yeux sont autant d’exemples possibles pour ce type d’expérience.

             

              Les expériences secondaires sont des expériences primaires externes. Tout comme les primaires individuelles, elles dépendent directement de l'interaction entre les sens et le réel, le concret. Toutefois elles sont intériorisées, interprétées, jugées par l’esprit d’un individu tout autre. Elles peuvent ensuite être transmises par la parole, l’apprentissage à autrui, qui n’en retire en retour qu’un maigre lambeau. Car l'expérience ainsi obtenue n’est pas propre, dépend d’un autre et se verra transformer par la parole et les différentes interprétations qui lui seront apportées. Elle sera également moins précise et largement dégradée.

              L’information initialement intériorisée ne sera pas fidèlement intériorisée par autrui car elle sera soumise à une subjectivité externe, à l'interprétation d’un autre sujet. Cette expérience a donc moins de valeur que celle que l’on aurait individuellement expérimentée. Elle reste néanmoins une information de bonne qualité suivant la précision avec laquelle elle se voit transmise. A ce type d’expérience, on peut donner comme exemple : Le récit d’une formidable aventure dans de lointaines contrées, où la faune et la flore nous sont décrites avec précisions au travers de mots et d'expressions. Ou encore certains récits exotiques portant sur les histoires du passé, des événements ayant traversé les yeux de nos aïeux…

              Ce type d’expérience ne diffère des primaires que de par leur externalité. Elles sont intériorisées dans un second temps, par l’interprétation de la parole d’autrui.

             

              Mes amis, certes les expériences sont le produit de sensations avec l'extérieur. Mais il ne faut pas oublier le fait qu’elles sont assemblées par l’intellect, et que celui-ci se trouve être en lui-même une source à part entière de connaissances abstraites. Et c’est ici que la magie opère. Car il nous manque le cas des expériences artificielles. Et je suppose que la signification d’un tel terme peut paraître difficile à appréhender. Une expérience artificielle, qu’est-ce que cela peut bien vouloir signifier ? Qu’est-ce qu’une expérience pourrait avoir d’artificiel ? Le terme artificiel ici veut-il exprimer une forme de fausseté, de tromperie, de duperie ? Me serais-je fourvoyé sur pareil terme ? 

              Aucunement, je vous l’assure, ce terme est parfaitement choisi intentionnellement et remplit une fonction bien déterminée. Pour pouvoir en comprendre l'emploie, il nous faut travailler plus à fond la définition que nous avons donnée au terme d’expérience : “Un ensemble de sensations appropriées et comprises, liées ensemble afin d’en faire ressortir une signification propre”. Il serait ici bien réducteur de limiter l’acquisition de ces informations par l’unique biais de notre interaction avec le monde concret. La source d'information peut tout aussi bien être celle de l’abstrait. 

              En effet, il nous est tout à fait possible d’expérimenter le monde abstrait même. Nous pouvons voir, imager, entendre, parler, goûter, sentir intérieurement, de par l’usage de la pensée, des univers purement abstraits. Comme si notre esprit était lui aussi doté de capteurs sensoriels abstraits, pouvant sentir et interagir avec celui-ci à la manière de ce qu’il se produit avec le concret.

              Certaines idées peuvent être expérimentées, peuvent être mises à l’épreuve, améliorées par leur penseur dans son for intérieur sans avoir à interagir avec l'extérieur. Il en va du principe même de l'imagination humaine, qui se devra tout naturellement d’être étudiée. Celle qui permet de créer intérieurement sans avoir expérimenté extérieurement le phénomène pensé. Ou tout du moins, c’est ce que nous affirmons pour le moment.

              Sera donc considérée comme expérience artificielle toute information produite par l’esprit, de par le recours à l’imagination. Une expérience peut être expérimentée dans le monde concret mais elle peut également être expérimentée dans le monde abstrait. Imaginer une situation, un dialogue que l’on tiendrait avec une autre personne, imaginer comment agir dans certaines situations concrètes, se visualiser effectuer une tâche prochaine, imaginer des scénarios inventés... Ce genre de pensées traversent l’esprit de tout homme au quotidien, et peuvent être considérées comme des expériences parmi tant d'autres. 

              Le fait de s’imaginer entretenir une conversation, se parler à soi-même, sont des façons détournées, imaginées, de converser dans le concret en passant par l’abstrait. Se parler à soi-même ou à un personnage imaginé, c’est presque exactement comme vivre une conversation concrète avec ce personnage produit de notre esprit. C’est presque exactement comme d’entretenir un dialogue avec le clone parfait de nous-même pour interlocuteur. 

              Le fait d’imaginer des scénarios, des situations, leurs tenants et aboutissants, leurs déroulements sont autant de façon de nous faire vivre abstraitement ces mêmes scénarios. Tout se passe ici comme si notre esprit était lui-même doté de sens mais cette fois-ci interne. Des sens qui lui permettent de produire des expériences en interagissant et dialoguant avec nos souvenirs et nos pensées. C’est à la vue abstraite de nouveaux environnements et événements produits de l’esprit que le sujet peut en intérioriser de nouvelles connaissances, voire compétences. La visualisation mentale, la projection d’action sont tous des moyens d’expérimentation dans l’abstrait. 

              Les expériences artificielles sont des expériences moins importantes en moyenne que les expériences primaires. Du fait de leur total caractère abstractif, elles n'entraînent et ne requièrent que l’activité cérébrale. C’est uniquement l’esprit de l’individu qui est touché par les expériences artificielles. Cela retranche tous les mécanismes corporels et sensitifs qui sont, tout naturellement, en première ligne lors d’expériences primaires. J'exclue bien évidemment les réactions secondaires produites sur le corps telles que le salivement lorsque l’on pense à un délicat met, ou encore la montée d’hormones de stress lorsque nous pensons à un fait excitant ou encore la crispation de certains muscles à l’expérience interne de la peur... 

              Ces phénomènes soutiennent le fait qu’imaginer agir ou ressentir déclenchent les mêmes processus corporels que le fait de réellement agir ou ressentir concrètement. L’esprit à ici une forme de pouvoir sur le corps et peut produire des illusions d’actes réalisés tout en restant parfaitement dans un univers abstrait. 

              Lors de ces phases d’imagination profonde, la mémoire musculaire n’est pas sollicitée tout comme les réflexes instinctifs. Un homme aura beau imaginer dans sa tête le déroulement parfait d’un combat de boxe encore et encore jusqu’à avoir appris tous les meilleurs mouvements face à son adversaire imaginaire. Il lui serait impossible de pouvoir parfaitement restituer ses connaissances et expériences dans le monde réel avec l’utilisation de son corps sans s’être préalablement concrètement préparé. 

              Il lui faudrait pour cela, premièrement, être doté d’une extrême concentration et connexion avec son corps, une excellente coordination et précision de mouvement, puis il lui faudrait également pouvoir réfléchir à chaque mouvement, rechercher dans sa mémoire le geste parfait à effectuer dans telle ou telle situation. Or il est impossible pour un humain de réfléchir aussi vite qu’il bouge, ce pourquoi les instincts et la mémoire musculaire sont primordiaux dans toute action physique. Car l’abstrait n’est efficace que pour l’abstrait en général.

              Les expériences artificielles sont très grandement utiles dans le développement abstrait d’un individu, elles lui permettent d’étoffer son intellect, de faire grandir sa base de connaissances, de lui faire gagner en maturité, mais elles ne sont pas utiles outre mesure à l'interaction avec le monde concret. Elles sont très utiles à la préparation mentale préalable à l’action, mais pas à l’action même.

              Le fait de visualiser au préalable l’action visée, la manière de l’effectuer, ses possibles conséquences, est très efficace et permet de réduire les erreurs gestuelles, les mauvais jugements instinctifs et les risques inconsidérés. Mais la visualisation ne permet pas l’action en elle-même, elle ne permet que sa préparation, son anticipation potentielle. 

              A noter que les expériences artificielles peuvent être à la fois internes et externes suivant le sujet qui les imagine mentalement. 

             

              A la différence des expériences primaires et secondaires qui sont formées de sensations liées au contact sensoriel direct avec le concret, les expériences artificielles sont avant tout produites par un contact sensoriel abstrait. Comme si notre esprit était lui aussi doté de sens pareillement au corps qui lui permet de sentir et d’expérimenter les informations présentes dans les sources abstraites. 

              C’est ici qu’un fait tout particulier est censé attiser notre curiosité. Cette affirmation selon laquelle l’esprit est lui-même doté de sens capable de puiser dans l'abstrait pour créer et expérimenter de nouvelles choses est-elle réellement juste ? Ou n’est-ce qu’une illusion produite de notre méconnaissance des mécanismes rendant possible cette folie ? Car s’il nous est effectivement possible d’expérimenter l’abstrait comme nous le faisons avec le concret, pouvons-nous alors espérer pouvoir atteindre la perfection de ces absolus concepts de vérité simplement par la pensée ? Cela veut-il signifier par là même que la réalité du monde abstrait est tout aussi valable que celle du concret ?

              Mais avant d’aborder cet aspect hautement intrigant, je souhaitais continuer sur notre lancée pour vous présenter une autre idée clef rendue possible par nos réflexions sur l’expérience comme contenu de notre intellect. Cette idée nous permet d’étoffer notre définition de la valeur que peut détenir une bonne réflexion, une véritable forme d’index de la bonne raison. J’ai nommé : La maturité.

             

             

Chapitre 8 : Maturité

             

 

 

              Les réflexions que nous venons d’introduire sont matière première à la résolution d’un grand nombre de problèmes et de questionnements et me poussent à vous parler d’un principe fondateur de notre pensée. C’est alors que nous embarquons à l’exploration de l’un des piliers les plus importants de la bonne pensée. Ce pilier mes amis, n’est nul autre que celui de la maturité. Véritable index de valeur abstraite qu’il nous est possible d’explorer grâce à nos avancées sur les types d’expériences.

              Que signifie donc le terme maturité pour un être humain ? Au premier abord, de façon toute intuitive, l’on dira d’une personne qu’elle est mature si elle est capable de prendre ses responsabilités, si elle est capable d’autonomie en tant qu’individu. La maturité est alors prise comme une marque de développement personnel, spirituel, d’élévation au stade adulte, au stade responsable et autonome. Or il nous faut creuser plus loin que cette maigre surface. Rechercher le pourquoi, qu’est-ce qui pousse un individu à gagner en maturité ? Qu’est ce qui permet à un individu de comprendre sa place et ses responsabilités ? La maturité n’est que l’aboutissement, le résultat d’un phénomène interne complexe qu’il nous faut mettre en lumière. 

              Et ne vous y trompez pas, la maturité est un principe de la plus haute importance qu’il nous faut savoir dominer. Il est le représentant de ce qu’est un individu, de son futur comme de son passé. Il est le marqueur d'accomplissement le plus important. Le démonstrateur de notre thèse sur l’expérience comme catalysatrice de la pensée et de la connaissance. Elle se trouve être l’un des marqueurs les plus importants de la valeur d’une idée. Elle nous permettra à l’avenir d’affiner notre calcul de valeur de l’abstrait. 

             

              Il s'agira ici de distinguer la maturité physique de la maturité spirituelle. Au sens général, la maturité désigne un degré d’évolution. L’on dit de quelque chose qu’il est arrivé à maturation dès lors qu’il est devenu capable de réaliser une certaine tâche. Nous ne traiterons pas ici les cas de maturité physiques, comme la maturité sexuelle, la maturité hormonale, corporelle… Nous ne traiterons que le cas de maturité cognitive, qu’est le fait de pouvoir assumer et accepter ses responsabilités en tant qu’individu. 

             

              Commençons par des constats généraux pour mieux s’en faire une idée. Les enfants sont, dans l'extrême majorité des cas, des êtres immatures, des êtres irresponsables et capricieux ; les personnes âgées quant à elles sont très souvent considérées comme matures spirituellement tout autant que physiquement. La vieillesse amène avec elle la maturité, ce constat est un fait, un fait réel et logique. 

              Nous apercevons ici une claire corrélation entre la vieillesse et le gain de maturité, mais il est également clair que ce n’est pas la vieillesse en elle-même qui apporte la maturité. Le fait est que les jeunes adolescents ne sont pas tous aussi matures les uns que les autres bien qu’ayant le même âge. Certains jouent encore dans les parcs pour enfants à l’aube de leurs 15 ans. Lorsque d’autres commencent d’ores et déjà à travailler, travailler sur eux même et sur le monde, acceptant leurs responsabilités à pleines mains, lorsque les autres préfèrent encore les fuir pour profiter de leur insouciance réconfortante, si puérile soit elle. Les écarts de degrés de maturité se creusent à partir de la puberté. Cette période de grands changements qui occurrent tant bien dans le corps que l’esprit de tout individu.

              C’est à partir de ce temps-ci que les disparités de maturité apparaissent de façon flagrante, de façon importante. C’est à cet âge-là que l’esprit critique commence à doucement se former, que l’individu prend en assurance et désir de plus en plus de pouvoir s’émanciper autant physiquement qu’intellectuellement. 

             

              Imaginons dès maintenant que nous puissions endormir un enfant de façon à ce qu’aucun stimulus ne puisse lui être apporté ainsi qu’une perte totale et instantanée de toute capacité cognitive pendant le même laps de temps. Et réveillons-le quelques décennies plus tard lorsque son corps aura bien mûri. Dans ce cas-là, il y a fort à parier qu’une fois réveiller, l’homme maintenant âgé conservera son esprit d’enfant, n’ayant pas expérimenté ni vécu quelque expérience que ce soit durant toutes ces années de sommeil profond. Bien que mature physiquement, il s’élancera vers le monde avec la même fougue que d'antan, avec comme seul point différent les quelques changements hormonaux l’affectant et modifiant son comportement comme tout bon adolescent. 

              Cette petite invention nous montre bien que l’hypothèse selon laquelle la maturité spirituelle viendrait avec l’âge uniquement vue comme une variable de longévité commune à tous est erronée. Il faut séparer maturité physique de la maturité spirituelle dans tout individu. Ce qui n'empêche pas par la même le fait qu’il puisse exister une forte corrélation entre maturité physique et spirituelle. Il nous faut simplement savoir les distinguer et rechercher ce que la vieillesse apporte avec elle pour pouvoir déterminer ce qui amène à la maturité spirituelle.

             

              Ces deux constats nous font revenir à notre figure initiale, celle du nourrisson et du vieil homme. Nous avons d’ores et déjà déterminé quelle était la différence majeure entre ces deux entités. Cette différence se trouve dans la quantité d’expérience accumulée dans leur esprit. Il en va de même pour tous les âges, la tendance reste exactement la même, plus un humain vieillit plus il tend à accumuler des expériences, plus il tend à développer son esprit, son intellect. Plus un individu vieillit, plus il gagne en expérience, plus sa capacité à imaginer se développe, les champs du possible s’élargissent et l’horizon des pensées se découvre. 

              Plus un homme vit des expériences primaires lors de sa vie, plus sa maturité se développe. Il est difficile de concevoir un homme âgé découvrant le monde comme un enfant en bas âge sortant pour la première fois à l'exploration des bois alentour encore et encore. 

              Le fait est que l’humain à la capacité à pouvoir mémoriser et intérioriser les expériences qu’il vit. Il lui suffit de les comprendre pour les intégrer, ce qui fait du vieil homme un être naturellement doté d’expériences passées, vécues dans le concret. Ce qui n’est pas forcément le cas pour tous les jeunes hommes qui découvrent encore le monde de leur frivole et tempétueuse jeunesse. 

              Les expériences primaires sont plus ou moins communes en qualité et quantité à tout être humain ayant vécu un certain temps, dans un même milieu et dans une même époque. Il va sans dire que la diversité de celles- ci est à prendre en compte. Un homme vivant en campagne, en solitaire n'acquiert pas autant d’expérience qu’un homme voyageant à travers le monde pendant la même période de temps.  

              Il faut également ajouter aux expériences primaires toutes les expériences secondaires qui font entièrement partie du calcul de la totalité des expériences acquises par un individu. Les expériences secondaires s'acquièrent pour leur majeure partie par l’éducation, la transmission orale ou écrite d’informations. Un individu ayant étudié durant toute sa vie aura accumulé dans son esprit bien plus d’expérience secondaires qu’un homme illettré vivant reclus, tel un ermite déchu. 

              Finalement, il ne faut pas oublier les expériences artificielles qui sont le produit d’un esprit aguerri, d’un esprit développé, créatif et curieux. La quantité de ce type d’expérience accumulée peut énormément varier d’un individu à l’autre. Elle dépend grandement de la stimulation apportée au quotidien et du besoin de résolution de problèmes. 

              Plus un individu sera soumis à des problèmes récurrents, plus il acquerra de l’expérience artificielle en imaginant sans cesse des solutions, des possibilités, des éventualités quotidiennement, plus un individu réfléchira dans les moments inanimés (sommeil, repos…) plus il prendra d’avance sur ses homologues purement actifs dans le concret. Le créateur d’expériences passives est doté d’un bien plus grand potentiel que celui du créateur d’expériences actives. 

              Car le concret est fatalement limité. Limité par notre matérialité, par l’impossibilité de voyager instantanément, de bouger incessamment, de découvrir et d’apprendre tout le temps durant. Alors que l’abstrait lui, semble infini, étendu et répandu de toutes parts. Il ne se limite pas à la fatigue, aux besoins naturels, ni aux limites matérielles. Celui-ci semble offrir à son penseur des visions de mondes imaginaires totalement différents, incroyablement stimulants et diversifiés.

              L’ajout du totale des expériences artificielles et secondaires à celui des expériences primaires forme l’esprit dans sa quasi-globalité. Plus un esprit aura acquis d’expérience en tout genre, plus il sera à même de pouvoir réfléchir, de pouvoir se situer dans son environnement, comprendre le monde et son fonctionnement. Plus un individu aura acquis d'expérience, au plus il aura intellectualisé d’informations, au plus il sera capable de se forger un avis propre, un avis juste et mesuré, au plus il sera qualifié de mature. 

             

              C’est donc la quantité d’expérience qui est apportée, entre autres par la longévité, l’éducation et l'imagination, qui apporte la qualité spirituelle nécessaire à pouvoir être considéré comme individu à l’esprit mature. 

             

              La maturité est donc la résultante d’un tout, qui, mis en perspective permet à un individu de réfléchir sur sa place et sur les implications du monde, lui conférant ainsi un degré de maturité. Plus un individu a intégré des connaissances, plus il aura la capacité à remettre dans leur contexte les faits et évènements présents.

              L'esprit critique, le développement d’une propre façon de voir et d'apprécier le monde sont des conséquences claires et directes de ce phénomène. Car si l’on n’a jamais connu le monde que comme ce que notre propre culture nous enseigne, il est difficile voire impossible de pouvoir se mettre à la place de personnes vivant dans d’autres contrées. Des personnes d’autres origines, d’autres cultures, d’autres visions et expérimentations du monde. Le manque de maturité amène à la méprise qui amène à la peur et à la haine liées à l’incompréhension d’autrui. En clair, le manque de maturité est le facteur décisif de l’apparition de conflits tant internes qu’externes. La guerre, l'asservissement, la cruauté sont souvent des signes flagrants d’un manque de maturité et d’un manque de sagesse envers l’humanité.

              Ce fait que je viens de vous exposer crûment est le facteur le plus important de l’histoire de toute l’humanité. Il permet d’expliquer tant de phénomènes, tant de faits historiques, tant de paternes idéologiques et chronologiques qu’il semble à lui tout seul régner sur le passé de l’humanité. Car c’est la maturité de tout individu qui permet aux sociétés d’avancer vers le progrès ou bien le déclin. Plus un individu est mature, plus il sera sage et empli d’une forme de noblesse créatrice et productrice qui se fondera sur la prise en compte des conséquences au travers du temps. Au contraire, l’inexpérience et la naïveté représentent l’engrais de la décrépitude accélérée de toute société. Car celui qui n’a jamais expérimenté ne peut voir et prévoir dans le temps. Il restera piégé dans son animalité, celle de ses instincts et de ses sentiments qui le gouvernent en interne sans que celui-ci ne puisse en rendre compte. 

              Plus un individu expérimente, ressent et exerce sa volonté de comprendre et d’apprendre sur les phénomènes qui se présentent à lui, plus il développera ce goût de la projection et de la prévention dans le temps. L’homme mature est celui qui est capable de par son expérience, de prévoir et d’accepter les conséquences de ses actes dans le long terme. Il est apte à en rendre compte, apte à projeter sur ses actes les conséquences qu’ils auront nécessairement.

              Et c’est ici que la beauté d’une telle idée rentre en jeu de la plus splendide des façons. Car celui qui comprend et expérimente le plus, est celui qui voit plus profondément et plus loin encore dans la vie et dans le temps. Celui qui se rend apte à relier, à prévoir, à comprendre, est celui qui se rend capable d'éprouver son existence de la plus pure et majestueuse des manières. Et bien évidemment, celui qui parfait cet exercice ne peut être autre qu’une véritable divinité. Un dieu voyant dans l’infinie éternité, un dieu de la parfaite compréhension et de la parfaite projection. Celui qui a déjà tout expérimenté, celui doté d’une absolue connaissance des conséquences de ses actes et des phénomènes du passé pour le futur qui va s’annoncer.

             

              Mais, comme expliqué précédemment, nous reviendrons bien assez tôt sur ce genre de raisonnement, gardons en tête notre quête du savoir et de la potentielle accession à la plus pure des valeurs, celle que profèrent ces concepts de malheur. Et finalement ce que nous avons appris sur cette idée de maturité nous permet de préciser notre calcul sur la valeur des idées. Car une idée, une connaissance, un savoir, seront d’autant plus importants qu’ils se fonderont sur le plus d’expérience possible. En clair, au plus ils sont profonds et matures, au plus ils seront valeureux et importants.

              Mais, trêve de ces considérations, replongeons-nous dans les tréfonds de la connaissance. Je sais bien que vous attendez avec vive impatience que nous étudions le phénomène qui prend place dans notre conscience, cette fameuse imagination dont il a été question tout au long des chapitres précédents.

             

             

Chapitre 9 : l’imagination et ses limitations

             

 

 

              Une fois nos ébats sur la maturité terminés, il est maintenant temps de nous concentrer sur les processus de création des savoirs de l'humanité. Dans notre quête à la recherche de savoir de valeurs, des meilleurs savoirs que l’on puisse avoir, nous sommes naturellement amenés à faire face à ce qu’ils sont et incarnent profondément. Il nous faut en étudier leur structure et leur composition. Par quels processus pouvons-nous créer des savoirs, comment et par quels moyens les différencier ? 

              Nous avons déjà introduit ce qu’étaient les idées et leurs plus valeureux représentants, ces absolus concepts de vérité, potentiels constituants des savoirs que nous recherchons tant. Et c’est lors du chapitre sur les types d’expériences, que nous sommes partis explorer les différences qu’il existe dans notre façon d’expérimenter le monde. La création d’expérience peut se faire personnellement, via l'empilement de sensations en contact avec le concret. Extérieurement, via les récits et les comptes d’autrui. Mais également intérieurement, via la formation d’expériences artificielles. Ces énigmatiques créations de l’abstrait, celles qui naissent et se développent dans celui-ci sans avoir besoin de dialoguer directement avec nos sens. 

              C’est alors que nous nous sommes questionnés. Questionnés, bien qu’assez convaincus de la raison, par quel diable pareils phénomènes peuvent apparaître presque par magie dans nos esprits. Mes amis, faites donc place à celle qui rend possible ces folies, j’ai nommé, notre imagination.

             

              L’imagination. N’y a-t-il rien de plus énigmatique, fantastique et impressionnant chez l’humain que son talent pour la création via l’imagination ? Cette capacité de tous les possibles, ou tout du moins celle qui rend tout possible. Cette déesse de la création, cette enivrante voile qui mène tout marins vers de nouveaux horizons, de nouvelles terres au soleil crépitant de lumière. Cet agrégat de couleurs aux odeurs passionnées qui promettent tant à celui qui s’adonne à penser. Celle que tous nomment libératrice, révolutionnaire téméraire qui laisse tout à voir à celui qui possède assez de bon vouloir. 

              Mais tout bon aventurier doit savoir sentir le mensonge lorsque celui-ci se dissimule tapis sous les éloges. Car cette imagination que tous bénissent et que tous chérissent laisse un goût amer à celui qui y goutte de trop près. C'est pourquoi, il nous incombe de démystifier pareille capacité. Peut-elle véritablement tout accomplir, est-elle véritablement sans limites ? Comment fonctionne-t-elle et par quels moyens nous emmène-t-elle vers la nouveauté et la création d’idées ? Que cache-t-elle derrière ce masque de perfection ? Peut-on vraiment affirmer que nos esprits sont dotés de sens capables d’expérimenter le monde abstrait ou bien cette comparaison n’a point lieu d’être ?

             

              Avant le commencement de ce développement, je souhaitais avertir quant à la manière dont nous allons procéder. Nous considérerons bien plus l’imagination comme un moyen et un processus mental plutôt que comme un produit de l’activité cérébrale. Ce fonctionnement sera détaillé dans les livres qui suivront. Pour l’instant concentrons-nous sur l’imagination comme source de création et d’expérimentation de l'abstrait et de ses sources d’informations.

              Nous avons précédemment qualifié l’imagination comme étant une source de connaissances, de connaissances abstraites, imaginées. Pouvant être disjoint du concret (règle logiques grammaticales, mathématiques…) ou alors liée directement à celui-ci (imagination de situation, résolution de problèmes concrets…). Cette source de connaissance produit exclusivement des expériences artificielles dans l’esprit de celui qui s’adonne à imaginer. Cette capacité permet de créer des expériences et des idées semble-t-il à partir du néant. De toutes nouvelles expériences encore jamais vécues dans la réalité, de toutes nouvelles idées encore jamais créées. Comment ne pas croire cela, sachant ô combien cette capacité nous a permis, au fil des décennies, d’acquérir un nombre hallucinant de progrès et de nouveautés uniquement produits par nos esprits ?

              De la science-fiction, aux dragons en passant par les récits fantastiques et mystiques… L’imagination permet à l’humain de créer avec passion des univers aussi divers et emplis de frénésie qui tendent souvent à l’absurde le plus crue et déconnectée qui soit de la réalité. Elle délivre du monde concret, emporte l’esprit vers la rêverie et le soustrait à ses contraintes matérielles. Haaa quelle bénédiction.

              Voilà mes amis, ce qu’aurait à peu près dit tout bon pratiquant de l’imagination. Mais, il s’avère que celle-ci se révèlent être bien plus limitée que nous le puissions imaginer. Au risque de briser la magie d’une telle prodige, il est grand temps de faire la lumière sur ce qu’elle est réellement capable de faire et de nous apprendre sur notre manière de construire notre pensée et nos savoirs. 

             

              Pour nous permettre de clarifier d’entrée de jeu la contrainte la plus flagrante de cette capacité à imaginer, je vous propose à vous, mes amis, une petite expérience de pensée. Celle-ci a pour but de dévoiler l’imposture et de renvoyer tous ces prêtres qui lui octroient des qualités qui ne lui reviennent pas. 

              Cette expérience de pensée consiste simplement à imaginer un tout nouvel animal. Aussi simple que cet exercice puisse paraître, lorsque l’on s’y penche quelque peu, l’on se rend compte bien assez vite qu’il paraît tout bonnement inenvisageable. Car lorsque j’entends “tout” nouvel animal, j’entends par ce tout, un animal entièrement nouveau. Un animal n’ayant absolument aucune caractéristique en commun avec les animaux que nous connaissons déjà. Un animal absolument inconnu que nous pourrions hypothétiquement découvrir dans d’autres mondes que le nôtre, sur d’autres planètes, d’autres univers. Oui je vous demande ici d’imaginer ni plus ni moins à quoi pourrait ressembler un extraterrestre, un être vivant hors de toute caractéristique terrestre, un être vivant purement produit par votre esprit. 

              Ne vous y trompez pas, l’abstraction totale que devra représenter cet animal ne doit pas simplement devenir un produit fantastique, mythologique comme ce que l’on trouve dans toutes ces merveilleuses histoires légendaires mettant en scène des bêtes toutes plus variées les unes que les autres : l’hydre de Lerne, le monstre du loch ness, le minotaure, les dragons, le griffon et tant d’autres créatures mystiques. Ces animaux ci ne compte pas comme “tout nouveau”. Ils ont beau être produit de l’esprit et de l'imagination, ils ne sont qu'assemblage de parties animales déjà connues par l’esprit. Le dragon n’est qu’un serpent volant, le minotaure, un buffle humanoïde, les griffons ont le corps d'un aigle greffé sur l'arrière d'un lion muni d'oreilles de cheval… Ces créatures-ci ne sont en rien nouvelles. Elles ne sont que l’assemblage de différents animaux qui sont quant à eux bien connus sur la surface de la Terre.

              Non, ce que je vous demande ici mes chers amis, est d’imaginer un animal n’ayant ni fourrure, ni peau, ni écaille, ni crocs, ni oreille, ni membre, ni rien qui ne puisse ressembler de près ou de loin à ce que nous avons l’habitude d'appeler communément “animal”. En bref un animal totalement nouveau, neuf de tout préjugé. Un animal dont la seule caractéristique qui le rende animal soit son anima, soit sa capacité à se mouvoir et à faire transparaître la vie de par son existence. 

              Allez-y mes chers amis, adonnez-vous à réfléchir quelque instant pour vous plonger dans cet exercice et ne tâchez de ne revenir que dès lors que le temps vous aura convaincu.

              Au final, cet exercice s’avère être très difficile, mais pas impossible à résoudre si toutefois je ne vous interdis pas non plus de pouvoir utiliser vos souvenirs du monde concret. La forme de cet animal imaginaire est sans doute apparue dans votre esprit comme une forme à la géométrie simple ou alors dénuée de toute conformité. Le cylindre, le parallélépipède, le cône, le cercle, comme base dotée d’une texture inhabituelle, gélifiée, rugueuse, mousseuse ou que sais-je. 

              Si je vous interdisais d’user de ce que vous connaissez déjà, de ce que vous avez déjà vu et touché, cet animal ne peut apparaître à votre esprit qu’uniquement comme le néant. Pensez-y longuement s’il le faut, laissez le temps vous convaincre de l’impuissance de notre imagination face à pareil problème. Dès lors qu’un attribut vous apparaît, il vous faut alors vous demander si celui-ci n'est jamais apparu à votre vue. Car si tel est le cas, l’exercice vous interdit d’en user. 

             

              En réalité mes amis, ce que montre cet exercice est que l’imagination de cet animal a forcément une origine acquise, une origine déjà expérimentée par le sujet. Les souvenirs qui en ont résulté vous ont permis de réfléchir et d'imaginer un nouvel animal. Mais cet animal n’a en réalité de nouveau que le fait de ne l’avoir jamais vu comme tel dans la nature. Car tous ses constituants sont en réalité des phénomènes bien connus de nos esprits. Sans expérience concrète d’aucune sorte cet animal n’aurait pu apparaître que sous la forme d’un néant, d’un vide, d’un rien. Sans bases avec lesquelles dialoguer, il nous est inconcevable d’exprimer à quoi pourrait ressembler ce tout nouvel animal.

             

              Si ces explications ne vous ont pas encore convaincu, allez donc demander à un enfant de vous dessiner ce tout nouvel animal. Seules des chimères apparaissent dans son esprit. Nul enfant n’est capable d’imaginer à quoi pourrait ressembler un poisson sans en avoir observé un de ses propres yeux, nul enfant ne peut concevoir comment les insectes peuvent se mouvoir de leurs microscopiques petites pâtes sans les avoir préalablement observés de ses propres yeux… Tout individu passe par ce cycle de découvertes spectaculaires lors de son enfance et tout du long de son existence. 

              Car l’imagination n’est que le reflet de nos expériences passées. Une faculté qui nous permet, plus ou moins consciemment, d’arranger les informations pour en former de nouvelles. Ces informations sont naturellement dépendantes de leurs origines, dépendantes des expériences utiles à leur conception et à leur intégration dans l’esprit de n’importe quel individu.

              De par ce simple exemple, l’on vient de montrer que la création de connaissances abstraites en relation directe avec le monde concret n’est possible que par l’usage d’expériences primaires, après expérience du monde concret. Nous aurions pu prendre n’importe quel autre exemple pour le montrer, car ce phénomène fonctionne avec tout objet concret. Il en va de la structure et du fonctionnement même de l’imagination.

              Les connaissances de l’imagination prennent pour origine l’expérience primaire. Elles sont intériorisées par l’esprit et peuvent ensuite se rendre utiles à l’élaboration de nouvelles connaissances par le biais de liens logiques et causaux intuitifs. En clair, l’imagination n’est pas le fait de découvrir de nouvelles informations, mais est bien plus du ressort d’en créer de nouvelles à partir d’anciennes. La voici la plus grande limite des expériences artificielles. En réalité, elles sont en quasi totale dépendance au monde concret. 

              L’imagination en elle-même n’est que l'arrangement d'informations en paquets menant à la création de nouvelles expériences ou idées. Il est absolument impossible à l’esprit humain de créer des informations par le biais de son imagination sans que celle-ci n’ait préalablement eu accès à une base de données dans laquelle puiser, sans que son imagination n’ait eu matière préalable à penser, sans qu’elle n’ait été développée et entretenue lors de la vie du sujet. Elle ne peut produire de telles prouesses sans base sur lesquelles s’appuyer. Sans matière à penser, elle reste morne et embryonnaire, dans un état larvaire, attendant patiemment le bon moment pour sortir de sa tanière et apprécier les délicieux mets de notre pensée.

              Pour la création d’expériences en lien avec le concret, il faut préalablement avoir expérimenté le concret. L’imagination doit puiser dans cette source d’informations pour pouvoir assembler et créer. En réalité, notre esprit n’expérimente pas des mondes et des univers abstraits lorsqu’il s’adonne à imaginer. Notre esprit n’est pas doté de sens capables d’expérimenter la source même de l'abstrait pour la visualiser et la ressentir. Il ne fait qu’utiliser les sensations préalablement acquises dans le concret pour ensuite les appliquer dans ses rêveries et pensées. 

              En clair, l’imagination doit impérativement se nourrir des expériences concrètes déjà acquises et ne peut inventer de toute pièce une nouvelle façon de voir et de découvrir le monde. Il lui faut pour cela un point d’attache, un point d'ancrage sur lequel se développer. Les univers qu’elle peut créer ne sont que l’assemblage de notion, de visions, de connaissances placées dans des ordres bien particuliers, simplement différents de ceux que nous expérimentons.

              La voici l’imposture. L’imagination humaine n’est en rien dissociée du concret, elle en est même presque entièrement dépendante. Un individu n’ayant jamais expérimenté le concret ne pourra jamais imaginer ce dernier. Et les univers créés ne sont que des imitateurs de celui dans lequel nous vivons et subsistons, duquel nous tirons toutes nos connaissances et toutes nos expériences. Ces conclusions sont capitales pour la suite de notre épopée car nous permettent de poursuivre dans un tracé bien délimité et cohérent.

             

              Pour encore plus emphaser sur ce fait si important des limitations de notre imagination, prenons le cas de la visualisation d’images mentales.

             

              Bien que vivant dans un espace décrit comme tridimensionnel, le monde qui nous apparaît est, quant à lui, en deux dimensions. Nous ne voyons qu’un voile plat qui ne nous permet pas de décrire parfaitement les reliefs, les distances uniquement en les observants. 

              En effet, une fois placé dans un environnement parfaitement terne qui ne réfléchit aucune lumière vive, nous ne pouvons pas savoir si l’objet que nous observons est incroyablement grand et loin, ou s’il est incroyablement petit et près. La perspective est trompeuse. Notre vision se limite à la déduction des distances suivant les reflets de lumières et les détails que nous leur attribuons. Ce qui implique que notre vision se limite à deux dimensions. Nous voyons un plan, une surface initialement plane à laquelle nous apposons naturellement des jugements de distance et de reliefs pour nous permettre de distinguer les positions des différents objets. 

              Mettons-nous maintenant dans la peau d’un être en deux dimensions. Comme par exemple notre héros de jeux vidéo, Mario Bros. Celui-ci ne peut voir qu’en une seule dimension. Il ne peut voir que devant lui, derrière lui, au-dessus et en dessous de lui. Et la seule chose qu’il puisse apercevoir est une ligne parfaitement fine et étirée du fait qu’il ne peut voir et percevoir ce qui ressort de l’écran dans lequel il se trouve captif. 

              Le bloc qui se trouve devant lui, sur lequel il doit sauter ne lui apparait que comme une bande de couleur infiniment fine. Sa vision se restreint à cela car il est incapable de s’extirper de sa condition d’entité en deux dimensions. Il ne peut observer ce qui ressort de cet écran qui l’emprisonne. La seule chose qui lui est permise d'observer n’est rien de plus que cette fine ligne qui se présente face à lui et sa vision.

              Il y a très fort à parier que ce Mario ne peut pas lui-même imaginer à quoi pourrait ressembler une vision en deux dimensions, tant celle-ci diffère de sa propre expérience de ce monde linéaire. Le fait est qu’il n’a jamais expérimenté un tel changement. Son esprit est bloqué, limité par cette façon d’appréhender l’univers dans lequel il évolue. Son imagination est bridée par le flux d'expérience dans lequel elle pourrait piocher.

              Ce fait est d’ores et déjà difficile à appréhender mais maintenant essayons d’imaginer l’exact opposé. Un être vivant en quatre dimensions, capable de voir en trois. Se déplaçant à la fois dans trois dimensions d’espaces mais aussi dans celle du temps librement, si tenté que celle- ci puisse effectivement être décrite ainsi. De ce point de vue, les Mario ne sont nuls autres que nous autres les humains. Car passer d’une à deux dimensions s’avère être tout aussi difficile à entrevoir que de passer de deux à trois dimensions.

              Comment pourrions-nous imaginer le fait d’observer le monde en trois dimensions ? Le fait de pouvoir voire les distances, les reflets, les perspectives de façon naturelle. Distinguer les objets, toutes leurs faces d’un regard sans avoir à les tourner. Et ne vous y trompez pas, voir en trois dimensions n’a rien à voir avec ce que vendent nos cinémas. Dans les salles de projections 3D, nous voyons simplement des images quelque peu décalées par rapport à l'arrière-plan. Mais notre vision reste tout de même en deux dimensions. Non je vous parle de pouvoir voir en trois. C’est-à-dire être capable de voir toutes les faces d’un cube d’un seul coup d'œil et de façon simultané.

              Allez-y mes amis, essayez donc d’aller contre nature. Adonnez-vous à imaginer ce que des yeux en quatre dimensions pourraient vous donner à observer. Tout ce que ces réflexions vous apporterons est que cet exemple montre à quel point notre façon de voir le monde de façon imagée dans notre esprit est restreinte par nos expériences passées. Vouloir imaginer à quoi ressemblerait l’expérience d’un sens nouveau est une tentative vaine et impossible, car l’imagination se restreint au connu, au compréhensible, au sensitif humain. Et encore plus, au sensitif individuel humain.

              Car puisque nul homme ne peut imaginer ce qu’il n’a pas expérimenté, nul ne peut s’inventer de nouvelles sensations tirées de nouveaux sens que ceux qu’il ne possède en sa corporalité. Nul ne peut inventer de nouvelle façon de voir et de concevoir les sensations que lui apportent les objets du monde concret.

             

              Il faut toutefois garder en tête que la capacité à pouvoir imaginer est variable chez tous les individus et dépend de deux facteurs principaux. Le plus rationnel des deux se trouve être dans la continuité de nos exemples argumentés. 

              Le fait est qu’un esprit qui a beaucoup expérimenté, exploré et découverts flopés d’univers, aura une large tendance à développer de meilleures capacités à imaginer. Car si un esprit reste cloitré, renfermé dans son cachot de sanglots en proie à une solitude exacerbée par une impénétrable fermeture d’esprit, en clair, s’il ne s'élance pas à la découverte du vaste monde, son esprit restera pareil à ce qu’il a toujours été. L’imagination sera alors une forme de savoir définitivement inatteignable et pénible à se serait-ce qu’envisager. 

              Il ne faut pas oublier la fabuleuse tendance humaine pour la curiosité et pour la rêverie dirigée par ces si puissants désirs. L’humain est naturellement un être explorant. 

              Mais, ne pas explorer le monde ne veut pas signifier ne pas pouvoir être capable d’imaginer. Tout comme l’explorer à fond ne veut pas signifier en être apte. Faut-il encore que le sujet pensant face l’effort conscient d’user de sa ressource pour créer ces idées imaginées. 

              Ce phénomène apparaît dans le clivage enfants et parents. Car paradoxalement, ce sont les enfants, ceux qui sont les moins expérimentés, qui sont en général les plus imaginatifs et créatifs.  Ce sont eux qui passent le plus clair de leur temps à imaginer et créer lorsque la monotonie de l’âge ne les a pas encore touchés. Les enfants sont pleins de vigueur et sont gouvernés par une ardeur à la découverte impressionnante. Le tout surplombé par un goût prononcé pour la curiosité. Les enfants usent et mettent à profit cette incroyable capacité à pouvoir imaginer pour leur bon développement cognitif et mental. 

              Alors que leurs parents, et les personnes plus âgées en général, qui sont bien plus expérimentées, sont plus amenés à se calmer, à se poser, à préférer la sérénité aux tumultes de la pensée. Ils passent bien moins de temps dans leurs rêveries et questionnements, expliquant cette progressive perte de capacité à imaginer. Car cette capacité n’est pas acquise indéfiniment, comme tout, il faut l'entretenir et savoir s’en occuper. 

              En clair, l’imagination se développe naturellement dans tout individu humain. Elle est une capacité qui se maintient et qui doit se développer par le biais d'expériences en tout genre et cela durant plusieurs années. Cette capacité doit également être utilisée au quotidien pour en conserver tous ses bénéfices. Son fonctionnement explique pourquoi les expériences artificielles ne sont pas des expériences entièrement disjointes du concret. Car elles ont beau être le produit de l’esprit, celles-ci ne sont que l’assemblage d’expériences primaires de premier ordre, les faisant ainsi devenir des expériences en lien indirect avec le monde réel.

             

              Nous voici enfin arrivés à la fin de nos réflexions sur l’imagination. Cette capacité permet de créer des idées et de nouvelles expériences via l'assemblage de précédentes déjà préalablement intégrées. 

              Il reste toutefois un point extrêmement important qui reste à déterminer. Qu’en est-il pour les principes et idées telles que la liberté, la justice et autres, qui ne sont à première vue ni expérimentables concrètement, ni abstraitement ? Ces idées qui semblent sortir du cadre de la simple sensation, de la simple réaction. D'où nous viennent-elles ? N’ont-elles seulement qu’une source ? 

              Pour nous permettre de répondre à cela, il nous faut aller à la recherche des processus de création de pareilles idées. Comment sont-elles créées ? À partir de quoi ? À partir d’où ? Pour arriver à ce résultat, il nous faut acquérir une nouvelle faculté de l’esprit qui nous ouvrira ces portes bien dissimulées derrière leurs masques de complexité. Et c’est alors qu’une nouvelle faculté cruciale fait son entrée. Une faculté qui fait partie intégrante de notre humanité, et qui, par le biais de son produit le plus singulier, nous permet de créer, de relier et de comprendre. Mes amis, cette faculté si vous ne la présentez pas déjà, n’est nulle autre que notre illustre raison humaine, l’illustre faisatrice de savoirs et d’idées.

             

             

Chapitre 10 : La Raison humaine et la création de savoir 

             

 

 

              Il paraît bien difficile, et à raison, de vouloir imaginer pouvoir aboutir à la création de savoir sans avoir à user de notre faculté à raisonner. Cette prométhée de l’humanité, qui nous permet de manier le monde à notre guise, de le comprendre et de le saisir, est un atout capital à toute construction et déduction abstraite. La raison, cette capacité à former des raisonnements se trouve être le véritable liant de la pensée, reliant, entremêlant, bâtissant tout raisonnement sensé et fondé sur la logique et ses fondements.

              La raison peut être définie de multiples façons. Mais celle que nous adopterons ici se fera des plus larges et conciliantes que voici : La raison représente l’ensemble des processus abstraits qui permettent de relier des informations afin de créer des chaînes logiques et ou causales, dotées d’un sens cohérent pour un esprit humain développé.

              Encore une fois, il ne s’agit pas ici de spéculer sur le fonctionnement profond de tels processus mentaux et cérébraux. Ce que nous recherchons ici mes amis, est d’établir en quoi la raison telle que définie est capable de produire et de provoquer dans toute formation de pensée. Dans cette définition, la raison représente donc de nombreuses capacités qui vont de la simple association, au raisonnement en passant par le jugement. Qui définissent graduellement des degrés de complexité et d’ordonnément différents dont le plus complexe de tous se trouve être naturellement celui du raisonnement. 

              L’association est, comme son nom l’indique, le fait de pouvoir associer plusieurs informations entre elles, que le jugement évalue suivant des critères arbitraires de correspondances et de validité pour la plupart des cas. Finalement, le raisonnement permet d’associer l’ensemble les suites d’associations préalablement évaluées par le jugement pour en produire une chaîne jugée cohérente et sensée afin de résoudre des problèmes liés à la compréhension de phénomènes ou à la création de solutions.

                           

              Pour nous permettre de mieux saisir l'étendue d’un tel enchevêtrement de processus nous aborderons ici un exemple simple. Voici différentes propositions préalablement formées par des informations jugées concordantes dont il nous faudra détailler la nature : La pluie tombe du ciel ; la pluie est de l’eau ; un seau peut contenir de l’eau ; je peux boire de l’eau. La raison peut ensuite relier tous ces éléments et produire un raisonnement cohérent permettant de déterminer que : si je souhaite boire de l’eau, il faut que je récolte la pluie grâce à un seau. Voici ce dont est capable la raison. 

              Et ne vous y méprenez pas mes amis, cette façon de raisonner est encore, jusqu'à preuve du contraire, exclusivement réservée à l’homme sur Terre. Les autres mammifères, mêmes les plus intelligents, sont souvent limités dans leurs raisonnements qui ne leur permettent que d’associer un nombre limité d’enchainement avant de perdre le sens de leur pensée. Mais maintenant notre brève introduction à la raison terminée, il nous faut nous recentrer sur ce qui nous est le plus important. Nous cherchons depuis le commencement de notre aventure, à déterminer quels sont les savoirs les plus importants de la pensée. Mais pour cela, faudrait-il encore définir et décrire ce qu’est une pareille merveille. 

              Et c’est non sans une grande part de fierté, que je vous l’affirme mes amis. Nous sommes fin prêt à attaquer cette épineuse interrogation.

             

              La notion de savoir sous-entend en elle-même celle de la compréhension, celle de l’intégration, du sens et de la cohérence. C’est par le savoir que l’humain acquiert l’outil lui permettant de mettre à l'écrit l’aboutissement de ses réflexions les plus profondes, entretenues par des millénaires de discussion avec cette Terre qui le tourmente tant depuis la nuit des temps. Le savoir dans sa signification la plus profonde est en lui-même apporté par la bénédiction de la raison. Mais alors, de quoi se compose-t-il ?

              Et c’est sans plus attendre mes amis, que je vous apporte ici la façon dont se structure un savoir. Celle pour laquelle nous avons tant bataillé, celle pour laquelle nous avons tant travaillé. Celle-ci peut enfin nous apparaître complète et cohérente. La structuration de tout savoir qui se respecte suit une gradation bien déterminée que voici : Un savoir se compose de connaissances, qui elles-mêmes se composent d’idées qui elles-mêmes se composent d’expériences qui se composent, comme décrit auparavant, de sensations. Voilà la base de tout savoir, les fondations de toute expression.

              Bien que nous ayons déjà quelques peu travailler sur les idées, il nous faut bien évidemment détailler ce que sont et par quels liens cohabitent ces différentes couches de la pensée si l’on souhaite pouvoir arriver à la parfaite compréhension de ce qu’est le savoir. Nous avons d’ores et déjà décrit ce qu'étaient les expériences et quelles étaient leurs particularités, il nous faut toutefois éclaircir dans cette stratification ce que peuvent bien signifier les termes de connaissances et d’idées. Quelles sont leurs différences et quelles sont leur correspondance avec cette noble faculté à raisonner ? Comment se forment-elles ? Et ces réflexions nous permettront-elles de résoudre notre problème traitant de l’origine des idées purement abstraites telles que la liberté, la vérité et autres ?

             

              Commençons dès maintenant avec un sujet que nous avons déjà abordé et qui nous est connu, les idées. Outre la polysémie que le terme d’idée peut représenter, nous lui avions attribué une définition qu’il nous faut maintenant réviser et améliorer à l’aide de toutes nos précédentes découvertes. Cette dernière nous sera utile au long de ce récit. La voici mes amis : Une idée est une généralisation subjective basée sur le dénominateur commun d’un ensemble d’expériences associées à un phénomène particulier. 

              Mais avant que l’envie de boire la ciguë ne puisse vous frapper suite à la lecture d’une telle définition, laissez-moi vous l’illustrer avec de simples exemples. Un exemple de ce que peut une être une idée de “l’eau” regroupe l’ensemble des expériences tant visuelles, avec le comportement de l’eau dans tout contenant ou de ses mouvements lors de chocs et de vibrations ; que tactiles, avec sa texture, sa manière dont elle a de s’écouler le long de notre peau ; ainsi que l'expérience de son poids, de son comportement avec des objets moins denses qui flottent à sa surface… 

              Toutes ces expériences tout au long de notre existence sont alors regroupées dans l’idée de ce qu’est “l’eau” qui peut se généraliser à toute autre expérience d’un phénomène répondant aux mêmes spécificités. Peu importe que ce que l’on désigne par le terme “eau” se trouve dans un verre ou dans la mer, ce phénomène conserve sa qualité d’eau pour notre esprit du fait de sa correspondance avec notre idée de celle-ci.

              L’on peut également penser des idées liées directement à des sensations telles que le chaud, le froids, le lumineux ; des idées sur ce que représentent des objets concrets telles qu'une table, un bureau, un rocher ; mais encore des idées plus complexes telles que celles de justices, de libertés ou de vérités…

             

              Sans vouloir entrer dans les détails de processus cognitifs excessivement complexes, nous nous attarderons sur les principales façons dont un esprit peut parvenir à l’élaboration de telles idées. Par quels moyens de telles généralisations sont-elles produites ? Comment les organise-t-on ?

              C’est sans aucune surprise via l’expérience primaire, qui, lorsque directement agencées et rassemblées, peut finir par former une idée basée sur un cadre intuitif et sensible pur. Telle est le cas pour les idées des couleurs, des ressentis liées au toucher, à la chaleur, au goût… Qui sont des idées dérivables directement de sensations intuitives. Donnant ainsi son caractère très personnel et subjectif à la notion d’idée. Car celle- ci est souvent difficilement vérifiable, identifiable et interchangeable d’un individu à l’autre. 

              Secondairement via l’usage de l’imagination qui permet de combiner plusieurs expériences et ou idées ensembles pour en former de nouvelles comme exprimé dans le chapitre précédent. 

              Puis finalement via la réflexion et le raisonnement. Avec pour exemple faisant à la fois appelle à l’imagination et à la réflexion : l’invention du moteur à vapeur, dont la conception de son idée nécessite d’avoir préalablement intégrer les idées liées au mouvement, à la turbine, à la vapeur, au mécanisme. Mais il faut également avoir entrepris des démarches sur le fonctionnement d’un tel moteur, de sa fonction et de ses applications concrètes pour espérer pouvoir se faire une claire idée. Car ce moteur n’est pas un simple objet, il exécute une fonction toute particulière faisant partie intégrante de son idée qui doit être étudiée et comprise.

              Comme second exemple, et de façon plus abstraite encore, l’idée de l’espace comme entité infini et immuable dans les travaux de ce vieux Newton découle de réflexions préalables, basées sur les implications de ses théories et équations. Cette idée découle également de réflexions et de mises en perspectives étriquées qui ne sont pas inhérentes à la simple expérience, à la simple sensation, mais tiennent plus de la prodigieuse faculté à raisonner dont était habité cet homme de lumière.

              En clair, une idée peut à la fois représenter la chose la plus simple et intuitive que sont les sensations, mais également celles les plus ardues et abjectes telles qu’apportées par la théorisation et la spéculation de notions abstraites complexes. 

              Toujours étant que la création d’une idée fait intervenir les fonctions les plus rudimentaires de la raison telles que le jugement par association, et dans des cas plus extrêmes, la réflexion et les raisonnements. La notion d’ordre est exclue dans ce que représente une idée. Elle n’est qu’une abstraction, le regroupement d’un ensemble d’expériences et de sensations portant sur un phénomène. La raison a pour rôle d’analyser les caractéristiques de ce phénomène pour ensuite les juger et les catégoriser en un tout singulier.

              Mais qu’en est-il alors pour les idées plus complexes et abstraites qui nous intéressent tant. Ces idées présumées nées du produit de notre esprit telles que celles de justices, de vérités, de libertés, du bon et du mauvais… ? Ces idées inexpérimentables en elles-mêmes dans le monde concret. Impossible à ressentir via quelque sens que ce soit, vivant et subsistant purement dans l'orée des créations abstraites de l'humanité. Qu’en est-il de ces idées-là ? De quoi sont-elles faites, proviennent-elles réellement de nos esprits ou alors d’un monde extérieur et supérieur qui nous insuffle de par sa toute-puissance ces joyaux de la pensée ? 

              Mes amis, au risque de vous décevoir et de me compromettre, je vous l’affirme et le défend, toutes ces idées en apparences entièrement abstraites sont belles et bien créées de la même manière que toutes les autres que nous pouvons imaginer. La façon dont nous avons de les construire est similaire à toute idée provenant du concret, à la différence près que leur processus de création est plus long, complexe et étriqué, expliquant pourquoi leur origine nous semble si difficile à expliquer. Car c’est de par l’imagination que nous les créons, que nous les concevons, ces fabuleuses idées qui n’ont cessé d’émerveiller l'humanité. La voilà cette vérité que nombre de penseurs se sont refusés. 

              Et pour le montrer et le généraliser, nous prendrons l’exemple d’une idée que peut représenter le terme de liberté. Comme toute idée complexe, celle-ci se verra attribuer une définition claire et précise pour que nous puissions comprendre à quoi celle que je vous déploie renvoie. Cette idée de liberté, bien que n’étant pas la seule possible, aura pour définition le fait de pouvoir agir sans que contrainte externe il n’y ait. Mes amis, notre tâche d’explorateur nous incombe ici de réussir l'exploit de déterminer par quoi et comment cette idée fut créée. D'où nous provient-elle et est-elle réellement disjointe du concret ? 

              La clé dans la résolution de ce problème se trouve dans les termes utilisés dans cette définition. Car c’est dans celle-ci que plusieurs autres idées font leur entrée. Celle de l’action, de la contrainte et de la négation. Et c’est par l’usage ingénieux des couches supérieures de la raison qui, en plus de l’imagination, nous permettent de construire pareille définition. Nous pouvons associer ces mêmes idées pour en créer une plus complexe et nuancée, telle que celle de liberté. Les idées complexes sont en réalité toutes formées d’un ensemble d’idées plus simples assemblées en un tout cohérent. Dans cette idée fraîchement assemblée, aucun raisonnement ne fait son entrée. Seules des précisions, des détails, des rapprochements et des comparaisons s’effectuent.

              Le fait est, que pour notre exemple de liberté, les idées d’action de négation et de contraintes sont bien cette fois tirées de notre expérience du concret. L’action n’est rien de plus que le mouvement, le déplacement vif et entraînant ; la négation n’est rien de plus que l’absence d’un phénomène, compris en l’opposant à l’expérience de sa présence ; et finalement la contrainte s’expérimente également dans le concret via les limitations et la frustration ressenti vis à vis de nos attentes et de nos désirs. 

              En clair, une idée de ce qu’est la liberté a beau être le produit de l’abstrait, ses composants, une fois assemblés en un tout sensé via la raison et l’imagination, sont quant à eux des produits de notre expérience et des sensations du concret. Toute idée abstraite complexe n’est que, comme le sont les expériences artificielles, indirectement reliées au monde concret, ne les empêchant toutefois pas de naître et de prospérer dans l’abstrait.

              Il en va de même pour certaines visions de la vérité qui porte sur la correspondance au concret, de la justice qui s'approprie en expérimentant l’inégalité ou la frustration à l’égard de traitements activant l’envie et le mépris, qui sont eux-mêmes des idées expérimentées tant intérieurement qu’extérieurement via le raisonnement et la réflexion sur la matérialité et la distribution de quantités… Toute idée, quelle qu’elle soit, provient de manière plus ou moins directe du concret via le fait qu’elles se constituent toutes d’ensembles de sensations et d’expérimentations. 

              Elles ne sont pas expérimentables en elles-mêmes, seules leurs composantes intuitives le sont. Composantes qui finissent par s’assembler afin de créer des idées toujours plus complexes et abstraites. La voici la raison du pourquoi l’origine de ces idées semble si éloignée. Car ce processus d’assemblage peut s’effectuer autant de fois que nécessaire. Finissant par former des idées d’idées, des complexifications de complexifications, des abstractions d’abstractions. Mais cela n'enlève en rien le fait qu’elles prennent toutes pour origine primaire la source d'informations du concret. 

              Cette réponse décisive nous permet, en plus de celles émises sur l’imagination, d’évincer totalement le monde abstrait comme source de savoir primordiale. En réalité, les informations que nous pouvons tirer et créer dans l’abstrait ne sont que des chimères tirées de nos sensations et expériences du concret. Tout ce que nous ne pourrons jamais penser s’y rapporte fatalement. Tout ce que nous ne pourrons jamais imaginer également. Tout ce qui y est présent n’est qu’abstraction provenant du monde réel, du monde sensible, du monde concret. 

              Cette optique-ci nous emporte donc vers un empirisme des plus total. Bien que toutes les facultés de la raison et celle de l’imagination soient requises, ainsi qu’un puissant sens de l’intuition, tout ce que nous pensons et créons est d’origine sensorielle, expérimentale. Tout ? Vraiment tout ? Continuons sur notre lancée pour étendre nos découvertes aux connaissances et à ces fameux savoirs mes amis. 

             

              Finalement, ce n’est qu’une fois soumise aux degrés les plus élevés de la raison que sont les raisonnements, ainsi qu’à de nombreuses étapes de réflexion et de vérifications, qu’une idée peut enfin accéder au titre de connaissance ou tout du moins, devenir membre à part entière d’une connaissance. Mais alors, qu’est-ce qu’une connaissance à proprement parler ?

             

              Une connaissance est l’aboutissement d’une chaîne logique et ou causale, formée d’idées et d’expériences placés en ordre successif porteur d’un sens cohérent et compréhensible par un esprit humain développé de façon subjective, en rapport avec la vision d’un phénomène concret.

              Le terme de sens est ici à prendre au premier degré, dans sa définition la plus primaire et singulière, celle d’une direction, d’un axe donné. Une connaissance est un enchaînement d'idées suivant un sens bien ordonné permettant la fluide et logique compréhension de ce dernier.

              La connaissance ajoute à la simple idée, la notion de compréhension. Cette douce et délicate attention que nous délivre la raison et qui nous permet de nous approprier toutes ces notions. C’est elle qui fait toute la différence. Elle nous extirpe de notre ressenti, de notre évanescence dans l'oubli de l’antisens, de l’incompréhension et de l’irrationnel. Car les idées n’ont pas forcément vocation à la compréhension. L’idée du chaud n’est rien de plus qu’une sensation. Il en va de même pour le lumineux, le sucré, la couleur et tout autre idée primitive, qui sont par essence, insensées. Nul n’a besoin d’en comprendre et d’en déterminer la cause, tous peuvent intégrer ces idées sans même que conscience développée il n’y ait. 

              Or pour les connaissances, l’insensé ne peut point exister. Car une connaissance se base sur la compréhension d’une cause, d’un sujet ou tout du moins sur une réflexion partant d’un fait intuitif et primitif. Pour qu’une idée devienne connaissance, il faut au moins en comprendre l’origine, la cause, savoir associer ces deux entités et pouvoir lui en attribuer une action, une idée, une causalité ou encore des constats et des compétences. La connaissance établie une liaison entre un phénomène et notre vision de ce dernier en lui apportant une caractéristique donnée, une précision spatiale, temporelle, causale, quantitative, qualitative et autre…

              Puis, une fois la liaison établie, le processus de raisonnement peut opérer, plaçant les éléments les uns après les autres dans un ordre sensé et logique. C’est ainsi que la connaissance est créée et intégrée. 

             

              Pour reprendre notre exemple faisant intervenir l’eau, nous pouvons concevoir des connaissances basées sur celle-ci que voici : l’eau peut s’évaporer, l’eau est principalement composée d’H2O ou encore qu’un litre d’eau ait une masse d’un kilo… Dans ces exemples de connaissance, est attribuée à l’idée d’eau des caractéristiques en rapport avec une vision de sa réalité. L’eau est prise comme sujet et effectue des actions, est analysée pour en donner sa dite composition ou encore comparée et mesurée avec d’autres idées telles que le volume ou la masse.

              A la différence de la simple idée d’eau, ces connaissances apportent des constats et des comparaisons externes à cette même idée. Nul ne se représente l’eau comme évaporée, nul ne se la représente comme étant égale à un kilo, encore moins comme l’assemblage de trois atomes abstraits et théoriques jamais observés dans le concret. Dans ces connaissances, les idées de l’eau, d’évaporation, de composition, d’atomes, de molécules, de volume et de masse sont assemblées en un tout cohérent suivant un axe précis apportant des extensions, modulant les caractéristiques et les notions pour fournir une forme de raisonnement rudimentaire. 

              L’idée du rouge peut également tout à fait devenir connaissance. Et pour cela, il lui suffit d’être intégrée, comprise et reliée à d’autres idées consciemment par une forme de raisonnement. Ce raisonnement peut faire en sorte de relier le rouge à une autre idée pour en apporter une précision telle que : Le rouge est une couleur. Ou encore pouvoir établir des liens logiques entre rouge et phénomène apparaissant rouges comme les roses ou les couchers de soleils rougeoyants et illuminant le ciel de leur magnificence. 

              Dans chaque connaissance se trouve cette fonction de gradation, où les idées que l’on associe se voient dotées de plus ou moins d’importance, de place et de signification dans le raisonnement produit. Ce fait se retrouve fort bien dans le langage parlé qui établit des liens entre sujet, adjectifs, verbes et compléments, qui assurent à leur tour la composition d’une phrase sensée. Et tout cela dans le but d’établir la description, la compréhension par la liaison d’un phénomène étudié avec son environnement, avec notre façon de l’observer ou encore avec d’autres idées et connaissances amassées. 

              Les connaissances restent toutefois sujettes à l’erreur et à la subjectivité. Car elles ont beau se construire via l’observation, le jugement et l’étude de phénomènes, les raisonnements et les interprétations apportés à ces derniers restent souvent incomplets, naïfs, immatures ou tout simplement mal exécutés. Ce pourquoi la connaissance reste souvent une forme de croyance mal déguisée, qui n’a point eu le temps ni la volonté nécessaire pour s’essayer à la noble tâche qu’est celle de la mise à l’épreuve répétée. 

             

              Quoi qu’il en soit, les idées créent les connaissances qui elles-mêmes permettent de concevoir de nouvelles idées. Ainsi le cycle se répète vers toujours plus de complexité. Jusqu’à finalement aboutir à des notions entièrement étrangères à nos sens et expériences. Expliquant pourquoi les concepts de la physique quantique, théorique et les différentes théories mathématiques qui permettent de comprendre le ridiculement petit peuvent êtres si étrangères à nos esprits. Au plus l’on plonge dans les méandres de nos raisonnements, au plus ceux- ci deviennent obscurs et lointains, incapacitant et rendant aveugle notre intuition. Rendant ces théories si rebutantes pour les débutants.

             

              Puis finalement mes amis, vient le tour au savoir, à sa création et à sa formation. Car nous avons décrit ce qu’étaient les expériences, qui sont formées par des sensations. Puis nous avons défini les idées, qui ne sont que des combinaisons d'expériences. Pour arriver aux connaissances, l’aboutissement de raisonnement utilisant des idées préexistantes. Notre route arrive enfin à ces savoirs, ces notions synonymes d’espoirs qui nous permettent d’entrevoir la gloire. Ces savoirs, ces si puissantes entités que l'humanité a depuis toujours convoitées. Que sont-ils donc ? Comment se forment-ils ? Que représentent-ils ?

             

              Grâce au travail préalablement effectué, nous sommes enfin en capacité d’aller affronter ces entités de lumière qui restent depuis si longtemps tapis dans l'obscurité de notre pensée. Ces savoirs mes amis, sont principalement constitués d’idées et de quelque rares connaissances ayant réussi l’exploit de passer au travers des mailles du filet de la vérité. Oui, car comme pour toute idée est dotée de la capacité à pouvoir devenir connaissance, toute connaissance est dotée de celle de devenir savoir. 

              Car tout comme la connaissance, le savoir est étroitement liée à la notion de compréhension, à l'importance du sens et du raisonnement. Mais il ne faut pas se restreindre à ces quelques similitudes comme le font nos chers amis Anglais, qui vont jusqu’à confondre ces deux termes en un seul qu’est celui de “knowledge”. Nous, les francophones, savons faire dans la complexité et attribuer à cette mince nuance, que contient cette différence, un sens tout particulier. Car contrairement à la simple connaissance qui se veut garante d’une explication, d’une liaison et d’une compréhension particulière d’un phénomène, un savoir quant à lui, se veut des plus objectif. Dans ce fait là se retrouve toute la nuance et l’importance de cette différence.

              Car pour qu’une connaissance atteigne le titre de savoir, il lui faudra passer par de nombreuses étapes de sélection, de vérification et de comparaison. Le savoir peut-être à la fois pratique, religieux, historique, scientifique, mathématique et encore nombre d'autres possibilités qui requièrent toutes à leur manière des chemins de vérifications précis et ajustés à leurs spécificités. 

              Le rôle d’un savoir est alors de pouvoir procurer à son domaine d’activité une façon singulière d’expliquer et catégoriser un ensemble de phénomènes particuliers avec cohérence et clarté. Il doit être précis, si possible concis, et répondre du plus de phénomène que ses épaules puissent supporter. Voici ce qu’est un savoir, une connaissance couronnée par un domaine de connaissance qui lui doit offrir compréhension, expertise et professionnalisme. Il doit se vouloir des plus objectif et universel possible. La voici la toute-puissance du savoir, celle dont se veut doter l’humanité, celle qui lui permet de grandir, de se développer, de guérir de sa cécité.

             

              Mais mes amis, nous savons d’ores et déjà quel savoir se veut des plus parfait. Je veux bien entendu parler de celui de l’infinité. Nul besoin de chercher quel domaine d’activité se trouve être le meilleur si le parfait existe déjà à portée de nos mains. Ceux capable de convenir à tout domaine, tant religieux, que scientifiques ou mathématiques. Je veux bien entendu parler de ceux construits à partir de ces absolus concepts de vérité. 

              Car maintenant que nous savons comment se forment et se construisent les savoirs, il nous suffit de trouver comment nous approprier ces divines idées, ces objectives et parfaites représentations du concret. Celles qui nous permettront de fabriquer ces savoirs de l’infinité, guides suprêmes de l'humanité. Ou alors, est-ce possible que ces savoirs ne soient qu’illusoire ? Abreuvés par notre maladif désir à gouverner par des idées intouchables et irremplaçables qui pourraient enfin nous apporter la paix dans notre éperdue recherche de vérité ? 

              Mes amis, nous nous trouvons en ce moment à la croisée de chemins d’une extrême dangerosité. Une bataille se prépare, une bataille qui se livrera sans que pitié ne puisse subsister. Nous sommes finalement prêts, nous, âmes d’aventuriers, à assister à la confrontation opposant ces savoirs divins et parfaits à notre chère et tendre humanité. Approchons-nous au son des canons et prenons place pour le spectacle. Car le sort de cette bataille en sera capital. Il se pourrait fort bien que nous puissions observer lors de son apogée la vérité dans toute sa profonde et splendide perfection. 

              En marche camarade, il est grand temps. Ce que nous attendons tant est sur le point de se produire.

             

             

Chapitre 11 : Intellectualisation 2

             

 

 

              Mes amis, c’est lors des précédents chapitres que nous avons traversé nombres de réflexions avec fougue et désir, que dis-je, avec soif de savoir, soif de pouvoir. Ces innombrables préparatifs n’ont pas été éprouvés en vain, rassurez-vous chers frères d’armes. Car ceux-ci nous ont préparé le terrain, ceux-ci nous ont ouvert le chemin. Une bataille se prépare et le champ de gloire s’y déploie d’ores et déjà. Ayez foi, nobles guerriers de la pensée, notre voie est toute tracée. L'odeur de la poudre à canon et celle la rosée fraîchement tombée nous guident vers notre destinée. Car nous aussi, mes chers amis, allons prendre part à cette bataille opposant notre humanité aux savoirs parfaits incarnés par ces absolus concepts de vérité. 

              Existe-t-il un moyen de s'octroyer les idées des dieux ? Pouvons-nous, du haut de notre humanité, nous emparer de ces idées parfaites et immaculées de sagesse ? Ou ne sont-elles que des mirages produits par la chaleur de nos esprits malades et avides ?

             

              Nous avons précédemment cherché à montrer que toute connaissance humaine, tant concrète qu’abstraite, provenait du monde concret, du monde réel, du monde matériel. Toutes nos connaissances et toutes les connaissances que nous ne pourrons jamais imaginer, du haut de notre humanité, ne seront jamais plus que d’origine primaire, d’origine expérimentale, d’origine sensorielle. 

              Le dialogue que le sujet pensant entretient avec son environnement depuis sa naissance est le socle primordial, reliant son esprit, son contenu et ses fluctuations avec le monde réel, son corps et ses inclinations. L’expérience primaire se voit donc ici attribuer, tel le géant atlas, la lourde responsabilité de faire reposer notre vision du monde sur ses épaules, étant l’origine, la source de toutes nos connaissances. 

              Le trésor que nous recherchons tant, sont les savoirs. Ces lueurs d’espoir aux multiples pouvoirs, ceux capables de nous faire voir la vérité, la réalité. Ceux capables de rassasier notre désir de réponse, nos pourquoi incessants et turbulents qui nous assènent intérieurement. Et de ces savoirs, nous ne voulons que les plus parfaits, les plus valeureux et fidèles représentants de la réalité. Nous ne voulons que ceux qui nous aideront à l’avenir à avancer dans notre éperdu voyage, en quête du salut de l’humanité. 

              Et puisque nous avons déterminé que ces fameux savoirs provenaient d'idées et de connaissances, il est tout naturel que nous souhaitions nous emparer en priorité des plus parfaites et absolues idées. Idées qui ne sont nulles autres que ces fameux absolus concepts de vérité.

              Nous en revenons donc à notre interrogation sur la valeur de ces concepts, grands représentants des vérités absolues, des vérités objectives, libres de toutes mauvaises interprétations et garants du savoir dans sa plus parfaite des visions. Nous avons préalablement établi que le calcul de la valeur d’un phénomène abstrait s'effectue en prenant en compte tout premièrement sa véracité, sa composante de concordance avec le réel, puis son utilité et finalement sa rareté. De plus, nous pouvons affiner ce calcul en ajoutant la variable de maturité de ce même phénomène qui prend en compte sa profondeur et son large champ de vision lui octroyant une meilleure protection contre l’erreur et la naïveté. 

              Le concept donc est l’idée, l’information abstraite ayant le plus de valeur intrinsèque. Il est le reflet parfait du concret, il le représente, le décrit et le projette de la plus parfaite des façons. Quelle magnifique invention des dieux, quelle splendide attention que cette vision parfaite du monde. Celle qui nous permettrait de le comprendre et de l’apprendre avec excellence. Le problème qui nous est alors posé est de déterminer si l’intellectualisation, la compréhension et l’acquisition d’une telle information est chose possible pour tout esprit humain. Il nous faut comprendre comment l’atteindre, comment se l’octroyer et comment l'utiliser. 

              Or comme nous l’avons déterminé, toute connaissance acquise par un être humain est dotée d’un caractère subjectif et individuel. Car toute information abstraite intellectualisée n’est que le produit de l’interprétation du sujet, dépendant de son propre référentiel et de sa condition d’être “imparfait”. Le concept quant à lui, magicien divin des contrées de l’absolue vérité, doit représenter le monde concret dans l’abstrait même, de façon absolument objective et indépendante de tout référentiel. Il est le représentant de l’idéalisation du monde tel qu’il est, tel qu’il doit être compris et observé. Il transcende la subjectivité pour adopter un point de vue omniscient, parfait, répondant de tout, répondant à tout. 

             

              Mes amis, c’est alors que nous entendons au loin le son des premiers fusils battre la mitraille face à l’ennemi. Les hussards prennent d’assaut les places hautes et s’assurent des positions favorables desquels ils surplombent tout le champ de bataille. Et c’est alors que de leurs hauteurs, un fait bien étrange leur obstrue la vue. Ce fait n'est nul autre qu’un paradoxe de la pensée. Oui mes amis, nous sommes ici en face d’un paradoxe. 

              Car comment diable l’abstrait pourrait-il représenter objectivement le concret, si tout phénomène abstrait doit par définition être incarné par un sujet pensant, par un esprit qui le conçoit et le reçoit ? Comment le concret pourrait-il être présent dans l’abstrait, les faisant fusionner, transcendant la frontière impassible de deux univers aux essences opposées ? Quel enchantement permettrait-il à ces fabuleuses idées abstraites de l'éternité de pouvoir se faire représentantes parfaites du monde concret ?

             

              La guerre fait rage, les canons commencent à cracher de leur gueule d’acier. L’issue de cet affrontement de la pensée est capitale. Nous sommes face ici à la bataille qui oppose l’humanité à ces absolus concepts de vérité. Les batteries que nous avons amassées ensemble, les réflexions que nous avons préalablement menées, nous sont d’une formidable utilité et permettent à la cavalerie de s'élancer. Les régiments s'affrontent, se culbutent, s'enfoncent à la baïonnette, charges et résistent. Un seul sortira triomphant de cet affrontement. Le doute et les points de vue humains, ou bien les concepts absolus et parfaits. 

              La brèche que nous avons ouverte dans le front ennemi nous permet de nous engouffrer plus en profondeur dans cet apparent paradoxe si intrigant qui s'étouffe pourtant dans le chaos de cet affrontement. Car un concept se veut le représentant parfait d’une forme de réalité absolue et immuable. Il est en lui-même la transfiguration et la sommes de l’infinité d’idée qu’il peut y avoir sur un phénomène concret. Le concept du Beau se veut être le représentant du beau véritable aux infinies déclinaisons rassemblées en une seule idée. Le concept de Liberté se veut être le garant de l’absolue manière de vivre et d’agir réellement librement. Tout comme le concept du Bien ou de celui du Mal qui représentent les absolues règles morales à suivre et à adopter. Imaginez un monde humain enfin gouverné par ce genre d’idées parfaites et indiscutables, et cela, pour l’éternité… 

              Le concept, bien qu’abstrait, se veut le représentant parfait de tout ce qui se déploie dans le monde concret et de tout ce qui s’y rapporte et s’y applique de façon plus ou moins directe. Il le représente d’une façon telle, que la limite entre l’abstrait et le concret en devient floue. Si floue qu’il est alors possible de les faire se confondre mutuellement. Il en résulte alors de cette union interdite un substrat absolument pur. Un substrat rassemblant l’infinie subjectivité en une singularité objective et immuable. Là se trouve toute l'étendue de notre problème, de notre paradoxe.

              Car, le fait est qu’un sujet est par définition un référentiel subjectif. L'intériorisation d’une pareille connaissance, l’intellectualisation d’un concept absolu, l’intégration d’une idée parfaite capable de rendre compte de toutes les facettes possibles d’un même phénomène voudrait signifier par là même… abandonner sa subjectivité. En clair, cesser d'être individu et être pensant, parlant, posant son regard et son jugement sur son environnement. En clair cesser d'être… humain. Perdre son humanité, son essence d’humain, son essence d’être imparfait sujet à sa subjectivité, prisonnier de la beauté de l’univers rendu possible par son rapport et son dialogue avec l’espace dans lequel il vit. 

              Non, il nous faut pousser plus loin mes amis, il y a forcément un moyen. Nous avons tout fait, tout dit pour que pareille idée puisse nous apparaître et nous adresser ses valeurs de vérité. Nous nous refusons à cette injonction comme tous les penseurs avant nous. Nous refusons de vouloir admettre que ces idées ne sont que des difformités créées et pensées par des processus incapables de les intégrer. 

                            Et c’est alors que dans notre héroïque lancée, nous nous sommes engouffrés dans les rangs ennemis appuyés par notre resplendissante cavalerie. Mais au fil des charges répétées, tous ces preux destriers et ces héroïques cavaliers eurent bientôt fini de disparaître dans la masse informe et obscure qui nous entoure et nous toise de ses yeux livides et empli de mépris. 

              Mes amis, quelle terrible nouvelle, nous sommes maintenant piégés. Nos alliés chargés de maintenir la brèche enfoncée ont tous fini par s’évanouir les uns après les autres dans cette masse qui promet pouvoir et domination à tous ceux qui s’y abandonnent. Mais nous ne sommes pas venus ici pour périr, quelle tragédie et quelle ironie. Nous qui pensions pouvoir enfin atteindre ces idées parfaites, ces savoirs parfaits. Nous voici maintenant réduit à la merci de nos ennemis. Tous ces penseurs des anciens temps, tous ces vils et pourris manipulateurs. Tous ces usurpateurs de la pensée, de l’idée, du concept parfait qu’ils n’ont jamais défini ni réfléchi. Nous voilà pris en tenaille, à leur merci. Ces concepts nous toisent et ces mauvais penseurs nous méprisent de leur corruptible et faible esprit. Quelle infamie ! 

              Il ne nous reste plus qu’une solution, plus qu’un unique recours pour venir à notre secours. Soit nous sombrons dans la masse qui nous recouvre et nous entoure, et rejoignons, par là même, ces prêtres de cette folie de l’immuable et de l'absolue vérité qui ne peuvent la justifier autrement que par la bêtise. Soit il nous faut savoir reconnaître que ces concepts ne sont pas des idées intellectualisables par l’humain. Et il en va de notre devoir d’aventurier de ne jamais s’abandonner à la facilité. Ce pourquoi, il nous faut savoir regarder en face la triste vérité. 

              Nous autres humains, ne comprenons et découvrons le monde qu’à travers nos propres yeux, des yeux subjectifs, imparfaits, sujet à l’interprétation constante. Il nous est alors impossible de pouvoir comprendre parfaitement un concept, une idée qui se fonde sur une représentation parfaite, qui se veut quant à elle objective. Pour pouvoir intégrer une telle idée, il nous faudrait par la même connaître le moindre des aspects du phénomène considéré, surplombé par une capacité de jugement défiant tout entendement.

              La valeur des concepts reste inchangée. Ils représentent toujours la plus haute valeur qu’un phénomène abstrait peut représenter dans un référentiel humain. Mais celle-ci ne pourra jamais être atteinte. L’humain ne pourra qu’espérer se rapprocher désespérément de cette perfection, en progressant asymptotiquement vers cet idéal de vérité.  

              Le concept n’est pas en lui-même impossible, sans doute existe-t-il réellement sur Terre, dans ces mondes tertiaires ou encore dans un univers de lumière, mais ces affirmations ne sont, et ne seront jamais plus que des suppositions. Et toute prétention sur ces dernières est alors à voir comme un acte présomptueux et remplie d’imprudence dont seuls les esprits les plus puériles et avides s’en rendent capables. Cette maladie du concept, celle qui enferme les âmes, celle qui les immobilise au nom de cette vérité mal amenée. Il nous faut nous rendre à l’évidence, cette voie n’est pas celle que nous devons emprunter mes amis. Ne reproduisons pas les erreurs du passé. Sinon, comment sauverons-nous l'humanité des chaînes qui la lient et qui la contraignent ? 

              La réalité nous ouvre les yeux et nous évince de ces prétentions, de notre obsession maladive qui ronge nos cœurs et nos esprits de par sa noirceur et sa rancœur. Cette dure mais juste réalité, celle de la bonne pensée, celle qui incarne la prudence et la sagesse, oui, cette réalité qui illumine nos esprits, nous permet de voir en ces derniers instants une vérité bien dissimulée. 

               Ces maudis concepts ne sont intégrables par aucune expérience du monde concret, ou plutôt, ils le sont par l’expérience de l’infinité du monde concret, par l’expérience du moindre de ses aspects, par la connaissance parfaite de toute ce qui s’y passe, de tout ce qui s’y est déroulé et de tout ce qui s’y déroulera, ainsi qu’à l’utilisation de jugements parfaits et immaculés. Ce qui revient à fortiori au même constat, son inatteignable compréhension par un être doté de raison. Nous humain, nous créatures finis et subjectives, nous êtres découvrant sans cesse, apprenant sans cesse, nous ne sommes pas capables pour toutes ces raisons d’atteindre l’étendue de ces idées de l’infinité. La voilà la vérité.

             

              Et c’est alors, lorsque notre destin semblait nous diriger vers cette mort de la pensée prématurée, que ces quelques sages paroles illuminèrent le ciel et s’étendirent jusqu’au fond des vallées jonchées par les corps de nos amis tombés au combat. Par la prononciation de ces paroles emplies de sagesse et de prudence, les armées ennemis se désagrégèrent peu à peu en poussant des cris, insultant, nous accusant de blasphémateurs, d'ignorants, de corrupteurs ou encore de menteurs. 

              Haaa ces esprits pourris ont en réalité bien peur de nos valeurs. Ils craignent bien les implications de nos paroles. Ils ont peur pour leur pouvoir, pour leur contrôle et pour leurs positions. Ces usurpateurs qui usent et qui ont toujours usé de ce pouvoir de l’infinité, sans jamais avoir compris et appris ces mêmes idées. Ce sont eux les vrais corrupteurs, les vrais menteurs qui usent de mots dont ils n’en comprennent pas un seul. La voilà la réalité qui leur perce le cœur, qui leur arrache leur arrogance et leurs ardeurs. Ils n’ont jamais compris les concepts qu’ils se sont évertués à inculquer aux autres. Ils n’ont jamais ressenti ce qu’ils représentaient réellement car ils ne sont… qu’humains eux aussi.

              Les implications de cette conclusion sont absolument capitales. Le fait est que tous les phénomènes répondant à l’imagination de concepts se voient souffler de par leur absurdité. Vouloir représenter un concept, vouloir le prouver, le considérer comme véridique, vouloir réfléchir sur son essence, sont tous des actes vains et ridicules. Du fait de son inatégnabilité, le concept reste un objet absolument intouchable, inutilisable par l’humain. La matière à penser qu’un tel concept peut représenter, reste sable. Sable infiniment fin, glissant continuellement au travers des mains de celui qui chercherait à bâtir sa connaissance en l’utilisant. Tel est le piège qui réside en cette folie.

              Les hommes de tout temps les utilisèrent à leurs desseins. Galvanisant les foules, restreignant leurs faits et gestes ainsi que leur manière de penser. Ces concepts devinrent bien dangereux, lorsque les quelques idiots puérils eurent l’impardonnable idée de tenter de leurs donner une signification propre, logique et particulière. Car le grain de ces concepts n’est pas comestible, il est même un poison incommensurablement puissant et mortifère. 

              Il faut avoir la sagesse nécessaire pour admettre que les concepts sont et seront toujours en dehors de l’humain. La moindre revendication sur ces derniers est alors à prendre comme outrageusement dangereuse, créatrice de destruction, de bouleversements et d’infamies. Le concept est inhumain, et quiconque s'imposera comme détenteur de ce même concept devra se voir relégué à son tour au rang d’inhumain. Non inhumain dans un sens de supériorité à l'humanité mais inhumain dans son sens le plus abyssal. Celui de la folie, de la bêtise, de l’animalité, de la maladie gangrenée des sociétés. Celui qui veut faire passer ses intérêts pseudos moraux aux dessus de tous les autres. Celui qui veut s'octroyer pouvoir et reconnaissance sans avoir à le mériter comme c’est le cas pour ces idées révolutionnaires aux odeurs putrides, pour ces religions maussades et impassibles, ces absolutismes en tout genre qui sont des hontes à l’homme. 

              Les usages de ces si puissants concepts sont à la légitimation ce que les sophistes étaient à la corruption. Leur pouvoir est perverti, utilisé à des desseins morbides, véreuses, égoïstes et profondément impropres à la maturité, à la beauté, à la noblesse et la grandeur d’âme. Quel pathétisme du plus mauvais goût que de devoir s’en abandonner à cela.

             

              “C’est au nom de la Liberté ; au nom de Dieu et des Divinités ; au nom de la Vérité ; au nom du Bien et du Mal ; au nom de ce qui est Bon…” disent-ils tout haut, ces ragondins mangeurs de purin. Tous ces beaux parleurs vendeurs de bonheur se dissimulent bien derrière ces murailles inattaquables. Car personne ne les comprend vraiment, pas même ceux qui en invoquent l’existence. Ce que vous disent ces gens, ayez cœur à le prendre plus personnellement. Ayez cœur à le mépriser, à le haïr et à le détester. 

              Car ce que nous avons compris sur ce champ de bataille, est que toutes ces velléités ne sont que d’origine égoïste et sont perverties jusqu’à la moelle. Nous cherchions aussi à nous les accaparer, mais nous comprenons maintenant l’envers du décor. Personne ne les a jamais compris, personne ne les a jamais trouvées, ces vérités. Ils n’ont jamais fait que de les interpréter à leurs avantages, dans des sens tout particuliers, les maniant à leur guise et les modelant à leur volonté. Les dénaturant et les souillant par la même. Tous ces penseurs d’aujourd’hui et de tout temps se sont toujours fourvoyés sur le sujet, trop obnubilés par ces sensations d’idéal et de perfection qui moisissaient patiemment dans leur esprits pourris. 

              Lorsque ces prêtres du concept viendront tenir des discours à vos oreilles, ayez la sagesse de les prendre comme suit : ce n’est pas “pour La Liberté”, mais “pour Ma liberté, pour celle que je connais et qui me profite” ; ce n’est pas “pour Dieu”, mais bien “pour le dieu en lequel Je crois, pour celui qui Me montre la voie à moi” ; ce n’est pas “pour La Vérité”, mais “pour ce que Je crois vrai, ce qui Me profite et me rend service de rendre vrai” ; ce n’est pas “pour Le Bien”, mais “pour ce que Je prends moi-même comme bien, ce qui Me profite et me procure satisfaction”. 

              Le sujet doit rester maître de sa pensée et loin de ces absolus mensonges à l’humanité. Il nous faut cesser de nous cacher derrière ces pseudos idées de l’éternité. Car toute idée reste subjective, emprisonnée dans l’esprit de celui qui les a pensés, qui les crée à partir de ses expériences et de ses croyances. Aucune idée parfaite, pouvant représenter le monde absolument, ne peut être acquise dans tout esprit. 

              Peut-être ces idées platoniques, venant de mondes idéaux, peuvent pénétrer et s’infiltrer dans la pensée sans que cause préalable il n’y ait. Mais si tel est le cas, l’esprit ne peut en comprendre ni le sens, ni la profondeur. Car s’il en est capable, c’est alors qu’il n’est tout simplement pas un esprit humain. En sommes, il n’existe pas d’idée absolue pour l’humain, toute idée reste subjective, sujette à l’interprétation. Pour l’homme, il n’existe pas qu’une seule idée de la laïcité, de la justice, du bien, du mal, de la liberté, de la vérité, de la beauté… et même, de dieu… 

              Et c’est précisément en cela que la splendeur d’une existence se doit d’être menée. C’est cette pluralité, ce constant changement, ces infinies possibilités qui rendent nos vies si remplies. Ces vies qu’il nous faut accepter avec la plus grande sincérité pour nous porter au-devant de la scène de la pensée, celle qui nourrit nos esprits, celle qui nous donne l’envie de vivre pleinement tout en sachant au combien notre vision de ce monde n’est qu’une goutte d'eau dans un immense océan de savoir sujet à la subjectivité de chacun.

             

              Ne laissons donc pas, mes chers amis, ce genre de comportements se reproduire. Je vous en conjure. Rejetez avec toute la ferveur dont vous pouvez faire preuve les jugements absolutistes qui restreignent et obscurcissent la vue, votre vue d’humain libres et aventureux. Élancez-vous au-delà de ce que l’on vous offre comme pain, au-delà de ce grain si doux empli de ce pavot tributaire de votre volonté. Marchez et pavanez de votre fière pensée devant ces prêcheurs de vérité. Ceux qui utilisent sans vergogne leur inhumanité, pour lâchement se dresser en deçà du reflet de leurs espérances moribondes.

             

              Et c’est lorsque furent prononcées ces dernières sages paroles que le reste des armées ennemis s’enfuirent et retournèrent, pour la plupart, à leur état de poussière. Nous étions sauvés, nous avions grandi, nous avions compris. Compris que notre tâche d’aventurier de la pensée n’était pas de vouloir diriger le monde avec nos idées, mais bien plus de le libérer de ses chaînes qui l'empêchent de bien penser. 

              Tous nos camarades riaient, criaient de joie devant cet exploit. Tous hurlaient à la gloire de la sagesse et de la prudence. Tous bénissaient avec vive voix ce miracle qui ne fut jamais réellement accompli autrefois. Mais nous, mes amis, bien que sauvés de notre arrogance et de cette mauvaise et cupide pensée de l’absolue vérité, un sentiment bien étrange nous comprimait encore la gorge. Oui nous avions gagné la bataille. Oui, l’humanité l’avait emportée face aux divinités. Mais à quel prix ? Que nous reste-il donc ? N’avons-nous pas détruit ici toute espérance de trouver la réponse des réponses ? Celle qui répondrait à la question des questions ? 

              Sans concepts en tant que garants de valeur intrinsèque, ne nous retrouvons pas nues en proie à notre pauvreté d’esprit, nos doutes et nos incertitudes. Sur quoi pouvons-nous alors nous reposer ? Que pourra donc nous soutenir en ce moment de vacillement ? Si la vérité absolue n’est que balivernes et illusions, si elle n’est plus notre étalon, quelle valeur pouvons-nous attribuer aux pensées, aux vérités humaines. Allons-nous tomber dans ces désabusées régimes de pensée relativistes ? Ceux-ci, si agréables pour les esprits peureux de piètre qualité encore mal formés ?

              Mais ne perdez pas pour autant espoir mes amis. L’obscure vision que nous éprenons n’est que l’ombre d’un simple nuage traversant les cieux. Bloquant momentanément ce soleil, ce soleil si chatoyant et ardent, celui qui guide le penseur libre dans ses moments les plus égarés. Ne tâchons toutefois pas de ne faire qu’attendre que l’éclaircie se fasse sentir, les nuages restent immobiles sans que le vent ne les fasse dériver. Prenons donc ce rôle, devenons les bises de ces cieux-là, faisons s’écarter ces nuages désagréables de notre vue. Et reprenons tant bien que mal notre voyage avec comme ceci de différent que nous sommes encore plus grands qu'auparavant. Car la guerre fait grandir, et la bonne guerre fait fleurir, surtout si celle-ci est interne.

             

             

Chapitre 12 : Le relativisme 

             

 

 

              Malheur et damnation, il nous est maintenant impossible de pouvoir oser nous autoproclamer digne de la puissance théorique des concepts de vérité. Ces hautes et parfaites idées sont hors de portée de nos pauvres âmes humaines, piégées dans leur subjectivité. Quelle tristesse, quel désespoir et quelle angoisse. Rien ne peut être connu parfaitement, l'absolu n’existe pas pour nous autres humains. Nous sommes condamnés à devoir batailler nuits et jours lors de pompeux débats sur le sens de nos visions. Et tout cela pour quoi ? Pour feindre le fait, que ce que l’on peut dire puisse avoir une quelconque valeur de vérité ? 

              Cela veut-il dire que rien de ce que nous pensons n’est vrai ? Par ce vrai, je veux dire… Vraiment vrai ? Rien de ce que l’on ne comprendra ne sera jamais le reflet de la véritable réalité ? Pauvre de nous, c’est alors qu’il nous faut arrêter de réfléchir ou de chercher à comprendre quoique ce soit… En réalité tout le monde à tort, ou bien est-ce que tout le monde à raison. Finalement, puisque nous ne pouvons atteindre la plus pure des vérités… chacun sa vérité…

             

              Mes amis, voilà à peu près le discours que j’aurais tenu, si j’avais fait partie de cette caste de relativistes nihilistes de la modernité. La question que nous cherchons à élucider, celle qui octroierait la valeur au savoir ne peut être résolue à l’aide de concepts parfaits et immuables, inchangeant et transcendant. Cette vérité-là nous est hors de portée. Mais il ne faut pas tomber dans ce vil et pernicieux cercle vicieux qu’est celui du relativisme maladif. 

              Je ne vous parle pas ici de ce relativisme modéré et empli de sagesse qui ne veut tout simplement pas prétendre que l’objectivité puisse exister chez l’humain. Non, je vous parle ici du relativisme extrême, celui qu’empruntent les paresseux et les faibles d’esprit, celui qui est attrait à la facilité et au nihilisme de tout ce que peut représenter une quelconque valeur ajoutée. Oui cette pensée qui cherche à nier toute nuance dans ce qui peut être dit au profit d’une pensée unique. Celle qui veut que tout ait la même valeur, que rien n’ait de valeur. Cette vision du monde qui se retrouve gravée dans la phrase : “chacun sa vérité”.

              Je cherche ici mes amis, à vous démontrer que ces manières de pensées sont à bannir de toute sagesse. Car, comme nous le verrons par la suite, elle appartient en réalité à une branche bien dangereuse, celle des absolutismes de la pensée. Voilà donc ce que je vous propose de vous montrer succinctement : Cette forme de pensée est un absolutisme tautologique dangereux et vicieux pour tout esprit en bonne santé. Commençons sans plus tarder la mise au grand jour de ce genre de paradoxes absurdes et ridicules :

             

              Car si tout avait effectivement la même valeur, cela voudrait signifier que toute pensée ou toute affirmation le seraient aussi par la même. Et le fait de penser que toute pensée aurait la même valeur revient à affirmer que ce mode de pensée à la même valeur que celui qui décrète que tout n’a pas la même valeur. 

              Nous sommes ici d’ores et déjà devant un paradoxe grossier. Car le relativisme absolu se pose de lui-même à rang d’égalité avec tout autre façon de penser, ce qui invalide par la même sa théorie si celle-ci n’est pas initialement décrétée comme vrai avant tout jugement. 

              Donc pour que cette vision du monde puisse effectivement être correcte, il faudrait par la même la décréter correcte en dehors même de ce qu’elle préconise, et cela, à l’infini. Cette boucle sans fin qui impose le fait que cette vision du monde soit décrétée comme vraie avant même d’avoir posé la moindre affirmation est absurde et lourde de conséquences.

             

              L’erreur que font tous ceux qui se disent de cette doctrine dogmatique nihiliste, est de confondre la valeur absolue d’une connaissance, avec la valeur relative à l’humain de cette même connaissance. Car il est effectivement vrai que l’humain ne peut atteindre l’absolument vrai, mais du fait qu’il puisse effectivement exister, nous n’en savons rien. Et il est aussi vrai que dans l’absolu, soit rendu possible le fait que tout ait effectivement la même valeur. Mais il serait profondément stupide de ne pas vouloir voir en face que cette affirmation est fausse du côté des sociétés humaine, aussi basique cela puisse-t-être.

              Allez donc me faire croire que les médicaments anti bactériologiques comme les antibiotiques ont la même valeur que les clous de girofles contre le cancer. Non, ces savoir n’ont rien en commun et ne partagent en aucun cas la même valeur propre. L’un sauva des centaines de millions d'âmes d’une mort certaine lorsque l’autre n’est qu’un ramassis de mensonge qui se le cache à peine. Cela n’a pas de sens, cela va à l'encontre du sens et de tout ce qui est humain. 

              Allez donc me faire croire que l’histoire n’a aucune importance et que tout ce qui se passe aujourd’hui n’en a pas non plus. Allez donc me faire croire qu’il faudrait tout accepter sous le couvert de cette doctrine qui s’abandonne aux méandres de l'inhumanité.

             

              Soit. En tant que bon aventurier de la pensée, nous savons dès à présent qu’il ne faut pas bêtement nous abandonner à ce genre de soubassement. Ces esprits malades ne doivent pas nous atteindre. La perte de ces concepts de vérité ne doit pas nous entraîner dans cette spirale de la facilité et du désespoir. Ce mode de pensée est un terrible danger qu’il nous faut combattre sans arrêt. 

              Car en réalité, les individus qui s'abandonnent à cette pensée unique et auto contradictoire sont des esprits souffrants, décrépis, des pestiférés qui désirent en silence leur mort dans ce palais avec le confort des remords. Leur finitude se fait languissante, bien trop languissante. Ces âmes malades nous le cachent bien mal et, ce faisant, nous devons continuer notre route sans même leur adresser le moindre de nos regards compatissants.

              Car par-dessus le marché, ces estropiés cherchent en réalité à nous attirer dans leurs moribondes toiles filées et bien tendues, prêtes à capturer nos jeunes et vigoureux esprits en parfaite santé. Ces tarentules se dissimulent en-deçà de la lumière et attendent sans manquer de pousser à notre passage des cris de détresse résonnant pareil au chant des sirènes. Ces sirènes de la mort, ce piège à la vie et à la vitalité. 

              Et puis, si tout à effectivement la même valeur à leurs yeux, pourquoi continuent-ils désespérément à s’accrocher à leur vie de mort vivant ? Ils se contredisent de par leur seule subsistance ces colporteurs de malheur. Car si la vie vaut tout autant que la mort, qu’ils meurent donc, cela nous fera bien des obstacles en moins à affronter sur notre trajet, nous les aguerris, nous qui voulons vraiment vivre. Ne cessons donc pas de combattre ces morts vivants qui tentent désespérément de nous faire tomber avec eux pour qu’ils puissent se sentir moins seuls dans cette fosse aux mensonges qu’ils se sont eux-mêmes creuser. 

             

              Dès lors mes amis, lorsque l’un d’entre vous rencontrera l’un de ces fameux prêtres du “chacun sa vérité” et du “qu’importe…”, vous saurez comment répondre de leur stupidité. Ces manières de penser, ces simples phrases, doivent résonner en vous comme d’impardonnables affronts à la vérité et à l’humanité, car ils sont des dangers et des traitres de la pire des espèces.

             

              Il faut toutefois ne pas enlever le fait que le doute que produit de telles considérations est nécessaire à l’avènement de tout esprit de lumière. Mais encore une fois, la démesure est l’ennemie du droit chemin. L'extrême se veut l’antipode de la sagesse. Et ce combat incessant de tous les instants vers cet équilibre entre scepticisme et naïveté peut alors se résumer comme suit : Douter de tout ou croire à tout peuvent être intimement liés. Car lorsque mal exécuté, le doute peut devenir aussi stupide que la crédulité. On finit par ne plus réfléchir à rien.

             

             

Chapitre 13 : La valeur d’une pensée et des systèmes de pensée

             

 

 

              L’étalon de la valeur s’en est effectivement allé, il a quitté le chemin que chaque homme empruntera. Eh bien, qu’importe cela ? Si dans les échanges économiques, l’or venait à disparaître des marchés, toutes les monnaies du monde ne perdrait pas pour autant, univoquement, toute leur valeur en un instant. Il en va de même pour la pensée. C’est l’intention de vérité, de véridicité qui détermine sa valeur, tout comme c’est la rareté et la confiance accordée à la monnaie qui font toute sa puissance. Qu’importe que la meilleure des idées, que la meilleure des monnaies disparaissent, il nous reste encore bien assez de matière à penser, bien assez de matière à exploiter. 

              Bien que la perfection de l’or, la monnaie millénaire, l’inchangée, l'incorruptible ne soit plus atteignable, il nous incombe de la rechercher encore et toujours dans tous les objets. Il nous faut rechercher, dénicher, s’enquérir d’une nouvelle de ces monnaies, qui puisse devenir l’égal légitime à l’or. C’est là notre tâche mes amis, il nous faut trouver les idées les plus profondes, les plus objectives, incorruptibles et fortes que le monde humain n’ait jamais porté. Allons charrier ces concepts de malheurs, approchons-nous d’eux au mieux de ce que notre humanité nous le permet. Mais restons tout de même sur nos gardes à ne pas trop les chatouiller, ils pourraient bien finir par en avoir après notre intégrité. 

             

              La conclusion que nous avons mise en lumière est importante. Aucune idée ne peut être vraie dans l'absolu pour l’humain. Il nous faudra traiter avec cela. Il nous faudra déterminer ce qui peut être considéré comme valeureux, comme porteur de conséquence. Dans ce chapitre, plus que le phénomène abstrait qui a déjà été abordé, il nous faut préciser quelle est la valeur d’un système de pensée. Et par système de pensée, j’entends tout système de compréhension du monde basé sur des règles logiques et des liens de causes à effets liée aux connaissances acquises par l’expérience. 

              En sommes un système de pensée défini un point de vue subjectif, un mode de pensée, une façon de voir et décrire le monde à travers l’esprit d’un sujet. Le système de pensée est ce qui définit la personne au-delà de l’individu, au-delà de ses simples croyances et idées. Le système de pensée représente bien plus la façon de traiter les idées et les connaissances plutôt que de les apporter. Il renseigne sur la manière de voir ce que l’on voit, il représente le filtre qui définit la forme que toute expérience prendra, il détermine l'interprétation que le sujet en fera. Que ce système de pensée soit celui du matérialisme, du rationalisme, du spinozisme, du théologisme ou un habile mélange de tous, il est à sa manière, un mode de visualisation du monde et de l’existence. Nous cherchons celui d’entre eux qui est le plus valeureux, celui qui détient la clé de la meilleure interprétation des phénomènes concrets pour pouvoir créer les meilleurs savoirs possibles. 

              Et c’est alors fatalement, que de nombreux nouveaux questionnements font alors leur entrée : Comment et pourquoi un système de pensée peut-il primer sur les autres ? Pourquoi lire des ouvrages si les systèmes de pensés qu’ils incarnent n’ont pas de valeur définie ? Au-delà de la beauté que peuvent représenter des écrits, qu’est ce qui leur permet de se différencier de la médiocrité ? Qu’est ce qui permet à un auteur d’acquérir de la valeur ? Et plus important encore, quelle légitimité nos écrits représentent-ils face à tous les autres ? 

             

              Pour commencer, reprenons pour la énième fois notre figure de l’enfant et du vieillard. De celle-ci, nous pouvons tirer que dans l'extrême majorité des cas, c’est la parole et les dires de l’adulte qui représentent bien plus d’importance comparés à ceux émis par l’enfant. Dans la majeure partie des cas, l’avis de l’enfant n’est pas important. Dans l’ordre des choses, l’enfant est celui qui doit apprendre, non celui qui doit enseigner, son savoir n’est pas encore assez étayé pour cela. L’enfant n’est pas aussi aiguisé que l’adulte, il ne comprend pas les clés du monde et manque cruellement d’expérience. Ses dires ne seront alors que trop informels, que trop précipités et manqueront du recul nécessaire à tout bon jugement. 

              Nous arrivons encore une fois à la conclusion que nous avons tenue sur cette figure. La grande différence entre l’enfant et l’adulte est leur totale d’expérience accumulé et intellectualisé. L’enfant n’est généralement pas aussi mature que l’adulte, conférant alors à sa parole, son avis et son jugement moins d’importance que ceux de l’ancien. La conclusion que je vous propose ici et qu’il me faudra défendre dans la suite de ce chapitre sera alors la suivante : Un système de pensée ayant une grande valeur est un système de pensée doté d’une grande maturité. 

              Une pensée immature est une pensée trop vague, centrée sur la surface des phénomènes. Les jugements apportés par de telles pensées ne sont que trop frivoles, naïfs et prématurés. Une pensée mature quant à elle est capable d’apporter des jugements se basant sur la profondeur des phénomènes, leur source et leur fonctionnement intrinsèque. Les jugements matures, réfléchis, nuancés et mesurés sont capables de tendre vers bien plus de vérité que ceux proférés par de petits niais batifolant dans la cour des plus grands. 

              Encore une fois, la perfection absolue n’est pas chose atteignable. Mais il ne faut toutefois pas s’abandonner au relativisme qui fait en sorte de dire que tout doit avoir la même valeur. Les idées sont les produits de la subjectivité et de l’expérience, mais cela ne les empêche pas de se voir attribuer une certaine maturité, une certaine profondeur. Une idée interprétée et mise au monde par une vision mature deviendra par la même mature à son tour. Celle-ci se verra alors moins sujette à l’erreur, à la contradiction interne ou à la superficialité et le mauvais jugement. 

              Plus un système apprend de ses erreurs et des erreurs passées des autres systèmes, plus il recontextualise, plus il se précise, plus il référentialise et plus il pratique, plus il se rapproche d’une forme de vérité supérieure. Une forme d’unité qui veut pouvoir prendre en compte le plus de phénomène possible. Une unité qui veut pouvoir expliquer, se rapprocher et coller au plus près de la réalité. Pareillement aux concepts qui se trouvent être des chimères infiniment matures, les idées nées de systèmes de pensées se veulent devenir le plus mature qu’il est humainement possible. Le concept est une idéalisation, un but que toute idée subjective doit vouloir tendre vers.

              Le système de pensée se nourrit de l’expérience, il se nourrit de la connaissance et de toute information. Grâce à ces dernières, il s'entraîne et fait progresser sa faculté à juger. Celle-ci croît et se déploie vers toujours plus de complexité, vers toujours plus de profondeur et développe des critères, des méthodes d’analyse, des critiques précises et diversifiées qui tendent à parfaire sa manière d’interpréter le monde. Ce n’est pas tant la quantité d’information qui compte, mais bien plus leur qualité et leur diversité. Car c’est par la confrontation que le splendide vient au monde. C’est par la recombinaison, par l’affrontement de point de vue et d’interprétation qu’une mature façon de penser peut émerger.

              Et c'est principalement pour toutes les raisons précédentes que les systèmes de pensée Grecs, Catholiques, Révolutionnaires, et les courants de pensées en tout genre, du romantisme au pessimisme en passant par l’idéalisme sont aujourd’hui des systèmes dépassés, presque obsolètes. Car les informations et la compréhension du monde étaient, à ces époques, des denrées rares et volatiles. La majeure partie des anciens systèmes de pensées étaient sujets aux mœurs de leurs environnements et manquaient cruellement de diversité, de nouveaux horizons, d’ouverture d’esprit, de remise en question. La majeure partie des hypothèses ayant été utiles à l'élaboration des systèmes de pensées passés, se sont vues réfutées et invalidées par les connaissances modernes, plus poussées et précises de par leur recul sur les perspectives des différents phénomènes. 

              Il ne faut toutefois pas tout rejeter dans ces visions dépassées du passé. Certes, elles sont le produit d’expériences et de visions tronquées, atrophiées et bornées par le manque important d’information, de connaissance, mais leur étude reste un terreau incroyablement fertile. Il revient à chacun de nous, mes amis, d’apprendre de la vision de ces anciens systèmes. Il nous faut y apposer notre jugement, et nous en servir pour progresser vers toujours plus de précision et de perfection. En-là se trouve le chemin de la maturité.

              Toujours étant qu’il ne fait aucun doute que si nous placions tous ces philosophes et chercheurs d'antan devant un écran, en outrepassant le fait que l’écran puisse en lui-même être un choc pour eux, et que nous projetions sur celui-ci tous les savoirs les plus importants d’aujourd’hui tels que les principes physiques expliqués jusqu’au fonctionnement des cellules animales en passant par l’histoire de l’humanité, ils changeraient drastiquement d’avis sur leurs dires passés. 

              Car il est aujourd’hui très compliqué de se rendre compte à quel point les savoirs eurent pu être aussi limités. Nous qui vivons baignés dans l’histoire, dans les savoirs, ceux qui ont été apprivoisés par des centaines de milliers de vies de dur labeur et de languissantes recherches. Ces connaissances apprivoisées par l’humanité et acquises grâce en très grande partie à ces systèmes de pensée passés. Ces connaissances qui peuvent faire naître en chacun de nous des réflexions larges et élancées qui ne sont vouées qu’à se parfaire vers toujours plus de volupté, vers toujours plus de beauté et de maturité.

              De par la facilité d’accès à l'information, l’époque moderne est l’époque la plus propice à l'émergence de systèmes de pensée incroyablement complexes et matures. L’accès direct aux informations de tout bord, les recueils scientifiques et historiques, les ouvertures d'esprits rendues possibles au fil des âges, permettent à l’homme moderne de modeler sa pensée avec des sources de connaissances presque infinies. Mais il serait bien fou de vouloir affirmer que nous savons tout sur tout, bien au contraire. Maintenant que l’effet Denis-Kruger nous est passé droit sur l’orgueil, nous savons en quelque sorte que nous ne savons pas grand-chose. Il reste tant et tant à découvrir, à expliquer, à relier, à acquérir…

             

              Pour revenir quelque temps sur notre réflexion sur le passé des systèmes de pensées de l'humanité, nous allons illustrer la grande disparité entre les connaissances passées et les présentes, avec le cas du grand penseur, malheureusement plus en taille qu’en esprit, Platon, de la Grèce antique. Ce légendaire personnage pouvait, d'après les dires de ses disciples, connaître, la quasi-totalité des connaissances et pensées de son temps. Il était considéré comme l’homme le plus intelligent du bassin, le plus savant. Bien que ce fait puisse paraître impressionnant au premier abord. Il ne démontre en réalité, non pas un formidable intellect et une efficacité hors pair, mais bien plus d’un manque de ressources criant, d’une atrophie de la connaissance. 

              Je ne cherche pas ici à dénigrer le travail et le mérite d’un tel personnage, au contraire, ces faits sont de véritables exploits et ont été la source de très nombreux autres systèmes de pensées. Mais il est clair que si l’on avait demandé à Platon de réaliser le même exploit dans le monde moderne, il y aurait fort à parier que même doté d’une longévité de plusieurs milliers d’années, il ne pourrait même pas finir ne serait-ce que le prélude de l'entièreté des connaissances modernes accumulées. 

              Ou encore, s’il eut fallu comparer Platon de l’époque antique, aux chercheurs et penseurs les plus vigoureux et expérimentés de notre époque, c’est sans aucun doute que ce cher philosophe aurait fait pâle figure en comparaison. Il est clair que ces mêmes comparaisons n’ont aucun sens à vouloir être réfléchies et exprimées du fait de la contextualisation si différentes entre ces nobles époques et celle dans laquelle l’humain se développe aujourd’hui. Mais elles démontrent de façon caricaturale le gouffre abyssal qui sépare la connaissance moderne de celle passée. Nous ne sommes plus dans l’époque de la terre plate, de l'illettrisme ou du règne de la croyance dogmatique absolue. Nous sommes dans l’ère de la profusion de l’information, de son flot infini.  

              Paradoxalement, l’ère de la connaissance moderne est la plus propice au développement des esprits les plus matures, tout comme des plus immatures. Néanmoins, les esprits les plus aventureux, les plus curieux et assoiffés de connaissances ont aujourd’hui la capacité de traverser un flot ininterrompu de connaissances en tout genre, bien au-delà de tout ce qui était possible autrefois. La quantité d'expériences secondaires mise à disposition à n’importe quel humain, vivant dans une contrée ouverte à l’information, disposant d’une connexion est presque infinie à nos échelles. Ce phénomène permet l'émergence d’un nombre prodigieux de ces systèmes de pensées matures. 

             

              Mais qu’en est-il donc de cet ouvrage ? Quelle légitimité peut-il représenter ? Qu’est ce qui peut bien le différencier de tous les autres, pourquoi lire et réfléchir sur les sujets que je m’adonne à vous apporter ? Pourquoi nos aventures auraient-elles plus de valeur que celles de n’importe quel ermite ?

             

              Et bien mes amis, c’est tout personnellement que je souhaite dès à présent m’adresser à vous. Car il me faut savoir me faire convainquant. Quel piètre guide de voyage serai-je, quel piètre passeur me ferai-je, s’il m’était impossible de vous montrer la voie. Ce pourquoi, il me faut vous expliquer ce pourquoi je me bats, ce pourquoi je vous aime et ce qui rendrait plus légitime le chemin que je vous apporte comparée à l’infinité qu’il puisse exister. 

               Tout d'abord, ma pensée se veut libre, libre de tout déterminismes, si nuisant soient-ils pour toute vérité. Car c’est après m'être longuement introspecté, que j’ai finalement décelé tous mes désirs cachés. Tous ces désirs refoulés qui font naturellement de leurs hôtes leurs prisonniers. Je ne suis pas de ces penseurs qui recherche dogmatiquement à insuffler leurs idées aux autres pour s’octroyer gloire et puissance. Je veux me faire votre ami, votre correspondant. 

              Non, je ne suis pas de ces Sartres, traître français, revenant sur sa terre uniquement pour se faire acclamer et encenser par sa foule nauséeuse. Cette foule conquise par démagogie plus que par amour sincère. Je ne suis pas non plus de ces Kant, essayant tant bien que mal, de faire accepter comme universelles ses propres règles de vies stupides et calquées sur l'existence cynique d’un homme à moitié mort, répétant inlassablement la même routine jour après jour. Ayant travaillé toute sa vie sur les systèmes les plus complexes qui soient sans même s’être posé la question, une seule fois, de savoir si ce qu’il écrivait pouvait s’appliquer dans un autre environnement que sa petite paroisse religieuse de Prusse.   

              Je ne suis pas de ces Schopenhauer qui souhaitent inconsciemment dans leur for intérieur transmettre tout leur malheur sur autrui pour s’en réclamer sauveur. Pas de ces Rousseau qui traitent de l’égalité des hommes et de l’importance de la famille et de l’éducation tout en abandonnant ses cinq enfants dans des orphelinats mal famés. Pas de ces penseurs socialistes et communistes de pacotilles combattant les “oppresseurs” en se faisant eux-mêmes oppressant.  

              Non, ma pensée n’a aucun but de domination, elle ne recherche pas la conversion, l'adhésion de fidèles, la gloire ou la puissance. Ma pensée n’a absolument aucun but personnel, au contraire, elle se veut fondamentalement libératrice du genre humain. Elle se veut libre, libre de tout, libre par tout et pour tout. Je n’ai que faire des encensements et des acclamations. Ce que je recherche par-dessus tout, c’est de pouvoir m’éteindre en paix, en ayant en mémoire le fait d’avoir pu aider au moins ne serait-ce qu'une personne à traverser la difficile et majestueuse épreuve qu’une vie authentique a à nous offrir.  

              Et c’est en ayant moi-même traversé et voyager à travers de nombreuses et diverses contrées du monde concret, de celui de la pensée et de ceux du passé, que cet ouvrage peut finalement sortir de terre et se révéler au grand jour face à votre vue. Car la bonne pensée me pousse à faire en sorte de moi-même incarner les dires que je vous offre et vous délivre. Ce pourquoi, bien que rien ne puisse attester de ma pure et simple sincérité, je souhaitais tout de même m’incliner de ma diligente posture, et vous jurer, que je ne vous trahirai jamais. Que jamais la bonne pensée ne quittera l’objectif que je me suis promis et que je vous promets, à vous, mes chers camarades.

              Ce sont, mes amis, pour toutes ces raisons, que j’estime vous délivrer une pensée mature, riche et variée. Une pensée qui ne s'arrête pas uniquement à la vision et aux émotions d’un seul et unique homme, cloîtré dans sa chaumière, abritées de tous les dangers. Au contraire, tel l’explorateur, je me sers des enseignements passés de mes camarades de cordée, tombés en contrebas, pour grimper toujours plus haut, en haut de ces montagnes arpentées. Pour finalement vous offrir au bout de ce long périple, ce panorama plongeant sur le monde des pensées vaines et superficielles, ce panorama par-dessus les nuages. Ceux qui nous obstruent la lumière de ce diligent soleil, le guide des âmes perdues, sans repères, bloquées dans l’abysse d’un monde insensé et manipulé par les faux semblants.  

              C’est bien cela que j’essaierai de faire, sauver l’humain de sa misère. Car la modernité a apporté avec elle nombre de nouveaux problèmes. Les problèmes qui autrefois se réglaient à coup de banquets et de festivités guerroyantes, qui se voient aujourd’hui remplacées par la nécessité de penser. Ces nouveaux problèmes qui n’étaient pas autrefois à craindre, font de nos jours surfaces dotées d’une dangerosité, bien supérieure à tout ce que l'humain du traversé jusqu’alors. Il en incombe aux nouveaux penseurs, de prendre leur rôle à cœur et à se sacrifier, dans l’abnégation la plus totale, à la recherche d’un salut pour toute l'humanité.

             

              Je vous dois tout de même confesser, que je suis encore un jeune individu aux pensées dotées de la capacité à pouvoir évoluer, se transformer, se métamorphoser au fil du temps et des années. Je souhaite néanmoins aspirer, jusqu’à ce que mon existence finisse par s'essouffler, de toute ma glaciale passion, à m’échauffer encore et encore sur les mêmes sujets. A progresser, apprendre, réfléchir, et donner de tout mon être pour résoudre les problèmes de notre monde humain si terrifié et névrosé. Mais pour parvenir à un pareil résultat, il nous faudra nous munir d’habiles outils et d'une rage de vaincre qui dépasse tout entendement. Et tout cela, tout en gardant la tête froide, en restant prudent et sage.

             

             

Chapitre 14 : Qu’est-ce que la science ? 

             

 

 

              Mes amis, bien que les concepts soient hors de notre portée, nous recherchons toujours le même but avec la même ambition et détermination. Cette ambition nous porte vers les joyaux de l’humanité, vers les meilleurs savoirs dont elle soit dotée. Et, puisque l'absolu savoir n’est pas humainement atteignable, il nous faut nous tourner vers les détenteurs des savoirs humains. Ces détenteurs ne sont nuls autres que les systèmes de pensée. Il nous faut alors réussir à déterminer quels sont ceux qui produisent les meilleurs savoirs possibles, ceux qui se rapprochent le plus d’une forme de vérité absolue bien que celle-ci ne puisse jamais être humainement atteinte. Quelles sont donc les visions du monde qui créent les meilleures idées et les savoirs les plus matures, profonds et élancés. 

              Ces savoirs peuvent alors être tant religieux et spirituels, que mathématique, scientifique et matérialiste. Il existe en réalité tout autant de types de savoirs qu’il n’existe de façon de voir, de décrire, d’interpréter le monde concret. Cela, venant du fait que l'appellation de savoir, suivant notre définition, peut être octroyée à toute connaissance jugée comme précise, utile et solide par le système de pensée qui l’emploie. Peu importe réellement que ce savoir soit contredit par tous les autres, qu’il soit d’une absurdité sans nom ou dogmatique au possible. Tout ce qui compte, est qu’un système de pensée, un domaine d’étude particulier, lui attribue sa confiance et sa propre valeur, l’estimant comme apte à lui permettre d’expliquer précisément des phénomènes particuliers. 

              Mais voilà le problème qui se pose à nous. Si l’appellation savoir n’a à voir qu’avec un jugement effectué généralement de façon hâtive et naïve, quelle valeur réelle pouvons-nous en tirer ? Entre les savoir spirituelles et mathématiques, lesquels sont les plus importants à retenir ? Par quels critères les différencier ? Comment les choisir et les maintenir ? 

             

              Mes amis, je souhaite m’excuser par avance. Car voyez-vous, il nous est impossible d’aller explorer l’entièreté des terres habitées par ces manières de penser. Il en existe à vrai dire un nombre quasi infini à nos échelles. Et même si nous souhaitons nous pencher sur les plus répandues d'entre elles, le temps commencera rapidement à nous manquer. Non, ce n’est pas la bonne méthode à employer, ce pourquoi, il me faut vous faire la synthèse de mes aventures passées et vous délivrer d’entrée de jeu celui ou ceux que je prends pour les plus valeureux. Bien évidemment, je tâcherai de vous apporter tous les éléments pour permettre de vous faire une propre idée sur le sujet. Il me faudra défendre ma vision pour ne pas, je l’espère, vous donner l’impression de n’avoir que trop perdu de votre précieux temps. Néanmoins, ce travail s’avère des plus importants, car il permettra à l’avenir d’étayer notre propre système de pensée. Il nous permettra d’user de toutes ces connaissances et de tous ces savoirs pour avancer toujours plus profondément dans les abysses du monde de la pensée.

             

              Les voici donc sans plus tarder, les systèmes de pensée, les visions et explications du monde concret les plus valeureuses selon la bonne pensée, celle qui se veut prudente et sage. Car s’il existe bien une forme de système de pensée qui n’a d’yeux que pour la vérité, cela ne peut être autre chose que nos chères sciences de la modernité. Les sciences, modèles de connaissances surdéveloppés à la diversité quasi infinie. Les sciences, pouvoir de compréhension, de manipulation et de prédiction des phénomènes concrets. Incommensurable pouvoir dont l’homme moderne est aujourd’hui doté, lui ayant permis de conquérir le monde entier. 

                           

              Le but des chapitres prochains sera de nous permettre de légitimer les connaissances et savoirs de la science pour nous en permettre l’emploi. Que sont-elles ? Quelles valeurs peuvent-elles être vectrices ? Quels sont leurs avantages et leurs limites ? Que nous apprennent-elles sur l’humain ? Peuvent-elles remplacer la perte de ces concepts de vérité ? Et surtout, pourquoi elles ? Pourquoi les sciences plutôt que tout autre système ?

             

              Il nous faut tout naturellement commencer par définir ce dont il est ici sujet. Qu’est-ce que sont les sciences, qu’est-ce qu’elles signifient et à quoi se renvoient-elles ?

              Le principe primordial de toute science est de pouvoir faire la distinction claire entre la croyance et le savoir par l’usage d’une vision matérialiste et rationnelle. 

              Comme énoncé précédemment, le savoir désigne une compréhension précise et claire d’un phénomène apportant une explication quant à son fonctionnement, son origine ou son but. Pour que cette connaissance puisse devenir savoir, il lui faut passer par de nombreuses épreuves et vérifications apportées par un bon jugement. Et pour que ce savoir puisse devenir un bon savoir, il doit pouvoir s’appuyer sur des faits solides, tels que des preuves, des observations et des généralisations. Le terme solide veut ici signifier que le savoir est une connaissance liée au concret, au général plutôt qu’au particulier. Car plus la connaissance repose sur des faits du concret, plus elle devient solide et proche d’une vérité objective sur ce dernier. 

              Une croyance, quant à elle, repose sur des informations plus personnelles, des opinions, des convictions ou des idées qui ne sont pas nécessairement basées sur des preuves tangibles ou des faits vérifiables et ou vérifiés. Les croyances peuvent varier d'une personne à l'autre leur conférant un grand degré de subjectivité qui laisse souvent place à l’erreur, à la naïveté et à la superficialité. Cette croyance arrive rarement au stade de savoir facilement.

              C’est ici que se trouve la différence entre un bon et un mauvais savoir. Car un savoir est une bonne forme de croyance, mais la croyance n’est pas une bonne forme de savoir. Le savoir absolu n’est, quant à lui, ni un bon savoir, ni une bonne croyance. Il n’est qu’un ramassis d’idiotie. En-là se trouve toute la nuance entre science et tout autre système de pensée. La science recherche avant tout la croyance fondée et vérifiée et non celle qui lui apportera louanges et pouvoir spéculatif. Elle veut avant tout pouvoir se servir de ces savoirs dans le concret. Ce qui nécessite que ceux-ci soient fondés et profondément réfléchis.

              Le fait est que l’on peut croire que les dieux antiques existent, mais on ne peut ni les observer, ni les prouver, ni faire en sorte de généraliser leur concrète existence, empêchant ainsi cette croyance de devenir bon savoir. On peut également croire que le soleil illuminera le ciel demain car nous avons expérimenté le fait qu’il le fait tous les jours sans interruption depuis l’aube de l’humanité. Nos connaissances en astrophysique nous permettent de prédire qu’il le fera encore pendant plusieurs milliards d’années. Transformant ainsi cette croyance en un très solide savoir. Cependant, Il se pourrait effectivement que le soleil ne se lève pas le lendemain par un jeu de circonstances imprévisibles dans l’absolue par l’humain, empêchant ainsi ce savoir de devenir savoir absolue. Mais ce genre de cas particulier est extrêmement peu probable et totalement imprévisible pour l’instant, ce qui fait demeurer cette croyance comme solide savoir.

              Le rôle de toute science est ici de créer et produire des savoirs les plus solides possibles, en minimisant au maximum les biais humains de subjectivités et les interprétations trop hâtives, souvent sources d’erreurs et de mauvaises compréhensions générales. C’est par l’usage de l’empirisme le plus pur que les sciences avancent. Tout doit être relier à ce qui est humainement observable. Cela permet d’éviter toute spéculation sur des sujets humainement inexpérimentés, balayant ainsi le spéculatif et l’incertain du revers de la main. Tout savoir doit être relié à notre expérience du concret, ce qui fait de la science une vision proprement humaine.

              Dans cette quête de la vérité, le matérialisme joue un rôle prépondérant. Le matérialisme est un système de pensée auquel se rattache toute science pour évoluer, qui se veut être le moyen de description des phénomènes du monde concret en admettant que tout ce qui existe peut-être réduit à des éléments matériels élémentaires. Cette vision du monde est très cartésienne, rationnelle et veut joindre les causes aux effets des phénomènes de par leur appartenance au monde matériel. Nous serons par la suite amenés dans les prochains ouvrages à détailler plus en profondeur ce système de pensée. Restons pour l’instant sur le cas des sciences.

             

              Ces savoirs devront être intelligibles par l’esprit humain, c’est à dire traduit dans un langage humain faisant intervenir des règles de logiques élémentaires et intuitives. Ce langage n’est nul autre que le langage de la mathématique, un langage qui se veut presque universel, dépendant moins de la personne qui le pratique que des règles initiales imposées à celui-ci. Traduisant du désir scientifique comme idéal universel de connaissance humaine. 

              Les sciences se veulent garantes d’une façon solide et logique d’expliquer le fonctionnement des phénomènes et événements se produisant dans le monde concret. La compréhension d’un tel savoir est capitale pour l’humain. La compréhension du monde, de ses phénomènes, de la logique, des causes et des effets, permettent la prédiction, la manipulation et la domination de ce même monde. En faisant jouer les différentes connaissances accumulées, en les faisant se combiner, se côtoyer mutuellement, des systèmes apparaissent, des modèles de calcul, de discernements, de compréhensions…

              Il serait toutefois exagéré de décréter que la science permet à l’homme de se voir comme maître de la nature, comme belligérant ayant vaincu et opprimant désormais celle-ci. Non, l’homme n’est pas maître de la nature et de ces phénomènes, un maître est celui qui dicte à son subordonné la tâche à accomplir, l’ordre à exécuter. La science n’est qu’un pouvoir prédictif, basé sur la formation de généralité. L’usage de la science sur la nature est bien plus du ressort d’une forme de manipulation de la nature, nous comprenons comment elle fonctionne sur certains aspects, et nous, humains, utilisons ce fonctionnement à notre avantage. Pareil à des Machiavel, nous chuchotons à l’oreille de reine nature, lui extorquons ses plus vils désirs et les utilisons à nos avantages. La manipulation de la nature et de ses règles, voilà l’essence de toute science. Faire de la nature un outil que l’humain peut habillement utiliser pour servir ses projets et ses desseins. 

              En clair, une science est un modèle prédictif se basant sur une vision matérialiste du concret ayant pour but de créer des savoirs solides et profonds, appuyés par des processus de vérification exigeants empiriques.

             

              Maintenant que nous en savons un peu plus sur ce que nous considérerons ici comme science, il faut à présent nous pencher sur ce sur quoi elles étudient et quelles sont les branches les plus importantes. Nous décréterons pour le moment qu’il existe deux trois types de sciences pour faciliter notre avancée : les sciences physiques, biologiques et formelles. Bien évidemment, je tenais à vous rappeler que le terme science dépend avant tout de la définition que nous lui apportons. Et celle-ci ne doit en rien se voir décrétée comme la seule ayant le droit d’exister. Celle que nous employons ici sera sûrement à l'avenir, amenée à changer.

             

              Commençons par la description des sciences physiques : Les sciences physiques regroupent de façon non exhaustive les disciplines suivantes : La mécanique, la thermodynamique, l’optique, la mécanique quantique, l’astrophysique, la chimie…

              Les sciences physiques sont caractéristiques de par leur approche empirique des phénomènes concrets. Elles utilisent des méthodes expérimentales très poussées et précises permettant de vérifier des théories et hypothèses ayant pour objectif de mettre en lumière le fonctionnement intrinsèque des phénomènes du concret. Ces sciences ont une portée très importante dans tous les domaines de production, d’évolution des techniques et de création de nouvelles méthodes de compréhension des mouvements et interactions de la matière. 

              Les sciences biologiques dérivent directement des sciences physiques et regroupent de façon non exhaustive les disciplines suivantes : La biologie, la microbiologie, les biotechnologies, la génétique, la médecine… 

              Elles ont pour objectif l'étude des organismes vivants (ce terme sera détaillé plus loin dans l’ouvrage), de leur structures, fonctionnements et comportements. Cela représente l'étude des organismes végétaux, animaux, bactériologiques, viraux, des écosystèmes et groupes sociaux. 

              L'objectif fondamental des sciences biologiques est de comprendre ce qui caractérise la vie, y compris les processus qui sous-tendent la croissance, le développement, la reproduction, le métabolisme, la réponse aux stimuli, et d'autres caractéristiques essentielles des organismes vivants. Les sciences biologiques fonctionnent également via l’instauration de méthodes expérimentales très précises permettant la mise en évidence de preuves et d’observations de phénomènes du vivant. Néanmoins, à la différence des sciences physiques, la biologie s’appuie grandement sur les outils statistiques, les collectes de données et échantillons pour la formulation d’hypothèses. Les sciences biologiques sont moins strictes que les sciences physiques et jouent plus sur les facteurs statistiques pour prouver les hypothèses émises et leur conférer des caractéristiques générales.

             

              Nous arrivons finalement à cette douce mathématique, discipline formelle parmi les formelles. Le terme mathématique regroupe ici l’algèbre, la géométrie, l’analyse, l’informatique, la topologie, la physique théorique… La grande différence entre la mathématique et les sciences physiques, biologiques, est que leur objet d’étude n’est pas lié au concret. Les disciplines mathématiques étudient des objets d’études purement abstraits. Ces disciplines ne sont pas empiriques et ne dépendent d’aucune observation du concret. Elles sont autos dépendantes, c’est à dire qu’elles ne dépendent que de leur origine. Elles sont donc à catégoriser en tant que sciences formelles, car dépendent de l’étude d’univers abstraits liées à la pure logique et ou raisonnement mathématique.

              Ces précisions font s’écarter la mathématique de la définition que nous avons octroyée aux sciences traditionnelles. Bien que la mathématique produise bel et bien un savoir solide se fondant sur des preuves et des démonstrations, ces savoirs ne sont pas d’origine directe concrète. Ils sont purement abstraits et ne dépendent pas de l’expérience ou d’une quelconque forme de réfutabilité concrète. 

              Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, la mathématique a pour but d’établir des savoir dans des univers différents et à première vue indépendants de celui dans lequel nous subsistons. Ce qui fait la grande puissance de la mathématique est avant tout son formalisme et ses règles de logique et non les savoirs qu’elle produit. Mais pas de précipitation, nous aurons tout le temps d’explorer plus à fond la splendeur qu’une telle discipline peut représenter.

             

              La grande beauté des sciences réside dans leur intime coexistence, le dialogue qu’elles entretiennent harmonieusement entre elles. Suivant le type de science, les domaines d’études se superposent du plus général au plus particulier. Plus le domaine se base sur le particulier, plus il dépendra du plus général, du plus antérieur, du plus basique et fondamental. C’est ainsi que toute science se forme, en se basant sur les découvertes plus générales d’autres sciences antérieures. 

              De ce fait, en découle une hiérarchie scientifique de domaines d’études inter dépendants. Au socle de toutes sciences, le domaine le plus général, le plus primordial sur lequel toutes les autres sciences se développent, la fondation humaine de toute science n’est nulle autre que la mathématique. Tout du moins, le langage mathématique, la logique qu’il implique et qu’il transmet. Ce langage intuitif, ce langage avec lequel l’humain dialogue avec le monde, avec la nature, ce langage universellement humain et compréhensible par tous. Le calcul, les règles de logique, les principes mathématiques se font les fondements de toutes les sciences. C’est sur tout cela que toute autre forme de création de connaissance scientifique repose sur le traitement logique d’une information provenant du monde concret. La transformation de cette information concrète en information abstraite intellectualisable par l’humain. 

              Les sciences physiques reposent directement sur la mathématique de par leur usage fondamental des règles logiques dans l’instauration de formules et d'équations. Le travail de prédiction et de mise en équation des phénomènes concrets n’est rendu possible que par l’usage direct des règles mathématiques, par l’usage d’une logique et d’un processus de compréhension logique, mettant en lien les causes et les effets, reliés par le calcul logique. 

              La biologie s’appuie à son tour directement sur les connaissances de la physique. Plus particulièrement sur les connaissances et les principes de la thermodynamique, de chimie des molécules. La biologie requiert de plus l’usage de matériel d’observation puissant et précis, rendu possible de par l'avancée des sciences physiques. Le microscope, les outils de mesures, de prélèvements ne sont rendus possible que de par la compréhension et la mise en équation préalable des phénomènes physiques qui rendent possible le réglage, la fabrication de tels outils de recherche. 

              La mathématique a pour rôle de traduire le monde en chiffres, la physique traduit les mécanismes physiques en équation, la biologie traduit les mécanismes du vivant en généralisations…

              Toutes les sciences se chevauchent les unes les autres, des ramifications apparaissent, parfois reliant des univers et des domaines de recherche différents. La biomécanique, la physique théorique, l’astrophysique, les neurosciences en sont des exemples parmi tant d’autres. Toutes reposent les unes sur les autres, utilisent des démonstrations et des principes appartenant déjà à d’autres, se complètent et se font progresser mutuellement. 

              La mathématique est praticable sans appuie sur la physique et la biologie. La physique peut se pratiquer sans l'appui de la physique mais est dépendante de la mathématique. La biologie quant à elle repose sur la physique, qui repose elle-même sur la mathématique, ce qui en fait une science très dépendante des autres connaissances scientifiques. Ce constat s'explique de par le sujet d’étude très particulier et précis de telles sciences, alors que les sciences physiques et mathématiques se centrent sur des sujets d’études plus généraux, leur octroyant plus d’indépendance vis à vis des autres découvertes scientifiques.

               

             

Chapitre 15 : La science la plus importante 

             

 

 

              Ces affirmations sous-tendent un problème annexe très intéressant qui nous permet de faire un parallèle avec notre quête de ce qui peut représenter une forme de valeur. C’est également un très bon exercice pour entraîner notre maîtrise des référentiels. Ce problème mes amis, le voici : Peut-on parler de science la plus importante ? Quelle est la science ayant le plus de valeur intrinsèque ? Et si l’on extrapole ces raisonnements aux autres composantes de notre monde, que peut représenter la postériorité face à ce qui lui est antérieur ?

             

              Comme décrit précédemment, la mathématique, ou tout du moins les principes qu’elle incarnent sont à la base de toutes les sciences, de toute la méthode scientifique. A la base du pouvoir de compréhension du monde concret. Aucune science ne peut se développer sans ces mêmes principes, sans ce langage, cette façon de procéder si universelle et intuitive pour l’esprit humain. La mathématique est inhérente à toute science, à toute observation scientifique. 

              Même lors de la pratique de sciences qui semblent à première vue éloignées du monde mathématique, comme l’étude de certains écosystèmes vivant à échelle macroscopique, la mathématique est dotée d’une place prépondérante. Le fait est que sans la logique mathématique pour établir des implications et lier les causes à effets, sans le calcul pour pouvoir compter les représentants d’un milieu, d’une temporalité, d’un espace, la pratique de cette même science n’aurait pas de sens. 

              La mathématique se trouve au fondement de toute création de connaissance scientifique, elle en est l’origine première. Sans elle, les autres sciences ne pourraient s’exprimer et se développer de la façon avec laquelle elles se développent aujourd’hui. La méthode, la rigueur, la logique seraient des choses obscures. Or ces mêmes composantes sont essentielles à l’esprit humain, à son fonctionnement logique. Il a besoin de cette intuitivité pour pouvoir intérioriser le fonctionnement des phénomènes, pour pouvoir les comprendre sans avoir à en connaître l’essence dès sa naissance.

              Ensuite, la science qui vient directement se reposer sur les dires mathématiques n’est nulle autre que la physique au sens générale, cette science de toutes les instances, de toutes les découvertes fonctionnelles et profondes de notre environnement. Et, comme énoncé précédemment, c’est ensuite au tour de la biologie de s'installer sur le trône doré de ces si puissants rois du savoir apportés par la physique.

              Notre quête de réponse nous emporte et nous pousse ici à réfléchir sur la valeur qu’un tel enchaînement. Le fait que la physique soit antérieure à la biologie représente-t-il en lui-même un gage de supériorité dans l’échelle de valeur ? Ou au contraire, est-ce l’inverse ? La biologie qui se sert des savoirs préalablement établis par la physique et qui les embellis dans l’étude des faits du vivants, bien plus complexes et étriqués que ceux des lois fondamentales physiques se voit elle octroyé plus d’importance de part ce prodigieux travail ?

             

              La question est ici de savoir si l’antérieur est doté de plus de valeur que le postérieur. Cette réponse nous fera avancer vers plus de précision dans notre épopée de l’importance, de la valeur, du pourquoi de nos savoirs. Allons-y mes amis et commençons par un simple exemple illustrant notre situation. 

              Prenons comme exemple la célébrissime locomotive à vapeur. La locomotive à vapeur est une machine ferroviaire propulsée à l’aide d’un moteur à vapeur. A l’époque de son invention, elle était incroyablement utile, elle permettait à elle seule de tracter de grandes quantités de ressources sur de longues distances. De par son extraordinaire utilité, elle révolutionna le transport dans les sociétés humaines. Elle permit de faire traverser, de faire voyager, de transporter, de déplacer tant et tant de matériaux, de machines, d'ustensiles et de passagers. Ce géant de fer, cette locomotive à la puissance inégalée renversa le rythme de développement de nos sociétés et l’accéléra avec une vélocité dont seul ses exploits en connaissent le succès. Il est clair que cette locomotive, cette invention révolutionnaire était de très grande valeur pour les sociétés humaines antérieures. 

              Or de nos jours, la locomotive à vapeur n’est plus qu’un reliquat, une antiquité dépassée, ne conservant comme valeur propre, que son unique valeur historique. Les trains à grande vitesses, les locomotives électriques, et thermiques, bien plus puissantes et performantes que celles à vapeur ont pris le pas sur ces dernières et ont évincé l'atout qu'elles pouvaient autrefois représenter. Dans le référentiel d’un monde moderne, industrialisé et à la recherche de performance, il est clair que la locomotive à vapeur est quasiment dénuée de valeur en comparaison à celles plus modernes. 

              Il faut maintenant rechercher un référentiel plus général pour répondre à notre problème initial. Il est clair que de nos jours la locomotive à vapeur n’est pas dotée d’une grande valeur dans l’optique purement industrielle et économique. Mais, sans l’invention de celle-ci, il est difficile d'imaginer comment nos machines modernes auraient pu voir le jour. 

              Car la locomotive à vapeur est la source de toutes nos locomotives actuelles, elle en est l’origine, la base et le commencement. Le terme même de locomotive n’existait pas avant son invention matérielle. Le fait est, que la locomotive à vapeur aurait pu exister sans l’existence préalable de la locomotive électrique et thermique, ce qui n’est pas le cas pour le fait inverse. Le père ne naît pas du fils, ainsi se déroule la flèche du temps. 

              La vieille et démodée locomotive à vapeur a beau être moins utile dans l’ère moderne, son invention, son essence et l’idée qui la définit, sont antérieures à tous ses descendants. Ce simple fait lui confère une importance première, une valeur primordiale qui prime sur tout ce qui lui est postérieur. Plus précisément, si l’on confère une certaine valeur aux locomotives modernes, la valeur intrinsèque d’une locomotive à vapeur est au moins tout aussi importante, du fait que la locomotive à vapeur est nécessaire à l’existence d’une locomotive moderne. Sans locomotive à vapeur à l’origine, pas de locomotive plus évoluée et développée. Ce fait n’est bien évidemment pas vrai inversement.

              Bien sûr, nous émettons ces affirmations en prenant compte du fait que le moteur à vapeur est antérieur au moteur thermique et électrique. Ce qui, en toute logique, va de soi. Car le moteur à vapeur est l’un, si ce n’est le plus simple des moteurs à réaliser et à mettre en œuvre effectivement du fait de ces faibles besoins en connaissances théoriques et technologiques.

              Le référentiel plus général que nous avons adopté prend en compte la variable temporelle et les liens de cause à effet entre les différents phénomènes. La valeur d’un tel référentiel est plus importante que le référentiel moderne pris individuellement, ce qui lui confère une plus grande valeur de vérité. Par conséquent, la valeur intrinsèque d’un phénomène présent se transmet directement aux phénomènes l’ayant précédé. 

              Un riche homme d'affaires vaut sa fortune aux circonstances qui l’ont permis de l’obtenir, en plus de son travail personnel. Ses parents, ses arrières grands parents, ses amis d’enfance, son instituteur, les livres qu’il a lus, sont autant de variables qui, prisent dans un tout, sont doté, dans le référentiel énoncé précédemment, d’une valeur égale ou supérieure au succès de l’homme d’affaire lui-même. Car sans cet environnement passé, sans ces rencontres, et, cela va sans dire, sans ses géniteurs, il y aurait alors fort à parier que l’avenir de cet homme d’affaire aurait pu être entièrement différent. 

              Mais il ne faut toutefois pas lui retirer tout mérite. La chance et le hasard sont omniprésentes, mais il faut savoir les provoquer pour pouvoir en profiter. Il faut être à même de les saisir à la volée, il faut s’y être préalablement préparé.

             

              Pour faire correspondre cette réflexion avec notre sujet, reprenons nos sciences comme exemple. La mathématique étant l’origine des sciences physique et biologiques, elle est dotée, de par son essence même, de plus de valeur que toutes les autres sciences réunies. Car ces autres sciences sont totalement dépendantes du formalisme, de la rigueur et du raisonnement mathématique. Elle peut donc être considérée comme la plus importante lorsque l’on se place dans un référentiel global, autant temporelle que pratique. Les savoirs ont parfois beau être moins complexes et étriqués que ceux que peuvent prodiguer la génétique, les découvertes et théories sur l’astrophysique, les théories du quantique, l’étude géologique et l'étude des réactions chimiques internes des cellules, ils sont plus fondamentaux et singuliers encore. Bien que partant de connecteurs logiques simples, de symboles et de méthodes de calculs basiques, la mathématique et son formalisme sont les piliers de la pensée scientifique.

              Il me faudrait toutefois préciser que le terme vague et large de “science mathématique” représente ici les disciplines les plus fondamentales dans son ensemble telles que l’algèbre, qui introduit les règles de bases de calculs, ainsi que la géométrie, qui permet de visualiser et de caractériser tout espace et toute figure topologique, et l’analyse, qui examine et donne leur sens aux chiffrement placées dans les fonctions et les suites ordonnées.

              Mais cela n'empêche en rien que la mathématique puisse ne pas être la science la plus importante si l’on lui appose un référentiel tout autre. Mais peu importe le référentiel choisi, qui peut tant être le référentiel d’un botaniste que d’un religieux, ce référentiel ne sera pas doté d’une aussi grande valeur de vérité que notre référentiel global. Conférant aux jugements de valeurs émis dans ces plus petits référentiels, une moins grande valeur intrinsèque que ceux émis par cet éminent référentiel qui prend en compte bien plus de phénomènes. Cette logique impartiale peut effrayer au premier abord, mais devient un fier et fidèle compagnon à tous les bons initiés.

              Ce genre de réflexions sont porteuses de riches et profondes matières à penser. Car si l'on suit la logique que je viens de vous offrir mes amis, je ne puis me faire aucun doute sur le fait que de nombreuses questions et idées vous auront traversé l’esprit. Si tout est doté d’une origine étant elle-même doté d’une origine, et ce jusqu’à ce que le terme origine ne veuillent plus rien exprimer, quels sont les phénomènes charniers les plus importants ? Ceux qui peuvent à eux seuls détenir une valeur propre absolument gargantuesque par rapport à leur degré de généralisation ?

             

              Et c’est avec une grandiloquente diligence que je l’affirme mes amis : l’objectif même de cet ouvrage est de répondre à ce genre de questionnement. Trouver les causes premières, celle ayant la plus grande valeur propre, la plus grande valeur de vérité, la plus formidable des capacités à expliquer les phénomènes qui nous entourent, nous humains à la vision si troublée. Mais il y a encore tant à penser, trouver les phénomènes sous-jacents inespérés, découvrir tant d’implications surprenantes, remonter à des causes insoupçonnées pour toujours plus augmenter notre degré de compréhension du monde concret. Allez-y mes amis, creusez, déterrez des trésors de la pensée. Aidez- moi dans cette entreprise et tâchons de faire ascensionner l’humanité à ces sommets encore inégalés.     

                           

             

Chapitre 16 : La méthode scientifique

             

 

 

              Trêve de mondanité, revenons dans le vif du sujet. Nous avons précédemment décrit l’objectif de toute science, découvrir des connaissances pouvant être considérées comme des savoirs au-delà de la simple croyance. Ces savoirs sont fondés sur des preuves et des observations suivant un point de vue matérialiste et pragmatique. Nous avons également déterminé quelle était l’origine de ces savoirs : la logique mathématique, le système de connaissance le plus important qui soit dans un référentiel global. 

              Il nous faut toutefois maintenant nous plonger plus en profondeur dans le fonctionnement des sciences et du monde scientifique. Quelles sont les méthodes utilisées ; quelles sont les raisons d’être de la science et qu’est-ce qui motive en partie leur développement ; par quels critères précis, une croyance peut-elle devenir un savoir scientifique ? 

             

              Mes chers amis, s’il y a bien une chose, une caractéristique qui peut être retenue des sciences, c’est bien leur méthode. A la différence des autres modes de croyances, les sciences sont régies par une méthode commune et généralisée : la méthode scientifique. 

              Si je voulais me faire des plus précis, j’avouerais fort bien qu’il existe en réalité une multitude de méthodes différentes suivant les domaines de recherche. Toutes hérités d’un long et ardu travail d'amélioration au fil des générations. Mais je souhaite bel et bien vous parler ici de “la” méthode scientifique. C'est-à-dire celle qui regroupe les caractéristiques communes à chaque méthode utile à la production de savoirs scientifiques.

              Pour qu’une connaissance puisse devenir connaissance solide, puis savoir scientifique, il lui faut traverser nombre d’épreuves et d’obstacles méthodologiques. La méthode scientifique se divise en 4 parties distinctes les unes des autres. Elles forment ensemble un tout solide et constructif. Sans plus tarder, voici ici réunies les quatre parties de la méthode scientifique qui sont : La théorie, la prédiction, l’expérience et l’observation. 

             

              Commençons tout d'abord par la théorie scientifique. La théorie est une forme d’explication d’un ou plusieurs aspects du monde concret par l’usage d’un système de liens de cause à effet logique. Une théorie se doit d’être falsifiable, révocable par l’expérience et l’observation. Elle se doit d’être corroborative, c’est à dire non absolue et potentiellement révocable à tout instant par la découverte de nouveaux savoirs scientifiques contradictoires avec cette dernière. 

              Comme mentionné, une théorie doit être falsifiable. Ce qui signifie que les conclusions qu’elle apporte doivent pouvoir être ou vérifiées ou réfutées. Et cela, par des critères tangibles, strictes et invariants. Les dogmatismes, les idéaux religieux et diverses croyances sont des théories irréfutables, car inexpérimentable et inobservables dans le monde concret. Elles sont fondées sur des idées absolues et conceptuelles invérifiables, les empêchant de définir des prédictions logiques de cause à effets globales et généralisées dans le concret. Si un savoir est invérifiable, il ne peut devenir scientifique. Car si l’apposition “scientifique” eut pu s’introduire de quelque manière que ce soit dans de telles croyances, les sciences que nous connaissons aujourd'hui n’auraient été qu’un vil ramassis de belles histoires et de fables mystiques. 

              Pour qu’une croyance devienne savoir scientifique, il lui faut pouvoir passer par la critique, le doute et la réfutation dans le référentiel du monde concret. Une théorie doit de plus accepter son caractère corroboratif, qui la contraint à ne pouvoir définir sa valeur que de par les preuves sur lesquelles elle repose. Une théorie n’est pas absolue, même dans le cas où elle a déjà été expérimentalement prouvée. Elle reste constamment sujette à la réfutation. Sa valeur augmente en fonction de sa solidité, en fonction de sa propension à être difficilement réfutable.

              Les meilleures théories sont celles qui se trouvent être les plus simples, les moins contraignantes et celles qui répondent du plus de phénomènes sans avoir besoin de faire appel à des absolus pour pouvoir être corroboré par le plus de faits possibles. Bien sûr, ces théories ne doivent pas entrer en contradiction avec elle-même, cela va de soi. Ces théories-là sont considérées comme de bonnes théories. Et l’objectif de toute science est de produire les meilleures théories humainement intelligibles.

                           

              Dans un second temps, la prédiction est une étape d’émission d’hypothèses ayant pour objectif la description a priori de futures résultats expérimentaux. Cette étape est une mise à l’épreuve de la validité, véracité d’une théorie, d’une hypothèse ou d’une idée reçue. Au plus une théorie peut prédire des résultats expérimentaux, aux plus elle se voit accorder une grande solidité. Si toutefois, une seule de ces hypothèses se voit contredite par l’expérience, la théorie entière est alors à réviser et se voit momentanément invalidée. Cette affirmation n’est vraie que dans un cadre théorique parfait, nous verrons par la suite que certaines expériences contredisent les prédictions de la théorie, mais ne l’invalident pas pour autant.

             

              Ensuite, l’expérience se trouve être l’étape la plus importante du processus de création d’un savoir scientifique. Elle a pour rôle de valider temporairement les théories et hypothèses. L’expérience désigne la mise en place d’un dispositif permettant d'acquérir des données observationnelles. Ce dispositif doit pouvoir être reproductible et doit pouvoir isoler le sujet traité de la plus pure des façons.

              Elle doit également être reproductible, et réfutable. Une expérience non reproductible n’a pas de valeur, elle peut tant bien être fondée sur la vérité que sur un simulacre de mensonge ou de mauvaise interprétation. Elle doit pouvoir faire passer le particulier au général, pouvoir faire en sorte de toujours donner les mêmes résultats peu importe le nombre de fois que l’on décide de la reproduire tant que les conditions de sa mise en application restent identiques.

              Elle doit également isoler et identifier précisément. Car pour prouver qu’une théorie est véridique, il faut que le sujet qu’elle traite puisse être validé indépendamment des autres facteurs extérieurs. C’est de par ce fait que les savoirs scientifiques obtiennent leur pouvoir de prédiction. Car notre expérience du monde fait que nous expérimenter le fait que deux phénomènes identiques dans leur forme, produiront les mêmes effets dans des instants différents. Ce qui se produit maintenant se produira dans le futur tant que la situation reste identique. 

             

              L’observation est l’étape pendant laquelle les chercheurs observent les différents effets et résultats. Ils posent alors des conclusions quant à l’effective adéquation des prédictions avec la réalité. L’observation peut également avoir lieu avant que théorie ne soit émise. Dans ce cas-ci, elle sera un point d’attache à la découverte de nouveaux savoirs.

              Lors de cette étape, les erreurs de jugements doivent être réduites au maximum pour conserver la valeur de l’expérimentation. Les observations doivent êtres répétées et minutieusement recoupées entre elles pour pouvoir donner un verdict profond et sans précipitation.

             

              Les différentes étapes décrites précédemment sont contraintes à respecter l’ordre dans lequel elles ont été énumérées, l’étape initiale n’est cependant pas forcément déterminée à l’avance. Pour qu’un savoir devienne scientifique, elle doit réussir les quatre étapes de la méthodes scientifiques dans l’ordre. Elle peut toutefois débuter par n’importe laquelle d’entre elles. Autant par la théorie, que par l’observation, que par la prédiction… 

              Pour démonter ce fait, prenons l'exemple de la chute des corps. Ou plus précisément, la chute libre d’un objet quelconque sur la surface de la terre. Il est clair que le phénomène de chute libre est inhérent à la vie, dès qu’un individu naît, il expérimente ce phénomène naturellement dans sa vie quotidienne. Il n’a donc pas lieu de devoir en amont la théoriser car il en connaît déjà l’existence. C’est donc l'étape de l’observation qui est premièrement de mise. Lorsqu’un humain voit un objet tomber vers le bas, vers le sol, il observe le phénomène. C’est alors que pour comprendre ce phénomène, et transformer cette connaissance observationnelle en savoir scientifique, il lui faudra émettre des théories quant à la cause et le fonctionnement de ce même phénomène. Une fois les théories émises, les prédictions ainsi réalisées devront se voir valider par les observations de l’expérience. 

              Dans cet exemple ci, vouloir passer de l’observation à l’expérience n’aurait pas de sens sans théorie préalable. Vouloir éprouver cette connaissance de cette façon n’aurait pas de sens. Aucun fait ne pourrait alors être prouvé. L’émission d’hypothèse pour pouvoir ensuite les affirmer ou les infirmer par l’expérience doivent permettre d’acquérir les clés de compréhension des phénomènes étudiés. Elles nous servent à comprendre les mécanismes par paliers successifs d’essais erreurs, jusqu’à ce que finalement, l’une d’entre elles se voit valider. La science a de cela qu’elle cherche l’utilité, l’usage d’un savoir solide et profond déjà regardé sous différents points de vue et façon d’être expliqué. 

              Pour d'autres savoirs scientifiques, la théorie peut venir avant même les observations. Les théories d’Einstein n’ont été prouvées dans leur globalité que depuis très récemment. Les théories d’Einstein prédisaient l'existence d’onde gravitationnelles, véritable déformation de l'espace-temps causée par des événements cataclysmiques. Le problème avec cette hypothétique existence de ces phénomènes, est que rien de ce type-là n’avait encore été observé jusqu’alors. Et il y avait fort à parier que personne ne puisse un jour en observer aucune tant leur intensité fut calculée comme étant ridicule à nos échelles. Mais, c’est mal connaître l'humanité. Car après de longues années de constructions, de perfectionnement, de recherche et après l’ajout de sommes monétaires colossales. Les premières ondes gravitationnelles furent observées et enregistrées par un appareil d’observation humain. 

              Véritable réussite, prouesse technique de précision, les ondes gravitationnelles furent prouvées par l’observation, concordant avec les décrets du grand physicien. Voici un exemple parmi tant d'autres décrivant le fait que les théories peuvent dans certains cas venir en amont de l’observation, en amont de l’expérience de toute sorte, simplement déduite du reste.

             

              Dans des conditions parfaites, l'expérience est censée pouvoir valider ou invalider des théories de façon presque absolue. Néanmoins, toute expérience est forcément sujette à l’interprétation humaine, à l’erreur, au mauvais jugement, ou à la précipitation. Les expériences sont parfois inaptes à démontrer la véracité d’une hypothèse de par leur caractère trop subjectif et superficiel. Une expérience de ce gabarit ne représente en elle-même aucune valeur scientifique, voire pire, elles peuvent feindre l’invalidation de théories pourtant valides. Dans certains cas, la théorie peut même réfuter les expériences trop indisciplinées et hâtives. 

              Pour montrer ce phénomène, prenons encore une fois le cas de la chute des corps. Jusqu'à l'époque du posthumément célébrissime Galilée, les humains pensaient détenir la vérité sur le phénomène de chute des objets. Plus un objet était lourd, plus il tombait vite. Les expériences le démontraient fort bien. Lâcher simultanément une plume et une enclume, et l'on observe assez bien que l’enclume fracasse le sol bien avant que la plume n’ait pu l’atteindre. De ce fait, les scientifiques déclaraient que la différence de vitesse de chute dépendait de la masse des différents objets lâchés. Ce fait millénaire ne semblait déranger personne, sauf à ce grand Galilée. Pour lui, ce fait n’avait pas de sens en lui-même et l’invalida avec un paradoxe fascinant. Pour cela, il imagina une expérience de pensée se basant sur un raisonnement logique que voici.

              Si les objets tombent effectivement plus rapidement sur le sol à mesure que leur masse augmente, une boule de plomb de plusieurs kilos, touchera le sol avant une boule d’un seul kilo. Mais maintenant, si vous attacher les deux objets ensemble avec une corde bien solide, que se passera-t-il ? Le nouvel objet formé tombera-t-il plus vite que la lourde boule prise séparément, du fait de la masse plus importante du système ? Ou alors tombera-t-il moins vite que cette dernière puisque la petite boule, plus légère, ralentira la chute de la plus grosse du fait de sa masse initiale inférieure ? 

              Nous sommes ici en face d’une contradiction formelle, deux choix s’offrent à nous, invalidant l’unique théorie. Car si l’un des deux cas est vrai, il se réfute alors de lui-même. Deux solutions contradictoires s’offrent à nous simultanément, pourtant tout droit sorties de la même théorie. Il y à paradoxe, et donc, a fortiori, selon la bonne logique humaine, erreur.

              La vitesse de chute de deux objets sur terre ne peut pas uniquement dépendre de leur masse respective. L’hypothèse selon laquelle les objets tomberaient avec des vitesses différentes du fait de leur différence de masse est d’une absurdité sans nom. Si nous extrapolions cette hypothèse et que nous y accordions une pointe de sarcasme, nous pourrions prédire avec cette théorie, qu’il suffirait d’attacher une plume à une enclume pour la voir flotter dans les airs à la manière d’une montgolfière. L’enclume étant fortement ralentie par la ridicule vitesse de chute de ce petit objet.

              Et quand bien même les scientifiques d’antan eussent pu parjurer de tous les noms l’injonction de Galilée, ils leur auraient fallu, du même coup, reconnaître que leur théorie n’était pas fondée sur la vérité. Mais l’on pourrait dire que c’est la vitesse de l’objet le plus important qui l’emporte, transmettant sa vitesse au plus léger. En effet, dans le concret, une enclume tombe à la même vitesse, indépendamment du fait que l’on lui attache une plume ou non. Mais la théorie initiale doit alors être modifiée, invalidant dans tous les cas. 

              La vérité sur cette affaire mes amis, est que les conclusions de l’expérience ayant mis en évidence que la plume tombait moins vite que l’enclume, sont erronées. Ces observations ont été mal interprétées et des phénomènes parasites y ont interféré. Le manque de discipline, de recherche et la naïve superficialité d’une telle affirmation sont les annonciateurs d’une expérience sans valeur. L’acteur déterminant est en réalité le vent, l’air qui ralentit la chute des objets plus légers avec des formes propices aux frottements. Car dans le vide, tout objet tombe à la même vitesse indépendamment de sa masse et de sa forme.

              Cette histoire démontre la grande importance de la précision, de la minutieuse recherche et de l’apparente objectivité que de telles expériences doivent faire l’objet. Il en va de même pour les connaissances les plus intuitives comme la chute des corps en chute libre. L’expérience scientifique doit être réalisée sérieusement pour pouvoir valider les théories de façon pérenne et solide. L’interprétation n’a pas sa place dans un monde aussi pragmatique et sérieux que celui des scientifiques. 

              Il existe de très nombreuses méthodes scientifiques différentes suivant le domaine d’étude choisi (Méthode du double aveugle, méthode de réplication…). Mais toutes suivent un même schéma, une même structure méthodique, sérieuse et pragmatique. Ce n’est qu'une fois arrivé au bout de ce périple méthodique qu’une croyance peut enfin accéder à la dénomination de savoir scientifique. 

             

              En clair, un savoir scientifique n’est rien d’autre qu’un savoir ayant réussi à traverser cette rigoureuse et fastidieuse méthode miraculeuse. Car si l’expérience s’interprète à partir des sens, que les idées naissent de ces expériences, que la connaissance se construit à partir de ces idées et que les savoir se fonde sur ces connaissances… Le savoir scientifique, lui, n’est rien d’autre qu’un savoir ayant triomphé des épreuves de cette méthode scientifique. Il se trouve être la quintessence, le terminus de tout germe d’idée, le graal de toute pensée. 

              Car, comme nous le verrons, aucun savoir ne peut humainement se doter d’une plus grande valeur de vérité. Le voilà notre héros, notre sauveur, notre libérateur. Le voilà celui que nous recherchions tant. Le voilà le remplaçant des concepts, son substituant. Car je vous le dis et vous l’affirme à vous mes amis, l’humain ne produit rien qui ne puisse surpasser ce niveau de profondeur de pensée. Le savoir scientifique est l’aboutissement de longs et fastidieux processus successifs qui, chacun à leur manière, taillent dans la pierre. Cette pierre brute et dense qui nous est offerte par nos sens. Et nous apporte, au fur et à mesure des centaines d’années de réflexions, des portraits toujours plus finement détaillés et décorés représentant ce que le terme de vérité semble vouloir signifier pour nous.

              Quel splendide travail, quelle merveilleuse découverte. Ce savoir empirique, proprement humain nous est enfin parvenu. Celui qui terrasse le spéculatif et le mystique, celui qui décrit au mieux les phénomènes du monde concret dans notre abstrait. Ce savoir solide, profond, mature et pérenne.

              Haa mais vous ne me connaissez maintenant que trop bien. Car à ce stade, il serait présomptueux de vouloir crier victoire. Le périple du nouveau savoir n’est pas terminé. Car le plus gros du travail n’est pas de devenir champion, mais bien de le rester jusqu’à l’éternité. 

             

             

Chapitre 17 : Guerre scientifique

             

 

 

              Haa mes amis, que d’espoir enfin retrouvés. Nous sommes partis vers de si lointaines contrées à la recherche de savoirs véritables mais ne sommes tombé que devant maints cadavres purulents d’absolus décadents. Depuis ce temps, nous vacillons entre désespoir et déraison. Mais cette ère est enfin révolue, aurions-nous enfin trouver un digne et noble représentant de la vérité, celle que nous recherchons et que nous chérissons ?

              Ces sciences gouvernées par leur formalisme et leur méthode, véritables usines à savoirs humains par-delà les simples croyances, bastions d’une forme de vérité plus humaine et emplie de sagesse. Empressons-nous donc de rentrer dans le fonctionnement de ces telles usines prolifiques. Et répondons du : comment diable peuvent-elles prodiguer autant de mets de si bonne qualité ?

             

              Et bien il faut commencer par décrire le fait que les sciences fonctionnent pareillement à la vie en elle-même. Elles sont mues par ce profond désir de puissance, de développement, de grandeur et de splendeur. Aussitôt qu’un savoir devient scientifique, il se sait en danger, ce brave guerrier n’est pas au bout de ses peines. Car après avoir brillamment triompher des épreuves de la méthode scientifique, le nouveau savoir se voit confronter à ses homologues, les envieux et cyniques homologues. Ceux qui donneraient tout pour prendre la place de ce même savoir. Ceux qui détruiraient tout sans n’être affecté d’aucun remords. Ceux pour qui l’existence n’a d’autre sens que de faire descendre ce nouveau savoir de sa tour d’ivoire, tous ces nouveaux savoirs. 

              Une découverte scientifique est une découverte qui se sait potentiellement faillible, éphémère. Les savoirs scientifiques les moins solides se font remplacer par les savoirs plus solides, les plus aptes à décrire la réalité, à en lui donner une explication véritable et valide.

              Une guerre intime prend alors place dans le monde de la pensée scientifique. Les savoirs s’y affrontent perpétuellement, se combattent, se trahissent et se menacent mutuellement. Les savoirs scientifiques sont sans cesse menacés par les avancées parallèles, les découvertes nouvelles, les bouleversements nouveaux. Ces bouleversements menacent de détruire la validité des savoirs existants, de les renvoyer à l’état de viles croyances sans importance. 

              Cette guerre totale permanente permet à la science de garantir la qualité de ses savoirs scientifiques. Ceux-ci sont toujours plus valeureux, plus solides, plus matures que les précédents. Les savoirs les plus coriaces survivent et gardent leur dénomination scientifique. Une véritable sélection naturelle s'opère alors. Les savoirs les plus fragiles se font remplacer par les plus robustes, les plus à même d'incarner cet idéal scientifique de vérité, cet idéal de savoir, cet idéal de valeur.

              Une fois sa défaite venue, un savoir scientifique n’a d’autre choix que d’accepter son sort. Pareille à un guerrier, sa défaite signifie sa mort, sa disparition et son entrée au panthéon des croyances déchues. Ce jugement s’avère irrévocable, intransigeant, dur, mais juste. Le savoir vaincu retourne dans le monde des croyances, dans ce monde si honteux et perfide pour lui. Tel est le châtiment des perdants. Mais c’est là que réside toute sa sagesse. Le savoir scientifique sait accepter sa défaite. Il sait accepter sa fin lorsque le moment vient.

             

              Un savoir scientifique est à voir pareil à un guerrier, un preux chevalier. Il usera toujours de son courage, jusqu'à ce que celui-ci finisse par devenir témérité, pour mettre à l’épreuve ses résultats, sa force et sa valeur. Il demandera toujours plus de preuve, voudra toujours plus prouver sa valeur sur le champ de bataille, voudra toujours plus triompher de l'ennemi tant qu’il en est encore temps. Les sciences cherchent constamment à s’améliorer, à progresser. Les savoirs scientifiques actuels ne sont que les éphémères grands vainqueurs de cette guerre farouche qui prend place entre toutes les connaissances humaines. 

              Ces savoirs actuels sont les vainqueurs, les meurtriers, les sanguinaires sans pitié ayant triomphé de leurs prédécesseurs. Ils se hissent en haut de l’immense montagne de cadavres oubliés des pensées dépassées. Pareil à la tour de Babel, l’amoncellement millénaires de tous ces savoirs permet petit à petit de faire avancer l’humanité vers ces divines hauteurs. Vers ces nobles et délicates grandeurs, exemptes de cendre et de sang. 

              Au sommet de cette tour, se dressent temporairement les savoirs actuels, ceux qui jubilent de leurs nombreux faits guerriers. Qu'ils profitent tant qu’il en est encore temps. Car le temps viendra où ils rejoindront eux aussi les édifices qu’ils ont inlassablement escaladés durant toutes ces années. Ils les rejoindront car trop fatigués par leur mode de vie guerrier. 

              Mais leur mort ne sera pas vaine, elle permettra aux nouvelles générations de prendre leur place, de pouvoir se hisser encore, toujours plus haut, toujours plus près de cette singularité tant recherchée. Cette singularité est porteuse de nombreux espoirs, porteuse d’incommensurables pouvoirs.

             

              Les sciences ont beaux êtres guerriers, elles n’en restent pas moins humbles. Elles ne doivent pas prétendre pouvoir découvrir l’indécouvrable, comprendre l’incompréhensible, atteindre la perfection des concepts. Elles doivent souhaiter s’approcher de la vérité le plus humainement possible sans jamais dépasser la barrière fatidique et dangereuse de l’absolutisme. Il en va de leurs pouvoirs, de leur puissance. Les sciences se doivent de rester humble et prudente, éviter la précipitation et les mauvaises interprétations. 

              Car l’on finit vite par tomber dans de nombreux travers. Ces travers qui font tourner le monde à l’envers et assèchent tout ce que la science à toujours prôné. Car la croyance aveugle en la vérité, ce concept absolu adorée par quantité de chercheurs, n’est qu’une façon détournée de croire en une métaphysique par-delà toute physique. Ces chercheurs croyants, ces scientifiques détournés du droit chemin s’en font alors les pasteurs, les prêtres et les précepteurs. Tous ces individus se font l’ennemi de la vertu, celle qui retient tout à chacun de croire en des réalités par-delà l’humanité. Je vous le dis mes amis, ces chercheurs d’or ne sont en réalité que des estropiés qui mendie le ciel, trop aveuglés par leur fièvre du mauvais penseur. 

              Le mauvais scientifique, celui dont les termes noblesse et sagesse lui sont inaccessibles, est celui qui prie devant ce dieu décadent. Ce vil individu bafoue les principes de la science et s'en va propager son dogme centré sur cette si enivrante vérité. Il s’en fait le prêtre, le prophète. Celui qui ne voulait pas croire en Dieu, finit par croire en cette vérité transcendantale. Ce scientifique qui se voulait différent de ces dogmatiques qu’il déteste profondément s’est fait lui-même croyant de son propre dogme. Celui fondé sur l’idée extrascientifique, au-delà de la physique, que la vérité existe, qu’elle peut être atteinte et qu’elle vaut mieux que la non-vérité. 

              Non mes amis, la science ne doit pas s’abaisser à cela. Elle recherche la vérité mais ne croit pas aveuglément en celle-ci, et surtout, elle ne pense à aucun moment pouvoir un jour l’atteindre véritablement. Car la science doit avant tout être le bras armé de la pensée, celle qui veut se perfectionner, s’améliorer tout en conservant sa prudence et sa clairvoyance, et non en devenir sa meurtrière et sa plus grande traîtresse.

              La science doit s'admettre humaine avant tout. Elle doit s'admettre dépendante, dépendante de la philosophie même. Car c’est la philosophie, l’art de bien penser qui doit trouver quelle est la valeur de cette vérité tant recherchée. Tout chercheur se doit de garder dans un coin de sa tête que ce qu’il veut produire repose en premier lieu sur cette idée que la vérité vaut mieux que la non-vérité. Et ce genre de réponse est hors d’atteinte de la science. Ce genre de faits ne sont pas démontrables, pas observables dans la nature et pas expérimentable méthodiquement. 

              Elles sont limitées aux seuls faits physiques. Et le vrai n'a, dans un certain sens, rien de physique, rien de concret. Et c’est à nous, fiers penseurs, d’user de toute notre fougue et de toute notre vivacité pour partir explorer ces questionnements si importants qui vont au-delà du concret. Qui vont là où l'interprétation et l’abstrait sont rois. Là où la prudence se fait reine et d’où leur union finit par enfanter la sagesse que nous recherchons tant. Il revient à la philosophie de traiter de ce genre de questions plus profondes qui touchent directement nos cœurs d’humain, nos esprits d’humain et nos corps d’humain. Toutes ces choses qui font de nous des êtres humains, trop humains…

             

              En clair, le savoir scientifique est à voir pareil à un humble et impétueux guerrier. Il est profondément humainement accessible et compréhensible par tous du fait de sa structure provenant de l’expérience empirique reliée par des liens logiques de causes à effets premièrement théorisés puis mit à l’épreuve dans l’arène expérimentale. Il sait s’avouer vaincu lorsque plus valeureux se présente à lui, ce noble guerrier aux idéaux chevaleresques. Son but, ce pourquoi il a été créé et produit, est de conférer à l’humanité son pouvoir de prédiction. Pouvoir permettant la manipulation de la nature, de sa compréhension, et l’élévation de l’humanité au-delà des dogmes infondées et mystiques qui obscurcissent la vue de la bonne pensée prudente.

              La valeur d’un tel savoir est capitale et supplante celle de tous ses autres homologues. Son sérieux, sa portée, sa stricte sélection et sa maturation sont inégalées dans le monde de la pensée. Contrairement aux dogmes religieux, spirituels et tous ceux proposant d’autres façon de voir le monde, le savoir scientifique sait se donner les moyens d’une confrontation avec ce monde pour s’assurer la validité de ses résultats. 

              Il à la sagesse de ne rien tenir pour acquis, car sait que l’expérimentation n’est pas une preuve absolue de sa véracité, elle ne fait que de le légitimer pendant des temps incertains. En quelque sorte, le savoir scientifique est l’exact opposé du charlatan qui vente des mérites et des miracles sans fondement pour se voir octroyer des bénéfices inconsistants. Le savoir scientifique, lui, prend par le bras tous ceux qui croient en sa valeur et leur demande à haute voix : “es-tu sûr que je suis digne d’incarner ta vérité ?”.

             
 

Chapitre 18 : Les paradigmes

             

 

 

              Les sciences, mêmes leurs formes les plus rudimentaires, ont, depuis la nuit des temps, étés les indicateurs les plus importants de la montée en puissance de l’humain. Plus les sciences progressent, plus l’humain acquiert de la force, développe de nouvelles techniques, invente de nouveaux procédés permettant de faire évoluer ses populations et ses sociétés. Notre monde est gouverné par la toute-puissance des bouleversements scientifiques, ces créateurs et géniteurs du progrès. Du développement de la médication jusqu’aux mécanismes motorisés en passant par les découvertes des principes physiques qui régissent le mouvement, les transferts énergétique, électrique, magnétiques ou de chaleur… Tout ce qui est présent dans nos sociétés modernes est rattaché plus ou moins directement aux savoirs acquis par l’assidu travail de l’instinct scientifique propre à cette chère humanité.

              Le changement, le mouvement, le progrès. Voilà bien des termes à même de représenter l’impressionnante tendance des sciences à la transformation, à la réformation de leur fonctionnement tant interne qu’externe. Parties des simples règles de calculs et de dimensionnements géométriques, les sciences ont évolué jusqu’à nous permettre de découvrir et comprendre des contrées bien éloignées. Celles de l’atome, de l’univers et de son étendue jusqu’à la compréhension du vivant et des changements géologiques… La science change et se module constamment. Ces savoirs guerriers s’affrontent pour la domination et quémandent sans cesse leur mise à l'épreuve. Les cycles s'enchaînent et laissent place aux nouvelles générations de savoirs et théories. Ceux-là même qui se feront tôt ou tard remplacés à leur tour. Ainsi va la folie de la danse scientifique.

             

              Dans ce chapitre, il sera alors question de décrire ces cycles des transformations scientifiques ainsi que de conclure quant à la valeur de ses fameux savoirs scientifiques. Comment s’instaurent les cycles ? Comment se développent-ils ? Sont-ils linéaires, ou au contraire, brutaux ? En clair, comment fonctionnent les avancées scientifiques ? Et finalement. Que pouvons-nous en conclure sur la valeur du savoir scientifique ?

              Contrairement à ce que la majorité pourrait penser, les sciences n’ont rien de figées. Elles changent et évoluent constamment. La voici la constante des sciences, le changement. Car la stabilité est un luxe dont seuls les dogmes pernicieux et impropres à la noblesse s’abandonnent. Les sciences quant à elles, veulent par-dessus tout leur propre modification, leur propre amélioration. Il en va du prestige des chercheurs, qui contrairement aux pasteurs, gagnent leur pouvoir en inventant et en découvrant de nouvelles explications aux phénomènes qui touchent notre monde. 

              Il n'empêche que de cette grande instabilité quasi perpétuelle, cherchant sans cesse son point d'équilibre, se développe parfois des périodes de grande prospérité. Et de ces périodes prospères et calmes, naissent de nouvelles périodes instables. Ce système cyclique s’impose constamment. Et les périodes qui les entrecoupent ne sont nulles autres que ce que nous appellerons paradigmes. La définition que nous octroierons au terme de paradigme sera la suivante : Un paradigme scientifique désigne une période variable, indéterminée mais continue englobant des ensembles importants de croyances, de valeurs, de techniques et de pratiques intriquées, partagées par une communauté scientifique.

              Il s'agira ici mes amis, de décrire comment le changement de paradigme scientifique s’opère-t-il. Quelles sont les raisons pour que la science soit si différente de tous les autres systèmes de pensée qui restent figés dans le temps, sans grands changements apparents. Quels sont les processus qui poussent les savoirs scientifiques à se modifier, à transformer leurs points de vue, à s’améliorer constamment. Pour cela, il nous faut nous pencher sur les deux types de périodes caractéristiques de ces changements de paradigmes dans le monde scientifique. 

              Premièrement, se trouvent les périodes placides. Ces périodes sont caractérisées par des avancées scientifiques linéaires, prospères à l’étoffement des théories scientifiques préexistantes. Le but des chercheurs est alors de peaufiner et d’améliorer au maximum ces théories pour pousser au maximum leurs implications et conclusions. Les savoirs scientifiques sont étirés, entrecoupés, jugés, comparés et étendus au plus de domaine possible. 

              Prenons l'exemple de la théorie de la biologie évolutive. Pendant longtemps, la théorie de l'évolution par sélection naturelle de Charles Darwin a dominé le champ de la biologie. Les scientifiques ont utilisé cette théorie pour expliquer une vaste gamme de phénomènes biologiques, de la diversité des espèces aux adaptations spécifiques. Pendant les périodes placides, la théorie de Darwin a été enrichie par des découvertes en génétique, en écologie et en biologie moléculaire, permettant d'affiner et de préciser les mécanismes de l'évolution tout en effectuant des liens et des parallèles avec toute sorte d’autres domaines complémentaires.

              Lors de ces périodes, de nouvelles découvertes, observations commencent doucement à entrer en contradictions avec les modèles établis. Les incohérences s’accumulent, les contradictions s'exacerbent et se multiplient et menacent de plus en plus dangereusement les savoirs présents. 

              C’est petit à petit, découvertes après découvertes, que ces légères incohérences et imprécisions s'accumulent et commencent à augmenter la pression que doivent supporter les savoirs en place. Tout cela, de sorte à ce que les savoirs sont ici à voir pareils à des barrages, des barrages ayant une hauteur et une solidité propres. Ces barrages sont capables de retenir une certaine quantité d’incohérences et de problèmes contradictoires. Mais au fur et à mesure que ces contradictions s’accumulent, la capacité du barrage s'amenuise et manque de s'effondrer. 

              Les fissures s’élargissent, et les solidifications apportées par les quelques peaufinages et expériences validés supplémentaires finissent par ne plus suffirent. Arrivé à un stade critique de nouvelles découvertes scientifiques contradictoires, le barrage s'effondre sous le propre poids de ses erreurs et engendre une ère de chaos et de turpitude dans l’entièreté de son aval, emportant tout sur son passage.

              Ces périodes de trouble intense où les savoirs préalablement admis comme valide font tomber le masque usurpateur, se nomment les périodes révolutionnaires. Les barrages s'écroulent emportant avec eux nombres de savoirs, de constructions, de développements indicatifs et pratiques. Les nouvelles théories remplacent les anciennes dans cette débâcle infernale.

              Ces périodes révolutionnaires représentent le changement brutal de paradigme scientifique. Une nouvelle ère s’instaure, les ponts de la connaissance se construisent de plus belle, les barrages se refondent, dotés de fondations plus solides. Ces barrages se dotent de murs plus hauts et robustes qu’auparavant. Les nouvelles découvertes évincent les précédents. Elles s'entremêlent mutuellement à la manière de brique d’argile, plus solide et robuste encore, reformant à elles seules ces barrages de connaissance. 

              Ces périodes sont synonymes d’avancées scientifiques prolifiques et brutales, des percées s'opèrent et les modèles en place se modifient drastiquement. De nouvelles théories exceptionnelles prennent le pas et gouvernent, de leur dictatrice puissance, sachant qu'à toute évidence, ce pouvoir n’est lui aussi que provisoire. Ainsi va toute science, ainsi va tout progrès et toute noblesse. La débâcle, la guerre, la brutalité… Seuls les savoirs les plus vigoureux et aptes à régner sont capables de soutenir cette arche de Noé des pensées qui manque sans cesse de chavirer. 

                            A la suite de ces changements brutaux de paradigmes, les fondements mêmes du monde scientifique se voient restructurés et profondément modifiés. La façon dont est pratiquée la science se voient refondée et révisée ; De nouveaux procédés et techniques méthodiques protocolaires toujours plus précises et intransigeantes prennent les devants ; De nouvelles branches scientifiques se ramifient et développent leur domaine d’étude ; Des parallèles s'opèrent entre différents domaines… 

             

              L'exemple le plus frappant dont l'histoire scientifique soit dotée, fut le grand bouleversement portant sur la vision et les lois de Newton. Ces lois de gravitations supposées universelles, corroborées par d’innombrables observations. Les lois de la mécanique newtonienne, ce triumvirat qui domina la physique durant des siècles entiers, offrant explications robustes et prédictions pour une vaste gamme de phénomènes naturels.

              Cependant, il en faut bien peu pour que le supposé universel tombe de son trône doré. Car seule une seule erreur manque alors de tout faire s’effondrer. Et fatalement, ce qui devait arriver, arriva. Car au début du 20ème siècle, des anomalies observées dans l'orbite de Mercure et les résultats des expériences de Michelson-Morley ont mis en question la validité universelle de ces lois. Le mouvement de certaines planètes ne correspondait pas exactement à ce que pouvait procurer les calculs ordonnés par les formules mathématiques Newtoniennes. Le mouvement de Mercure n’était pas parfaitement aligné avec les calculs et sa trajectoire était déviée de quelques millièmes de degré. Quelques millièmes de degrés suffisent pour le scientifique et séparent une théorie valide, d’une théorie fausse. Démontrant par là même à quel point la science se veut précise et impitoyable face à la possible erreur, face à la possible incohérence. Car ces ridicules décalages dans le mouvement stellaire étaient preuves incontestables qu’au moins un des paramètres était à revoir, à préciser, à réformer. 

              Oui, même les plus petits décalages sont des signes alarmants. L’on essaye alors de déterminer quelle pouvait en être la cause. Tout cela, dans le but de conserver les lois newtoniennes si simples et faciles d’usage, ces lois sur lesquelles toute la physique se reposait. C’est alors qu’on imagina une flopée d’explications toutes plus alambiquées les unes que les autres. Des nuages de gaz, une planète encore inconnue, des amas d'astéroïdes à la dérive… C’est alors que l’on pointa les télescopes sur les lieux potentiels pouvant abriter de tels objets, ceux responsables de la déviation de l’orbite de Mercure. Mais rien. Il n’y avait rien, rien à observer, le vide complet. 

              Il a alors fallu se rendre à l’évidence, ce phénomène était une preuve importante du fait que les théories de gravitations universelles de Newton écopent de défauts, de lacunes ne permettant pas d’expliquer de telles étrangetés. Mais comment les expliquer ? Quelle théorie pourrait bien prendre le pas sur celle-là ? Celle qui régna pendant si longtemps et qui eut si souvent raison. 

              Et mes amis, c’est entre 1905 et 1915, que ce célèbre Einstein dévoile à la face du monde ses théories de la relativité générale et restreinte. Ces nouvelles théories révolutionnaires, ces théories du quasi absolu, du quasi tout, de la conception des phénomènes les plus singuliers et importants de notre compréhension du monde. Ces théories non seulement corrigèrent les insuffisances des lois newtoniennes dans des conditions extrêmes, mais elles ouvrirent également de nouvelles idées. Telles que celles des trous noirs, de l'expansion de l'univers et les ondes gravitationnelles découlant directement de la relativité générale, toutes prouvées empiriquement quelques cent ans plus tardivement. 

              Et c’est alors, en à peine quelques années, que le paradigme en place se renversa brutalement. Le monde scientifique en fut bouleversé. Tous les modèles étaient à revoir. La façon de voir et d’appréhender le monde changea du tout au tout. Maintenant, tout n’est que relatif et des formes absolues apparaissent, le temps et l’espace se distinguent et la causalité devient l'entée la plus rapide de l’univers.

              Ce changement de paradigme propulsa par le même nombre de nouveaux domaines d’études prometteurs. Ces années dotées de prodigieuses avancées scientifiques virent s’ouvrir à elles la naissance de la physique quantique, l’astrophysique relativiste… Une crise scientifique est souvent l'avènement de nombreuses percées technologiques révolutionnaires. Les disciplines se multiplient, les modèles se précisent et s'affinent, les jeunes générations se passionnent pour le futur d’une humanité à même de connaître tous les secrets de cet univers si mystérieux puisse-t-il être. 

             

              Il existe mes amis, panoplies de ces exemples sur la science. De la découverte de l’atome, à la découverte de l'électromagnétisme et de l’abandon de l’éther luminique, en passant par des percées dans la biologie génétique… L’histoire des sciences regorge de ces si cinglants exemples de bouleversements brutaux et grandiloquents. Ces changements qui crient des louanges à cette chère vérité qui semble à chaque fois de plus en plus proche et en même temps de plus en plus lointaine à nos humaines pensées.  

              La science a pour objectif d’aller à contre-courant des explications pré faites et injustifiables telles que les fameux “c’est Dieu qui le veut”. La science va au-delà de cela et explique les phénomènes d’une façon tout à fait humaine en repoussant sans cesse les limites de ce qui est impensablement explicable par des paliers successifs paradigmatiques.

              Pourquoi le Soleil tourne-t-il autour de la Terre ? Dieu ? Ou alors l’invocation du principe de force qui permet à la fois de conclure que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil et que celle-ci le fait du fait de l'interaction de ces deux objets massiques. Pourquoi l’interaction de cette masse ? Dieu ? Ou alors les propriétés mises en lumières par le modèle atomique et quantique sur les interactions fortes, faibles, magnétiques et gravifiques des particules élémentaires. Et pourquoi ces interactions ? Dieu ? Oui, Dieu, tout du moins pour l’instant. Car nous finissons toujours par réinvoquer ce dernier lorsque les choses deviennent trop compliquées. Aujourd’hui c’est le boson de Higgs qui se prénomme la particule de Dieu. Mais demain, une autre le détrônera. Ainsi va. 

               

              Voilà le fonctionnement de la science, ou plutôt, le fonctionnement qu’elle se doit d’avoir et de perpétuer. Ce constant changement, cette constante progression, cette noble humilité et ce caractère guerrier. Toutes ces valeurs qui lui permettent d’entretenir toute son importance, tous ces principes fonctionnels, ces méthodes et cette vision du monde concret. Toutes ces caractéristiques, cette quête de vérité adulée de tous les chercheurs, du monde humain dans son ensemble. Tout cela participe à la valeur que peuvent représenter les savoirs et théories issues de ce milieu empli de curiosité. 

              Les sciences représentent le modèle de vérité humain par excellence. Elles sont la transfiguration du goût proprement humain vers la découverte et la compréhension. Elles évoluent comme l‘humanité l’a toujours fait et participent activement à ces changements en lui apportant pouvoir de prédiction et de précision. Pareil aux sociétés, les savoirs scientifiques se bouleversent et se renversent par la révolution, à la différence près que toutes ces révolutions aboutissent vers le progrès, l’amélioration, l’affinement et la précision. 

              Parties de simples sensations, ayant suivi un long processus de formation, de réflexion, de jugement et de raisonnement, étant passé par le stade d’expériences, puis d’idées, de connaissances, les savoirs, une fois devenus scientifiques, arrivent à la plus pure maturation dont la pensée humaine soit capable d’atteindre. Les pensées, une fois devenues ces savoirs guerriers, arrivent à l’aboutissement de leur existence, à la plus parfaite et importante place qu’il leur soit donnée de posséder. 

              Mais, lorsque cette hauteur est enfin atteinte, ces savoirs se font à leur tour frapper par la sagesse proprement humaine. Celle qui leur fait comprendre que leur place n’est pas éternelle, et qu’il faut profiter de cette félicité tant qu’elle est encore à leur portée, avant qu’ils ne retournent à leur tour rejoindre le cimetière des honorables pensées dépassées. Celles surmontées par des savoirs encore plus valeureux et vigoureux. Celles ayant permis la montée de prodigieuses nouvelles visions d’un monde au fonctionnement si étranger à l'humanité. Un monde qui la terrifie et l’émerveille de par sa singulière complexité. Un monde qui la pousse à partir à l’aventure dans sa signification la plus pure.

              C’est de par l’instauration de méthode et d’une profonde confrontation entre les dires du savoir et les faits réellement observés, que le monde scientifique peut décider, après mûres réflexions, d'attribuer ce fameux et si convoité cigle de scientificité. La valeur dont est doté ce savoir en est donc décuplée et permet à nos sociétés de s’appuyer sur des liens de causes à effets avérés, expérimentés, concrets, humainement observables et compréhensibles sur le monde et notre façon de le voir fonctionner. 

              La voilà la force de la science. Cette façon d’expliquer tout à fait humaine. Celle qui n’a point besoin de s’adosser sur des absolus d’aucune sorte. Celle qui donne une vision logique et pragmatique qui fonctionne à nos échelles. Celle qui ne fait que de s’améliorer au fil des travaux de recherches et d’explorations entrepris par le cœur battant de l'humanité pour cette chère et douce connaissance. 

              Nous voici enfin sauvés mes amis. Nous l’avons enfin trouvé, ce savoir de valeur qui nous emportera vers des hauteurs encore jamais explorées. Cet étalon qui remplace à sa façon la perfection de ces absolus concepts de vérités inaccessibles à l’humanité. Cette logique et pragmatique information qui nous renseigne sur ce monde concret qui nous fait tant rêver.

             

              Mes amis, c’est avec un indicible plaisir, que j’ai l’honneur de vous annoncer que ces quelques belles paroles clôturent la première partie de notre récit. 

              Mais ne vous y trompez pas, la seconde partie de nos aventures en terre de la pensée s’avère encore plus impressionnante et importante. Car un grand problème couvre encore de son épaisse fumée le soleil de connaissance que ces sciences s’évertuent à explorer. Oui, mes amis, la guerre est encore loin d’être terminée. La description et la valeur que nous avons précédemment octroyées aux savoirs de la science sont porteurs d’une bien insolente incohérence qui menace de les faire s'effondrer… 

             

             

             

Partie 2 : La valeur de la logique humaine

 

 

 

Chapitre 19 : Démontrer la logique par la logique

             

 

 

              Haa mes amis, quel plaisir de vous retrouver en cette seconde partie de récit. Que d’aventures et que de péripéties. Nous qui nous voulons pareils à des aventuriers et des guerriers, ce périple de la pensée ne nous a pas déçu loin de là. Et pour nous remettre les idées en tête, voici un court récapitulatif de tout ce que notre épopée nous a permis d’observer et d’apprendre du haut de notre humble humanité. 

              Lors de cette première partie, nous sommes allés à la rencontre du savoir humain, ou tout du moins, ce que nous nommons comme étant un. Ce savoir est lié à la compréhension profonde d’un phénomène et lui offre une explication toute particulière. Il est le légitime héritier des connaissances. Ces connaissances formées d'idées qui sont à leur tour formées d’expériences sensibles. Le tout, assemblé par nos facultés que sont l’intuition, l’imagination et la raison, qui représente à elle seule notre capacité à juger et à raisonner. 

              Ces réflexions nous ont amené à découvrir le fait fascinant qui relie toutes nos pensées à une source bien précise, celle du concret, tant bien interne qu'externe. Nous avons découvert que toute idée, toute connaissance, toute expérience, toute imagination provient des sensations que nous renvoient nos sens, véritables interfaces entre notre esprit et notre environnement qui nous laisse le percevoir d’une singulière manière. D’une manière proprement subjective et individuelle qui fait en sorte que toute pensée humaine ne puisse jamais atteindre la perfection de l'absolu et de l’objectif.

              De nombreux domaines se partagent la difficile tâche de faire naître en leur sein ces entités de la pensée. Et c’est de par la maturité de leur vision, leur capacité à voir loin dans les phénomènes, à les rassembler logiquement et à les investir assidûment que la valeur des savoirs qu’ils crées est ainsi octroyée. Et ce sont les savoirs scientifiques qui se sont offerts à nous comme les plus compétents et les plus méritants. Ceux qui se confrontent au monde, ceux qui acceptent leur faillibilité et qui cherchent impassiblement cette chère et tendre vérité. A la différence des autres systèmes de pensée, les sciences se font les dogmes de l’anti-dogme et usent de prudence dans leurs travaux et productions qui s’effectuent pourtant à des rythmes effrénés. 

             

              Mais, mes amis, ce n’est pas pour autant que notre route arrive à sa fin. Certes, le savoir scientifique se trouve être le plus valeureux des savoirs humains, mais se cache en son sein un fait bien dissimulé qui doit nous intriguer au plus haut point. Car si les sciences prouvent bel et bien leurs savoirs par l’observation et l’expérience, il ne faut pas omettre le fait qu’elles le font en utilisant un langage bien précis, voulu comme universel. Et ce langage mes amis, n’est nul autre que celui de la mathématique. J’ai nommé, la logique humaine fondamentale.

              S’il est vrai que le savoir scientifique décrit humainement le monde concret, il nous faut par la même admettre que cette humaine façon de le décrire implique l’usage de la logique et des raisonnements mathématiques. Or, que savons-nous de ces raisonnements ? Que savons-nous de cette logique ? Nous autres qui les pensons comme acquis, comme naturellement vrais et inhérents à toute chose, comment nous apparaissent-ils ? Et plus important encore, si toutes les sciences reposent sur ceux-ci, leur valeur n’est-elle pas également remise en question ? 

             

              Nous avons trouvé le savoir scientifique, mais en représage, celui-ci nous pousse à aller chercher au plus profond de notre psyché. Mes amis, nous allons une fois de plus écrire l’histoire. Car nous sommes sur le point de pénétrer ensemble dans les abysses les plus profonds et étendus de la pensée. Ces abysses qui renferment des clés nécessaires à notre compréhension du phénomène de la réflexion, de notre humanité, de notre vision du monde et de sa véracité. 

             

              La logique, le fondement de nos raisonnements, le créateur du sens et de la bonne réflexion, la déesse de notre compréhension. N’y a-t-il rien qui puisse contrecarrer son pouvoir de décision de ce qui doit nous apparaître vrai et rationnel ? Pourquoi diable cette façon de penser est-elle si universelle à toute l’humanité ? Cette méthode rationnelle, logique, qui fait intervenir la causalité et le développement qui semble gouverner le monde de la pensée…

              Quelle est l'étendue de ses pouvoirs ? Que nous permet-elle de voir ? Est-elle une entité divine qui nous fut rapporté de la main même des divinités ? Que pourrions-nous savoir sans l’aide de cette Prométhée de l’humanité ? La connaissance aurait-elle encore un sens ? Cette façon proprement humaine de voir les phénomènes du monde est-elle la bonne, la seule, et pourquoi le serait-elle ? 

              Car lorsque l’on s’y penche quelque peu, pourquoi le monde que nous voyons devrait-il forcément être régi par ces règles de logiques proprement humaines ? La nature n’en a pourtant pas besoin pour exister, pour subsister. En nous attachant aveuglément à ces principes, ne risquons-nous pas de passer à côté d'autres formes de compréhension, de vérités encore insoupçonnées ? Peut-être existe-t-il des dimensions de la réalité où la logique humaine ne peut pénétrer, des territoires de la connaissance qui échappent à notre raisonnement rationnel. La logique est-elle vraiment le seul et unique chemin vers la vérité, ou n'est-elle qu'un outil parmi d'autres, une méthode comme une autre ? 

              Ces raisonnements si intuitifs à nos esprits développés, ces conclusions qui semblent si simples et ordonnées. Cette logique qui permet de démontrer, d’argumenter, de comprendre les liens qui régissent notre vision de ce monde en apparence insensé. Celle qui permet de tout prouver. De tout prouver et cela, jusqu'aux divinités mêmes. Ces preuves ontologiques, élaborées par des maîtres de la philosophie qui nous montrent les chemins tortueux de la raison qui s'efforce d'atteindre les cimes du divin. Mais où s'arrêtera-t-elle dans ces folies de l’explicatif mes amis ? 

              De la preuve de Descartes, en passant par celle de Leibniz en allant jusqu' à celle de Gödel. Une grande partie de ces penseurs passés s’y sont attelés, tous convaincus du plus profond de leur âme que pareille logique puisse accomplir de telles prouesses. Qu’une telle façon de raisonner puisse nous faire entrevoir les portes du paradis.

              Et pour ne pas manquer à la tradition, il nous faut nous aussi proposer notre propre preuve de l'existence des divinités en usant de la logique dans un raisonnement des plus saugrenus et satirique. Oui satirique, car pour amplifier le ridicule d’une pareille entreprise, je vous propose ici mes amis, de créer de toute pièce une preuve démontrant non pas l’existence d’un Dieu tout puissant, mais bien son inexistence tout simplement. Car s’il y a bien une chose qui ne puisse être plus révulsant, est bien que de vils penseurs se croient à même d’accomplir de pareils miracles. La voici notre entrée dans la matière mes amis. La voici, notre preuve ontologique de l’inexistence de ce Dieu. 

              Pour ce faire, et comme la majorité des penseurs passés s’y sont adonnés, nous prendrons comme prémisse le fait que Dieu se veut tout puissant, créateur du monde, de tout ce qui s’y rapporte et qu’il est le plus parfait phénomène qu’il puisse exister. De plus, l’on partira du principe que l’on souhaite démontrer son existence ou inexistence via un raisonnement logique valide. Voyons jusqu'où ces prémices peuvent-elles nous porter.

              En partant de ces prémisses nous essaierons de montrer par l’absurde que la preuve d’un Dieu tout puissant est contradictoire logiquement. Pour cela, nous pouvons commencer notre raisonnement qui prend le problème comme suit : S’il est effectivement vrai qu’il soit possible de démontrer l'existence de Dieu par le biais d’un raisonnement logique en partant du fait qu’il est par définition le phénomène le plus parfait qu’il puisse exister, cela veut donc signifier que la manière de procéder doit l’être tout autant. 

              La logique derrière le raisonnement qui permet de rendre compte de cette perfection et de la mettre en lumière est alors, par implication, la plus parfaite façon de raisonner et d’expliquer le monde qui soit. Car si la logique prouve le phénomène le plus parfait, le phénomène le plus complexe, raffiné, puissant et omnipotent, elle est alors dotée du pouvoir de tout démontrer et prouver. Rien n’est plus difficile à prouver que la divinité même, celle qui se veut à l’origine de tout autre phénomène. Prouver son existence, sa présence, signifie pouvoir prouver tout ce qu’elle à créer par la même, étant d’un ordre tout du moins inférieur à cette dernière. La logique doit donc nécessairement être de l’ordre du divin, étant capable de faire entrevoir les secrets que recèlent les cieux à celui qui l'emploie. Ou tout du moins, étant un phénomène utilisable par la pensée, la logique doit avoir la même origine que tout autre phénomène de ce type. Origine qui se trouve être Dieu lui-même, étant l’origine des origines.

              Or maintenant, demandons à ce cher raisonnement logique, cette façon de voir et de décrire le monde de la plus parfaite des façons, de prouver sa propre cohérence et sa propre véracité. Du fait que la logique soit hypothétiquement capable de prouver Dieu, elle doit donc nécessairement, d’après les implications, être capable de prouver cette affirmation. En clair, nous demandons ici au raisonnement logique de se prouver lui-même. Ce qui revient à vouloir prouver la logique par la logique. Ce qui de toute évidence n’a point de sens et n’est pas de l’ordre du possible. La logique, les règles utilisées pour créer des raisonnements ne peuvent prouver qu'elles sont justes et justifiables, ou tout du moins, c’est ce que notre emploie de celles-ci nous laisse croire. Tout raisonnement cherchant à démontrer ce fait en partant de règles logiques élémentaires semblent se ramener à des conclusions contradictoires et erronées.

              La méthode pourtant capable de prouver l’existence de Dieu n’est pas prouver sa propre cohérence interne. Cela nous amène fatalement à deux possibilités différentes qu’il nous faut traiter. 

              Soit la logique n’est qu’une illusion, une forme de compréhension imparfaite et limitée en interne, simple phénomène illusoire créé par Dieu. Nous amenant au fait qu’elle n’est point capable de le prouver et donc nous trompe. 

              Soit la cohérence de ce mode de raisonnement n'est effectivement pas prouvable par cette dernière, la faisant ainsi devenir une entité de lumière plus complexe, obscure et parfaite que Dieu en personne. Cela venant du fait que Dieu peut être prouvé mais pas cette dernière en utilisant pourtant le même procédé. Amenant par là même au fait que Dieu ne peut point être le plus parfait. Impliquant que notre vision de celui-ci ne lui correspond pas, ou tout simplement qu’il n’existe pas.

             

              En clair, en partant de ces prémisses, plusieurs choix s’offrent à nous. Soit les tentatives des penseurs passés sont des entreprises vouées à l’échec, du fait de la duperie et des limites qu’une pareille façon de réfléchir peut provoquer dans nos esprits. Impliquant que la logique n’est point capable de prouver l’existence de Dieu tel que mentionné. Soit, nous arrivons à un paradoxe des plus grossier. La logique qui peut prouver Dieu, ne peut prouver sa cohérence même, faisant en sorte, de façon simplifiée, qu’elle soit plus divine que la divinité.

             

              La voici la preuve ubuesque que nous proposerons au monde de la pensée et à la postérité. Celle qui accentue le ridicule d’une pareille entreprise et la folie dont il faut faire preuve pour tenter d’user de logique pour réaliser des tâches aussi impromptues et présomptueuses que celles qui consistent à vouloir prouver des entités plus absolues qu’il ne soit possible de rendre compte avec celle-ci. Ou alors, la logique est-elle réellement le langage parfait des divinités ? Le dieu des dieux ? 

              Mais trêves de plaisanteries. En réalité, toutes ces preuves ontologiques passées et celle-ci que nous avons présentée recèlent des erreurs ou des incohérences limitant le caractère valide et absolu de ces dernières.

              Généralement, les prémices se fondent sur des faits métaphysiques tels que les idées de perfection absolue ou d’omnipotence, que nous savons pourtant inaccessibles dans leur compréhension profonde à tout humain. De plus, dans de nombreux cas, de pareilles preuves sont affublées d’erreurs de raisonnements qui font en sorte de vouloir prouver un phénomène en présupposant ses implications pour n’en citer qu’un cas parmi d’autres. Car si l’on essaie de prouver dieu en présupposant le fait qu’il soit l'entrée la plus parfaite qui soit, cela signifie par la même que l’on essaie de le prouver en présupposant qu’il existe déjà, car impliquant la manifestation même de ce qu’est la perfection. 

              Tout comme l’on ne prouve pas qu’un homme existe en partant du fait que la voiture stationnée soit la sienne, ce qui revient à présupposer son existence avant de l'avoir prouvé, on ne prouve pas qu’une entité existe en partant du fait qu’elle implique la perfection absolue, et donc qu’elle existe également avant de l’avoir prouvée. Cela n’a pas de sens et cela n’a aucun intérêt. Ce qui fait de ces raisonnements, des raisonnement circulaires qui ne peuvent point s'ordonner correctement et qui ne prouvent rien finalement. 

              Il en va de même pour le nôtre, qui se base sur une présupposition qui implique que la perfection absolue soit du ressort de Dieu, ce qui implique que le raisonnement utilisé soit aussi parfait que lui, qui implique que Dieu n’est pas le plus parfait finalement. Avec ce genre de raisonnements, nous pourrions tout prouver et tout réfuter. Il suffit de trouver les bonnes prémisses et de partir de ce que l’on cherche à prouver comme vrai. Mais passons…

             

              Lors de notre preuve, nous avons brièvement parlé de l'improuvabilité de la logique par elle-même. Ce fait qui peut paraître dérangeant, l’est encore plus lorsque l’on prend conscience des potentielles implications qu’il engendre sur le monde de la pensée. La logique qui sert à tout prouver et à faire transparaitre le vrai, est incapable de se soutenir elle-même et de prouver sa propre véracité. Tout du moins c’est ce que la bonne pensée souhaite nous inculquer. 

              Cette question qui remet en cause la valeur de la logique et du raisonnement logique, voici notre objectif. Oui mes amis, là est notre tâche lors de cette seconde partie. Curieux de savoir si la logique que nous utilisons tous les jours est bel et bien cohérente ou alors illusoire, ambitieux de révélation sur notre vision de la vérité apportée par les raisonnements, aventureux de périples dans les terres inhospitalières des raisonnements logiques plutôt qu’absurdes. Nous allons tenter l’impossible. Nous allons ensemble tenter de prouver la logique par la logique même.

              Prouver la logique, par la logique. Mais non dans son sens premier, c'est-à -dire en partant de prémices et en construisant un raisonnement pour arriver à la conclusion que ce dernier est cohérent. Car sachant la tâche absurde, nous prouverons les dires de la logique en partant à la recherche de son origine dans l’esprit et de ce qu’elle implique sur notre façon de voir et de décrire le monde. En bref, nous la ferons à la philosophique mes amis. Nous allons prouver cette logique comme “vrai” en faisant l’exploit de ne pas la prendre comme axiomatiquement “vrai”. 

              D'où nous vient-elle ? A quoi sert-elle ? Pourquoi le rationnel plutôt que l’irrationnel ? Que signifie le vrai pour l’esprit ? Tant de questions qui sont encore irréconciliables avec notre pensée du correct et du vrai qu’il nous faut pourtant élucider. Tant de questions pourtant si importantes pour notre salut et notre avancée dans les terres de la pensée.

             

              Et plus en plus de tout cela mes amis, c’est la mathématique même ainsi que son formalisme et ses façons de raisonner, qui se nourrissent toutes de la logique, qu’il nous faudra interroger tout au long de notre épopée. 

              Cette mathématique, véritable énigme de l’humanité. Ces univers de chiffres et de symboles abstraits, produits et vivant dans celui-ci. Ces sources de savoirs abstraits qui semblent si bien correspondre à notre vision de la réalité. Cette mathématique qui fait reposer sur ses épaules les savoirs des sciences toutes entières. Oui mes amis, il nous faut la comprendre plus profondément, il nous faut lui donner sa valeur. 

                            Cette mathématique qui semble contredire nos affirmations passées. Celles qui nous ont fait conclure que tout savoir provient en tout premier lieu du concret. Elle nous pousse à nous questionner plus loin encore, elle nous pousse à remettre en question nos dires passés et à les améliorer. Car nul n’a jamais vu, ni senti, ni expérimenté les chiffres, les principes du calcul et des raisonnements logiques, analytiques et déductifs. Ces principes qui semblent entièrement dépendant de l’abstrait, ceux qui vivent et qui se maintiennent universellement et absolument à travers les âges et les esprits. Nous serions nous fourvoyés nous aussi au sujet de l’abstrait ? Est-il en réalité possible que des savoirs absolus existent et subsistent réellement au-delà de l’interprétation que l’on puisse en faire ? Le langage mathématique serait-il le langage divin par excellence, celui qui laisse à l'humanité le luxe de goûter aux absolus mets de l’éternité ?

              Oui mes amis, cette science du vrai par excellence est encore trop sombre à notre esprit et paraît provenir d’autres contrées que celle du monde concret. Elles renferment pourtant des éléments importants pour la résolution du problème posé sur la logique intuitive de l'humanité. Ce pourquoi il nous faut également l’apprivoiser et intégrer l’origine de ses bienfaits afin de pouvoir leur octroyer leur valeur et leur importance dans toute pensée. 

             

              Et c’est sans plus attendre mes amis, que nous commencerons par l’introspection de cette chère mathématique et de ses principes les plus fondamentaux que forment son formalisme et son mode de fonctionnement. En route pour cette seconde partie de récit qui s'avère encore plus palpitante que la précédente.

             

             

Chapitre 20 : La mathématique, le langage sténographique par excellence

             

 

 

              La mathématique, connaissance des connaissances, savoir des savoirs. Existe-il au monde humain chose plus abstraite que ces enchaînements incessants de calculs, raisonnements et déductions ? 

              Par définition, la mathématique et toutes les branches qui y sont associées sont des disciplines purement abstraites, des disciplines qui se veulent indépendantes du concret, des disciplines qui se veulent régnantes sur les concepts et la logique. Celles qui ont pour désir de s’émanciper et d’exister indépendamment de tout phénomène réel, de toute chaîne contraignante et désobligeante, toutes celles qui pourraient ralentir ses formidables prouesses et avancées. 

              Ce caractère distant du concret évince la mathématique de la définition que nous avions donnée aux sciences. Le fait est qu’un savoir mathématique ne passe pas par les quatre étapes de la méthode scientifique. Il ne passe pas par l'expérience, ne peut être réfuté ni corroboré par des observations concrètes. La mathématique vit, existe et se développe dans l’ombre, dans une ombre opaque, obscure à tous les non-initiés.

              Quelle grande preuve de fierté que de pouvoir se savoir indépendante de toute chose, de se savoir émancipée des contraintes du concret. Cette fastueuse mathématique n’a cessé d'émerveiller les esprits les plus chevronnés et les plus aventureux. Les contrées qu’elle offre aux yeux de tout humain qui s'y intéresse de près ou de loin, sont absolument majestueuses, fastueuses et fabuleuses. Un ensemble de formes, de prouesses calculatoires, de découvertes grandiloquentes, sans oublier la grande poésie qu’une telle discipline peut représenter, font s'écarquiller les yeux de nombreux curieux. 

              Oui, mes amis, la mathématique, bien que la science formelle par excellence, recèlent des secrets bien gardés. Bien que disjointe du concret, celle-ci nous permet de décrire la réalité avec une précision inégalée, d'offrir des réponses aux mystères de l'univers, et de créer des ponts entre l'abstrait et le tangible. En somme, elle incarne le langage universel de l'intellect humain, une quête infinie pour comprendre l'ordre caché du monde.

              Et ne vous y trompez pas. La mathématique n’est pas seulement qu’un arrangement de chiffres et de symboles avec lesquels jouent et s’amusent les mathématiciens. Elle permet à ceux qui l'utilisent d'établir ce qui se produira dans le futur, et ce qui s’est passé dans le passé. Elle permet de décrire avec une précision extraordinaire nombre de phénomènes au travers de l'épreuve du temps. 

              Grâce à la mathématique, Newton a pu déterminer les trajectoires des planètes du système solaire avec une précision remarquable, atteignant des marges d'erreur de l'ordre d'une partie sur plusieurs millions. Plus tard, les théories d'Einstein ont affiné ces prédictions avec une précision encore plus incroyable, réduisant les marges d'erreur à une partie sur 10¹⁴. Peu importe que l’objet considéré soit une balle, une planète, une lune, une étoile, les prédictions de ces modèles fonctionnent et pourvoient à ceux qui en usent, un pouvoir de prédiction incommensurablement puissant. Et cela, simplement grâce à l’utilisation de ces arrangements de chiffres et de symboles suivant des règles bien précises et logiques.

              Les modèles mathématiques nous permettent également de déterminer la fréquence d'oscillation des atomes et des molécules, ainsi que leur vitesse, leur position, et leur état d'excitation et cela toujours avec des précisions époustouflantes. Nous permettant de déterminer les propriétés de nos matériaux, le fonctionnement de nos batteries, de nos écrans, des effets photoélectriques de nos panneaux solaires, de l’effet magnétique de nos aimants et tant d’autres phénomènes impressionnants. Et tout cela, sans avoir une seule seconde besoin de se rattacher au monde concret lors de l'exécution de ces calculs et prédictions. Faisant correspondre les résultats expérimentaux décimales après décimales après décimale avec ces derniers.

              Mais, par quelle diablerie un tel univers peut-il exister mes amis ? Il s’agira ici de dévoiler au grand jour par quel miracle cette discipline peut-elle se développer dans ces abstraites contrées, loin du regard de notre monde concret. Il nous faudra faire tomber le masque de cette arrogante forme de connaissance qui n’a de cesse de nous vanter ses si impressionnants mérites.

             

              Pour cela, il nous faut creuser plus profondément dans les fondements de la mathématique. Comment opère-t-elle, quel est son objectif, comment fonctionne-t-elle en profondeur ? Tout cela, pour nous permettre de remonter petit à petit à ce qui nous intéresse, le fond des choses, la véritable raison de son immortelle tempérament de jeune beauté.

              Pour nous permettre de pénétrer dans les méandres de la science formelle mathématique, il nous faut commencer par en étudier son langage. Langage qui nous permettra de naviguer sur ses flots magistraux et remplis ces innombrables prouesses de la pensée logique et rationnelle de l'universalité. Oui mes amis, lançons-nous dès maintenant à la recherche du fonctionnement du formalisme logique qu’utilise cette mathématique. 

              Car s’il y a bien une prouesse qu’il nous est forcé de reconnaître au sujet de la mathématique, c’est sans aucun doute son formidable et univoque formalisme. Ce formalisme mathématique, partie intégrante de cette discipline aux infinies déclinaisons, cette façon de communiquer dans l’abstrait et de relier les raisonnements et symboles à des concepts et idées clefs. Ce langage à part entière du bestiaire des langues humaines qui promet pourtant tant de prouesses et merveilles. Celui qui se veut universel et singulier. N'y a-t-il rien de plus remarquable que cette univocité qui fait en sorte que tous puissent y adhérer indépendamment de son passé ?

              Mais, c’est alors, et à raison, que la question de la signification de ce qu’est un langage formel nous rattrape dans notre élan. Mais également, quelles sont les différences qu’entretient ce langage avec les autres langages parlés, dits naturels, que nous utilisons au quotidien dans nos sociétés ? 

              Et bien mes amis, partons ensemble à partir des bases et étudions plus en profondeur ce que sont plus généralement les langages. Un langage est un ensemble de caractères pouvant s’assembler via des règles syntaxiques pour créer des mots, des phrases dotées d’un sens particulier. De manière générale, ces langages sont formés par des alphabets, qui regroupent des ensembles de caractères singulier. Ces derniers peuvent représenter des lettres, des chiffres, des symboles binaires, nucléotidiques… 

              Les composants formant l’alphabet peuvent ensuite s’assembler afin de former des mots à la signification et à la représentation particulière. Ces mots peuvent ensuite s'assembler entre eux pour former des phrases à l’aide de règles syntaxiques grammaticales, programmatives ou logiques pour n’en citer que quelques formes. 

              Et tout cela, pour qu’un sens particulier puisse émerger et se développer dans cet enchaînement dirigé et contrôlé. Les mots formés sont dotés de significations propres qui se doivent d’être connues par tous les utilisateurs du langage et peuvent voir leur sens modifier suivant les règles du langage en apportant des précisions particulières suivant leur placement, leur terminologie, leur préfixes et suffixes… Dans nos langages naturels, ces précisions sont assurées par les catégories que sont les noms, les adjectifs, les verbes, sujets et compléments. C’est grâce à la juxtaposition, les règles de construction, de tonalité, de conjugaisons que l’apparition d'un langage écrit est rendue possible. 

              Toutes ces règles, terminologies, et manières forment la syntaxe du langage. Cette syntaxe assure la cohérence de l'ensemble, permettant ainsi une communication claire et compréhensible entre les utilisateurs du langage. Sans une syntaxe rigoureuse, le risque de malentendus ou d'ambiguïtés augmente considérablement, ce qui peut entraver la transmission d'informations et d'idées. Ainsi, la maîtrise de la syntaxe est essentielle non seulement pour exprimer des pensées de manière précise, mais aussi pour maintenir la cohérence et la logique dans toute forme de communication, qu'elle soit écrite, parlée, ou programmée.

              Sans point en fin de phrase, sans virgules, sans phonèmes prédéfini, sans mode et temps dans le récit, sans espace entre les mots, les symboles apposées sur le papier ne seraient ni plus ni moins qu’un dessin d’écolier. Un simple enchaînement de hiéroglyphes insensés et incompréhensibles. C’est la syntaxe, cet ensemble de règles précises qui permet de faire émerger dans les symboles utilisés, un sens et une signification particulière.

              En clair, le but premier de tout langage est de pouvoir faire transiter en leur sein un message, une information capable de faire sens dans un esprit humain initié à ce dernier. 

             

              Maintenant les bases de la notion de langage acquises, il nous faut nous pencher sur les points communs et différences qui s’exercent entre le formalisme mathématique et les forment de langages naturels. Les langages naturels et les langages formels différent en de nombreux points qu’il nous faut explorer pour en comprendre toute la beauté et la complexité. 

              C’est premièrement dans leur usage et leurs objectifs que la différence se fait des plus marquée. Les langages naturels servent l’entendement de tous et du bon fonctionnement de la chaîne de transmission d'informations quotidienne dans les sociétés humaines. Ce langage se veut assez complet et diversifié pour correspondre à tout ce qu’il est possible de faire comprendre et de caractériser. Comme par exemple une chaise, une table, des actions et réactions, des sujets, compléments, émotions, sentiments, évènements et autres… permettant le bon fonctionnement de ce mode de transmission d’informations large et diversifié.

              Un langage formel quant à lui, veut pouvoir produire des raisonnements et des chaînes de symboles les plus précis et univoques possible afin de transmettre des informations descriptibles par ordinateurs et machines électroniques. En plus des règles de syntaxe de ce langage, des règles propres d’inférences et des connecteurs logiques se développent pour servir cet objectif de création de raisonnement logiques et univoques. 

              Les portes logiques “OU”,”NON”,”ET” et les inférences telles que les modus ponens, modus Tollens, les disjonctions, conjonctions, contrapositions, les implications et les équivalences pour n’en citer que quelques-unes. Toutes ces règles supplémentaires se trouvent être à la base de tout bon raisonnement et permettent la fluide et univoque transmission d'informations au travers de ceux qui les utilisent.

              C’est en cette particularité du langage formel que se trouve la seconde différence. Car le langage formel se veut universel. Il veut pouvoir transmettre des informations sans que l'ambiguïté ne puisse la pénétrer. Et cela, dans le but de permettre à tout automate de lire et de comprendre le texte encodé et la signification des messages sans qu’erreur ne soit possible. Les règles sont strictes et fermées, empêchant les erreurs dans les raisonnements et dans la construction de phrases logiques. 

              Ce langage se veut universel chez l’humain. Il ne dépend pas de la culture, des traditions, des conditions géographiques ou du milieu de vie. N’importe quel esprit suffisamment développé peut en apprendre les bases et ses principes indépendamment de son environnement. Ce fait octroie à ce langage une forme d’universalité dans l’humanité. Tout humain peut le comprendre de façon équitable. 

              Les langages naturels quant à eux, sont bien plus permissifs et flexibles. Ils sont des outils de la bonne entente et évoluent au fil des situations. Ils permettent un plus grand panel de possibilités et s'accompagnent souvent d’une ambiguïté et d’efforts d’interprétations variables. La polysémie et la possibilité de créer des néologismes font de ce moyen de communication un outil parfait pour la correspondance avec les changements dans le concret des sociétés.

              Un troisième point fait diverger ces deux formes de langage. Ce point se trouve dans la façon dont ces langages évoluent et se transforment au cours du temps. Les langages écrits évoluent et se transforment continuellement, de façon progressive et lente, au rythme des ébats de ses pratiquants. Le langage est vivant et évolue avec sa population. Les règles de grammaire se trouvent généralement inchangées, mais de nouveaux mots font leur apparition, de nouvelles tournures de phrases, de nouvelles expressions se développent pour mieux convenir aux tendances actuelles des populations. Les mots peuvent changer de signification et se voir modifier au gré des envies et de nouvelles interprétations.

              Le langage mathématique, quant à lui, conserve la signification de ses symboles. Leur forme peut changer, mais conservent toujours leur essence, leur signification propre. Un “+” aura beau s’écrire comme “^”, il en conservera sa désignation d’action d’addition. Cela venant en grande partie du fait de la rigidité et de la quasi-impossibilité d’interpréter ces symboles différemment de ce qu’ils signifient tout premièrement. Ce qui n’est pas le cas pour la majeure partie des transformations linguistiques qui se voient, au fil du temps, attribuées des définitions qui diffèrent plus ou moins de l’originale. 

              L’on pourrait prendre l'exemple du terme jalousie en langue française, qui tend de nos jours à exprimer un ressentiment négatif envers ce qu’autrui possède. En réalité, l’envie est déjà un terme adéquat pour ce type d’expression. Le terme jalousie à plus à voir avec la peur de céder à autrui ce que l’on possède, plutôt que de désirer ce qu’autrui possède. Le terme perd de son sens et se fusionne avec l’envie, ce qui le déracine de sa terminologie première. Ce phénomène n'opère pas dans le langage mathématique. Dans ce sens, le formalisme mathématique se fige dans le temps et s’enracine profondément dans les codes mêmes de la mathématique.

              Cela n'empêche en rien l’ajout de nouveaux symboles ayant des rôles nouveaux à jouer dans des domaines plus diversifiés qui en ont besoin pour fluidifier leurs raisonnements, pour accroître le champ des possibilités ou tout simplement pour en simplifier d’autres. Le formalisme mathématique se développe continuellement par ajout successif de nouveaux symboles dont la signification se retrouve gravée dans le marbre dès leur mise en action. Alors que les langages naturels évoluent bien plus linéairement, remplaçant les anciens mots avec les nouveaux, remplaçant leur ancienne signification avec les nouvelles. La mathématique gagne des symboles alors que les langages écrits en gagnent autant qu’ils n’en perdent dans le référentiel fonctionnel de ces derniers.

              Et c’est précisément de ce système d’ajout de nouveaux symboles suivant les nécessités des domaines auxquels ils sont rattachés, que l’ultime grande différence entre en jeu. Ou plutôt mes amis, c’est ici que dans cette apoétique et cynique liste comparative, entre la plus grande prouesse du formalisme mathématique. Car, ce formalisme, véritable bijou de la connaissance, est tout simplement le plus efficace, simple, complet et équilibré qui soit. Le langage mathématique est dans sa plus rustre simplicité, une forme de sténographie rudement éprouvée. 

              Mais avant que pareil terme ne vous effraye, laissez-moi mes chers amis, vous expliquer ce qu’il en ressort. La sténographie représente l’art de transmettre un ensemble de concepts, actions, raisonnements, informations avec le moins de caractère possible tout en conservant une grande précision. Voici le pourquoi de son attrait le plus complet. Ce langage est le plus abouti que nous puissions utiliser pour décrire le monde mathématique et ses avancées. 

              Tous les symboles, chiffres, connecteurs logiques n’ont été inventés, produits, créés que pour servir la simplicité et la clarté de l’expression de raisonnements papiers. Le langage mathématique est le langage de l’esprit, du bon raisonnement, de la bonne logique intuitive. Oui mes amis, contre toute attente, ce langage permet à l’intuition de le pénétrer et la laisse en totale liberté avec des symboles simples et réguliers, aisés à intégrer tout en lui offrant la possibilité de voyager efficacement autour de raisonnements étriqués. 

              Et bien oui, le formalisme mathématique se trouve être des plus intuitif possible, permettant aux enfants d’en comprendre ses fondements. Le voici son exploit. Et l’exemple le plus singulier de ce phénomène se retrouve dans l’invention de symboles créés pour faciliter la compréhension de raisonnements basés sur l’ajout de quantités et les interactions d’objets abstraits dans l’univers mathématique. La source de ce formalisme prend place lors de la création des premiers chiffres et fonctions opératoires. 

              En effet, outre l'exceptionnel degré d’abstraction qu’une telle entreprise demande en elle-même, ce qu’il nous faudra tout naturellement détailler, l’homme qui inventa le principe du “2”, inventa par la même les bases du formalisme mathématique tout entier. Car de toute évidence, sans avoir touché ne serait-ce qu’une forme de logique mathématique quelle qu’elle soit, 1 et 1, font 1 et 1, et restent ainsi jusqu’à ce que l'éternité ne les emporte avec elle. L’ajout de ce formalisme, l’ajout de ce chiffre 2 permet de qualifier 1 et 1 avec un seul caractère, un seul symbole. Et ne vous y méprenez pas mes amis, car rien n'empêche de catégoriser 1 et 1 comme 1 1. Ou 1, 1 et 1 comme 1 1 1. Et c’est précisément ce que donnaient les premières façons de compter dont l'humanité se soit dotée, toujours présents dans le formalisme romain sur les trois premiers chiffrements. 

              Mais dès lors que l’on en vient à vouloir exprimer de plus grandes quantités, ce simple formalisme axiomatique devient quelque peu limitant. Le simple fait de vouloir écrire mille fois 1 est déjà démonstrateur de ce fait. Alors que 1000 n’est pas un grand nombre comparé à ce que l’humain peut parfois rencontrer, il devient très vite assez difficile de pouvoir cerner avec précision et sans erreur ce que veulent désigner ces rangées de 1 alignées. Et c’est ici que ce principe de “2” entre en jeu. Celui-ci permet de rassembler sous son abstraite bannière, deux entités unitaires en un seul symbole. Et cela, de façon intuitive pour l’esprit. 

              Le formalisme mathématique permet de pouvoir arranger ces quantités grâce à des chiffres et des nombres qui se veulent représentant des mêmes quantités que ces enchaînements de 1 les uns à la suite des autres, tout en utilisant un nombre de caractères limité. L'enchaînement de mille 1 devient alors 1000 en base 10, un nombre bien plus facilement compréhensible pour tout esprit humain, car plus concis, formel, simple et efficace. Dans ce simple fait, réside déjà une grande démonstration de la puissance de ce formalisme. Un formalisme agréable à l’esprit. Cet esprit tant appâté par le goût de cette ingénieuse et intuitive simplicité.  

              Mais les prouesses de ce formalisme ne s'arrêtent certainement pas qu’à cela. Les chiffres ne sont que la tête de proue de cette somptueuse frégate mathématique, celle permettant à tout bon marin humain, de naviguer sur le flot de ces infini savoirs aux chants de sirènes envoûtantes. Le formalisme mathématique est également doté d’une flopée de symboles et connecteurs logiques servant à exprimer toujours plus d’information avec le moins de symboles possible. Une forme d’encodage se forme ainsi. Les symboles réduits s'enchaînent tout en représentant des notions et des quantités parfaitement décrites et incarnées par ces derniers.

              Prenons le cas du “+” qui symbolise un pont reliant deux quantités et désignant leur addition respective ou l’ajout de leur deux dénominations quantitatives. Pour éviter la lourde tâche de devoir écrire sur le papier des suites de ces “+”, l’on invente le “*”, nommé le symbole de multiplication. Celui-ci symbolise une addition d’addition et permet de grandement simplifier le formalisme à l’écrit. Puis vient le tour des symboles de puissances désignent des multiplications de multiplications, soit des additions, d’additions, d’additions, d’additions, réduisant encore de façon drastique la lourdeur d’écriture de telles représentations. Et l’on peut encore continuer longtemps sur cette lancée, démontrant l’efficacité d’un tel mode d’écriture sur les principes d’ajouts quantitatifs

              Avec seulement quelques symboles basiques, des quantités astronomiques peuvent être représentées sur un unique bout de papier. Permettant au cerveau humain d’en comprendre et d’en intellectualiser le contenu. Ou tout du moins son étendue. Et cela, de façon intuitive et rapide pour les esprits initiés à ce formalisme. 

              Par la suite, si le besoin de nouvelles formes de simplification écrite commence à se faire pressantes, l’on ajoute de nouveaux symboles aux univers qui les demandent. De multiples formalismes différents adaptés aux besoins de chaque univers se développent alors. Comme c’est le cas avec le formalisme matriciel pour l’univers de l'algèbre, représentant des systèmes d’équations plus efficacement dans des structures appelées matrices ; ou alors comme avec les symboles de dérivation et d’intégration, représentant des informations précises sur l’études de fonctions mathématiques dans l’univers de l'analyse ; ou encore des symboles imagés pour mieux correspondre aux besoins de la géométrie… 

              Il existe également une grande variété d'exemples à ce sujet. Il existe, en réalité, autant de formalismes différents qu’il n’existe de disciplines dans la mathématique. Mais tous suivent cette ligne directrice, celle qui fait en sorte que l’usage des concepts et idées puissent se faire de la plus simple des manières. De sorte à ce qu’une ligne de ces symboles puisse faire cohabiter une extraordinaire complexité, comprimée au maximum, laissant toute la beauté de ces derniers apparaître sous nos yeux écarquillés. 

              Comme par exemple avec cette célébrissime identité d'Euler : exp(i*π)+1=0. Cette identité phare de la mathématique toute entière qui regroupe en son sein les principes les plus simples, comme l’addition, la multiplication, la puissance, l’égalité, comme les plus complexes, avec les irrationnels pi et exponentiel, ainsi que le principe de nombre imaginaire incarné par i et de nombreuses propriétés analytiques. Cette simple équation en apparence, se trouve être le fruit d’innombrables décennies de travaux et d’exploits mathématiques combinés ayant nécessité les avancées de milliers de vigoureux et ingénieux penseurs et mathématiciens de génie. 

              Ces exemples démontrent en grande partie pourquoi le langage et le formalisme mathématiques sont si présents dans toutes les sciences. Ils servent tout simplement cette volonté de rationalité, cette volonté profonde de compréhension et d’appropriation de raisonnements complexes et complets, véritables chevaux de Troie à l’obtention de savoir vrai et cohérents, tout en restant intuitif et le plus concis possible.

             

              Ce formalisme est également d’une extrême utilité d’un point de vue des découvertes qu’il permet de réaliser. Car, comme décrit précédemment, il fait en sorte que l’intuition de l’esprit humain puisse le pénétrer, permettant de nombreuses avancées qui ne pourraient autrement être aussi facilement réalisées. Comme avec les principes des écritures matricielles qui permettent, plus ou moins intuitivement, de découvrir des passerelles entre des univers gouvernés par l’algèbre à ceux gouvernés par les espaces vectoriels théoriques grâce au principe de valeur propres et espaces propres, mais encore de relier transformations et rotations avec équations. 

              Sans vouloir trop entrer dans les détails de ces innombrables notions mathématiques, ces exemples nous montrent que les nouvelles découvertes poussent ce formalisme à évoluer, à se moderniser, à se densifier et à accroître son champ des possibilités. Et ces modifications permettent à leur tour la découverte de nouvelles avancées, perpétuant ainsi un cercle vertueux de progrès circulaires et généralisés.

              Ce processus d’auto-amélioration et d’auto-découverte est non sans rappeler celui que nous avons décrit pour le cas des idées et des connaissances, ainsi que pour celui des sciences et de leurs avancées. C’est cette volonté de toujours vouloir se développer et s'accroître qui peut expliquer la valeur que les sciences lui apportent. Les sciences, la connaissance et le formalisme mathématique entretiennent un mode de fonctionnement similaire, fondé sur la recherche de perfection, d’auto-amélioration. Là où les langages naturels dépendent de leurs pratiquants, les formalismes mathématiques dépendent uniquement de l’avancée des découvertes qu’ils permettent de réaliser.

             

              Pour conclure sur ce chapitre, il nous faut résumer ce qu’est précisément le formalisme mathématique. Le langage mathématique est une forme de langage voulut universel, fondée sur la logique et les raisonnements, étant auto-découvrant et régit par des règles intuitives, simplifiées au maximum pour en faciliter la compréhension par l’esprit humain. Le langage mathématique est le langage sténographique par excellence et reflète parfaitement le besoin crucial de l’humain de vouloir ordonner et mettre en chiffre les informations et raisonnements qu'il produit pour en saisir le sens. Un sens hautement singulier dans sa rustre pluralité. Un sens permettant l’établissement de raisonnements fondées sur l’abstrait et la logique intuitive humaine. Le voici le fonctionnement d’un tel formalisme, la voici cette prouesse proprement humaine. Haaa, mais n’est-elle seulement qu’humaine ?

             

              Nous venons de déterminer les liens qu’exerçait la mathématique sur les modèles de communications et de compréhension humains, comment ce fameux formalisme se retrouve au service du raisonnement et comment il nous permet d’avancer dans les dédales du monde de la logique mathématique. Il nous faut toutefois encore comprendre au-delà de ce formalisme, comment la mathématique et les propositions qu’elle produit fonctionnent profondément. En clair, maintenant que le fonctionnement de pareil formalisme nous est plus familier, nous allons nous attaquer au fonctionnement même des fondements que servent ce dernier. Allons-nous attaquer à la mathématique dans son intégralité mes amis.

              Et tout cela, dans le but premier de réussir à prouver la valeur de la logique par la logique, de prouver la valeur de pareils savoirs mathématiques et à détailler plus en profondeur quelle est l’origine de ces liens entretenus avec l’humain. Comment expliquer un tel engouement pour cette façon de compréhension et d’explication du monde outre son confortable formalisme ? Et plus que tout, d'où viennent donc les résultats mathématiques et pourquoi semblent-ils si bien corréler au concret malgré leur hypothétique indépendance à ce dernier ? 

             

             

Chapitre 21 : Fonctionnement du monde mathématique, les axiomes mathématiques 

             

 

 

              C’est après avoir traité du fonctionnement du formalisme logique que les domaines de la mathématique s’évertuent d’utiliser, ce formalisme universel, simple et singulier, qu’il nous faut à présent entrer dans l'antre de cette fastueuse et intrigante science de l’abstrait afin d’en comprendre tous ses secrets. Et mes amis, c’est tout naturellement que nous poursuivons sur notre lancée vers la description des objectifs et du fonctionnement profond de cette si intrigante mathématique. 

              Je vous propose ici mes amis de rentrer dans l’antre le plus singulier de son fonctionnement. Non dans le but de vous former à ses principes complexes souvent incompréhensibles sans les avoirs étudiés assidûment durant plusieurs années, n’ayez crainte à cela. Mais dans celui de vous faire comprendre en quoi cette science de l’abstrait nous renseigne-t-elle sur la façon dont nous avons de l’utiliser et sur l’impact qu’elle exerce dans notre perception du monde. Loin de vouloir faire de vous des experts en la matière, l'objectif est plutôt de vous offrir une vision claire et accessible des concepts fondamentaux qui sous-tendent cette discipline. Comment fonctionne-t-elle ? D'où prend-elle appui ? Quel est son objectif ?

               

              Et c’est sans grande surprise, que l’un des objectifs clé de la mathématique nous apparaît clairement sans avoir à réfléchir davantage sur le sujet. Car la mathématique, étant une forme de science bien qu’uniquement formelle, se dote du même objectif que ces dernières, celui de produire des formes de savoirs. Mais, n’étant qu’une science par apparence, du fait de la non-expérimentation de ses théories dans le monde concret a posteriori, la mathématique ne peut produire les mêmes types de savoirs que ceux des sciences concrètes, celles qui se basent sur des observations réelles et tangibles pour les sens. 

              Ce pourquoi ce savoir mathématique peut parfois laisser perplexe quant à sa forme et à sa nature. Toutefois mes amis, n’ayez crainte à cela. La définition octroyée au savoir comme compréhension précise particulière d’un phénomène doit simplement être révisée pour correspondre à notre sujet. Pour pouvoir distinguer les savoirs produits par la mathématique des autres savoirs scientifiques, nous les nommerons sobrement “savoirs mathématiques”. Mais alors, que peut bien signifier pareil terme et à quoi renvoie-t-il réellement ?

             

               Du fait de leur caractère purement abstrait, les productions mathématiques ne peuvent se fonder sur le monde concret et écopent par la même de particularités fascinantes. Car autrement que de prouver momentanément un savoir en le confrontant aux faits de la réalité, la mathématique prouve ces derniers d’une manière toute particulière. Les savoirs mathématiques se prouvent par de rigoureuses démonstrations suivant la logique que leur impose le formalisme utilisé à cet effet. 

              Et ces savoirs mathématiques sont alors plus connus sous le terme de théorèmes. Ces véritables trésors de recherche, d'ingéniosité et de travail acharné, sont les reflets parfaits du fonctionnement mathématique. Ils ne sont prouvés que de par les règles de l'abstrait, les règles de la logique fondamentale humaine. Ils incarnent les grandes découvertes et l’aboutissement de décennies de recherches. Ils sont l’objectif de la mathématique, l’objectif de ceux qui y travaillent inlassablement. Ces théorèmes peuvent être tellement importants et obnubilants, que certains d’entre eux vont jusqu'à engloutir des vies entières, des existence humaines dans leur intégralité. Ces grands attracteurs de malheur représentent le nirvana de tout chercheur. 

              Car les savoirs mathématiques sont pareils à de fières beautés, à qui l’on peut tout sacrifier sans pour autant n'être assuré de la moindre faveur. Ces cyniques avaleuses d'intérêt, ces bouches pourtant si attrayantes et séduisantes, se trouvent être des gouffres béants, des monstruosités inlassablement insatisfaites. Les chercheurs de tout temps sont de véritables Dom Juan. Ils enchaînent héroïquement les conquêtes et rapportent à la bouche de leur dulcinée, ces fameux théorèmes de vérité. 

              Pour les non-initiés, un théorème mathématique n’est ni plus ni moins qu’une proposition qui se veut vraie dans sa globalité, qui se veut véridique et cohérente dans son univers tout entier. Un théorème n’est rien de plus qu’une proposition démontrée. Voilà ce que représente le savoir mathématique dans sa plus pure simplicité. Voici ce pourquoi les chercheurs se bousculent tant. Mais aussi réductrice que puisse être cette définition, les théorèmes sont en réalité de très grands atouts des mathématiciens. 

              Car un théorème se trouve être en réalité un point de passage, un chemin menant à de nouvelles contrées, amenant à de nouvelles découvertes. Le théorème, une fois démontré comme vrai via l’usage des règles d'inférence basiques, se veut être le garant de la vérité dans un référentiel donné. Il se veut absolument vrai dans ce référentiel même. Mais comment se forment ces théorèmes plus fondamentalement ? Sur quoi s’appuient-ils pour pouvoir être prouvés ?

              Le fait surprenant et déroutant dans cette entreprise de découverte de théorèmes mathématique, est que l'énoncé de pareils théorèmes n’est rendu possible que grâce au soutien d'autres théorèmes sous-jacents. Un théorème ne fait qu’utiliser d’autres théorèmes pour se construire lui-même et ainsi élargir le champ des possibles. Un théorème n’est en réalité qu’un dirigeant fantoche, une marionnette à la merci de la moindre requête de ses prédécesseurs. Il leur doit bien cela, à ces anciens. Car, il n’a fait, en réalité, que de voler leur résultat pour s’en approprier les mérites et les gloires. Le monde des théorèmes est un monde féodal, pyramidal, dans lequel la soumission s’avère fondamentale.

                            Pour démontrer ce fait, prenons comme exemple, le célébrissime théorème de Pythagore en géométrie euclidienne. Celui qui énonce que la somme des carrés des côtés d’un triangle rectangle équivaut au carré de l'hypoténuse. Ou écrit de façon mathématique : A²=B²+C² où A se trouve être la longueur du côté le plus long du triangle rectangle. 

              Ce théorème, bien que l’un des plus simple qui soit, repose en réalité sur de nombreux autres théorèmes. Comme le théorème des angles du triangle qui énonce que dans une géométrie euclidienne, la somme des angles d’un triangle équivaut à 180 degrés ou pi radian ; sur les définitions de ce que sont les triangles, les triangles rectangles ; sur ce qu’est le principe d’addition, d’égalité ; Sur les théorèmes d’aires et de carrés. Dans certaines formes de preuve de ce théorème il est parfois nécessaire d’utiliser les théorèmes de la géométrie euclidienne tels que ceux de Thalès, et encore tant d’autres que leur exhaustive énumération ne nous est pas rendue ici possible.

              Dans cet exemple, le théorème de Pythagore ne fait qu’utiliser les briques qui lui sont mise à disposition, les assemble en un tout ordonné et énonce ainsi une proposition démontrable comme vraie. Pour que ce théorème puisse être validé et décrit comme vrai, il doit pouvoir être raccordé aux précédents théorèmes dont il s’est servi. Ceux ayant déjà été prouvés comme vrais. Et tout cela avec un raisonnement logique, via l’usage du formalisme en vigueur. La preuve de tout théorème se réduit pratiquement à cela : Démontrer logiquement une proposition à l’aide du formalisme pour la raccorder à d’autres propositions précédemment prouvées comme vraies.

              Sans vouloir trop s’attarder sur le sujet, nous soulevons tout de même le fait que ce réseau de dépendances rappelle une hiérarchie féodale, où chaque nouveau théorème est en quelque sorte un vassal des théorèmes plus anciens, des théorèmes qui ont d'ores et déjà assurés leur vérité.

               Et c’est ici mes amis, qu’un fait frappant nous pousse à nous pencher de plus près sur cette chaîne de démonstration logique et féodale. Car si le fonctionnement de telles preuves s’effectue effectivement comme tel, c'est-à -dire : en prouvant le théorème en le raccordant à de précédents théorèmes, il est légitime de se demander où cette chaîne peut bien nous emmener ? Jusqu'où ces preuves nous ramènent-elles ? Existe-t-il des théorèmes premiers sur lesquels tous les autres prennent pieds, ou alors cette régression peut s'effectuer à l’infini sans que cause première il n’y ait ?

              Mes amis, c’est ici que nous entrons dans le monde fantastique des méandres mathématiques. Un monde obscur, discret mais incroyablement puissant. Car si l’on remonte assez loin, l’on tombe fatidiquement sur des éléments troublants. Des phénomènes qui semblent être réellement indépendants, sans cause sous-jacente, sans théorèmes préalables sur lesquels s'appuyer pour faire valoir son savoir. Si l’on remonte aux bases de la mathématique, à ses origines les plus intimes. Si l’on va au-delà même des faits les plus simples comme l’addition, la soustraction, les symboles d'égalité ou de comparaisons. C’est là que nous tombons nez à nez avec de véritables géants. Des géants à la fois époustouflants de par leur imposante carrure, mais également paradoxalement très habiles à l’art de la discrétion et de la dissimulation.  

              Mes amis, nous voici en face de ces illustres axiomes de vérité. Ces rois parmi les rois, ces dieux parmi les dieux mathématiques, ces despotes absolus. Ce sont eux qui dirigent d’une main de fer les théorèmes sous leur joug. Les voici, ces axiomes, ces fondations, ces piliers de la création sur lesquels reposent toutes les démonstrations, toutes les connaissances amassées depuis tant d’années. Voici les briques universelles, les indivisibles briques utiles à la construction de n’importe quel objet mathématique, utiles à la démonstration de tous les résultats et théorèmes, ceux utiles au développement de la mathématique telle que nous la connaissons aujourd’hui. 

              Car la mathématique ne croit pas au matérialisme comme les autres sciences. Non, elle est elle-même le matérialisme dans son propre univers. Les briques élémentaires, la matière qui forme en son sein tous ses phénomènes, n’est nulle autre que ces axiomes. Ils sont les atomes de la mathématiques, ses particules élémentaires. La voici la toute grandeur de tels modèles.

              Un axiome, mes amis, est une proposition indémontrable mais néanmoins considérée comme absolument vraie dans l’univers qu’il crée. Ces axiomes n'existent que pour eux, que par eux et sont leur propre finalité. Voilà ces atlas de la mathématiques, ces grands colosses faisant reposer sur leur dos le poids de toutes ces connaissances. Les voici les points d'ancrages de tous les théorèmes qui reposent sur leurs dires et qui vivent sur leurs terres.

              La mathématique est à voir pareille à un mur d’escalade où les axiomes représentent le sol solide et rassurant, cette zone de stabilité sans pareille servant à placer les premiers points d'ancrage, les premiers théorèmes. Par la suite, les chercheurs entament leurs ascensions, et placent toujours plus haut sur le mur de nouveaux points d’ancrage, toujours plus de théorèmes, reliés au contre bas par les cordées. Ce réseau d’une incroyable complexité est née d’un unique point de départ : ces axiomes de vérité.

              Et le résultat du travail conjugué entre les axiomes de vérité et le formalisme employé, forme l’ensemble des possibilités. Cet ensemble de possibilité produit par les axiomes et le langage formel réunies forment ce que l’on appelle un système formel ou tout du moins déductif. 

              Le fait impressionnant et que nous devons ici comprendre est que dès l’instauration de ces axiomes, des univers, des systèmes mathématiques se crées, laissant transparaître des possibles théorèmes au travers des mystères qu’ils comportent chacun à leur manière.

              Il existe des quantités astronomiques de jeux d’axiomes servant à l’élaboration de quantité gargantuesques de systèmes différents dont les plus connus se trouvent êtres les axiomes de Péano, fondations de tout univers basés sur les nombres naturels ; les axiomes de Zermelo-Fränkel ou ZF, les instigateurs des avancées dans les théories des ensembles ; Les axiomes de Hilbert servant les géométries euclidiennes et non euclidiennes et tant d’autre.

              Mais mes mais, il est tout à fait normal que cette notion d’axiomes puisse paraître plus abstraite encore qu’il n’en faut. Ce pourquoi voici un exemple concret de ce que peut représenter un ensemble d’axiome mathématique. Nous prendrons les axiomes de Péano pour le cas de l'univers des nombres naturels, les nombres positifs sans partie décimale tels que 1, 2, 3, ou même 493. Ces axiomes mes amis, les voici :

  • 0 est un nombre naturel.
  • Tout nombre naturel a un successeur qui est aussi un nombre naturel.
  • 0 n'est le successeur d'aucun nombre naturel.
  • Deux nombres naturels ayant le même successeur sont égaux.
  • Si un ensemble de nombres naturels contient 0 et le successeur de tout nombre naturel qu'il contient, alors il contient tous les nombres naturels.

 

              À l’aide de ces quelques axiomes, nous pouvons construire tous les théorèmes que l’on souhaite sur les nombres naturels. Les voici ces règles de bases qui ne peuvent être elles-mêmes prouvées en interne, ces règles qui dictent la vérité et qui sont prises comme telles, semble-t-il de façon tout à fait arbitraire. 

              Aussi banales et intuitives ces conditions puissent êtres, elles représentent ce qui peut et ce qui doit être rendu possible dans cet univers abstrait. Ce sont ces axiomes qui nous permettent de prouver que 2+2 égalent 4 et non 5, que 0+1 font 1… Les nombres naturels et leurs interactions sont définis ainsi et tout théorème qui ne se rattache pas en premier lieu à ces axiomes-ci, se verra rejeté et décrit comme faux et incohérent. 

              Toutefois, pour vous montrer que cet ensemble d’axiome n’en est qu’un parmi d’autre, et que sa portée se trouve limitée, prenons la proposition “1-3 = -2”. En dépit du fait que cette proposition se trouve être d'une incroyable simplicité, et vrai qui plus est, il n’existe aucune façon de la démontrer avec les axiomes que l’on vient précédemment de citer. Cela venant principalement du fait que 0 est décrit comme le successeur d’aucun autre nombre naturel, et que tout nombre naturel doit suivre ce dernier. Ce qui fait en sorte que “-2” ne puisse pas être un nombre naturel, et de facto, relègue la proposition comme étant fausse dans le système de Péano. 

              Bien que cette proposition soit vraie dans l’univers des nombres entier relatifs, celui gouverné par des axiomes permettant l‘existence de nombres négatifs, elle est néanmoins considérée comme fausse de celui de Péano. Démontrant le caractère relatif du vrai pour toute proposition mathématique donnée, celle-ci dépendant du jeu d'axiome auquel elle se rattache. Cela nous rappelle ici fort bien le principe de référentiel que nous avons si vaillamment utilisé jusqu'à présent. Oui, même les propositions mathématiques dépendent de leur référentiel, de leur univers. Si bien qu’une proposition peut être prouvée vrai dans un système, fausse dans un autre ; cohérente dans l’un, contradictoire dans un autre.

              Quel curieux hasard que cette abstraite connaissance soit finalement régie par les mêmes formes de règles imposées pour traiter de la véracité de proposition dans l’univers concret.

              Car un savoir mathématique ne tire pas sa valeur de vérité en ayant traversé les quatre étapes de la méthode scientifique. Non, un savoir mathématique tire sa valeur de sa capacité à concorder avec les axiomes, avec les règles initialement imposées. Si un théorème ne satisfait pas à l’énoncé d’un axiome, il sera rejeté, décrit comme faux, sans importance. La voici la racine des savoirs de toutes les branches de la mathématique. Tout théorème, toute proposition, toute injonction doit pouvoir être prouvée à partir des axiomes imposés via des raisonnement logique au risque de se voir reléguer au rang de proposition fausse et erronée dans le système donné. Un théorème doit être vrai en tout temps, il doit traverser les âges et les découvertes, et pour cela, il lui faut impérativement obéir aux dires axiomatiques, aux ordres de cette police de la vérité.  

              Voilà le prix de cette indépendance. Le revers de la médaille. La mathématique n’est pas différente de tous ces autres systèmes de pensées pseudos indépendants. Elle aussi a cruellement besoin d’une base sur laquelle s'appuyer. Elle n’est pas ce un système de savoir absolu, cette forme de création parfaite, indépendante de tout et régnant infiniment sur le monde humain sans que nous puissions en déterminer la racine. Le prix de son développement est réglé par l’existence d’axiomes de premier plan. Car sans ces briques initiales, ces briques indivisibles, les vérités mathématiques n’auraient aucun sens, aucun départ ni fin, aucune signification… Ces briques indivisibles sont la matière première de toute démonstration mathématique. 

              Finalement, la preuve d’un théorème ne représente que la capacité que nous avons à remonter jusqu’aux axiomes premiers. On démontre un théorème en le reportant sur ceux sur lesquels il s’appuie. Ceux qui s'appuient eux-mêmes sur d’autres théorèmes qui ont déjà démontré leur féodalité à ces puissants axiomes… Ces briques permettent de construire et de créer des univers et des schémas de propositions extraordinaires et peuvent amener à des implications reliant des pans entiers de la mathématique. Avec de simples petits systèmes d’axiomes, il nous est alors possible de trouver et de prouver des théorèmes pourtant incroyablement complexes. 

              Tel fut le cas pour le simplissime et intuitif petit théorème de Fermat sur les sommes de deux carrés qui énonce qu’il n'existe pas de nombres entiers strictement positifs x, y et z tels que xˆn+yˆn=zˆn, dès que n est un entier strictement supérieur à 2.

              Ce théorème, vieux de trois siècles, fut un véritable cauchemar pour des générations entières de mathématiciens et vu s’affronter nombre de génie sur la façon de le démontrer. Ce théorème légendaire resta indémontré et supposé indémontrable jusqu’en 1994. Année à laquelle le mathématicien Wiles l’exposa au grand jour après plus de sept années de travail acharnée et une preuve longue de 140 pages ayant nécessité plus de trois jours de conférences entiers. Aussi simple ce théorème puisse-t-il être dans sa forme, sa preuve nécessitée de relier des domaines complexes et poussés tels que ceux traitant des courbes elliptiques. Démontrant l'impressionnante résonance que ces univers créés par ces si puissants axiomes peuvent engendrer.

             

              Oui mes amis, ces axiomes sont créateurs. Mais ce créateur est ici à prendre dans un sens tout particulier. Car il est effectivement vrai que la combinaison d’axiomes entre eux est source de création d’objets mathématiques, créateurs de liens, de liaisons entre les différents savoir de l’univers engendré. Mais plus fondamentalement, la recherche mathématique n’est pas une entreprise de création. Mais bien plus une entreprise de découverte. 

              Le terme découvrir désigne le fait de mettre au grand jour, de retirer la brume qui dissimule ces savoirs. Car pareillement aux sciences du concret qui s’évertuent à nous dévoiler des façons de comprendre le fonctionnement du monde dans lequel nous évoluons, la mathématique s'évertue à dévoiler les théorèmes obscurs à nos pensées qui se cachent dans les méandres d’univers abstraits aux infinités de possibilités.

              Cette figure est à comparer à l’enfant jouant sur la plage de sable fin. Cet enfant n'érige pas son château à partir de rien. Il le dresse en utilisant les grains de sable environnants. Il ne crée pas, il assemble, il rassemble, il modifie la géométrie de son milieu pour former un splendide château sablée. Il en va de même avec les théorèmes mathématiques. Les axiomes sont les petits grains de sable utilisables à l'infini et les raisonnements logiques qui les relient représente l’eau qui s’infiltre et qui crée cohésion entre ces derniers. Sans grains de sable, aucun château ne peut être érigé, et ces châteaux s’en trouvent limités par la qualité, la diversité et la cohérence de leurs grains.

              Les possibilités qu’offrent ces arrangements d’axiomes sont certes infinies, mais dès leur instauration, l’univers engendré se voit tout de même doté de limites infranchissables, indépassables. La mathématique est une source de connaissance infinie, mais limitée dans son infinité. Limitée par les axiomes eux-mêmes, ceux qui régissent l’univers mathématique en question, ceux qui en donnent les raisons d’exister, ces théorèmes indémontrables mais pourtant vrai par définition. Ces axiomes de vérité qui n’existent que pour eux, que par eux et qui ne peuvent se démontrer que par eux-mêmes. Il revient à eux de définir ce qui doit être juste, faux, vrai, incorrect dans leur univers. Et si l’un d’eux venait à s’effondrer, l’univers mathématique qu’il soutenait se verrait également entraîné dans la chute, n’ayant plus de sol stable sur lequel reposer. 

             

              Voici comment fonctionne le monde de la mathématique. Les axiomes posent des bases sur lesquelles viennent se superposer les théorèmes démontrés comme vrais. Et la conjugaison des axiomes avec un langage formel est créatrice de systèmes formels, véritables univers à part entière où les chercheurs s’aventurent émerveillés par la beauté et la complexité de ces milieux exotiques et idylliques.

              Les univers mathématiques sont pareils à notre propre univers. Les chercheurs partent à l’aventure et découvrent de nouvelles planètes, de nouveaux systèmes d'étoiles et de galaxies. Le voici le but de tout mathématicien, celui de trouver et de conférer au monde humain tous les savoirs que recèles ces univers abstraits en apparence tout à fait indépendants du concret, mais qui toutefois, comme par pure magie, se trouvent être d’une exceptionnelle utilité dans notre compréhension de ce monde ci via leur application dans les savoirs des sciences. 

             

              Mais avant de vouloir discuter de ce fantastique et prodigieux phénomène de concordance indirect avec le concret, il nous faut explorer plus à fond les implications que de telles affirmations peuvent provoquer. 

              Et c’est ici qu’un nouveau fait tout particulier nous apparaît. Car un axiome est loin d’être un Dieu aussi parfait que l’on pourrait le penser. En réalité, il se pourrait fort bien que sa toute-puissance ne soit pas éternelle, mais bien uniquement circonstancielle. Voir même faillible. Et peut entraîner dans son imposture nombre de savoirs et de connaissances en un instant. Cela venant tout simplement du fait que tout système d’axiome se doit d’être cohérent. 

              Oui mes amis, un axiome, bien que régnant comme maître incontesté dans l’univers qu’il engendre, est lui aussi, de manière détournée, sujet à des règles et des impératifs qu’il se doit de respecter. 

              La cohérence de tout système mathématique se trouve être une constante. Loin d’être une simple formalité, est en réalité une contrainte sévère qui pèse sur les axiomes eux-mêmes. Si un système d'axiomes venait à perdre cette cohérence, il s’effondrerait sur lui-même, laissant place au chaos et rendant toute déduction basée sur ces axiomes caduque et insensée. 

              Cette dépendance à la cohérence révèle donc une vérité troublante : même les axiomes, ces piliers sur lesquels nous bâtissons nos connaissances, peuvent être fragiles, soumis aux aléas de la logique et à l'inexorabilité des paradoxes. Comme par exemple, ceux qui font en sorte qu’un axiome se contredise lui-même ou contredise ses collègues. Les axiomes ne doivent pas permettre l’instauration de propositions à la fois vraies et fausses dans le même temps. Ce qui signifie donc que les axiomes et leur instauration dans la création d’univers mathématiques sont eux-mêmes régis par d’autres axiomes qui exercent leur pouvoir sur ces derniers. Non pas en les prouvant, mais en les contraignant à agir et à se comporter suivant un ordre et objectif bien précis. 

              Mais qui sont donc ces dieux des dieux ? Ces axiomes qui portent dans l’univers qu’ils engendrent tous les autres univers mathématiques que nous connaissons et que nous adorons ? Plus encore, que pourront-ils nous enseigner sur le pourquoi des prouesses de cette science de l’abstrait, celle qui s’adonne à utiliser la logique fondamentale, celle qui nous intéresse tant ?

             

             

Chapitre 22 : Les axiomes primordiaux de la mathématique 

             

 

 

              Nous sommes partis en quête de réponses dans l’étude du fonctionnement et de la formation de ces univers mathématiques et nous sommes finalement parvenus à rencontrer les puissants axiomes, les piliers de la création de ces univers. Pour chaque système d’axiomes différents, un nouvel univers se découvre et se dessine dans le sillage lointain de ces systèmes de connaissance limités dans leur infinité. 

              Ces axiomes naissent vrais et le restent jusqu’à l’éternité sans avoir à correspondre à rien de concret. Quelle étrange particularité. Ils sont indépendants de tout et l’unique façon de les prouver est de les invoquer eux-mêmes. Mais aussi impressionnant puissent-ils être dans leur univers respectif, ces axiomes ne sont pourtant pas les plus puissants qui soient.

              La question que tout bon penseur se doit de se poser, la question qui doit intéresser le curieux et le passionné est la suivante : Y-a-t-il un lien qui unisse tous ces systèmes d’axiomes ? Qu’est-ce que ces systèmes ont en commun, si ce n’est le fait de diriger leur univers tels des despotes intransigeants ? Si l’on compare les axiomes à ces dieux de la mythologie grec, si nous les comparons à Zeus, Héra, Poséidon, Athéna, Arès, Déméter, ou Apollon, qui peut bien se voir attribuer le rôle du père ? Où est donc ce cher Chronos, divinité du temps et père des dieux, l’avaleur de progéniture, le créateur ultime ?

             

              Pour nous permettre de débusquer ce Dieu des dieux, il nous faut revenir quelque temps sur certains faits frappants de ces systèmes formels logico-mathématiques. Et plus précisément, il nous faut revenir sur les propriétés des axiomes qui les composent.

              Car il existe une infinité d’univers possiblement réalisables par des jeux d’axiomes tous plus différents les uns que les autres. Mais dans cette immensité d’univers, seuls quelques-uns sont dotés d'attraits tout particuliers qui leur permettent de se rendre intéressants et utiles au bon raisonnement. Toutefois ces derniers se trouvent être des singularités extrêmement bien dissimulées dans l’océan des possibilités.

              Car rien n'empêche de créer certains univers composés de seulement deux ou trois axiomes, ou d’une infinité d’inutiles et désordonnés de façon incohérente et sans continuité. Ces univers s’en retrouvent généralement dénués de tout intérêt particulier. Ne permettant pas de raisonner, de combiner les axiomes entre eux pour former des théorèmes cohérents…

              Il existe des univers bien plus étranges encore que ceux fondés sur des jeux d’axiomes aléatoires. Ces univers sont ceux dans lesquels le vrai ne peut point s’incarner. Oui mes amis, dans l’infinité d’univers rendu possible par d'innombrable jeux d’axiomes différents, existe parmi eux, en quasi-majorité, des univers incohérents, des univers contradictoires où les raisonnements ne sont tout bonnement pas capable de se soutenir et de se reproduire. 

              Et pour vous montrer ce phénomène, il nous suffit de reprendre notre jeu d’axiomes de Péano. Mais cette fois ci, avec comme particularité le fait d’ajouter un 6e axiome, permettant de créer un nouvel univers comme suit :

 

  • 0 est un nombre naturel.
  • Tout nombre naturel a un successeur qui est aussi un nombre naturel.
  • 0 n'est le successeur d'aucun nombre naturel.
  • Deux nombres naturels ayant le même successeur sont égaux.
  • Si un ensemble de nombres naturels contient 0 et le successeur de tout nombre naturel qu'il contient, alors il contient tous les nombres naturels.
  • Tous les autres axiomes sont faux. 

 

              Ce 6e axiome correspond effectivement à sa définition : il ne peut être prouvé et est considéré comme vrai sans justification particulière. Or cet axiome, ce paradoxe axiomatique, fait en sorte de détruire toute possibilité de raisonnement dans l'univers des nombres entiers. Il agit comme destructeur de sens, destructeur des autres axiomes en vigueur et empêche tout théorème de se poser en tant que porteur de vérité. Ce sixième axiome, ce grand corrupteur fait partie de ceux étrangers à la bonne pensée, à la pensée logique. Il empêche toute vérité de transparaître dans l’univers et évince toute prétention de raison et de sens dans ce dernier. 

              Mais il n’est certainement pas le seul à pouvoir accomplir ce cataclysme. Nous aurions très bien pu prendre comme 6e axiome l’un des suivants : “0 n’est pas un nombre entier”, ce qui contredit le premier axiome, ou bien “1 n’est pas égale à lui-même”, mais encore "tous les nombres naturels sont pairs" ou “il existe un nombre naturel qui est à la fois 0 et non 0”. 

              Le fait est que chacun de ces axiomes supplémentaires introduit une forme de contradiction qui érode les fondements mêmes de la logique au sein de l'univers qu'ils régissent. Ainsi, dans ces univers alternatifs, les notions d'identité, d'ordre, et de succession perdent toute signification. Si "1 n'est pas égal à lui-même", alors toute tentative de définir des opérations arithmétiques, comme l'addition ou la multiplication, devient futile. Les preuves s'effondrent sous le poids de leur propre incohérence, car les principes sur lesquels elles se basent se dissolvent et se corrodent entre eux.

              Ces univers contradictoires, aussi fascinants puissent-ils être, nous rappellent une vérité fondamentale sur les systèmes logiques : ils dépendent entièrement de la cohérence interne de leurs axiomes. La moindre fissure, comme ces axiomes paradoxaux, peut engendrer un effondrement total, transformant un monde ordonné en un chaos insensé. 

             

              En clair, s’il est effectivement vrai qu’il existe une infinité d’univers mathématiques différents, seule une ridicule portion d'entre eux permettent l’apparition en leur sein de la formidable singularité du raisonnement humain. Cet équilibre fragile, cette singularité extraordinaire de la pensée rationnelle, n’émerge que dans des systèmes où les axiomes sont soigneusement équilibrés pour permettre la consistance et la non-contradiction. 

              Dans ces univers mathématiques cohérents, les axiomes jouent un rôle similaire à celui des lois fondamentales de la nature dans notre propre univers : ils forment le cadre à partir duquel toute compréhension et toute connaissance peuvent se développer. Et il suffit simplement d’en modifier quelque peu les valeurs ou les intensités pour voir se produire un cataclysme détruisant toute cohérence et toute vie sur son passage. 

              L’un des exemples de ces systèmes valeureux, ceux qui ne se contredisent pas eux-mêmes, est notre système formé des axiomes de Péano. Ce système fait partie de ces rares possibilités permettant l'émergence de raisonnements logiques et la transmission du vrai en leur sein. Et seul un petit axiome supplémentaire peut manquer de tout faire s'effondrer, témoignant de la fragilité d’un tel équilibre.

             

              Voilà ce qu’il nous manquait pour trouver quels sont les dieux des axiomes mathématiques. Nous y voici mes amis. Nous savons quels sont les dieux de la mathématique que nous devons débusquer. Ces dieux sont ceux qui permettent d’instaurer des règles permettant le bon fonctionnement des univers créés. Ces axiomes primordiaux qui rendent possible les raisonnement et l’apparition du vrai dans le système tout entier. Voici les axiomes que nous devons examiner. Ceux qui permettent d’engendrer des univers censés, ces univers tant appréciés par la pensée. Ceux qui protègent la cohérence, assurent la rationalité et engendrent le sens.

              Car tout univers mathématique n’est pas naturellement apte à accueillir la logique et le raisonnement et nombreux sont ceux qui, malgré leur apparente simplicité, s'effondrent sous le poids de leurs propres contradictions. Il nous est donc crucial de savoir distinguer ces rares systèmes équilibrés. Car c'est en eux que réside la possibilité d'une véritable compréhension, d'une exploration fertile des concepts et, en fin de compte, de la découverte de vérités profondes et universelles. 

              Ainsi, en poursuivant cette quête, nous ne faisons pas que chercher à comprendre des abstractions mathématiques mes amis. Nous cherchons à saisir les fondements mêmes de la rationalité, les piliers invisibles qui soutiennent la pensée humaine. Dans cette quête, les axiomes ne sont pas simplement des outils, mais les clés pour déverrouiller les mystères de l'esprit. 

              Et c’est sans plus attendre que je vous offre à voir ces entités de lumières qui gouvernent dans l’ombre les axiomes de vérités de nos univers mathématiques tout entiers. Oui mes amis, laissez-moi vous offrir sur un plateau d’argent les axiomes primordiaux, ceux qui sont à la base de nombres d’autres, ceux qui par le simple fait d’exister, rendent possible la logique humaine, la logique mathématique. Ces axiomes sont au nombre de quatre que voici : 

             

              - Premièrement : L’axiome de conservation ;

              - Deuxièmement : L’axiome de non-contradiction ;

              - Troisièmement : L’axiome du tiers exclu ;

              - Et finalement : L’axiome de lien de cause à effet.

             

              Ces quatre principes axiomatiques symbolisent les abysses de la logique, la forme la plus profonde que l’humain puisse apprécier. Sans l'existence de ces principes, la logique même n’est tout simplement pas envisageable pour l’humain. Elle devient floue, évasive, fugitive, elle n’est plus compréhensible et retourne à son état de connaissance diffuse et maladroite. 

              Les voici ces quatre magnifiques qui régissent impassiblement le comportement des axiomes porteurs et créateurs d’univers aptes à accueillir la logique, la compréhension et la cohérence interne. Les voici ces Dieux porteurs des dires axiomatiques les plus importants de toute la mathématique. Mes amis, c’est alors qu’un grand travail de description s’offre à nous et à nos esprits vigoureux. Allons à la rencontre de ces axiomes de la logique mathématiques et découvrons ce qu’ils ont à nous enseigner sur notre manière de penser.

             

              C’est alors qu’il nous faut commencer par le plus important de tous, si tant est qu’à ces échelles l’importance puisse encore conserver un quelconque sens. Mes amis, veuillez bien accueillir avec une diligente forme de respect l’axiome de conservation. 

              Cet axiome dicte tout simplement le comportement des axiomes et de leur représentation au cours du temps. Il énonce que tout axiome qui se veut serviteur de la cohérence se doit de rester identique à lui-même au cours des événements. Il doit en aller de même pour ses implications et ses affirmations. L’axiome de conservation permet de faire en sorte que tout ce qui représente les axiomes en vigueur dans un système formel conservent leur intégrité et leur structure sans que ces dernières ne disparaissent instantanément dans l'oubli et dans l'évanescence de l’inconsistance. 

              Et ne vous y trompez pas mes amis, ce principe à beau paraître absolument absurde et superflu, il est en réalité la base de toute théorie mathématique. Sans un pareil axiome, l’humain ne pourrait rien qualifier, aucun système mathématique à proprement parler ne pourrait exister et subsister. Sans un axiome fixant que A est A, que B est B, que 1 est 1, qu’un chien est un chien, qu’un humain est un humain, rien ne pourrait avoir de sens, rien ne pourrait être figé dans l’esprit. Toute connaissance ne pourrait s'ancrer, elle resterait sous des aspects difformes sans définition propre, sans finalité ni signification quelconque. Empêchant par là même tout raisonnement et toute chaîne logique de se former, d’appliquer leur méthode et leurs prouesses.

              Bien que les dires de cet axiome soient instinctifs, soient naturels, il nous est nécessaire de le citer pour mieux pouvoir l’apprécier. Car en mathématique, tout se doit d’être posé, examiné, peaufiné, afin de créer des théorèmes et des raisonnements parfaits et complets. Les implications et la manière de diriger de cet axiome ont beau couler de source pour nous autres, il n’en reste pas moins l’un des dieux des axiomes les plus importants qui soit. Celui qui donne le sens, celui qui donne la consistance, celui qui conserve et qui évite la décrépitude instantanée.

              Ainsi, mes amis, en reconnaissant la primauté de cet axiome, nous nous donnons les moyens de bâtir des édifices mathématiques solides et durables à travers tout changement. Chaque théorie, chaque démonstration, chaque vérité que nous cherchons à établir repose sur cette fondation essentielle. Celle qui fait en sorte que la qualification puisse perdurer au travers du temps. 

              L'axiome de conservation n'est pas simplement un outil, mais le gardien invisible de la logique et de la rigueur, le fil conducteur qui relie nos concepts et nos idées dans une trame cohérente. C'est grâce à lui que nous pouvons non seulement affirmer, mais aussi comprendre et transmettre des vérités intemporelles, des savoirs mathématiques qui conservent leur sens interne, leur valeur en tant que telle.

             

              Comme tout autre axiome, celui de la conservation se définit par lui- même. Il est sa propre finalité. Mais il diffère des autres axiomes de par sa singulière toute puissance. C’est lui-même qui fait exister les autres axiomes en tant qu’axiomes, c’est lui-même qui fige le temps pour permettre à l’esprit humain de naviguer sur les flots de cette logique mathématique. C’est lui qui fait en sorte que toute autre proposition puisse rester identique à elle-même sans qu’elle ne s’efface instantanément.

              Il ne faut toutefois pas se méprendre sur l’indépendance des axiomes affectés par ce dernier. Le principe de conservation à beau permettre de faire exister les axiomes dans l’esprit d’un humain, il ne permet pas pour autant de les démontrer. Un axiome ne reste démontrable que par lui-même. L’axiome de conservation, tout comme les trois axiomes suivants ne permettent que de poser les bases, de déterminer ce que doit être un bon axiome, ce qu’il doit pouvoir représenter sans qu’incohérence il n’y ait. 

             

              Une fois l’étude et la mise en lumière du premier axiome primordial de la mathématique, c’est maintenant au tour du second de faire son apparition. Le second axiome primordial mes amis, est celui de la non-contradiction. 

              Cet axiome stipule qu'une proposition ne peut être une chose et son contraire en même temps. L’on ne peut être absolument vrai et absolument faux, l’on ne peut être mort et vivant au même instant, existant et inexistant simultanément. Ce principe permet aux théories mathématiques de proférer des univers cohérents et exempts d’erreurs et de contradictions destructrices de sens et de valeur. 

              En langage purement formel, cet axiome énonce le fait qu’une proposition ne puisse être prouvée à la fois comme vraie et comme fausse via deux raisonnements valides différents. D'où la validité d’un raisonnement se traduit par la nécessité d’une conclusion vraie ou fausse en partant de prémisses vraies ou fausses. 

              Si le principe de non-contradiction n'était pas respecté, la logique et la pensée rationnelle deviendraient incohérentes. Il n'y aurait plus de base solide pour évaluer la vérité ou la fausseté d’une proposition. Comme pour notre exemple de 6e axiome ajouté à ceux de Péano, la contradiction détruit la cohérence du système et empêche toute preuve de se fonder, d’être prouvée et démontrée comme vraie ou fausse. La non-contradiction permet de conserver la distinction entre ces derniers. Elle protège la consistance du système tout entier contre les attaques de ces propositions contradictoires, paradoxales et destructrices de sens.

              Le problème de l’inconsistance d’un univers mathématique ne se limite pas à quelques propositions, au contraire, il se trouve largement accentué par un phénomène bien connu et craint par tous les mathématiciens : Le phénomène d’explosion logique. Cette explosion fait en sorte qu’à partir d’une simple petite contradiction, l’ensemble de tout système puisse finir par être prouvé comme à la fois vrai et faux simultanément. Une simple contradiction agit alors pareille à la peste répandant aux alentours sa malédiction et sa damnation, détruisant des univers dans leur entièreté. 

              Et pour démontrer cela, prenons comme exemple l’arithmétique et la division par 0. En arithmétique, tout nombre peut diviser tout autre, sauf le chiffre 0. Car si l’on venait à l’autoriser, l’on pourrait alors prouver que tout nombre est égal à tout autre, détruisant tout sens dans les preuves et les calculs. Car s’il est effectivement vrai que 1*0 =2*0, venant du fait que la multiplication par 0 entraîne toujours l’annulation de tout autre valeur, la possible division par 0 entraînerait par la même la démonstration de cette proposition contradictoire suivante : 1 = 2. Et de la même façon, il nous serait alors possible de démontrer que tout est égale à tout autre chose, rendant le système, les raisonnements, les calculs, inconsistant. 

              L’on assiste alors à une véritable explosion logique, qui détruit dans son souffle toute notion de vérité. Toutefois, pour pallier ce type de problème, des formes de logiques annexes peuvent être mises en place. Comme par exemple les logiques para consistantes qui permettent de réduire les dégâts potentiels causés par les contradictions internes. 

              Toujours étant que sans cet axiome clé, le monde mathématique et sa compréhension n'auraient aucun sens. Tout serait emmêlé et rien ne pourrait servir de matière à penser. Sans distinction possible entre le vrai et le faux, l’être et le non être, le concret et le néant, toute réflexion ne ferait que perpétuellement s’enfoncer dans des sables mouvants. Dans des pièges tendus à la pensée, la rendant captive d’univers insensés, où la vérité et la non-vérité coexisteraient dans les mêmes entités. 

              Cet axiome est le garant de l'ordre et de la clarté dans notre quête de vérité. En instaurant une barrière infranchissable entre ce qui est et ce qui n'est pas, l'axiome de non-contradiction nous offre la possibilité de naviguer dans le vaste océan de la pensée sans nous perdre dans les abysses de l'absurdité. Il nous permet de bâtir des structures intellectuelles où chaque pierre est posée en toute sécurité sur une base solide en nous assurant que chaque nouvelle connaissance ajoutée ne viendra pas renverser ce qui a déjà été établi. Ainsi, tout comme l'axiome de conservation, celui de la non-contradiction est essentiel pour donner aux systèmes formels une forme, une cohérence, et, en définitive, un sens.

              Nous pouvons également étendre cet axiome sur les axiomes eux-mêmes. Car suivant les dires de l’axiome de non-contradiction, les axiomes du système de doivent pas pouvoir se contredire entre eux, mais il ne faut également pas qu’ils puissent se contredire eux-mêmes. Comme par exemple avec le connu paradoxe du menteur qui dit “je mens”, se contredisant directement. Car s’il ment, ce qu’il énonce affirme qu’il dit vrai ; mais s’il dit vrai, cela affirme qu’il dit faux.

              Le fait est que parler et discuter de sa propre valeur de vérité semble chose absurde pour un axiome et peut entraîner ce genre de paradoxes grossiers. Ce pourquoi l'axiome de non-contradiction couvre à la fois les relations qu’exercent les axiomes d’un système entre eux, mais également leur comportement interne, les empêchant de discuter de la vérité de leur proposition afin de conserver un sens et une cohérence dans ces derniers. Il faut en quelque sorte que les axiomes ne puissent pas contredire leur propre définition. Celle qui indique qu’ils sont vrais sans justification ni condition. 

             

              Mes amis, il est maintenant temps d’étudier le troisième axiome de cette liste. Le troisième axiome primordial se nomme axiome du tiers exclu. Mais ce tiers exclu là n’est pas celui que l’on prend communément comme acquis. Car généralement, le principe du tiers exclu stipule qu’une proposition ou sa négation doit pouvoir être voulue vraie et qu’il ne puisse y avoir d’autre état entre ces deux faits. Mais ici, cet axiome va plus loin et cherche à déterminer la dimension, le contenu, la portée et le fonctionnement des systèmes formels en eux-mêmes au-delà de la simple valeur de vérité apposées à leur proposition.

              Cet axiome mes amis, énonce le fait que chaque proposition donnée doit pouvoir être qualifiée comme se trouvant soit dans le système, soit en dehors, sans qu’intermédiaire ne soit possible. Ce qui est considéré comme étant dans le système est ce qui peut être démontré soit comme vrai, soit comme faux par les axiomes et le formalisme en vigueur. Inversement, ce qui est considéré comme étant hors du système ne peut être prouvé par les axiomes du système. Voici la définition que nous utiliserons ici.

              Ce qu’énonce cet axiome permet de déterminer les frontières de la logique et de la connaissance au sein d'un système formel. Il trace une ligne claire entre ce qui peut être abordé par les outils conceptuels à notre disposition et ce qui demeure au-delà de notre portée. En affirmant qu'une proposition doit soit appartenir au système, soit en être exclue sans possibilité d'état intermédiaire, il instaure une rigueur nécessaire dans notre quête de vérité. Il nous force à reconnaître les limites inhérentes à tout système formel.

              Cet axiome du tiers exclu, étendu au-delà de la simple bivalence du vrai et du faux, met en lumière le cadre même dans lequel évoluent nos raisonnements dans les systèmes considérés. Il nous oblige à accepter que certaines questions, certains problèmes, échappent nécessairement à la résolution par les moyens en vigueur, non pas par manque de perspicacité, mais par nature même de leur positionnement hors du champ d'application des axiomes du système. Ainsi, il guide notre investigation en nous rappelant que chaque système a ses limites, et que reconnaître ces limites est un acte de sagesse autant qu'une nécessité logique.

              Il permet également de délimiter une propriété importante de toute proposition. Celle qui dicte la claire séparation entre le prouvable et l’improuvable, entre le A et le non A. Aucune proposition engendrée par quelque axiome que ce soit, ne peut et ne pourra être prouvable comme vrai ou faux ainsi qu’improuvable dans le même temps. Démontrant une forme d’extension au principe de non-contradiction s’appliquant également aux propriétés des propositions.

             

              Et c’est ici mes amis que la tâche qui nous incombe commence à se corser. Car le fait est que l’improuvabilité d’une proposition n’est pas elle-même prouvable dans le système. Nul univers ne peut catégoriser intérieurement si une proposition est belle et bien improuvable ou non à l’aide de ses propres outils. Car pour ce faire, il est nécessaire de considérer d’autres systèmes plus larges, englobant ce dernier, étant quant à eux capables de prouver ladite proposition, permettant par la suite de déterminer son improuvabilité dans le premier.

              Et c’est précisément cette problématique que le célébrissime logicien Kurt Gödel eut l’audace et le génie de mettre en lumière. Ce destructeur des mondes et des ambitions de perfection dont tout mathématicien rêvait. Ce démon de l'incomplétude et des espoirs perdus. C’est avec ses deux plus impressionnants, renversants, et célèbres théorèmes se basant sur l’arithmétique de Péano et les règles de logique de base, qu’il put bouleverser le monde de la recherche mathématique à jamais.

              Ces deux anges de la sagesse descendus du ciel pour venir rappeler à l’ordre tous ceux qui osaient penser que la mathématique et toutes théories fondées sur les axiomes puissent se voir octroyer une forme d’absolue conformité et d’absolue complétude. Ces théorèmes d'incomplétude sont au nombre de deux que voici :

              - Le premier stipule qu’il n’existe pas de théorie récursivement axiomatisable, cohérente et capable de « formaliser l'arithmétique », dans laquelle on ne puisse pas construire un énoncé logique valide qui ne soit ni démontrable ni réfutable dans cette même théorie.

              - Le second stipule que tout univers ainsi créé par des axiomes de vérité et qui correspond aux critères susmentionnés ne peut prouver lui-même sa propre cohérence.

              Je ne puis, mes amis, que vous inciter à aller étudier de vous-même la prodigieuse manière dont ces théorèmes furent démontrés. Car ce genre de démonstration laisse rarement indifférent celui qui sait observer et ressentir toute l'étendue d’une telle inspiration à la tâche et la noblesse d’esprit qu’une telle chose puisse représenter à tout bon initié. En partant des axiomes de Péano, en construisant un codage propositionnel, Gödel démontre par l’absurde que tout univers mathématique assez développé se trouve être condamné à l'incomplétude. 

              Et que tout système se disant complet se doit par la même nécessairement d’être incohérent. Tel est le choix qui s’offre à tout mathématicien. N'empêchant toutefois pas, assez ironiquement qui plus est, comme pour narguer notre égo à jamais défigurer, qu’un système puisse tout à fait cumuler à la fois l’incohérence et l'incompétence. Seul ce qui nous intéresse ne peut être atteint. Quelle ironie…

              En clair, ce que ces théorèmes de la logique fondamentale énoncent, est le fait que pour tous ces systèmes axiomatiques, il existera toujours des propositions formées à l’aide de leur formalisme et de leurs symboles, qui ne peuvent être prouvées soit comme vraies, soit comme fausses. La proposition, bien que pouvant représenter une vérité sur le système, est donc externe à ce dernier, incapable d’être construite et ramenée aux axiomes en vigueur. 

              Et l’exemple le plus fameux de ce phénomène se trouve être dans le second théorème qui énonce que la proposition “ce système est cohérent”, ne peut être prouvée dans le dit système, contraint de se reposer sur d'autres que lui. Tel est le cas pour notre système de Péano, qui fut démontré cohérent à l’aide du système d’axiome ZFC, plus puissant et large que ce dernier.

              Étant vrai mais improuvable par les axiomes du système, la proposition peut alors être intégrée comme un nouvel axiome, car concordant avec leur définition, produisant par là même un nouvel univers plus proche d’une complétude immaculée. Mais bien qu’ayant ajouté ce nouvel axiome, le théorème de Gödel nous rappelle une fois de plus à l’ordre et nous indique qu’il en existera toujours d’autres, et ce, peu importe combien nous en rajouterons. Faisant ainsi s'effondrer toute ambition de créer des univers mathématiques à la fois puissants et capables de démontrer leur propre prouvabilité, leur propre cohérence et consistance. Aucun univers ne peut s’autoproclamer exempt de contradiction, exempt d'erreur et de paradoxe. Pour se faire, l’aide de plus puissant que soi est nécessaire. Et cela jusqu’à ce que plus puissant ne veuille plus rien signifier jusqu’à l’infinité. 

              Mais ne vous en faites pas mes amis, nous y reviendrons bien assez tôt. Pour le moment, reconcentrons-nous sur les dires du troisième axiome.

             

              En clair, le troisième axiome primordial définit les frontières entre ce qui peut être appréhendé et ce qui échappe nécessairement à notre compréhension dans un système formel donné. Tout proposition doit pouvoir être catégorisée soit comme interne au système, pouvant alors être démontrée vraie ou fausse, soit externe au système, ne pouvant être prouvée dans ce dernier, et ce, sans autre possibilité.

              Les théorèmes d’incomplétudes de ce cher Gödel nous invitent à reconnaître que bien que nous puissions établir des règles strictes pour déterminer la vérité ou la fausseté d'une proposition, il existera toujours des éléments qui échappent à ces règles. Toute tentative de créer un système formel complet et cohérent est vouée à rencontrer des limites infranchissables, des limites indépassables. Tout système mathématique dépend de propositions externes à ce dernier pour prouver sa propre valeur de vérité, sa propre cohérence et sa propre validité. 

             

              Mes amis, nous y voici enfin. Il ne nous reste plus qu'à nous attaquer au quatrième et dernier axiome primordial. Celui-ci se nomme axiome de cause à effet. Et il stipule que toute proposition prouvée se doit d’avoir une cause sous-jacente l’ayant précédée. 

              Le voici ce dernier des axiomes primordiaux, celui qui permet à la logique humaine de s'immiscer dans les univers axiomatisés. Car cet axiome, bien qu’intuitif comme tous les autres, est celui qui dicte comment les propositions créées par les axiomes doivent se comporter.

              Toute proposition se doit d’avoir une cause sous-jacente. Tout théorème se doit de se reposer sur un théorème antérieur. Et tout théorème antérieur se doit de reposer sur les tous puissants axiomes du système tout entier. L’axiome de cause à effet octroie aux autres axiomes de systèmes cohérents, le droit et le pouvoir de devenir leur propre cause. Car seuls les axiomes peuvent être leur propre cause. En-là se retrouve également leur toute puissance.

              Ainsi, cet axiome de cause à effet impose un ordre et une structure à la pensée rationnelle, nous rappelant que dans un système cohérent, rien ne peut surgir ex nihilo. Chaque théorie, chaque démonstration, chaque déduction se construit sur un socle de vérités fondamentales, sur les axiomes de vérités.

              En se reliant à des principes premiers, ces théories tracent une chaîne ininterrompue de causalités logiques qui garantit la cohérence et la robustesse de tout édifice mathématique. En fin de compte, l'axiome de cause à effet se trouve être la pierre angulaire qui permet à la logique de tisser le fil conducteur entre le début et la fin, entre les hypothèses et leurs conclusions, façonnant ainsi un monde où chaque élément trouve sa raison d'être. 

              Aucun axiome qui souhaite pouvoir engendrer des univers sensés et cohérents ne peut déroger à cette règle. Le vrai, la vérité doit impérativement passer en tout premier lieu par eux pour ensuite pouvoir atteindre des théorèmes et d’autres propositions sur le système. 

                           

              Voilà en définitive, à quoi ressemblent ces si imposants et puissants axiomes primordiaux. Les protecteurs du sens, les créateurs de la cohérence. Leurs voix résonnent à l'unisson dans nos logiques esprits et ordonnent tous les univers mathématiques qui se veulent garant de bons raisonnements cohérents. Voici ce que ces voix déclarent aux axiomes de ces pareils univers :

 

  • Le premier dit : “Tu subsisteras dans le temps et l’espace de ton univers restera inchangé à celui qui l’étudiera”.
  • -Le second affirme : “Tu ne contrediras ni tes pairs ni toi-même en ne permettant point au vrai et au faux de régner ensemble”.
  • Le troisième annonce : “Tout ce qui viendra à toi sera soit un enfant du vrai, soit un enfant du faux, ainsi se restreindra ta vision”.
  • Et le quatrième s’écrit : “Tu résultera et tout ce qui te résultera viendra d’une cause et produira des effets, ainsi pénétrera la logique dans ton univers“.

             

              Toute chose étant que tous les axiomes capables de faire naître la cohérence dans leurs univers naissent du ventre de ces primordiaux. Ce sont eux qui définissent les règles d’existence, de comportement, de fonction et d’action. Les axiomes secondaires, les fils légitimes des axiomes primaires obéissent à ces règles et les bénissent chaque jour durant. 

              Tous ces univers mathématiques, de l’arithmétique, à l’algèbre en passant par l'analyse et la topologie répondent tous de ces Dieux omnipotents. Ces mondes forment le contenu de l’univers des axiomes cohérents, ceux aptes à faire transparaître le vrai dans leur proposition, ceux apte à le faire transiter dans leur théorème créé par la logique humaine. Tous les axiomes créateurs de tous les autres univers de pensées mathématiques sont eux même issus d’un univers gouverné par ces quatre axiomes primordiaux.

              Tous obéissent, tous se plient à ces lois. Et, si toutefois un axiome trop belliqueux ou trop défectueux venait à désobéir à ses rois, il se verrait déposséder de tous ses droits. Et sombrerait dans les abysses des propositions indécidables, inutilisables, inemployables et inintéressantes à la pensée humaine. 

             

              Et c’est ici mes amis, qu’après un long et périlleux voyage en terre de la mathématique, que le parallèle avec notre sujet principal refait brusquement surface. Car il serait bien superficiel de ne vouloir appliquer ces axiomes aux seuls univers mathématiques. Si nous transformions ces axiomes uniquement valables en mathématique en principes logiques inhérents à la pensée constructive, que se produirait-il alors ? 

              Le premier effet serait de constater que ces principes, loin d'être confinés aux abstractions mathématiques, se révèlent essentiels dans la structuration de notre compréhension du monde dans sa globalité :

              Le principe de conservation nous aide à reconnaître et à différencier les objets et les phénomènes dans notre quotidien. Il les maintient dans une cohérence stable qui évite qu'ils ne se dissolvent dans une confusion continue. Grâce à ce principe, nous pouvons observer et interagir avec le monde en identifiant les propriétés constantes des objets, malgré les changements qui peuvent survenir autour d'eux. Ce principe représente tout simplement le fait de pouvoir attribuer à une entité la qualification de sujet, sans que cette qualification ne puisse être rompue par le temps ou les événements. Il désigne le fait de pouvoir qualifier une chose, de pouvoir lui en attribuer un sens, une valeur, une définition sans que ces caractéristiques ne disparaissent instantanément. 

              Ensuite le principe de non-contradiction garantit que notre pensée reste cohérente et logique, nous permettant d'éliminer les contradictions internes dans nos raisonnements et jugements sur notre environnement. C'est la base de toute argumentation solide de toute déduction, de toute compréhension. Assurant que deux propositions opposées ne peuvent être vraies en même temps dans le même contexte. Sans ce principe, nos pensées deviendraient chaotiques et incohérentes, empêchant toute compréhension claire, toute intellectualisation, toute intelligibilisation profonde des phénomènes qui nous entourent.

              Par la suite le principe du tiers exclu renforce la structure binaire de notre logique, nous obligeant à prendre position face à des affirmations et à évaluer la véracité des énoncés avec rigueur. C'est un fondement crucial de la pensée analytique qui pousse à la clarté et à la décision. Et comme nous le verrons, ses implications quant à l’internalité et l’externalité se retrouvent également dans toute pensée du monde concret.

              Finalement, le principe de cause à effet ou de causalité nous permet de comprendre la relation entre les événements et leurs conséquences, établissant une séquence logique et compréhensible dans les phénomènes que nous observons. Il est à la base de la science et de la compréhension des processus naturels, nous offrant une grille de lecture pour décoder les mécanismes du monde. Il se veut la condition nécessaire par excellence à l’apparition de la logique telle que nous la connaissons. C’est avant tout grâce à lui que des chaînes causales peuvent s’interpréter, se créer, se supporter, nous permettant de produire des connaissances, des savoirs, des idées ou des raisonnements.

             

              Ces principes ne se contentent pas d’organiser la pensée mathématique, mais structurent également notre manière de concevoir le réel, de manière à le rendre intelligible et ordonné. En reconnaissant cette correspondance entre les règles de cohérence des univers mathématiques et la perception du monde concert comme unique et singulier, nous sommes mieux équipés pour naviguer dans l'abstraction que ces affirmations peuvent représenter.

              En clair, nous partageons la même vision des mathématiques et du monde concret. Ces deux mondes en apparence entièrement disjoints se rejoignent pourtant dans notre façon de les appréhender, de les voir et de les contempler. Notre façon de raisonner sur ces derniers se trouve être similaire en de très nombreux aspects. 

              Comme nous le verrons, la plus grande similarité que l’on puisse observer, le dénominateur commun, se retrouve dans les objectifs de ces deux visions utilisant logique et raisonnement. Car ces principes ont en eux-mêmes un objectif bien précis. Cet objectif mes amis, ce but tant recherché par ceux qui s’adonnent à penser, à réfléchir rationnellement et logiquement, est celui de la vérité. Le grand messager de toute cette beauté et de toutes ces prouesses de sélections régulées n’est nul autre que cette chère vérité.

              Toutes ces machinations dans ces univers mathématiques ont en réalité pour but de faire voyager cette vérité le plus loin possible dans ces contrées encore jamais explorées sans pour autant la perdre en chemin. Ces connecteurs logiques, ces règles d'inférence et autres outils ne sont que des points de passages, des ponts qui permettent au vrai d’avancer vers toujours plus de complexité, illuminant sur son passage toutes ces si singulières formes mathématiques.

              Le vrai dans la mathématique est à voir comme un torrent d’eau qui s’écoule depuis les cascades axiomatiques dans le contrebas creusé de milles et unes tranchées. Ces tranchées représentant les passages rendus accessibles dans les univers mathématiques par lesquels la vérité peut ainsi se déverser. Ces crevasses représentant les chemins empruntables par nos raisonnements et notre formalisme.

              Et c’est nous, humains, qui la faisons avancer dans ces crevasses pour permettre à nos navires d'aventuriers de naviguer sur ces flots de vérités poussées par la bise de nos passions pour la bonne pensée. Dans ces marais et flots enchevêtrés, les théorèmes ainsi découverts servent de point de repos situés entre deux cours d’eau, entre deux raisonnements logiques.

             

              Pourquoi vouloir créer des univers cohérents plutôt que l’inverse nous demandions nous ? Et c’est assez simplement que la réponse nous apparaît clairement. Car un univers incohérent n’est rien de plus qu’une bassine infiniment plate qui laisse s’écouler le vrai sans aucune retenue, ni aucun discernement. De sorte à ce que la navigation sur cet océan perd tout son sens et toute sa singularité. Ce voyage en terre de l’abstrait en devient vide, infiniment vide, incapable de faire distinguer le beau, le vrai du faux, ne nous laissant à voir que des horizons inaptes à nous faire rêver. En réalité, notre esprit hait au plus profond de lui l'incohérent, le contradictoire, l’ambivalent, l’instable et l'insensé. Il les déteste et les rejette incessamment avec la plus directe et frontale volonté.

              Alors qu’au contraire, pour un univers cohérent, le vrai se voit contraint de passer par des chemins bien délimités préalablement creusés par les axiomes et le formalisme du système. Nous permettant de naviguer tout en observant émerveillé les rivages merveilleux qui bordent cette traversée. Cette faune et cette flore aux abords de ces torrents abreuvés de cette douce et tant recherchée vérité sont la raison pour laquelle nous l’adorons tant cette cohérence.

             

              Et c’est ici mes amis qu’une nouvelle tâche de la plus haute importance s’offre à nous. Car pour nous permettre de légitimer les savoirs de la science en démontrant la logique par elle-même, il nous faut de plus bel nous pencher de plus près sur cette chère vérité. Cette marchandise qui se voit balader par les raisonnements logiques se trouve être l’une des clés de ce problème d’apparence insurmontable et indépassable. 

              Car oui mes amis, pourquoi le vrai devrait-il être octroyé aux axiomes sans avoir à être démontré ? Ce vrai-là est-il le même que celui que l’on éprouve tout au long de notre existence face au monde qui se dessine autour de nous ? Plus profondément encore, pourquoi donc vouloir préférer le vrai plutôt que le non vrai ? Que représente la logique face à ce dernier ? Pourquoi sont-ils si fortement liés à quoi peut bien renvoyer cette liaison ?

              Allons-y mes amis, plongeons dans ces tréfonds maintenant que nous sommes préparés à affronter ces questionnements. Partons à la découverte des fondements de notre vision de la réalité, du vrai, de la vérité au plus profond de notre humaine psyché.

             

             

Chapitre 23 : Qu’est-ce que le vrai pour l’esprit humain ?

             

 

 

              Toujours sur dans notre quête à la recherche de la tant attendue démonstration de la logique, nous sommes face à un problème de taille. Le vrai, la vérité, le combustible de tout raisonnement logique, le moteur de toute action et de tout jugement nous barre le passage. Mais qu’est-il donc dans le fond ? Car bien qu’ayant d’ores et déjà abordé ce sujet délicat, les approximations sur sa définition, sur son origine et sa portée philosophique nous poussent à l’affiner et la préciser.

              Et c’est tout premièrement lors de la première partie de notre récit en terre de la pensée que nous avons abordé ce que pouvait signifier le vrai dans les propositions tirées de l’abstrait. Ce vrai provient de la liaison établie entre l’abstrait et le concret. C’est cette concordance mise en évidence entre notre vision du monde et ce qu’il en ressort réellement au-delà des illusions qui permet à ce vrai de s'instiguer dans nos pensées. Mais cette définition finit par laisser à désirer. Et c’est tout naturellement que grâce à nos avancées sur les notions de créations d’idées, de référentialité et d’expérience, que cette définition se doit d'être modifiée sur un important aspect. 

              Et cet aspect mes amis, le voici : Ce qui est décrit comme vrai pour nous autres au quotidien n’est pas véritablement ce qui se rapporte au monde concret tel qu’il est en lui-même, tel qu’il est possiblement par-delà toute subjectivité. Comme nous l’avons montré, l’humain ne peut comprendre et intégrer les choses en soi, les phénomènes dans leur absolue perfection si tant est qu’elle puisse effectivement exister. L’esprit masque naturellement cet idéalisme par un voile de subjectivité propre à chaque individu. Le vrai, ce qui est considéré comme vrai est alors plus du ressort de ce qui se rapporte à notre propre vision de ce qu’est la réalité, de ce qu’est le monde et notre environnement. Le vrai est alors à voir pareil à une forme de jugement émis sur les objets et phénomènes concrets. 

              Ce qui s’avère être pris comme vrai dans notre quotidien n’est pas ce qui se rapporte effectivement au monde concret, mais est ce qui se rapporte effectivement à l’expérience que l’on en fait. Là se trouve toute la nuance, là se trouve toute l’importance de notre travail de fond. Car ce fait là se trouve être une clef nécessaire à l'élucidation de notre problème.

              Le fait est que tout ce qui nous apparaît, tout ce qui se montre à nous de par le biais de sensation, est le reflet le plus pur que l’on puisse espérer atteindre de la réalité dans son sens le plus singulier. Nous ne pouvons aller au-delà de notre subjectivité, au-delà de notre individualité. Tout se résume à l'expérience que l’on fait du monde concret, tout se résume aux sensations que nous renvoient nos sens de ce dernier. 

              Pour encore plus appuyer ce que nous venons de préciser, nous prendrons un exemple illustrant parfaitement notre situation et les limites qu’une simple vision de correspondance de la réalité aux propositions peut entraîner.

              L’exemple que nous prendrons sera celui de la couleur blanche suivant : Le fait est que l’on peut dire d’un objet qu’il est blanc ; nous pouvons décrire cette proposition comme vraie si la correspondance entre celle-ci et ce qui se rapporte à nous comme étant l’objet blanc est bel et bien avérée. Toujours étant que la couleur qui nous apparaît n’est rien de plus qu’une sensation traitée et arrangée par notre esprit en une expérience et une idée de celle-ci. L’on dit que l’objet est blanc car il nous apparait comme tel, nous savons caractériser le blanc comme il nous apparait ici.

              Mais en réalité, si l’on plonge plus profondément dans ce qu’est ce phénomène de “blanc”, cette couleur blanche, l’on se rend compte que l’affirmation “cet objet est blanc” prend une tout autre valeur de vérité. Car comme décrit par les sciences physiques, la couleur n’est qu’une raie lumineuse, une onde électromagnétique ondulant à une fréquence spécifique que nos yeux sont capables d'intercepter et de traiter grâce aux nombreux cônes présents sur la surface de notre rétine ayant traversé notre cornée. La couleur des objets, suivant ce modèle, n’est rien de plus que certaines raies lumineuses. Raies qui sont réfléchies et rejetées par les atomes de l’objet. 

              En clair, l’objet qui nous apparait blanc, est en réalité l’objet qui rejette le blanc. Il ne crée pas le blanc, il réfléchit le blanc qui est émis sur lui. Expliquant pourquoi les couleurs n’existent plus une fois plongées dans le noir profond de la nuit. Seules les sources de lumières telles que le soleil peuvent s'enorgueillir d’être en quelque sorte, détenteurs de leurs couleurs. Ce qui fait que notre objet est donc en lui-même, l’exact opposé de ce blanc que l’on lui a attribué. Il le réfléchit, le rejette expliquant pourquoi il apparaît comme tel.

              Grâce à cette explication, nous pouvons à présent affirmer que l’objet n’est pas blanc, mais nous apparait comme tel du fait de ses propriétés de réflexion de lumière. Le proposition “l’objet est blanc” que l’on prenait vraie autrefois, est supplantée par une explication plus précise et véridique. Nous avons modifié cette proposition en “les propriétés de réflexion de lumière de l’objet font en sorte qu’il m’apparait blanc”. 

              Toujours étant que ces explications sont-elles même tirées d’expérimentations, d'expériences sensorielles du phénomène de lumière. Entre autres via l’usage de prismes et d’outils permettant de séparer ces rayons lumineux afin de les examiner et d’en tirer des théories sur le sujet. Cette compréhension, bien que plus détaillée, ne reste pas moins d’origine sensorielle. Nous n’avons fait qu’expliquer une expérience générale à l’aide d’autres expériences plus particulières.

              Et l’on peut encore aller plus loin dans le raisonnement. Nous pouvons comprendre comment les propriétés des matériaux font en sorte de réfléchir le blanc en examinant les atomes qui les constitues. L’on peut encore continuer et aller chercher les constituants de ces atomes, et les constituants de ces constituants d’atomes pour finir par arriver au modèle standard des particules et de la matière baryonique. Particules qui acquièrent leur masse et leurs propriétés via l’interaction avec des champs quantiques modélisés par des théories mathématiques abstraites. 

              Et c'est ici que le travail de la science prend tout son sens. Il nous permet de nous rapprocher de vérités toujours plus précises et détaillées. Des explications sur des phénomènes généraux partant de phénomènes plus particulier et précis. Sans pourtant jamais réellement nous extraire de nos conditions d'être humain sujet à la subjectivité et à la limitation sensorielle. La science ne dit pas vrai. Elle pose simplement des raisonnements logiques explicatifs à partir des meilleurs, des plus profondes et matures propositions que l’espèce humaine ait pu emmagasiner depuis ces milliers d’années.

              En clair, nous expliquons nos expériences grâce à d’autres expériences plus précises. Et nous déterminons les liens de vérités des propositions que l’on émet en fonctions des avancées dans l’étude des expériences particulières que l’on parvient à mettre en lumière. Le vrai instinctif devient alors une vraie logique, un vrai qui se veut appuyé par des raisonnements complets liant plusieurs phénomènes en même temps afin d’établir des compréhension complète et étendue de ces derniers. Jusqu’à finalement en arriver aux théories abstraites de la mathématique. Les inéxpérimentables théories mathématiques, produit de l’abstrait le plus singulier qui semble se mêler avec nos idées.

             

              Secondairement, comme vu précédemment dans les chapitres sur les fondements de la mathématique, le vrai dans les univers de cette science formelle se définit d’une façon toute particulière qu’il nous faut plus profondément analyser afin de comparer son comportement avec celui de notre discernement. Revenons donc sur la notion de vérité en mathématiques et précisons les ressemblances et désaccords qui s’exercent entre cette vision mathématisée du vrai et celle que nous ressentons au quotidien. Car en réalité, une bien sombre relation se terre entre ce vrai mathématique et celui dans notre vision du quotidien. Et il revient à nous, nobles aventuriers, de la mettre en lumière.

              Je vous l'affirme mes amis, le travail effectué sur les monde et univers mathématique ne sont en rien dû au hasard dans notre quête de cette dernière. Nous allons écrire l’histoire, déterminer les fondements de la logique et par là même ceux qui se rattachent à toute pensée. Les philosophes de tout temps se sont heurtés désespérément à ce questionnement, soit en s’abandonnant à des facilités divines qui n’apportent aucune explication profonde et méthodique, ou bien en y apportant des réponses superficielles et erronées, partant de bases instables et friables. 

              Mes amis, c’est alors que nous partons ensemble à la rencontre de notre destinée, celle qui nous pousse à nous surmonter et à affronter les paradoxes que recèle cette notion du vrai.

             

              Le vrai de la mathématique, cette entité que tous recherchent avec passion et déraison. Ce vrai qui permet à cette science de l’abstrait de produire des théorèmes et des univers dotés de pouvoir prédictifs et descriptifs hallucinent. Celui-ci semble mystérieusement apparaître de façon arbitraire dans les axiomes de vérité, véritables créateurs de tout système mathématique. Ces piliers indémontrables, injustifiables qui semblent pourtant s’imposer à nous de la plus intuitive des façons. Mais comme nous le savons maintenant fort bien, c’est souvent ce qui est attrait au plus intuitif qui se trouve être le plus difficile à comprendre et à exprimer. Ce lien qui s’exerce entre ces axiomes de l'abstrait et notre intuition du concret devrait paraître suspect à tout bon initié. Ce lien recèle un secret qu'il revient à nous de dénicher.

              Secondairement, quant aux propositions, leur véracité se décline par le rapport entretenu avec les axiomes desquelles elles découlent via des raisonnements logiques utilisant le formalisme en vigueur. Si la proposition peut être prouvée par un raisonnement logique et valide, elle est alors définie comme vraie dans le système et peut se voir octroyer le nom de théorème.

              Néanmoins en mathématique, le vrai n’est pas universel pour tous les systèmes. Il se voit doté d’un caractère relatif à ces derniers. Cela venant du fait qu’une proposition peut être prouvée vraie dans un système et prouvée fausse dans un autre. Prouvée cohérente dans l’un et contradictoire dans l’autre. Toute proposition mathématique dépend des axiomes et du formalisme initial servant à élaborer les preuves de véracité. 

              Si la proposition peut être raccordée en tout premier lieu à ces axiomes à l’aide d’un bon raisonnement, alors sa validité et sa vérité lui sont accordées. Dans le cas contraire, si une proposition peut être démontrée comme contradictoire avec ces derniers, elle est alors déterminée comme fausse. Finalement, du fait de la limitation de tels univers, certaines propositions se trouvent être indémontrables pour ces derniers. Ces propositions sont alors déterminées comme externes au système, et cette externalité ne peut être démontrée que de par l’usage de preuves tirées d’autres univers plus puissants englobant le premier.

              De plus, ce qui est avant tout recherché dans tout univers construit à partir d’axiomes de vérité, est la cohérence de ces derniers. Cohérence assurée par le respect des lois instituées par les axiomes primordiaux de la mathématique. Ces axiomes qui dictent le comportement, la portée et le fonctionnement de ces axiomes de second plan, permettant la libre et sensée circulation du vrai dans les raisonnements. Ce qui est vrai est tout naturellement pris comme étant cohérent. 

              Nous avons également brièvement abordé le fait que ces axiomes primordiaux ne sont pas simplement utiles à la création d'univers mathématiques, mais relèvent de notre expérience du concret même. Ces axiomes se trouvent être si importants à nos idées qu’ils méritent en réalité de devenir de véritables principes de la pensée. Ces derniers nous sont utiles au quotidien pour expérimenter et découvrir le monde, pour le penser et l’apprécier. La cohérence que ces derniers offrent à nos esprits se trouve être un atout absolument capital à toutes expressions réfléchies et raisonnées. D’une certaine façon, nous comprenons la mathématique comme nous comprenons le monde. Ce qu’il nous faudra de toute évidence approfondir à l’avenir.

             

              Et c’est précisément en cela, de part toutes ces similarités, tant sur le point du fonctionnement, de la schématisation, de l’agencement que sur les fondements, que le rapprochement que je vous promets est sur le point d’éclater. Nous y voici mes amis, nobles et charitables âmes que nous sommes, nous sommes fin prêt à enfin réunir la mathématique à la pensée. Et ainsi pouvoir exposer au grand jour ce qu’aucun penseur n’a osé démontrer.

              En effet, la vérité mathématique et la vérité que nous expérimentons au quotidien, cette dénomination que l’on accorde naturellement à toute proposition, à toute démonstration, à tout raisonnement et toute idée, se rejoignent dans la quasi-entièreté de leurs aspects.

              Tout comme la vérité mathématique, notre sens du vrai se doit de respecter sa cohérence et la cohérence de nos pensées généralisées. Tout ce que l’on prend comme vrai se doit d’être cohérent avec ce que l’on connaît déjà, avec ce que l’on prend déjà pour vrai et ne doit en aucun cas se contredire lui-même. 

              De plus, dans notre vie quotidienne, nous émettons sans cesse des jugements et des raisonnements plus ou moins complexes pour juger de la véracité des propositions qui se montrent et se dévoilent à nous. Et cela, tout comme en mathématique. Les raisonnements et les jugements que l’on porte sur les phénomènes concrets nous servent à déterminer s’ils correspondent à ce que l’on prend pour la réalité. Car bien que le magicien puisse nous faire croire visuellement que son assistant soit coupé en deux, notre jugement et nos raisonnements internes nous poussent à ne pas croire ce résultat comme véridique. Après tout, les magiciens sont les maîtres de l'illusion et du paraître, et de ce fait, ce qu’ils nous montrent à voir n’a pas de rapport avec ce qu’il en ressort réellement. Nous jugeons sans cesse, raisonnons sans cesse afin de faire transiter cette vérité aux travers de ce qui se déroule sous notre nez.

              Et finalement, le point le plus important de tous, le point final qui nous permettra de comprendre les liens profonds qui s’exercent entre la logique et notre vision du vrai, se trouve être sa source. Car mes amis, la source de ce vrai est fonctionnellement et fondamentalement similaire à celle qui s’exerce dans les univers abstraits de la mathématique. 

              Le fait est que toute vérité que l’on cherche à énoncer dans notre expérience du concret suit une structure similaire à celles de la mathématique. Cette structure, la voici : Est considéré vrai toute proposition que l’on relie au concret par le biais de raisonnement logiques simples.

              L’on dit qu’il est vrai que les oiseaux volent, car nous les avons vus voler ; On dit qu’il est vrai qu’il faut manger pour vivre car nous avons expérimenté le trouble que provoque la faim ; On dit qu’il est vrai que les plantes produisent de l’énergie par le biais de la photosynthèse car la chlorophylle présente dans leur tissue transforme effectivement l’énergie du soleil pour former des sucres utilisables par cette dernière ; On dit qu’il est vrai que le feu brûle car nous savons quels dégâts il peut causer ; On dit de Dieu qu’il est vrai car nous ressentons sa présence et sa toute-puissance…

              En bref, toute explication de ce sentiment de véracité suit un paterne bien délimité. “On dit qu’il est vrai … parce que…”. Car le vrai à toujours besoin d’une forme de justification logique pour pouvoir être approuvé comme tel. L’instinctif à beau en être le principal fournisseur, ce vrai n’a point de sens pour lui, il ne présente rien, ne signifie rien. Cette dénomination n’a de valeur que pour le penseur, celui qui voit l’abstrait, celui capable de discriminer et différencier les objets du concret. Le vrai est l’atout de la conscience, l’atout de l’esprit par excellence et ne peut en aucun cas se balader sur des sentiers non balisés par la bonne pensée.

              Bien évidemment, faire des raisonnements aussi poussés que ceux réalisés en mathématiques perdent de leur sens dans un cadre purement pratique. Ces derniers se limitent souvent à quelques règles simples tels que des connecteurs logiques et certaines règles d'inférence basiques.

              Et c’est précisément en cela que le lien entre fonctionnement mathématique et fonctionnement pratique s’ouvre à nous mes amis. Car si l’on prend suffisamment de temps pour étudier tout ce que l’on prend pour vrai, tout ce à quoi on raccorde ce vrai, ce sentiment singulier né de l’abstrait, suit toujours ce schéma d’action bien déterminé. En sommes, l’on ne fait que de rapprocher la proposition à ce que l'on prend pour la réalité par un simple raisonnement. 

              Et maintenant, il ne reste plus qu'à ajouter la touche finale à cet édifice de la pensée pour en terminer avec cette démonstration, ce tour de force de la pensée que voici. 

              Car que se passe-t-il si, comme en mathématique, nous posions que la réalité, le concret, soit un axiome de vérité pour finalement faire correspondre les deux définitions. Ce qui est vrai est alors ce que se rapporte logiquement à l'axiome “la réalité”. Si la proposition est cohérente, se rapporte à l’axiome la “réalité” par un raisonnement logique, elle est alors considérée comme vraie. Et puisque le concret est une dénomination que l’on accorde subjectivement à ce que l’on expérimente naturellement, l’on peut alors tout naturellement remplacer dans l'expression “la réalité” par “notre perception sensorielle de la réalité”, ou encore “notre perception sensorielle du concret”. Ce qui résulte fatalement en notre expérience du concret, notre expérience primaire.

              Ce qui est vrai est alors ce qui se rapporte logiquement à ce que l’on a préalablement expérimenté du monde concret. Et l’on peut donc presque mathématiquement énoncer le fait que nos expériences primaires deviennent les axiomes de notre pensée, ceux qui permettent de prendre appuie pour juger vrai ou non une proposition. La voici la prouesse que je vous ai promis mes amis. Nous venons d’appliquer les principes les plus fondamentaux de la mathématique sur le fonctionnement de notre pensée sur le vrai, et lui en avons donné une définition incroyablement fertile à de nombreuses conséquences sur notre façon de voir et de comprendre notre esprit.

              L’univers de notre pensée est alors la résultante de toutes les combinaisons rendues possibles par les axiomes que nous intégrons naturellement par l’expérience. Le fait de voir, de goûter, de sentir, toucher, entendre, ressentir notre poids forment les axiomes qui permettent par la suite de déterminer la véracité de toute proposition. Et nous ne faisons que de juger par rapport à ces mêmes axiomes qui nous apparaissent naturellement dès la naissance.

              Prenons pour montrer ce fait l’exemple de l’enfant qui n’a encore jamais expérimenté le monde concret. L’enfant, dès sa naissance, est plongé dans un monde qu'il ne comprend pas encore, un monde insensé où le vrai n’existe pas, ou le faux ne résonne pas. Ses sens sont ses premiers outils pour l’explorer et appréhender. Comme décrit dans les chapitres précédents, ce sont eux qui créent cette interface entre les phénomènes du concret et notre esprit qui en capte les effets.

              Lorsqu'il touche un objet pour la première fois, il ressent sa texture, sa température, et découvre sa forme. Lorsqu’il ouvre les yeux pour la première fois et qu’il voit le visage de sa mère s’emplir de joie, il découvre des couleurs et des sensations impressionnantes et radicalement nouvelles. Ces sensations deviennent pour lui des axiomes, des vérités premières sur lesquelles il se basera pour interpréter le monde. Si l’enfant touche une flamme et ressent la brûlure, cette expérience immédiate devient un axiome de sa pensée : le feu brûle et tout ce qui se rapporte à cette vision du feu sera décrit comme effectivement brûlant. Si l’enfant voit les oiseaux voler dans les cieux, tout ce qui se rapportera à cette vision sera décrit comme effectivement volant. 

              Ce goût du vrai, ce lien qu’exerce l’esprit sur tous les phénomènes qu’il rencontre et qu’il a rencontré, s’acquiert naturellement au fil des événements. Et c’est tout premièrement les sens qui sont ceux qui se voient attribuer la plus grande valeur de vérité. Car tout ce qui se rapporte aux sens représente le socle primordial sur lesquels toutes les idées, toutes les pensées, toutes les connaissances peuvent se reposer. Tout ce qui se rapporte logiquement à ces premières sensations sera alors pris comme vrai par le nouveau-né. Sera alors pris comme véridique car concordant avec ce qu’il a déjà expérimenté. 

              Ce sont les sens qui forment la plus grande certitude de toute réflexion. Nul ne peut douter du fait qu’il voit, qu’il sent, qu’il ressent effectivement des sensations. Nul ne peut douter de cela en tout premier lieu. Certes pour ce qui est de la compréhension de ces derniers, le constat est loin d’être le même. L’on dit de nos sens qu’ils nous trompent, et a raison, car ils ne nous font pas voir le monde concret comme il se veut être véritablement derrière toute illusion. Toutefois, ce dont il nous est impossible de douter est le fait que nos sens nous renvoient bel et bien des informations et des sensations. 

              Je ne puis être sûr du fait que je vois bel et bien un oiseau voler. Celui-ci peut tout à fait n’être qu'une feuille volante prise par le vent que je peine à distinguer. Mais ce qui est sûr, c'est que notre vue nous renvoie bel et bien une image de ce potentiel oiseau volant. Il en va de la cohésion même de notre esprit, de la cohérence même de notre conscience. Les sens ne peuvent point être remis en question en eux-mêmes. Seuls nos interprétations de ces derniers le peuvent.

              Ainsi, toute nouvelle information ou expérience sera comparée à ce qu'il a déjà vécu. L'enfant, en grandissant, continue d'accumuler ces axiomes, qui enrichissent son univers mental et lui permettent de naviguer dans la complexité du monde. À mesure qu’il développe ses capacités de raisonnement, il commence à relier ces axiomes entre eux, construisant des concepts plus complexes et affinant sa compréhension du réel. 

              Si nous poussons le raisonnement plus loin, en stoppant l’esprit de cet enfant et en étudiant toutes ses expériences passées rassemblées en un système d’axiomes bien réglés, il nous serait alors théoriquement possible de prédire les dires et les jugements de valeur de vérité apposées aux phénomènes qui se présentent à lui. A la manière de preuves mathématiques logiques et valides.

             

              La voici mes amis, la voici enfin. Nous y sommes finalement parvenus. La vérité dans toute sa singulière splendeur a enfin été mise au grand jour. Et c’est grâce à cette science formelle que cette prouesse a pu se réaliser.

              Ce sont les axiomes que l'on prend pour vrai qui déterminent d'eux-mêmes l'univers logiquement atteignable par notre pensée et qui nous permettent de juger ce qui est vrai de ce que ne l’est pas. Et ce sont les expériences que l’on fait du monde qui tendent à bâtir et à supporter ces axiomes de pensée. Toute expérience est à voir pareil à un axiome qui s'ajoute à notre propre univers de la pensée. Et toute affirmation, toute proposition, tout phénomène qu’il nous est donné d'apercevoir seront jugés en fonction de ces derniers.

              Le vrai est alors une dénomination captive du système dans laquelle elle est employée, il n’est qu’une dénomination apposée aux phénomènes du concret et dépend avant tout des axiomes de la pensée de celui qui emploie ses capacités. 

              Expliquant pourquoi nous avons tous des avis différents, des opinions et visions différentes de ce que signifient les phénomènes du concret. Non pas que la structure de nos esprits soit différente, mais bien car le vrai nous apparaît différemment suivant les axiomes solidement logés dans nos mémoires respectives. C’est à partir de cette pierre que nous érigeons nos jugements et rayonnement. 

              Expliquant pourquoi certaines vérités peuvent paraître évidentes pour ceux qui ont expérimentés et qui ont acquis certains types de savoirs, lorsque pour d’autres, ayant expérimenté différentes situations ou n’ayant jamais compris les tenants et aboutissants de ces dernières, peuvent la voir comme impensablement vrai, la catégorisant irrémédiablement comme étant fausse.

              Ce qui est vrai dans un système ne l’est pas forcément dans une autre et inversement. Ce principe, cette idée du vrai est captive, captive du point de vue qui l’emploie, captive du système d’axiome qui l’invoque. Car comme en mathématique, les axiomes qui nous sont utiles à déterminer ce qui est vrai sont pris naturellement, instinctivement comme étant à la source de toute autre vérité. Par définition, les axiomes sont les garants du vrais dans leur univers, dans leur sphère d’activité sans avoir aucune justification à apporter. Ils exercent leur pouvoir sur les propositions qui s’offrent à eux et décident de leur sort de la plus dure mais juste des façons. 

             

              Voici donc comment se définit la vérité dans tout système donné pour nous autres humains, la voici la réalité derrière ce terme de vérité, celle qui a tant contrariée les penseurs d’antan. Mais que nous avons réussi à mettre en lumière grâce à la maturité de notre méthode et de nos outils pour l’aborder : est vrai ce qui, dans un référentiel donné, se rapporte logiquement à un ensemble d’axiomes fixés. Et cette définition se rapporte à toute vérité que l’on puisse imaginer, toute forme de cette dernière suffisamment profonde pour prendre pieds dans nos pensées.

              Et ces axiomes fixés se trouvent être nos expériences sensibles, nos expériences primaires provenant directement de l’interaction de nos sens avec le monde externe. Toute proposition qui puisse se rapporter par des raisonnements valides à ces derniers se verra alors, tout comme en mathématiques, accordé le titre de théorème interne, de proposition vraie dans le système.

              Ce qui fait alors du terme vérité pour nous autres humains, une idée captive du référentiel dans lequel elle se trouve. Il existe en réalité une multitude de vérités différentes, un infini panel de véracité. Toute vérité dépend d’un référentiel donné et il existe une infinité de référentiels différents. Impliquant qu’il existe une infinité de vérités différentes les unes des autres car ne se rapportant pas aux mêmes axiomes en premier plan.

              Un fait eut être faux pour l’un et vrai pour l’autre suivant ce à quoi ce fait se rapporte effectivement. Pour illustrer ce fait simplement, prenons l’exemple du café. Pour certains, le café à bon goût. Cette proposition se trouve être vraie pour celui qui rapporte le goût du café à une expérience plaisante et qui place ce goût dans une bonne catégorie. Mais fausse pour celui qui rapporte ce goût amer à une vision déplaisante de celui-ci. Fausse pour celui qui place plutôt comme axiome le fait que le bon goût ne peut pas être aussi amer. Le vrai est relatif au sujet qui l’emploie. Mais absolu dans celui qui l'emploie.

             

              Mais mes amis, comme toujours, il nous faut faire preuve de la plus grande prudence. Il ne faut pas tomber dans ce vicieux relativisme pour autant. Comme nous l’avons déjà décrit, celui-ci n’est qu’un vil ramassis né de la bêtise inhumaine attisé par un profond nihilisme qui s’auto-contredit.

              Car s’il est effectivement vrai qu’il existe autant de vérités qu’il existe de référentiel pour l’apprécier si l’on conserve la définition attribuée à cette dernière, il serait ridicule de croire que toutes ces vérités se valent pour autant. Nous y revenons une fois de plus. Toute vision de notre monde tire sa valeur de par sa maturité, de par sa profonde et complète analyse de grandes quantités de phénomènes et d’expériences complètes et d’un art de raisonner des plus parfait.

              L’univers le plus important de tous sera et restera celui qui englobe tous les autres, celui qui englobe le plus de phénomènes possibles. Soit celui de l’Univers au sens le plus singulier du terme, Le vrai doté de la plus grande valeur de vérité reste et restera celui qui se rapporte le mieux aux présupposées axiomes de l’univers découvert par l’homme. Car ce sont ces axiomes qui, au fil des générations successives de recherche, d’amélioration de développement, qui se rapprochent vraisemblablement le plus d’une quelconque potentielle vérité de notre univers tout entier.

              Et pour revenir sur cette idée de vérité relative au sujet. Il semble ici tout à fait stupide de vouloir affirmer qu’une proposition soit vraie sans donner dans quel référentiel celle-ci se trouve énoncée. Dire qu’une proposition est vraie sans énoncer par rapport à quoi n’a aucun sens et ne permet que la production de paradoxe et d’imprécisions.

              Si pareil individu proférait tout de même de telles paroles, il serait directement à catégoriser soit comme un menteur, soit comme un de ces prêtres inhumains des absolus concepts de vérité, ce qui, ma foi, revient au même constat.

             

              Pour conclure ce merveilleux chapitre, il nous faut retenir que nous tirons le vrai de nos expériences du monde concret. C’est d’ici qu’il en tire sa source et que notre esprit peut se construire au travers de jugements portés envers notre environnement en partant de bases solides liées à nos expériences sensibles. 

              Toutefois, nous n’avons pas répondu au pourquoi le vrai tire sa valeur du monde concret. En clair nous n’avons pas répondu à la question qui cherche à déterminer pourquoi le vrai, pourquoi nous apparaît-il si promptement à nos expériences et à nos pensées. Nous n’avons fait que de déterminer comment nous pouvions l’utiliser et comment il se devait d’être utilisé. Pour répondre à cela, il nous faut plonger plus loin encore… 

              Mais cette tâche nous est encore inaccessible pour le moment car nous ne pouvons plonger plus loin que nos sensations qui sont la base de toute connaissance, de tout savoir. Nous sommes en face d’un nouveau paradoxe qu’il nous faudra traiter ultérieurement. Pour l’instant, restons sur ce que nous venons de déterminer et continuons sur notre lancée.

             

             

Chapitre 24 : Le vrai et ses déclinaisons

             

 

 

              Poursuivons mes amis et tentons de déterminer quelles peuvent être les conséquences de la définition quasi mathématique du vrai que nous venons d'énoncer. Notre objectif sera ici de déterminer quelles sont les limites et les portées de telles réflexions afin de critiquer notre point de vue et de l’affiner encore pour qu’il puisse parfaitement correspondre à notre humanité. De plus, il nous faudra décrire comment et par quels processus ces axiomes de vérité pratiques diffèrent des axiomes de vérité mathématique en introduisant une nouvelle variable dans les équations de nos réflexions, j’ai nommé : Le temps et le changement. 

              Mais pour le moment, contentons-nous de terminer le travail d’affinage que nous nous sommes donnés et critiquons constructivement la définition de ce vrai si rigide et bornée soit elle. Bornée, en effet, car il serait effectivement exagéré de vouloir parfaitement comparer la mathématique à notre vision individuelle du vrai. Il existe en réalité de nombreuses différences notables entre ces deux visions. Et la première de ces différences réside dans la faillibilité du raisonnement humain face à la rigidité de celui de la mathématique. 

              La mathématique se veut l’universelle façon de raisonner et de traiter des problèmes abstraits à l’aide de la logique, de son formalisme et de ses axiomes initiaux. Pour ce faire, la mathématique et la logique classique ne permettent en général que deux catégories : Vrai ou Non vrai. En d’autres termes, vrai ou faux. Soit une approche binaire des propositions qui se présente au système. 

              Ce fait témoigne de la grande rigidité de telles façons de raisonner qui ne permet à aucune forme d’imprécision, d’approximation de pénétrer dans ces univers au risque de finir par engendrer des contradictions et des paradoxes. Ces paradoxes capables de faire s'effondrer tout l’édifice sous la pression du phénomène d’explosion logique qui pèse et terrifie ces univers à l’équilibre si fragile. Les univers mathématiques en ont horreur, et s’en prémunissent de la plus rude des façons. C'est-à-dire, en ne laissant aucune marge de manœuvre possible dans leur fondement et formalisation des raisonnements. Seul le vrai et le faux sont aptes à décrire les propositions à l'intérieur du système.

              Mais mes amis, cette forme de catégorisation est largement idéalisée pour nous autres. Car il est clair que dans nos vies quotidiennes, nos jugements, nos raisonnements, nos catégorisations tolèrent certaines marges d’erreurs relatives. Certaines marges à même de tolérer l’apparition de contradictions internes. Contradictions qui, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, sont traitées par de nombreux processus internes. Processus agissant pareillement à notre système immunitaire, cherchant à chasser les virus et agents pathogènes nuisibles à la survie de notre cohérence.

              Toujours étant que tout n’est pas tout blanc ou tout noir pour nos jugements. Nous ne sommes pas contraints à ne garder que deux possibilités discrètes pour témoigner de la possible ou non véracité d’une proposition. Par exemple, nous pouvons très bien en placer une troisième qui représente l’indécidabilité, le non-choix, l’inaction face à l’action. Soit le fait qu’une proposition puisse être simultanément vraie et fausse, ou non vraie et non fausse, indifférente. Car notre jugement humain n’est en lui-même pas contraint de juger toute information qui se présente à lui comme dans la mathématique le doit. Nous avons la capacité de ne point avoir à décider tout simplement.

              Ou alors encore, et c’est ce qui se rapproche le plus de notre vision humaine de la vérité sur la majorité des sujets, un curseur continu. Une forme de probabilité de véracité allant de 0 à 1 qui détermine si la proposition est plutôt vraie ou plutôt fausse. Permettant ainsi de mettre en évidence des marges d’erreurs relatives face aux propositions qui se présentent à nous. Et ce marqueur est encore une fois du ressort de notre jugement personnel qui détermine suivant de nombreux facteurs, si oui ou non la proposition doit être considérée comme vrai, faux, plutôt vrai, plutôt fausse…

              Cette façon de raisonner et de juger le vrai diffère de celle mathématique qui, encore une fois, ne tolère généralement aucun écart quel qu’il soit. Une proposition a beau ressembler à deux gouttes d'eau à une proposition vraie, si un petit élément vient la perturber, elle sera presque directement catégorisée comme fausse. Pour le montrer avec un exemple concret, reprenons le théorème de Pythagore et modifions-le quelque peu. 

              Voici l'énoncé de notre théorème modifié : En géométrie euclidienne, pour tout triangle, A²=B²+C² où A est le côté le plus étiré. Bien que cet énoncé ressemble trait pour trait à celui du théorème, une erreur flagrante se dissimule pourtant en son sein, permettant à des contres exemples et à des contradictions d'apparaître. Cette erreur réside dans le fait que pour que ce théorème puisse s’appliquer, il faut qu’un angle du triangle soit un angle droit, soit que le triangle soit rectangle. Du fait que dans notre énoncé, nous avons dit que ce théorème était vrai pour tout triangle, il ne peut se rapporter aux axiomes du système parfaitement et ne peut donc être prouvé vrai. Il en devient faux. 

              Voyez comme une petite imprécision se trouve être suffisante pour que la proposition tout entière perde sa qualité de proposition vraie. Dans des théorèmes plus poussés qui s’étendent sur des pages et des pages, nécessitant des dizaines de prérogatives, le même phénomène se produit tout naturellement. Car si une seule des conditions n’est pas respectée, la proposition toute entière se voit invalidée, démontrant encore une fois la grande précision qu’une telle science de l’abstrait implique.

              Or pour nous autres humains, ce problème est en pratique le deniers de nos soucis. Car du fait de notre grande résilience face aux possibles contradictions dans nos réflexions soudaines et naturelles, nos jugements ne sont pas aussi catégoriques que ceux de la mathématique. Et pour le montrer, prenons l’exemple de la possible ou non sphéricité de la Lune : Oui mes amis, prenons cette proposition : “La lune est de forme sphérique”.

              Si l’on pose comme axiome auquel on comparera cette proposition, que la sphère se définit comme en géométrie mathématique. C’est à dire comme une figure en trois dimensions dont chaque point qui la compose se trouve à égale distance du centre. Il est clair que la lune n’est alors pas une sphère. La proposition est fausse suivant l’axiome. En effet, la Lune n’est pas parfaitement sphérique et régulière, elle est légèrement ovoïde comme la Terre et est jonchée de cratères, s'excluant de la définition de la sphère parfaite décrite en mathématique.

              Mais on pourrait également comparer l’affirmation à d’autres axiomes. On se rend bien compte que la Lune est bien plus proche de la sphère que tout autres astéroïdes lambda dans l’espace intersidéral. On peut alors décider de laisser une marge d’erreur relative qui nous permet intuitivement de qualifier la Lune comme effectivement sphérique. La lune est à 98% sphérique, ce qui fait en sorte que l’affirmation selon laquelle elle serait effectivement de forme sphérique est plutôt vraie. Un astéroïde peut par exemple se trouver à seulement 20% sphérique, et donc l’affirmation selon laquelle il serait effectivement de forme sphérique est plutôt fausse.

              Il revient à notre jugement de déterminer la “probabilité” ou “le pourcentage” ou encore “le facteur” du vrai à conférer aux propositions qui se présentent à nous. C’est ce que l’on fait chaque jour pour attribuer le vrai et le faux. Au quotidien, rien n’est tout à fait vrai ou tout à fait faux du fait de la constante évolution du mouvement de nos critères et axiomes.

              Voilà ce que nous effectuons en continu de façon plus ou moins consciente mes amis. Nous recherchons sans cesse à calculer, à juger, à corriger les petites erreurs et imprécisions pour finir par catégoriser plus naturellement toute pensée et toute affirmation. Et cela, le plus rapidement et efficacement possible. Nous appliquons sans cesse une marge d’erreur relative dont l’intensité est elle-même jugée et comparée en continue en fonction des imprévus. Mais nous y reviendrons bien assez tôt, car cette façon de procéder recèle bien des secrets qu’il nous faudra explorer.

             

              Lors du précédent chapitre, nous avons fait l’amalgame entre la prédictibilité des propositions mathématiques avec celles des propositions humaines prétextant pouvoir prévoir le résultat des jugements de tout individu en partant de ses axiomes de vérité. Toutefois, il nous faut nuancer ce propos et critiquer son idéalité. Car s’il est effectivement vrai que tout univers engendré par les axiomes de l’esprit d’un individu permet, à un instant t, de prouver des propositions comme étant vraies ou fausses logiquement si l’on fait l’hypothèse qu'aucune contradiction interne ne soit présente, la pratique s’avère être bien plus complexe et étriquée. 

              Car comme nous l’avons précédemment mentionné, les systèmes axiomatiques humains sont perméables aux contradictions internes et ne peuvent donc prévoir entièrement le résultat d’attribution de valeur de vérité simplement en suivant logiquement les implications des axiomes initiaux en place. Certains d’entre eux peuvent être contradictoire avec d’autres et ainsi fausser cette idée de prédictibilité et détruisant la logique interne de l’univers créé. Ce phénomène se retrouve capable de créer des explosions logiques multiples, invalidant notre désir de prédictibilité instantanée.

              De plus, chaque axiome, de par son origine expérimentale et sensitive, se voit attribuer une très grande part de subjectivité. Subjectivité qu’il semble difficile à formaliser dans un système formel à proprement parler. 

              Finalement, cette forme de prédictibilité est contrebalancée par les états mentaux en constant changement dans l'intellect de l’individu. Les émotions, les états de fatigue, et les expériences projetées font barrage à cette vision prédictive absolue.

              De part toutes ces raisons susmentionnées, si nous donnions à un supercalculateur toutes les visions et expérimentations d’un individu au cours de son existence entière retranscrites en axiomes formant le système ; que l’on conférait à cette ordinateur l’entièreté des états mentaux du sujet ainsi que ses expériences passées rapprochées ; que nous l’entrainions à déterminer les probabilités de résolution de paradoxes propres au sujet afin de traiter statistiquement les cas de contradictions internes. Même si nous faisions tout cela, il serait quasiment impossible de prédire avec une précision accrue les décisions et jugements de l’individu sur tout sujet complexe faisant intervenir une activité intense de sa faculté de juger. 

              Quant à ce qui est de la valeur de probabilité, il y aurait tout de même fort à parier que ce supercalculateur imaginaire pourrait tout de même réussir quelques prouesses en établissant des résultats probabilistes plus que satisfaisants dans la majorité des cas. Mais tout cela ne reste rien de plus que des suppositions…

             

              Toutefois, il nous faut également bien admettre que cette relation au vraie est encore ici quelque peu idéalisée. Idéalisée dans le sens où nous approximant le fait que tout raisonnement logique humain puisse être parfaitement valide. Car avant de pouvoir raisonner avec les bases de la logique classique tout en ayant la capacité de balayer les possibilités, les conditions d’application, les conséquences, effets, et causes de toute proposition, il faut avant tout apprendre. Oui mes amis, nous ne sommes pas naturellement dotés de ces capacités d’analyse aussi intuitives peuvent-elles aujourd’hui nous paraître. Nous ne sommes que naturellement programmés pour les acquérir. Ce pourquoi, et cela principalement dans nos plus rustres années, lors de notre tendre et immature enfance, le vrai se voit attribuer un caractère simplifié. Il est plus de l’ordre de la simple association de ressenti face aux stimuli. L’on ressent que c’est vrai, on le sent sans que cela ne soit réellement conscient.

              Mais mes amis, au risque d’encore une fois briser la magie, le fait de ressentir le vrai n’est rien de plus qu’une illusion que nous nous devons de démonter.

              En réalité, nous ressentons des émotions en rapport avec les stimuli internes et externes qui, de par notre naturelle tendance à les prendre comme véridiques, nous poussent à “ressentir” le vrai. Lorsque en réalité, le même processus que décrit précédemment se produit en nous inconsciemment. Nous ne faisons qu’associer à la réponse de nos sens internes et externes, qui produit en nous des sensations de bien-être, confort et plaisir, l'apposition du vrai à la présupposée cause de ces sensations.

              Ce processus s’observe parfaitement bien chez tous les croyants dogmatiques et religieux qui croient en un Dieu pris pour vrai et cohérent, bien que fondamentalement contradictoire en de nombreux points. Et cela, de par cette simple association de sensations jugées provoquées, jugées causées par cette entité. Les croyants pensent que ce Dieu est vrai, ont cette sensation de véridicité, mais non pas car cette entité de lumière traverse effectivement leur âme de par sa toute-puissance transcendante, mais bien plus car l’illusion d’une telle proposition est associée à des émotions et des états internes agréables, qui de par leur nature sensitive, sont naturellement pris comme véridiques. Les croyants vont alors naturellement associer ces sentiments naturellement vrais avec ce qu’ils imaginent et jugent en être la cause.

              Encore une fois, l’on ne peut pas douter que ces sensations parviennent bien à pénétrer dans nos esprits, mais quant à ce qui est des associations des causes de ces derniers, la chose en devient tout à fait différente et est sujette à l’erreur d’interprétation et de jugement. Permettant à l’irrationnel de pénétrer profondément dans notre esprit pourtant logique et méthodique.

             

              Nous y revenons une fois de plus, mais ce n’est qu’avec la maturité que l’on découvre plus ou moins intuitivement les joies du bon raisonnement, celui qui mène nécessairement à des conclusions claires, précises, cohérentes et agréables à tout esprit humain développé et sain. 

              Et en guise de conclusion, nous pouvons établir la forme finale de notre définition du vrai et de la vérité. Le vrai est une caractérisation tirant instinctivement sa source dans nos sensations qui est imposable à tout phénomène expérimenté. Le vrai est sujet à un jugement plus ou moins logique et valide constant, dépendant de très nombreux paramètres variables dont le plus important reste nos sensations et expériences qui agissent pareillement aux axiomes de la mathématique. 

              Ainsi, la vérité apparaît comme une construction issue de la confrontation entre notre perception sensorielle et notre capacité à raisonner. Elle n'est pas absolue, mais plutôt relative à notre expérience du monde et aux outils conceptuels que nous employons pour la comprendre. Elle se présente comme une norme ajustable, un consensus provisoire façonné par notre interaction avec la réalité, influencé autant par les faits que par la subjectivité inhérente à notre condition humaine.

             

              Et mes amis, c’est après avoir parfait cette définition du vrai, qu’il nous faut maintenant nous attaquer à un fait des plus important. Un fait qui nous permettra d’avancer sur notre chemin à la recherche de la démonstration de la logique, de sa justification. Et ce fait n’est nul autre que la capacité humaine à la perméabilité et au traitement des contradictions internes. Il nous faut répondre au pourquoi l’esprit humain a-t-il tant besoin de cette cohérence et recherche tant cette complétude ? Qu’est-ce que cela nous apporte et comment le mettons nous intérieurement en place ? 

               

             

Chapitre 25 : Le goût du cohérent

             

 

 

              Mes amis, c’est lors des précédents chapitres que nous avons plongé plus en profondeur dans les abysses de cette chère vérité, cette divinité permettant compréhension, distinction, apprentissage et création d’une individuelle vision du monde. C’est de par l’usage de cette caractérisation tout premièrement apportée par les sens, que le vrai nous permet, via l’usage de notre raison et de notre jugement, de créer des systèmes axiomatiques cohérents et diversifiés. Lors de cette épopée en terre de la vérité, nous avons en quelque sorte réussi à mathématiser l’esprit. Ou tout du moins, nous avons réussi à spiritualiser la mathématique.

              Et la question que nous nous sommes alors posés était de savoir d'où pouvait bien provenir ce goût du cohérent et pourquoi celui-ci nous était si agréable et naturel à nos esprits conscients ?

                           

              Mes amis, pour nous permettre de répondre à tous ces questionnements, je vous propose d’embarquer ensemble dans un cours voyage nostalgique et mélancolique vers les contrées où notre âme s’est initialement éveillée. Et cela, afin de retracer l'épopée que chacun de nous avons endurée. Celle nous ayant permis de faire naître en nous la cohérence et la vérité. Pour ce faire, revenons en arrière. En arrière jusqu’au sortir du ventre de notre mère. Et tentons de retracer les évènements nous ayant permis d'intégrer le vrai et le cohérent comme des phénomènes inhérents à nos jugements. 

              Et c’est tout naturellement que nous revenons à l’endroit, au lieu, à l’instant où nos yeux se sont ouverts pour la première fois. Et de là, nous suivons et retraçons nos exploits. Nos premiers mots, nos premiers pas, les premiers rires et les premiers pleurs. Notre corps et nos instincts découvrent le monde qui s’offre à eux et commencent peu à peu à intégrer certains de ses aspects.

              En parallèle à cette continuelle découverte du monde, l’individu développe ses premières capacités rudimentaires de raisonnement et de jugement. Pour finalement atteindre une forme d’autonomie logique. Logique qui tire sa source de contrées mystérieuses qu’il nous faudra déterminer.

              C’est alors que notre corps prend donc en premier lieu pour instinctivement vrai toutes les premières expériences de son existence : vue, toucher, goût, équilibre, ouïe, mouvements, étirement, chaleur, fraîcheur, douceur… Il est naturellement programmé pour que ces expériences deviennent le terreau fertile de son esprit. Il naît avec des yeux, des organes sensitifs, du liquide cochléaire et tous les autres organes nécessaires à l'acquisition et au traitement de ces informations.

              Au début de son existence, l'esprit accumule tout, prend tout sans réelle distinction comme véridique au sens le plus pur et le plus animal qui soit. Bien que le vrai n'ait pas réellement de sens à ce niveau-là, car comme nous l’avons décrit, seul le conscient et le jugement l’utilisent et le saisissent. Et plus un individu s’abandonne à ses instincts, à son animalité, plus le vrai finit par se déformer, à perdre de sa valeur première. Toujours étant qu’une forme de substrat de véracité apparaît dans l’esprit du tout petit, celui qui découvre et intègre, celui qui voit et qui croit.

              Puis au fur et à mesure que l’on emmagasine ces expériences et que l’on développe nos facultés à raisonner, nous commençons peu à peu à vouloir réfléchir sur de nombreux sujets. Les règles logiques nous parviennent et nous permettent de réfléchir en assemblant simplement les différentes connaissances acquises en des touts singuliers. Au fur et à mesure de notre entrainement à ces capacités nouvellement obtenues, nous réalisons de plus en plus de jugements envers notre environnement. 

              Peu importe que l’objet que nous voyons disparaisse derrière un autre, nous raisonnons et comprenons son existence par-delà sa simple vision. Peu importe que la musique que nous entendons sorte du poste de radio, nous savons que la voix qui en ressort provient premièrement d’un humain. Peu importe que l’oiseau soit resté posé sur une branche non loin de là, nous savons qu’il est aussi capable de voler dans les airs et les cieux. 

              Les axiomes primordiaux de la mathématique prennent peu à peu le pas sur l'absence de sens et de cohérence. Nous devenons capables de caractériser dans le temps, de comprendre les propriétés des objets, de relier les causes aux effets…

              Le goût de la cohérence se développe alors en notre for intérieur. Le cohérent, ce qui fait sens, ce qui a du sens, ce qui plait dans un certain sens. Nous intégrons les éléments de notre environnement et les considérons comme coulant de source de par leur familière manière de paraître. Un tout cohérent et sensé ressort alors de ces contrées expérimentées. Une harmonie, un paradis de la naïveté s'érige en tant que vision unique et rassurante du monde. 

              C’est au travers de cette construction mentale que nous trouvons notre stabilité. Ce cadre nous permet de naviguer dans la réalité sans avoir à trop y penser, et cela, avec une confiance aveugle en ce que nous percevons comme étant la vérité. Ainsi, nous avançons, persuadés que notre monde intérieur, si bien ordonné, est le reflet fidèle du monde extérieur, où chaque chose a sa place, où chaque élément s’intègre parfaitement à l’ensemble.

              Mais bien que cette stratégie soit des plus plaisante et agréable, elle arrive forcément tôt ou tard à ses limites. Car c’est alors qu’un beau jour, nous expérimentons enfin pour la première fois un phénomène très particulier. Un phénomène qui nous paraît alors totalement absurde et dérangeant. Ce phénomène mes amis, n’est nul autre que cette tant redoutée contradiction.

              Et oui, il arrive bien tôt ou tard, après avoir longuement baigné dans ces univers naïfs et singuliers, que l’un des axiomes qui a été absorbé sans retenu puisse finir par se comprendre comme contradictoire avec d’autres. Et cet axiome nouvellement acquis, mais cette fois ci jugé, réfléchi, fait remettre en question nombres de choses, fait s'effondrer nombres de certitudes et de connaissances préétablies. Car pour la première fois, il nous faudra juger de nous-même pour résoudre ce problème. Ce nouveau problème, cette contradiction apportée par une sensation nouvelle, désagréable et horripilante. Cette sensation de trahison, de mensonge, de honte mêlée à de la haine, de l'incompréhension et plus important encore, de la peur.

              Cette contradiction aura beau n’être que bénigne, elle fait sourdre en nous un profond sentiment d’incompréhension et un malaise insoutenable. Notre corps sent que quelque chose ne va pas, que quelque chose va à l’encontre de tout ce qui a toujours si bien fonctionné. Le fait de tout prendre sans trier, le fait de tout prendre comme vrai finit toujours par atteindre ses limites les plus inviolables. Les limites qui font en sorte que ce vrai-ci puisse finir par se désagréger de lui-même, puisse finir par perdre son sens. Ces limites qui résultent nécessairement par le choix, le choix délibéré et pour une fois, réfléchi.

              Ce phénomène se produit le plus souvent dans la très petite enfance et est souvent résolu de façon plus ou moins inconsciente, mais laisse à l’enfant de profondes marques de son passage en lui offrant un apprentissage nouveau et crucial, celui du discernement et du juste jugement. Et pour nous permettre de mieux saisir ce que signifie ce phénomène de contradiction dans une vision de monde enfantine et unique, prenons quelques exemples illustratifs.

              L’enfant né dans une famille aisée cajolé par ses parents, mangeant à sa faim, s’amusant dans les prés et n’ayant point à travailler, peut finir par croire que le monde est fondamentalement plaisant et bon l'entièreté du temps. Car malgré les quelques écorchures réalisées en jouant, largement contrebalancées par l’affection que sa mère lui porte pour le soigner, son existence et toutes les expériences qu’il a jusqu’alors emmagasiné reflète un monde simple, jovial et parfait. Un monde aisé, où tout est naturellement apporté, où l'environnement est propice à l’épanouissement candide et sain. En bref, un monde bon et naturellement vu comme normalement bon par cet enfant.

              Jusqu’au jour fatidique où la réalité finit par rattraper cette vision naïve d’un monde parfait et idyllique. La réalité, voleuse de rêve, destructrice des visions et des certitudes trop bornées. Celle-ci finit toujours par rattraper les bohémiens trop frivoles et immatures. Et cette contradiction peut alors provenir du tout premier mensonge ou de la toute première trahison subie, de la première forte émotion provoquée par de violents faits, par de brusques changements dans les comportements environnants… L’enfant pouvait croire en la vie comme un fait éternel et inchangeable. Jusqu’à ce que celle-ci s'essouffle et emporte un être qui lui est cher. Ou encore l'échec, la déception qui ne manqueront pas de mettre en doute cette vision idéalisée d’un monde parfait. 

              Ou tout au contraire, un enfant ayant vécu son existence comme un calvaire violent et harassant remettra en cause sa vision de ce monde si rude lorsqu'enfin quelques intentions amicales et sympathiques viendront le réconforter ou l’aider dans ses moments les plus troublés…

              Ces faits peuvent paraître couler de source pour nous autres, individus développés et aguerris. Mais ne nous y trompons pas, nous avons tous vécu ce type de contradiction notoire dans notre plus ou moins tendre et insouciante enfance pour la première fois. Et c’est alors que les notions de vrai et de faux apparaissent réellement. L’axiome que va intégrer l’enfant est bien celui-là. Celui qui énonce que tout n’est pas vrai, qu’il existe forcément des erreurs possibles, que l’on n’est jamais à l’abri d’avoir à confronter notre vision simpliste d’un monde qui nous paraît pourtant si singulier avec un autre qui déroute et bouleverse de par sa brutalité ou son éloignement.

              C’est à ce moment-là que l’on assiste presque impuissant à la plus grande peur de l’esprit humain : L’incohérence. Car comme en mathématique, un univers engendré par deux axiomes contradictoires comme : “le monde est plaisant” et ”la souffrance existe” est un univers incohérent qui ne permet plus à la vérité de s’y développer de manière sensée et dirigée. L’univers incohérent laisse tout passer, la contradiction en son sein fait tout exploser et ne laisse derrière son sillage qu’un énorme cratère dénué de tout sens, recouvrant l’horizon du savoir et de la compréhension.

              Le voici le problème de l’esprit humain, sa peur numéro un. Celle qui fait s’évanouir le vrai le temps d’un instant. Oui, le temps d’un instant seulement, car cette sensation de vide interne, d'incompréhension, de trahison est si désagréable que nous faisons bien vite en sorte de reboucher ce cratère des enfers. 

              La voici cette peur du malheur, celle qui nous pousse sans cesse à craindre ces bouleversements dans nos visions idéalisées et bornées du monde dans lequel nous vivons. Pourquoi avoir peur de cela me demanderez-vous ? Je vous répondrai tout simplement que lors de ces moments de troubles, nous cessons tout simplement d’exister en tant qu’êtres pensant. Nous ne sommes plus, nous ne pouvons plus distinguer notre personne, notre individualité des contradictions qu’elle implique dans notre vision nouvellement brutalisée.

              Pensez-y mes amis, n’est-il jamais arrivé dans vos vies qu’un fait puisse remettre en causes nombres des aspects les plus importants de vos jugements que vous pensiez pourtant inébranlables ? Les choses que vous preniez vrai n’ont-elles jamais étés remises brutalement en doute après qu’un événement décisif se soit produit ? 

              Je ne vous parle pas de ces enfantines remises en question que nous subissons tous lors de notre noble et tendre jeunesse, celle pendant laquelle nous croyons encore au père noël et légendes mystiques que nous comptaient nos parents à la brodée de nos lits. Je vous parle de fondements bien plus profonds encore, ceux qui s’étaient pourtant si profondément ancrés dans nos pensées, ceux qui gouvernaient nos âmes vers ce salut qu’elles semblaient pouvoir nous octroyer. Ces croyances que nous pensions si vraies, si cohérentes avec nos modes de pensées. 

              Anciens religieux, dogmatiques, penseurs idéalistes et extrémistes. Toutes ces branches aveuglées par d’uniques axes et d’uniques chemins vers la découverte et la compréhension du monde. Ces chemins si agréables, si simples et intuitifs, mais en même temps si dangereux. Ces sentiers uniques qui manquent de s'écrouler d'un instant à l'autre sans que nous puissions nous accrocher à d'autres lors de notre chute. 

              Car dans ces moments décisifs, dans ces moments de troubles intenses où l’existence semble perdre de son sens, c’est cette maudite cohérence qui nous fait tant souffrir. Celle que nous recherchons à tout prix, celle qui calme nos esprits. 

              Lors de ces instants de perpétuelle déperdition dans le doute et la frustration, l'esprit humain se retrouve alors face à deux solutions : sombrer dans le chaos et perdre toute forme d’individualité dans le jugement et la compréhension des phénomènes environnants ; ou alors reconstruire, ou tout du moins retrouver cet équilibre, ce semblant de cohérence.

              Mais cette reconstruction n'est jamais aisée, car elle exige de remettre en question les fondements mêmes de notre compréhension. Il faut alors repenser, réévaluer, et souvent abandonner des croyances profondément ancrées. Ce processus, douloureux et effrayant, est pourtant essentiel. Car de cette confrontation avec l'incohérence, naît la possibilité d'une nouvelle vérité, plus robuste, plus adaptée à la complexité du réel.

              Ainsi, le chemin de la cohérence est pavé de doutes et de remises en question, mais il est aussi la seule voie qui permet à l'esprit humain de s'épanouir pleinement. C'est dans cette lutte perpétuelle contre l'incohérence que l'homme trouve sa véritable essence : celle d'un être en quête de sens, capable de transcender ses propres contradictions pour atteindre une compréhension plus profonde de lui-même et du monde qui l'entoure.

              Le voici le but du cohérent, ce goût qui nous reste et qui excite tant nos papilles. Ce si enivrant goût du cohérent n’a point fini de nous pousser à penser à des folies. Le voici celui qui déchaîne toutes les passions. Celui que personne ne veut voir disparaître mes amis.

             

Chapitre 26 : Le mouvement axiomatique

             

 

 

              Haaa mes amis ce goût du cohérent n’a point fini de nous rendre décadents. Nous qui nous bornons à ne jamais vouloir le perdre au risque de nous effacer au profit d’autres volontés. Maintenant que celui-ci nous est compréhensible, il nous faut revenir sur un point important des axiomes de vérité que nous n’avons pas encore eu le temps d'aborder.

              Car bien que le fonctionnement de nos esprits se rapproche fortement de celui des univers mathématiques, de nombreuses différences entre ces derniers nous ont tout de même poussés à préciser et nuancer notre définition de la vérité. L’esprit humain, contrairement au système mathématique, tolère souvent les contradictions internes. Et la grande part de subjectivité que tout jugement et tout raisonnement pratique produit dans nos esprits, fait s’éloigner cette vision de l’idéal universel des univers abstraits mathématiques.

              Mais une plus grande différence encore doit ici nous intriguer au plus haut point. Cette différence qui distingue concret et abstrait, une différence qui distingue le mobile et l’immobile, le changement et la stabilité. La plus grande de ces différences, mes amis, réside dans la mobilité de l’esprit. Car chaque axiome que nous intégrons comme vrai n’est pas éternel et manque à chaque instant de se faire remplacer par de nouveaux plus matures et plus proches d’une réalité plus juste et mesurée. 

              Et c’est ici que notre chemin s’est arrêté. C'est donc ici que nous devons continuer. Car en plus de la recherche du pourquoi du goût de la cohérence, il nous faut comprendre comment faisons-nous en sorte de modifier chaque jour nos axiomes afin de sans cesse nous permettre de recouvrer cette cohérence tant adorée. En bref, il nous faut savoir déterminer comment notre esprit fait pour contrebalancer le changement dans le temps et les évènements. Comment pouvons-nous améliorer notre vision du monde sans perdre la cohérence de ce dernier ? Qu’est-ce qu’impliquent ces changements ? Comment s’opèrent-ils ? Comment se décident-ils ? 

             

              C’est sur ces nombreux questionnements que nous poursuivons alors notre avancée dans cette jungle de la vérité mes amis. 

              Et nous commencerons avec un constat des plus cinglants. Car comme nous le savons fort bien, les axiomes mathématiques sont figés dans leurs univers. Ils ne peuvent point changer sans que celui-ci en soit durement affecté. L’on dit alors que ces univers sont statiques, immobile, infiniment rigides. Toute vérité qui puisse découler en son sein par le biais de raisonnements inductifs et logiques restent figés, intemporels et inaltérables suivant les changements occurrents dans le monde réel. 

              Et c’est en cela que la mathématique tire son caractère indépendant du concret comme précédemment mentionné. Car peu importe les changements dans le concret, les vérités et savoirs mathématiques restent gravés dans le marbre des idées, éternellement piégées dans ces univers abstraits.

              Mais qu’en est-il pour nous humains ? Car il est clair que nos esprits, eux, ne sont jamais figés. Il en va de leur essence même, de leur définition même. Notre esprit n’a de cesse d’évoluer, gagnant en expérience et en maturité et ce, de sorte à ce que nos regards sur la véracité des phénomènes qui nous apparaissent tendent à se modifier perpétuellement au cours du temps et des changements. Contrairement aux univers mathématiques, nous sommes entièrement dépendants des changements se produisant dans notre environnement concret. C’est lui-même qui nous offre à voir et qui pourvoit notre esprit d’expériences sensitives.

              Ce constant changement résulte du fait que l’on puisse finir par changer d’avis sur des sujets différents suivant le temps. Nos avis, nos opinions et visions changent sans cesse dans cette danse du rapport à la véracité, au caractère vrai que l'on confère naturellement aux objets et phénomènes particuliers. Dans notre perpétuelle recherche du sens et du cohérent, nous sommes sans cesse harassés par des quantités impressionnantes de données qu’il nous faut savoir traiter et juger correctement. Car ce qui est vu comme vrai aujourd’hui peut ne pas l’être demain dans nos esprits humains.

              Nos expériences primaires ne cessent de se cumuler, de s’ajouter, de se modifier. Alors qu’en mathématiques, les axiomes restent inchangés et immobiles. Comme nous l’avons montré, un univers mathématique est entièrement déterminé dès la définition de ses axiomes. Cet univers infini se trouve limité par ce que sont capables de créer ces mêmes axiomes par les règles logiques, la syntaxe et la structure du système. 

              Toutefois, il nous faut ici remarquer qu’il se produit exactement pareil événement pour nous autres à tout instant dans le temps. Car en réalité, si nous figeons nos pensées, si nous figeons notre esprit en un seul instant, nous verrons alors le même phénomène se produire si nous approximons le fait que nous puissions effectivement produire de parfaits raisonnements à partir de ces mêmes axiomes. Tout comme en mathématiques, les axiomes que nous prenons dans cet instant pour vrai permettent de construire des raisonnements eux-mêmes désormais indépendants des changements concrets. 

              En clair, la grande différence entre le jugement du vrai dans la mathématique et dans notre esprit est que ce dernier est temporel, il change et évolue au cours du temps. La mathématique est cristallisée dans les cavernes des pensées lorsque notre esprit évolue et apprend continuellement. Chaque instant dans le temps est en lui-même l’énoncé d’un univers abstrait produit de notre pensée qui s’anéantit continuellement afin de se faire remplacer par le suivant.

              Mais avant de nous lancer à la découverte de ce phénomène de temporalité, il nous faut continuer sur notre lancée vers l’acquisition de cette capacité à modifier la vérité de nos pensées. Comment pouvons-nous faire en sorte de modifier sans cesse nos propres axiomes de vérités ? Qu’est ce qui nous permet de modifier notre manière d'opérer à celle des univers mathématiques qui semblent rester de marbre au cours du temps, ignorant tout changement ? Que nous permet-il de modifier incessamment les axiomes que nous utilisons pour juger le vrai du faux et ainsi pouvoir conserver notre cohérence interne tout en évoluant ?

             

              Pour ce faire mes amis, nous allons procéder d’une manière tout à fait scolaire. Nous établirons quelles sont les possibilités qui s'offrent à nous, comment nous les traitons et finalement pourquoi nous les traitons de la sorte. Et tout cela, via une simple disjonction de cas. Pour déterminer comment et pourquoi faisons-nous ces changements incessants, nous prendrons le cas simple où une nouvelle information nous parvient. Et outre les nombreux processus que nous avons précédemment détaillés dans la première partie du récit qui nous sont utiles au traitement des données sensitives reçues, il nous faut détailler quelles sont les possibilités qui s'offrent à nous dans la classification de cette nouvelle information.

              Prenons donc le problème comme suit mes amis : une nouvelle expérience sur le monde vient de se réaliser et il revient à notre esprit à la catégoriser afin de déterminer ce qu’il en ressort réellement. Pour remédier à ce problème deux solutions différentes s’offrent alors : 

              La première consiste à intégrer, non sans mal, le nouvel axiome dans notre système interne. Pour ce faire, comme pour la mathématique, il suffit simplement de catégoriser cette nouvelle expérience comme un nouvel axiome de vérité et de le placer instinctivement dans notre base de données, la mémoire, tout en le catégorisant notre interprétation de ce dernier comme vrai. 

              Toutefois, pour ce faire, il faut faire en sorte que cette nouvelle expérience satisfasse les commandements des quatre axiomes primordiaux afin de conserver notre cohérence interne. Si nous jugeons cet axiome intéressant, ce que nous devons décrire comment, et qu’il ne satisfait pas ces commandements, un nouveau processus se met alors en place. L’esprit se met sur le branlebas de combat et commence à activer ses systèmes de défenses naturels. Il lui faut pouvoir traiter cet agent pathogène qui risque de détruire tout l’organisme.

              Soit l’individu est conscient du fait que cet axiome est contradictoire avec d’autres, ce qui le contraint à modifier son système en conséquence afin de pouvoir l'accueillir en toute sécurité. Soit l’individu n’en est pas conscient et l’accepte sans y réfléchir plus profondément, s’exposant dans un avenir proche à de potentielles périodes de troubles intellectuelles plus ou moins importantes suivant l’importance des axiomes contradictoires en interne.

              La seconde et dernière solution possible sur le cas du traitement de la nouvelle information consiste simplement à la rejeter. L’individu peut tout à fait juger et décider de ne pas la considérer comme véridique et donc refuser de l'intégrer à son système interne d’axiomes de vérité.

              Encore une fois, malgré le fait que ces solutions ne soient qu’hypothétique, notre vision de leur cohérence nous pousse à considérer les dires des quatre axiomes primordiaux. En particulier celui du tiers exclu qui nous indique qu’il n’existe pas d’autre solution à ce problème. Soit l’information est intégrée, soit elle est rejetée. Il n’existe pas d’entre deux logiques.

             

              Mais maintenant ces deux possibilités posées, il nous faut nous attaquer à la partie la plus intéressante mes amis. Cette partie qui nous emportera vers les vices et les tourments les plus importants de notre psyché. Celle qui traite des raisons et du pourquoi pareille information devrait être catégorisée comme telle. Pourquoi faudrait-il vouloir l’intégrer plutôt que la rejeter et inversement ? 

              Commençons sans plus tarder avec les raisons pour lesquelles nous voudrions intégrer pareille information. Cela résulte en trois cas possibles. 

              Premièrement il est tout à fait possible que la nouvelle information soit jugée comme inoffensive et que le risque de l’intégrer comme véridique se retrouve être dérisoire pour notre équilibre mental. De ce fait, son intégration, ne posant aucun problème, peut tout à fait être envisagée. Ce type d’information est alors intégrée par dépit, ou par de légers intérêts pour la diversification des connaissances. Toujours étant que leur importance ne provoque pas de grandes débâcles.

              C’est souvent le cas pour les informations anecdotiques ou liées à de la culture générale spécifique, ne pouvant entraîner au long terme de contradictions importantes. Comme le fait de savoir de quelle couleur sont recouverts les oiseaux des îles en mer Méditerranée, ou de connaître le nom de famille d’un homme décédé il a de cela plusieurs dizaines d’années. Ces informations anecdotiques peuvent être intégrées, bien que généralement, elles s’oublient assez vite dans nos subconscients.

              Deuxièmement, une information, en plus de n’être pas dangereuse directement pour l’équilibre interne psychique, peut attiser l'intérêt. Une information peut vouloir être intégrée si elle est utile à la consolidation de notre édifice de la pensée. Si elle nous conforte dans nos positions, elle sera directement catégorisée comme plus importante et intéressante. 

              C’est ici que de nombreux biais cognitifs font leur apparition mes amis. Car bien que cette nouvelle information soit jugée comme véridique, du fait de son rapprochement avec notre mode de pensée, rien n'empêche ce dernier de n’être pas assez poussé ni assez mature pour nous permettre de réaliser des jugements profonds et justes sur les potentielles erreurs qu’une telle information peut représenter. Bien que l’information puisse être considérée par les plus sages comme une ineptie dangereuse et éloignée des faits de la réalité, celle-ci peut être des plus attirantes à celui qui la considère comme une alliée à son mode de pensée. Voici comment se développe le biais de confirmation. Cette paresse intellectuelle purement instinctive qui éloigne de la bonne et juste raison.

              Tel est le cas pour la majorité des croyants qui préfèrent conserver leur intégrité en ne se concentrant que sur les faits qui leur permettraient de justifier leur foi, tout en évinçant l’écrasante majorité des autres qui pourraient les faire vaciller. Tel est le cas pour la majorité des extrémistes politiques et idéologiques qui voilent leur vision par ce filtre de décision automatique qui trie tout et qui déforme la réalité. Et tout cela, uniquement dans l’instinctif but de se conforter dans sa vision d’un monde pourtant biaisé par cette paresse, ce besoin de sécurité et de confort plus fort que l’âme et l'esprit de ceux qui s’y emploient. 

              Et finalement, le troisième et dernier cas, et le plus important qui soit, n’est nul autre que celui du choix réfléchi, empli de maturité et de profondeur d'esprit. Car la paresse, le besoin de sécurité ou l'indifférence sont loin d’être les seules raisons pour lesquelles une information puisse être voulue par celui qui l'expérimente et souhaite l'intégrer dans son système. 

              Cette dernière solution se trouve en grande partie dirigée par le jugement rondement et patiemment effectué. Car une information peut être jugée comme intéressante même si celle-ci fait remettre en cause nombres d’autres. Si l’individu juge cette dernière, la compare à celles qu’il prend déjà pour vrai, la projette dans ses effets et la décalque de ses causes, s’il en étudie les implications et les possibilités d’usages ainsi que sa profondeur, il finira sans doute par la voir comme une forme de vérité supérieure, plus mature et pure de subjectivité propre. Le poussant donc à la désirer.

              Car plus une information permet d’expliquer nombres de phénomènes, plus celle-ci à de la valeur. Chose que recherche tout bon aventurier de la pensée. Oui mes amis, nous aussi nous ne faisons que de les rechercher ces informations de la maturité. Celles qui nous offriraient des possibilités et des élargissements dans notre champ de vision. Et bien que ces dernières puissent nous placer dans des positions désagréables et insoutenables, nous savons que ces dernières sont nécessaires pour grandir intellectuellement et moralement.

              En acceptant de remettre en question nos certitudes, nous ouvrons la voie à une compréhension plus profonde du monde, libérée des illusions et des préjugés, et cela, malgré l'inconfort que cela peut susciter. Et c'est ce chemin ardu mais essentiel que nous nous sommes empressé d'emprunter depuis le début de ce récit à la recherche des meilleurs des savoirs, des plus pures et importants qu’entre tous. Ceux à même de nous mener vers une vérité plus authentique et une sagesse plus aboutie.

             

              Après avoir décrit les raisons pour lesquelles une information pourrait être voulue intégrée, il nous faut maintenant détailler les raisons inverses, celles qui feraient en sorte que cette dernière information puisse ne pas être voulue comme telle. Bien que ces raisons risquent fortement de faire écho aux précédentes, les étudier plus en profondeur reste néanmoins utile à la précision et la complétude de notre argumentation. Alors, fonçons-y mes amis.

              Tout premièrement, pour rebondir sur l’une des raisons susmentionnées, l’intégration d’une nouvelle expérience catégorisée, interprétée et jugée vraie peut s’avérer bénéfique à la stabilité de la cohérence interne de tout individu. Mais l’inverse est également une possibilité des plus contraignantes. Car le fait est que toute introduction d’un nouvel axiome de vérité risque de faire s'effondrer de nombreux autres aspects de nos propres vérités. 

              Et pour s’en prémunir, l’esprit humain est doté d’une faculté instinctive impressionnante, puissante et efficace. Une faculté qui rythme nos vies et nos pensées. Cette capacité mes amis, se nomme le déni, le mensonge à soi-même ou encore, la mauvaise foi. Car il est bien moins désagréable de feindre de s’auto-convaincre de sa propre raison, et ainsi de ne rien avoir à modifier ni réfléchir, plutôt que de devoir modifier son point de vue sur le monde de sorte à régler toutes les contradictions internes qui pourraient alors survenir. 

              Au même titre que la logique para consistante, c’est alors que l’on place un pansement sur le paradoxe afin de momentanément s’en prémunir. Nous nous masquons la vue et la vision, changeons d’attitude, passons sur la défensive et tentons de trouver des raisons. Au lieu d’affronter ce que nous crie notre jugement, celui qui dicte le bon raisonnement, nous feignons de ne pas vouloir l’écouter. Là est la preuve du contraire de la sagesse, là est la preuve de la paresse.

              Car l’humain ne met jamais autant d’art que lorsqu’il s’agit de se mentir à soi-même. La protection de son équilibre interne, son confort et sa stabilité mentale passent souvent avant la valeur et la vertu que peuvent apporter l’acquisition d’une bonne pensée, la modification de notre vision d’un monde trop tronqué. Au lieu de s’améliorer, de faire grandir son âme et ses pensées, nombre d’entre nous s’abandonnent à ce genre d’instincts puériles et distinctifs du faible et du miséreux. Celui qui n’a point assez à donner, celui qui n’a point assez de force pour affronter la réalité. Que de nobles guerriers tombés au combat, que de prometteurs aventuriers perdus dans la facilité d’une vie morne et stérile de toute bonne pensée… 

              Ce fléau des sociétés qui s'infiltre dans les esprits comme un poison lent, annihilant toute volonté de progression et de dépassement. Il dégrade la conscience, anesthésie l'esprit critique, et, pire encore, engendre une acceptation passive de l'injustice et de l'ignorance. Les individus deviennent des prisonniers volontaires de leur propre esprit, enfermés dans une bulle de fausse sécurité et de confort intellectuel. Ainsi, au lieu de se confronter aux vérités du monde dont ils se disent hypocritement protecteurs et justiciers, ils préfèrent vivre dans l’illusion de ce dernier, agissant en réalité comme son pire des cancers. Ceux qui prolifèrent engouffrant toute vie et toute bonté sur son passage, gangrénant les plus nobles et véritable mode de pensée qui méritent d’exister. Mais soit…

              Et c’est précisément cela qui fait peur chez l’autre. Ce qui nous terrifie, c'est cet univers différent qui risque à fortiori de rentrer en collision avec le nôtre. Ce regard, cette vision du monde nous est étrangère et fait peur de par sa profondeur. Elle nous pousse sans cesse à réfléchir sur la réalité de notre propre vision et sur notre façon de penser. Ce regard nous dérange, il nous fait sentir impuissant, empli d’une peur de l’adversité et du changement.

              Chacune de ces confrontations résulte en une transformation plus ou moins forcée des lois de notre univers, de notre monde axiomatisé. Car à cause de la collision de ces deux galaxies, le résultat impose souvent de cataclysmiques changements. Et pareillement aux dires des lois de la physique et de la vie, c’est la plus petite se fait dévorer par la plus imposante.

              Le regard d'autrui est l’enfer de notre vision de l’univers, Il en incarne l’ennemi le plus perfide et le plus mauvais qui soit. Mais la sagesse réside en cette acceptation d’autrui, de son regard, de sa vision. Et il revient à nous de toujours vouloir confronter notre vision à ces contradictions, à toujours faire en sorte de corriger nos défauts et nos imprécisions. Oui, là est notre mission, notre objectif en tant qu’êtres conscients, en tant qu’humain… L’autre doit devenir un puits des possibles, un puits de savoirs qui ébranle toutes les passions. Car c’est souvent grâce à lui que notre vision se modifie en s’améliorant.

             

              La seconde raison pour laquelle nous puissions ne pas vouloir accepter toutes nouvelles informations a également à voir avec notre faculté de juger. Et celle-ci s’avère en réalité refléter un aspect omniprésent dans tous nos jugements sur le monde environnant. Cette raison mes amis, est celle qui se nomme le discernement critique. 

              Car pour qu’une information soit intégrée comme vraie, faudrait-il déjà qu’elle nous apparaisse comme telle. Ce critère d’intégrabilité se nomme crédibilité. Il nous faut pouvoir la juger comme étant plus proche d’un idéal de vérité plutôt que d’un ramassis d’idioties et de mensonges mals amenés. Mais comment juger si le nouveau fait doit ou non faire l’objet d’une prise en compte. Sur quels critères nous basons-nous pour décider de tels sujets ?

              Tout simplement mes amis, nous jugeons les faits par rapport à un calcul plus ou moins réalisé consciemment se basant sur des probabilités. Probabilités, voici ce qu’apporte la mathématisation de la pensée. Tout jugement n’est que probabilité. Car plus un fait semble probable à nos yeux, plus on sera tenté de le croire et de le prendre comme vrai. Est-il à notre avis plus probable que le fait soit vrai, ou faux ? Suivant ce que je sais, ce que je conçois et connaît, cette nouvelle expérience a-t-elle réellement sa place dans ma psyché ?

              Car pour croire en des faits incroyables, il nous faut des preuves plus incroyables encore. Plus le fait est jugé improbable, moins nous aurons tendance à le croire. Au contraire, plus les preuves seront plausibles, ou plus les émotions que provoque ce fait seront agréables ou puissantes, plus l’on sera tenté de le prendre comme vrai. Mais sur quoi se basent réellement ces probabilités ? Par quels critères décider et juger du caractère probable ou non d’une information ?

              Mes amis, je le dis et le répète, mais aucun jugement ne peut être parfaitement objectif chez l’humain. Nous jugeons en fonction de notre référentiel, en fonction de nous-même, en fonction des axiomes que l’on tient pour vrai à l’instant t. C’est en fonction de ceux-ci que l’on décidera si oui ou non une information à plus de probabilité d’être vraie ou non. Plus une information se rapproche des axiomes qu'on tient déjà pour vrais, plus il nous sera aisé de la prendre comme vrai et inversement plus il s’en éloigne, faux. Et plus les preuves apportées seront plausibles et jugées probables, plus le fait sera apte à être considéré vrai. C’est aussi simple que cela.

              Prenons pour exemple le cas de la neige pour les antiques princes arabes vivant dans des régions désertiques où la chaleur règne en maître. Leur référentiel, façonné par un environnement où le sable brûlant et le soleil implacable prédominent, rend difficile, voire inconcevable, l’acceptation d’une telle réalité. 

              Cependant, jadis furent envoyés de nombreux émissaires explorer le monde au Nord de ces royaumes de terres brûlées. Ceux-ci revinrent et racontèrent à leur souverain de quel climat le nord était doté. C’est alors qu’ils décrivent la neige. Cette poudre blanche recouvrant les vallée, brillant au soleil. Cette nuée tombant comme la pluie, froide comme le métal et légère comme l’air. Cette description ne manqua pas de contrarier les suzerains tant celle-ci semblait totalement folle, s’éloignant de ce qui était normalement pris pour vrai.  Jamais autre chose que la pluie ou les flèches ne tombent du ciel. Bien que ce fait pût apparaître totalement faux et inventé de toute pièce, il était toutefois entièrement vrai pour les populations qui habitent ces contrées enneigées.

              Et plus le temps passa, plus les émissaires qui revinrent de ces expéditions racontèrent les mêmes phénomènes avec les mêmes détails, les mêmes précisions et déclarations, plus le doute commença à s’instiguer. Du fait de la faible probabilité que de nombreux émissaires qui ne se connaissent pas puissent revenir de ces voyages avec les mêmes expériences à raconter, les souverains commencent à reconsidérer leur jugement initial. Ce doute qui s'insinue doucement dans leurs esprits fait vaciller leurs certitudes. La répétition des récits, le caractère concordant des témoignages et la précision des descriptions ne pouvaient plus être ignorés. Ce qui, au départ, semblait être une absurdité, une invention grotesque de voyageurs trop imaginatifs, commença à être perçu comme une réalité potentielle. 

              En clair, la probabilité accordée au phénomène de neige, initialement jugée comme étant proche de la nullité, finit par s'accroître pour finalement dépasser le simple stade de potentialité. Plus les preuves de l’existence d’un phénomène deviennent impressionnantes et cohérentes, plus cette dernière devient probable, et plus nous serons tentés de le prendre comme vrai, même si elle s’éloigne premièrement des axiomes en vigueur.

             

              On arrive alors à discerner des formes hiérarchisées dans ces ensembles d’axiomes. Car ceux-ci ont beau se vouloir indépendants des uns des autres dans leur caractère de véracité, certains d'entre eux sont plus profondément ancrés en vous que d’autres dans le même temps. Ceux ayant survécu le plus longtemps aux incessants jugements et aux nombreux traitements des contradictions se trouvent à la base de notre pensée. Ce sont ceux qui, de par leur omniprésence dans notre quotidien, se sont érigés en tant que solides fondations que l'on estime inébranlables. Et bien évidement, les fondations de toutes les fondations ne sont nulles autres que nos sens et sensations.

              De l’autre côté, se trouvent les axiomes fraîchement ajoutés. Ou ceux que l’on juge annexes, inutiles, trop spécifiques et précis. Une véritable hiérarchisation dans le nombre d’occurrence s'installe dans le temps et vient renforcer certaines certitudes au fil des épreuves et des changements. Plus on éprouve un axiome sans que celui-ci ne se brise sur une contradiction, plus il se solidifie dans nos esprits. 

              Et c’est ainsi que les mêmes processus que ceux explorés dans la création d'idées, dans le fonctionnement des sciences et des connaissances se mettent encore ici en place. La survie, le développement, le perfectionnement. Voici comment doivent fonctionner nos esprits, le voici leur but et le but de tout savoir de valeur mes amis.

               En sommes, voici comment fonctionne notre esprit pour sans cesse modifier sa perception de ce qu’est vrai. Il cherche à contrer l’incohérent par la modification de son système ou par le rejet des nouvelles informations. La vision que nous avons adoptée ici sur l’esprit nous permet de mieux comprendre comment celui-ci fonctionne. 

              Le vrai change, se transforme, s’accorde pour nous permettre d’obtenir une vision du monde plus centrée sur la réalité, plus profonde et surtout plus mature. Car l’esprit n'est pas figé comme la mathématique, les axiomes sont perfectibles dans le temps et le changement. C’est par la logique et le jugement que s’opèrent toutes ces transformations internes sur nos perceptions. La maturité se trouve être en réalité une mesure de la cohérence et de la profondeur d’un jeu d'axiomes donné. Ceux-ci se doivent de pouvoir représenter le vrai dans le plus de phénomènes possibles sans qu’incohérence ni contradiction il y ait. 

             

              Nous voici enfin arrivés à la fin de ce périple en terre de la vérité mes amis. Nous savons maintenant comment celle-ci se comporte, ce qu’elle représente et implique pour nos humains esprit. 

              Sur notre chemin vers la démonstration de la valeur des raisonnements logiques, la compréhension de ce phénomène de vérité pour nos humains esprit s’avère être chose cruciale, capitale, voire nécessaire. Car le vrai, cette dénomination proprement humaine apportée sur les phénomènes se trouve être la marchandise par excellence de cette logique abstraite. C’est elle qui la balade au travers de ses raisonnements et de ses développements. 

              Avoir discuté et développé tous ces questionnements nous dotent de solides et stables fondations bâties à partir de raisonnements profonds et emplies d’une sagesse qui nous permet à tous de profiter d’un élargissement de nos horizons de pensées.

              Mais un fait tout aussi important dans la structure même de nos esprits nous barre encore le chemin vers la légitimation des théories scientifiques basées sur la logique. Ce fait, déjà abordé et mentionné à de nombreuses reprises, tout aussi simple et intuitif en apparence que ce goût du vrai, se trouve être l’un des fondements les plus importants de tout raisonnement. Ce fondement mes amis, se nomme temporalité. 

              Car nous savons que toute vérité s'inscrit dans le temps, et que nos raisonnements, aussi logiques soient-ils, ne peuvent se détacher de cette dimension essentielle. La vérité que nous poursuivons, bien qu’intemporelle dans sa pure abstraction, est néanmoins changeante dans son application au cours du temps et des évènements. C'est cette temporalité, ou tout du moins le principe qu’elle induit, le changement, qui impose une dynamique à nos pensées. Comme nous l'avons montré, la vérité elle-même n'est pas une entité fixe, mais un processus en constante évolution, une quête perpétuelle qui se renouvelle à chaque instant. 

              Oui mes amis, ce temps, ce principe de temporalité, de changement qui permet l’établissement de tout raisonnement se trouve ancré profondément dans toutes nos pensées. Et il serait tout bonnement inconscient de vouloir s’élancer dans la finale démonstration de la valeur de tout bon raisonnement sans en avoir préalablement étudié les effets, les causes, les implications et débouchés. 

              Qu’est-ce que la temporalité ? Pourquoi nos humains esprits en ont-ils tellement besoin pour raisonner et fonctionner ? D'où nous provient-elle ? Et qu’a-t-elle réellement à voir avec la logique en elle-même ?

              Voici vers ce quoi nous nous dirigeons maintenant mes amis. Voici notre dernière quête secondaire avant de pouvoir nous attaquer au cœur de ce que nous rêvons tant de réaliser. 

             

             

Chapitre 27 : Le temps pour l’esprit humain

             

 

 

              Après nous en être allé dans ces lointaines contrées de la vérité, celles où règnent les despotes absolues du cohérent, ces axiomes primordiaux de la mathématiques, un nouveau fait surprenant nous est apparu. Car bien que notre vision du monde se rapproche fortement de celle qu'emploie la mathématique, celles-ci diffèrent en de nombreux points que nous nous sommes empressés de préciser. 

              La grande différence mise en évidence lors du précédent chapitre n’a pas manqué de bouleverser cette vision si bornée de la vérité. Car contrairement aux vérités mathématiques, celles que produisent nos cohérents esprits sont changeantes, éphémères, en bref temporelles. Notre vision du monde, de sa véracité et des caractérisations que nous lui imposons sont régies à la fois par les règles de la cohérence et du raisonnement logiques en mathématiques, mais également par celle de la temporalité, du constant changement des mentalités et des phénomènes concrets.

              Ce temps, cette infinité d’instant présents, passés, futurs qui s'entremêlent dans nos pensées formant un sens de la continuité. Ce temps, ce continuel changement, ce flot ininterrompu guidant tout mouvement. Ce temps, mes amis, nous apparaît bien mystérieusement. Il nous nargue, assène les vérités préalablement établies et fait vaciller notre point de vue du cohérent.

              Car en réalité les axiomes primordiaux de la mathématique, ces quatre principes de notre vision du cohérents sont tous très intimement coordonnés avec ce dernier. Le temps, ce principe du changement semble déconstruire à lui seul ces principes pourtant si importants. 

              Prenez pour exemple le principe de conservation qui n’est en réalité valable qu'en un seul instant. Car le temps permet le changement. Un objet peut tout à fait rester lui-même comme changer d’apparence, de fonctionnalité au cours du déroulement de ce temps incessant. La bougie de cire peut devenir, après passage de la temporalité sur ses composants, une marre de cire fondue, différente en forme, en texture, en température, en essence. La bougie peut perdre ses caractéristiques de bougie sans pour autant qu’un cataclysme logique ne se produise. Tout cela, à la condition que ce phénomène se produise sur deux plans temporels différents.

              Prenez le principe de non-contradiction qui, tout comme celui de conservation, n’est valable que sur un même et unique instant. Car une pièce plongée dans l'obscurité peut tout à fait baigner dans la lumière après avoir allumé les lumières. Nous pouvons tout à fait être assis et être debout l’instant d’après sans que contradiction il n’y ait. Le temps permet la prodigieuse multiplicité des instants, la fabuleuse multiplicité des univers, chacun d’entre eux gravés dans des infinités de moments présents différents.

              Il en va de même pour le principe de causalité qui n’est tout simplement pas envisageable sans l'expérience du temps et du changement permettant d’entrevoir les notions de causes, d’effets, de répercussions, en bref de causalité. C’est ce temps, cette temporalité qui permet la naissance de cette façon proprement humaine de raisonner sur des plans différents d'un enchaînement de phénomènes discrets tout en sachant logiquement et ou intuitivement relier le tracé des événements. 

             

              Mais mes amis, qu’en est-il vraiment ? Qu’est-ce que signifie réellement le temps ? Quelle peut bien en être sa définition ?

              Et c’est malheureusement ici que la polysémie d’un tel terme vient bousculer nos prétentions à sa compréhension. À mesure que nous tentons de cerner ce qu'est le temps, nous nous heurtons à cette complexité linguistique, conceptuelle et sémantique. 

              Sans vouloir nous y attarder de la même façon que la classique petite philosophie qui cherche plus à disserter sur le vocabulaire que sur le sujet en lui-même, le temps peut désigner à la fois une durée, une succession d'événements, une mesure abstraite, un état d'esprit et encore tant d’autres choses… Il est tour à tour linéaire et cyclique, objectif et subjectif, physique et métaphysique. Cette pluralité de significations brouille notre compréhension et nous éloigne d'une définition unique et précise. Nous plongeant dans les abysses d’une multiplicité de notions différentes pour la plupart inintéressantes, dissimulant celle que nous recherchons tant.

              Car le fait est que le terme de temps est utilisé à outrance dans une vaste catégories d’expressions, de dénominations, de descriptions, qui finissent fatalement par créer un nombre prodigieux de non-sens et de contradictions. Comme pour exemple le plus singulier et ahurissant : “le temps s’accélère”. Sachant qu’une accélération est une double dérivée d’une position par rapport au temps lui-même, cette expression s’en va réduite au non-sens par essence. L’on ne peut pas dériver le temps par rapport à lui-même, et encore moins s’il s’agit de la faire deux fois. Ou encore “gagner du temps”, comme si le temps pouvait être une ressource que l'on accumule, stocke ou dépense à sa guise. Cette idée, bien que pratique dans le langage courant, masque la réalité fondamentale que le temps n'est ni un bien tangible ni une entité malléable. Et il existe encore une panoplie de ces exemples démontrant l’immense bourbier qu’une telle notion séparée en de multiples expressions contradictoires peut représenter.

              Toutefois, cette polysémie, cette pluralité d'emploi pointe du doigt un fait des plus intéressant. Car nous sommes souvent intuitivement aptes à comprendre le sens de ces expressions sans même avoir intégré profondément cette notion, démontrant en grande partie ce caractère inhérent à la pensée. Bien qu’il soit difficile de précisément nommer et catégoriser ce qu’est le temps, il semble pourtant connu de tous et sous toutes ses déclinaisons. Bien que lorsque l’on nous demande ce à quoi elle renvoie, l’on ne soit pas capable de la décrire correctement, elle nous apparaît pourtant aussi claire et limpide que l’eau des rivières. 

              Elle est en quelque sorte une forme de chimère disparaissant lorsque l’on essaie de la regarder de trop près. Une sorte de tour de magie orchestrée par de malins génies qui prennent plaisir à nous voir nous décomposer à l'orée de ces questionnements en apparence si aisés.

              Car lorsque l’on essaie de le définir, la tâche en devient des plus ardues. Car cette notion du temps si attrait à la polysémie du langage est en réalité le pinacle de la pensée. Depuis plusieurs milliers d’années, les penseurs ont vainement tenté de le définir, de lui en attribuer une signification précise et plus fondamentale encore que ce à quoi il renvoie. Mais le temps semble encore et toujours nous échapper, ne nous permettant que de le définir circulairement via ses effets sur nos environnements. 

             

              C’est tout premièrement en antiquité que la question fut sérieusement abordée. Le temps pouvait être vu comme une illusion, une voile à la perfection de la réalité mouvante sur notre subjectivité. Mais les définitions s'arrêtaient souvent à sa mesure. Le temps pouvait être défini comme la durée que met le Soleil à effectuer une révolution complète dans le ciel. Bien que circulaire, car définissant “le temps que met le temps” à effectuer une certaine action, cette définition resta largement prise comme acquise au long des époques.

              Puis vinrent les horloges mécaniques qui, tout comme le mouvement du Soleil, mesurent ces durées, mais cette fois-ci bien plus précisément. 

              Ensuite vinrent les temps atomiques. C’est à la découverte de ces petites boules d'énergie que la définition universelle de la seconde fut proclamée après que celle fondée sur la révolution de la Terre ait été décrétée comme trop imprécise et chaotique. Celle-ci correspond dans un système inertiel donné au temps nécessaire pour que précisément 912 631 770 radiations puissent émaner de l’atome de césium 133 dans ses transitions d’états fondamentaux. Définition dotée de la plus grande des précisions qui puisse être atteinte par l’humain. Toutefois, bien que la seconde soit si précisément définie, celle-ci ne nous dit presque rien sur le phénomène qui fait en sorte qu’elle s'écoule belle et bien.

              Par la suite, le temps des théories d’Einstein et de la relativité générale viennent pilonner l’édifice des travaux de Galilée et de Newton. Ces théories décrivent le temps comme relatif à tout observateur, “s’écoulant” patiemment pour tout référentiel différent. Il se trouve décrit comme faisant partie de l’espace-temps, un tissu quadridimensionnel réagissant aux contacts de l’énergie et de la matière. Ce temps-ci est définie pareillement à une coordonnée sur un axe unidimensionnel permettant de placer tout évènement sur la grille de cet univers de toutes les merveilles. 

              Et finalement, c’est grâce aux avancées dans l’étude et l’exploration des confins de notre univers via la mise au point de télescopes surpuissants, que les physiciens furent capables de dater ce dernier. Lui en attribuer un instant zéro, ou tout du moins un instant duquel commença ce que nous appelons le temps de toute chose. Et cela, il y a 13,8 milliards d’années. Date à laquelle tout référentiel quel qu’il soit ne peut se voir doté d’une période d’activité plus avancée. 

              Ayant maintenant terminé ce concis résumé portant sur l’histoire des avancées dans la découverte du temps, il est maintenant l’heure de nous y aventurer plus en profondeur. Mais mes amis, avant que cela ne puisse m’être reproché, il sera ici question de déterminer quelles sont les relations qu’entretiennent notre esprit et notre monde via cette notion de temporalité. La question de ce que peut être le temps physique, celui que l’on place dans les équations, celui qui décrit les mouvements mathématiquement sera détaillé dans les livres qui suivront.

              Pour le moment, concentrons-nous sur cette notion de temps et de ses implications dans nos humains esprits, ce qu’il produit, ou alors, ce que nous produisons dans celui-ci. Et pour ce faire, il nous faut nous aussi tenter de lui conférer une définition claire et précise malgré son attrait à la polysémie, nous permettant de naviguer dans ses secrets les mieux gardés en relation avec nos pensées.

              Mais cette tâche s’avère plus difficile qu’en apparence. Après tout, ce n’est pas pour rien qu’aucun penseur n’y ait jamais réellement parvenu depuis ces quelques milliers d’années. Car il apparaît ici clairement que le temps semble difficilement définissable à l’aide de formes plus simples de notre vocabulaire. Il semble se poser comme notion primaire, comme notion inhérente à notre intuition même. 

              Comme décrit dans le second chapitre, une définition a pour but de caractériser un phénomène particulier avec un mot, défini par d’autres mots représentants des notions plus intuitives et compréhensibles facilement. Or pour ce qui est de la définition du temps, aucun mot, aucune notion ne semble pouvoir rivaliser avec celle-ci en termes de simplicité d’acquisition, en termes d'intuitivité directe. Ce temps semble être à la base de notre pensée et de notre esprit, une forme de socle sur lequel les autres définitions viennent prendre pieds et non l’inverse.

              Allez-y mes amis, prenez le temps qu’il vous faudra pour vous convaincre de la difficulté d’une telle entreprise. Définir la notion du temps, ne serait-ce qu’une idée de celle-ci est un travail difficile sans pouvoir faire appel à la circularité ou à des notions plus complexes et étriquées. En essayant de le définir, nous retombons souvent dans des paradoxes ou des explications qui ne font que repousser le problème sans réellement l'élucider car utilisant des notions inhérentes au temps lui-même.

              La tentation est grande de faire appel à des notions finissant souvent par s'entremêler et compliquer davantage la définition que l’on cherchait à pourvoir et à apporter. C’est pourquoi, malgré les efforts de nombreux penseurs et scientifiques à travers les âges, le temps reste une énigme insaisissable pourtant fondamentale à notre existence. Il semble tout bonnement impossible à définir autrement que par lui-même. 

              Et… De cette injonction émane une odeur toute particulière, une sensation bien familière. Mais oui mes amis, le temps serait-il un axiome ? Le temps, cette notion qui ne semble ne pouvoir se définir que par elle-même n’est-elle pas une forme d’axiome déguisé ? Une vérité fondamentale de notre pensée qui ne peut être définie et comprise autrement que par elle-même ?

              Bien que cela soit tentant, efforçons-nous tout de même de ne pas donner de conclusions trop hâtives. Car avant de vouloir affirmer pareils rapprochements, il nous faut creuser et préciser le sujet plus profondément. Faisons en sorte de clarifier ce dont il est véritablement sujet. Et cela, afin d’en apprendre plus sur les liens qu’il entretient avec notre pensée du vrai ainsi qu’avec notre propension à la logique et au bon raisonnement.

             

              Pour commencer, la notion du temps que nous tentons d’étudier est dotée d’un caractère linéaire. Le temps ne peut “s’écouler” que dans une seule direction et cela, de façon irrémédiable. Le passé reste passé, le présent deviendra passé, le futur deviendra présent, et ce, semble-t-il, jusqu’à la fin des temps. Cette progression inévitable confère au temps un aspect irréversible qui structure notre perception de la réalité. Chaque instant vécu est unique et ne peut être répété. Comme nous le verrons par la suite, cette forme d'irréversibilité du temps à grandement à voir avec une science de la plus haute importance, la thermodynamique.

              Toujours étant que tout phénomène concret est affecté par cet uniforme et linéaire transformation. Les objets vieillissent, les êtres vivants naissent, croissent et meurent. Les vallées se creusent, les métaux s’oxydent, les astres se déplacent. Cette transformation constante impose une dynamique à l'univers tout entier, influençant chaque aspect de la réalité. Aucun phénomène dans l’univers que l’on connaît à nos humaines échelles ne peut déroger à cette règle infranchissable. 

              De plus, au-delà des phénomènes purement concrets, il va tout naturellement de soi que ce temps agit également dans l’abstrait. Car le fait est que toute expérience, toute sensation est caractérisée par un aspect temporel. Toutes nos expériences sont placées dans cette “dimension”, dans cette trame chronologique d'événements successifs. Chacune de nos sensations est dotée d’un début, d’une fin, d’un déroulement découlant de ce passage du temps, de ce constant flot de changement. 

              Mais, le fait est que le temps n’est pas une expérience en lui-même. Nul n’en a jamais fait l'expérience concrète, nul ne l’a jamais expérimenté comme l’on pourrait expérimenter le rouge, le chaud, le doux. Nous ne sommes pas naturellement dotés de capteurs temporels qui détecteraient le passage du temps non loin de nous. Des capteurs qui nous renvieraient des sensations d'intensité temporelles différentes et changeantes suivant les positions.

              A nos échelles, le temps physique est uniforme. Chaque molécule composant nos corps sont atteintes de la même façon par le constant changement. Nous ne comprenons le temps qu’au travers de ses conséquences, qu’au travers de ses effets, qu’au travers du changement lui-même. Notre véritable “sens” du temps est purement et simplement interne, lié à un ressenti, un jugement instinctif face aux changements expérimentés, face aux mouvements de nos pensées.

              Et c’est ici qu’un point précis doit ici nous intéresser. Car comme exposé dans la brève histoire de ce temps, de l'antiquité à notre modernité, le rapport entretenu avec ce dernier a toujours été exercé par son rapprochement à un phénomène physique en mouvement régulier. Un jour correspond à une révolution de la Terre sur son axe de rotation, une seconde correspond à un nombre précis de vibration, une heure, un douzième de tour d’aiguille dans le cadran d’une montre… 

              Le simple fait de représenter le temps par l’image de la montre est démonstratif de ce phénomène. Nous représentons le temps par le mouvement. Ou tout du moins, pour nous permettre de le saisir, nous le retranscrivons en mouvement. Tel est le cas pour le mouvement des planètes, pour le mouvement de l'aiguille dans la montre à gousset, pour les vibrations de l’atome isolé, le mouvement de balancier de l’horloge…

              Et cela nous amène à fortiori à nous demander si le temps peut lui-même être envisagé sans mouvement apparent, sans changement dans notre environnement. Nous pouvons même étendre cette interrogation au-delà du concret et la projeter sur l’abstrait. Car si nous figeons nos pensées, que nous empêchons notre esprit de se mouvoir au travers de sa mémoire et de ses ressentis, il devient clair que le phénomène du temps ne peut plus nous apparaître clairement. Sans changement externe tout comme interne, le temps n’a plus de sens, il n’existe plus pour nos humains esprits. 

              Il en va de même pour tout raisonnement, car sans changement, comment pourrait-on acquérir cette idée de causalité, de cause et d’effet ? Sans changement, la logique devient tout bonnement impénétrable, méconnaissable, inenvisageable. A quoi bon être cohérent et raisonné lorsque cela n’a point d'intérêt, lorsque nos pensées ne peuvent plus se développer ni évoluer ?

              Et réciproquement, si nous arrêtions ce que nous nommons comme étant le temps à la fois dans le concret et dans l’abstrait, tout en deviendrait irrémédiablement figé. Tout comme les univers mathématiques, le nôtre deviendrait singulier, immobile, stable et unique. Seul l’espace subsisterait. L’abstrait même ne pourrait plus s’y développer. Car étant captive de l'interaction et du traitement des données provenant du concret, l’abstrait a besoin de cette temporalité, de cette succession de plans, d'événements pour le bon déroulement de ses processus de traitement.

              En sommes puisque le changement implique le temps et que le temps implique le changement, ces deux notions sont donc liées, voire similaires pour nos esprits. Nous voyons le temps comme nous voyons le changement, et nous voyons le changement comme nous voyons le temps. Sans modification, pas d’idée du temps. Et pas de temps, pas d’idée de la modification. Ainsi se limite notre vision. 

             

              Et c’est assez ironiquement, que le temps est le seul phénomène qui n’est pas affecté par ce changement. Il reste toujours fidèle à lui-même, toujours constant et linéaire, agissant sur tout ce qui se trouve dans notre univers. Ce n’est pas pour rien que nous le représentons via des mouvements répétitifs et cycliques, car ceux-ci sont assurés de se prolonger à chaque fois sur la même quantité de durée. 

              Et c’est précisément cela qui fait en sorte qu'on puisse juger si un instrument de “mesure” du temps est bon ou mauvais. Car ceux qui se veulent véritablement garant d’une bonne vision de l’écoulement du temps se doivent de rester cohérents avec leur environnement, se doivent de représenter l’uniforme stabilité de cet écoulement continu et constant. Car oui mes amis, seul le temps lui-même n’est pas affecté par ce changement incessant. Seul lui reste constant et inchangeant. Ce qui a de quoi éveiller quelque peu nos soupçons quant à sa réelle catégorisation.

              Car puisque le temps implique le changement, et que cette implication ne change pas elle-même au cours du temps. La catégorisation du temps comme un phénomène doit nous laisser grandement perplexe. Et cela puisque tout phénomène réel se doit d’être affecté par une certaine forme de temporalité, ce que le temps ne fait visiblement pas. 

              En clair, ce temps ne varie pas au cours de changement et agit sur tous les phénomènes tant concrets que abstraits. N'est-ce pas précisément la définition d’un principe physique mes amis ? Oui, le temps est bien plus proche du principe, qui par définition, reste constant, invariable tout en énonçant une proposition s'appliquant aux phénomènes réels. Tout comme le principe de conservation de l'énergie, ou le principe de moindre action, le temps se trouve en réalité plus proche du principe que du phénomène agissant comme nous le pensons intuitivement.

              Le temps n’est pas un phénomène observable ni mesurable. Nous ne faisons que d’observer et mesurer ses effets sur le concret. Voici la raison qui nous pousse à le transfigurer au travers du mouvement régulier d’objets concrets. La montre n’est ni plus ni moins que la mesure de l’effet du principe du temps sur l’aiguille. Principe uniforme, s'appliquant pareillement à tout pour nos humaines échelles.

              Et c’est certainement en cela que toute l’importance de cette distinction fait brusquement son apparition. Le temps qui était vu pareil à un phénomène impossible à caractériser, devient alors principe qu’il nous faut étudier.

             

              Nous voilà fin prêt mes amis. Nous sommes prêts à réaliser l’impossible. Bien que la question du temps soit effectivement de la plus grande difficulté, nous allons tenter d’octroyer une définition simple à ce dernier. Nous allons lui en octroyer une définition toute trouvée s'inscrivant parfaitement dans nos dires passés, une définition apte à être appréhendée par nos pensées que voici :

             

              Le temps est le principe selon lequel tout univers fixé se doit d’évoluer continuellement vers un état différent du premier, et cela jusqu’à l’éternité.

               

              La voici la définition que nous laisserons à la postérité. Cette définition évite une certaine forme de circularité, elle nous permettant de voir ce temps différemment tout en permettant de conserver la cohérence du changement. La voici celle qui se combine parfaitement à nos précédents établissements tout en nous permettant d’en comprendre son effet le plus singulier. 

              En utilisant le fait que le temps soit pris comme étant un principe, nous pouvons lui faire introduire les mécanismes du mouvement sans avoir à faire appel à lui-même et ainsi éviter cette circularité tant redoutée. En le différenciant d’un phénomène, il nous est alors possible de la catégoriser, de le décrire comme agissant sur le monde, donnant une loi à respecter. A notre échelle humaine, le fait de définir le temps comme un principe universel de toute matière nous permet de mieux le comprendre et le saisir. Tout est affecté de la même des manières, tout est affecté par le changement. Et le principe qui fait en sorte que tous ces mouvements se produisent, se prénomme le temps.

              Cette définition utilise des notions plus simples encore que celles de temporalité telle que la différence et le continu. Elle réintroduit la notion d’évolution dans un univers préfixé, ce qui revient à introduire la notion de développement, de l'enchaînement de différents plans chronologiquement, en bref, celle de temporalité. 

             

              Mais mes amis, pour nous permettre de mieux pouvoir saisir toutes ses prouesses, précisons et clarifions quelque peu le propos. Car habituellement, le temps est perçu comme une idée d'infinité, une projection de nos états et fonctions mentales sur le déroulement des événements. Cependant, suivant notre définition du temps, il nous faut rectifier quelque peu certains aspects de ce dernier. Car notre vision du temps l'exclut de celle le voulant comme une dimension à part entière dans laquelle il serait possible de se déplacer.

              Dans notre vision, l’espace ne se déplace pas dans une autre dimension que lui-même, il reste sa propre et unique dimension. Seulement, ce dernier, étant dirigé par le principe du temps, se détruit instantanément et se reconstruit tout aussi rapidement en un nouvel univers quelque peu différent. Cette vision ne change en rien le mode de fonctionnement du monde tel que nous le voyons, mais permet de rectifier notre propension au voyage temporel. Car puisque le temps est un changement irréversible, une force plutôt d’une dimension, il nous est impossible de voyager et de remonter le passé. 

              Dans cette perspective, seul le présent existe véritablement. L'univers existe toujours en une seule version, celle qui se modifie sans cesse suivant les directives de ce maître de tous les instants. Ce que nous nommons passé n’existe plus et ce que nous nommons futur n’existe pas encore, ou tout du moins c’est ce que nous soutiendrons pour le moment. 

              La flèche du temps généralement dessinée afin de décrire l’avancement est une figure bien étrange faisant coexister sur un même plan tant bien le passé que le futur sans réelle distinction ni précision sur ce qu’elle représente véritablement. Mais suivant notre description, le temps est une forme de force qui pousse un point infiniment fin nommé présent dans une direction bien définie. 

              Bien évidemment, ce changement s'effectue tout en respectant les autres principes physiques préalablement établis. Empêchant que la réincarnation instantanée de l’univers ne se produise aléatoirement en violant les principes à la base de ses fondements. 

              Suivant cette définition, le temps n’a pas de direction privilégiée. Il change tout simplement. Ce qui fait en sorte que l’univers ne puisse changer que dans une seule direction à bien plus à voir avec d’autres principes physiques étudiés en thermodynamique, impliquant l’irréversibilité des réactions. Faisant en sorte que le changement puisse se penser comme unidirectionnel alors qu’il n’est tout simplement pas directionnel.

              C’est en ce sens que le temps tel que nous pensons a bien plus à voir avec le principe qu’avec la dimension ou qu’avec le phénomène réel. Il n’est pas une enceinte dans laquelle se déplace l’espace en son sein, mais un principe de l’espace lui-même faisant en sorte que ce dernier ne puisse se figer, soit constamment contraint à évoluer. Ce principe mes amis, est celui qui fait en sorte que l’univers ne puisse jamais être constant. Il décrète que tout phénomène ne peut subsister pareillement à lui-même. Chaque phénomène se doit de se modifier constamment, et ce, irrémédiablement jusqu’à la fin des temps. 

              En ce sens, le temps, ce dieu du changement, n’est que la mort continue d’un même instant. Loin d'être une simple mesure de la durée ou une dimension fixée, ce principe devient la force invisible qui orchestre le ballet de l'univers, l'aiguillon qui pousse toute chose à évoluer, à se transformer, à se défaire pour renaître sous d'autres formes. C'est une loi universelle, implacable, que l'on ne peut appréhender qu'en acceptant son caractère fondamentalement insaisissable. En cela, mes amis, le temps n'est pas notre ennemi, mais bien le garant de la vie et du mouvement perpétuel qui anime nos esprits. 

              En sommes, cette définition, cette vision du temps comme un principe physique plutôt que comme un phénomène ou une dimension à part entière nous permet de la catégoriser et de décrire ses effets avec précision. Elle nous permet de sortir de la circularité tout en préservant les sensations de notre intuition quant à ce dernier. 

              Cette vision-ci de ce qu’est le temps nous permet de le définir sans tomber dans la circularité tout en conservant une approche intuitive, exempte de résultats dérangeants et conceptuellement difficiles, en le liant fortement au changement. Le temps n'est plus un objet physique que l’on peut manipuler, mais bien un principe physique qui manipule les autres objets, qui leur ordonne de bouger et d’évoluer linéairement.

             

              Enfin, pour rétablir le lien profond qu’exerce cette définition avec notre vision du vrai, il nous suffit simplement d’y faire correspondre nos décrets passés. L'univers, qu'il soit mathématique ou mental, se compose d'ensembles d'axiomes représentés par des phénomènes pour le concret, et des expériences concrètes pour nos pensées. Le temps, ce changement constant, se voit attribuer le rôle de la mouvance de nos esprits, du caractère évolutif de notre vérité et de notre vision du monde dans lequel nous subsistons.

              Tout univers quel qu'il soit, tant concret qu’abstrait, se voit contraint par la toute-puissance de ce principe, à changer sans arrêt, à sans cesse s’abandonner pour mieux se retrouver. Et cela même pour notre vision du vraie, celle qui se modifie petit à petit tout au long de nos existences. 

              Le temps additionné à notre univers préexistant est alors apte à nous faire entrevoir toute la beauté et la complexité du fonctionnement de nos pensées, de notre esprit dans sa quasi-globalité.

             

              Encore une fois, cette vision de ce “temps” est loin d'être le seul possible. Elle s’éloigne à de nombreux égards de celle traditionnellement admise par la physique ou la philosophie de manière générale, si tant est que ces deux domaines puissent s’accorder sur une définition particulière et assez poussée pour ne pas avoir à faire face à la circularité. Pour pouvoir faire correspondre physiquement cette définition aux expérimentations de la réalité à des échelles au-delà de l’humain, il nous faut y introduire nombre d'autres principes tels que ceux de référentiel propre, de relativité, de dilatation, de vitesse maximal et absolue...

              Sans trop vouloir rentrer dans des détails compliqués, comme établi dans les théories de la relativité générale et restreinte, en lien avec notre propre définition du temps, ce dernier agit de la même façon pour tous les référentiels. Toutefois, les durées mesurées d’un référentiel à l’autre sont différentes suivant la vitesse de déplacement et la densité d’énergie présente. Permettant ainsi le respect du principe de vitesse maximale de la causalité, ou plus communément appelé vitesse de la lumière dans le vide par rapport à tout référentiel concret.

             

              Mais trêve de mondanités, car maintenant étant plus familier avec cette idée du temps comme principe physique actif, il nous faut établir le dernier aspect de vocabulaire permettant de clôturer notre approche.

              Puisque le temps n’est ici pas vu comme une entité physique, un phénomène ou une dimension quelconque, il est tout naturel que de par son caractère de principe universellement acquis dans les esprits développés, ce dernier ne puisse être mesuré. Le temps pris comme principe est tout bonnement immesurable, inidentifiable, inquantifiable. Ce que nous mesurons à l'aide de nos montres ne sont rien de plus que des durées. Et ces dernières correspondent à un intervalle, arbitrairement évalué et continu, d’une infinité d'instants entre un changement A et un changement B. 

              Par exemple, nous pouvons mesurer la durée que prend une balle pour atteindre le sol. Cette durée peut être mesurée en seconde, en jours, en année, et correspond à l'intervalle entre l’univers duquel la balle commence sa chute, et celui où la balle touche effectivement le sol.  

              Le temps reste ici le principe faisant en sorte que la balle puisse effectuer un tel mouvement par la succession d’instants présents. La durée est un intervalle comprenant l'entièreté de ces instant, l’entièreté de ces univers, qui sont quantifié par des unités de durée telles que les secondes ou les années. Encore une fois, dans cette vision, la durée n’est pas une partie du temps, tout bonnement car le temps n’est ni tangible ni consistant. Elle n’est qu’un ensemble d’instants plus ou moins proéminents.

             

              Et plus que cela, la définition octroyée ne permet en rien d’apporter une solution satisfaisante au pourquoi l'univers devrait-il agir ainsi dans notre vision de celui-ci. Toutefois, elle nous permet, tout en étant dans la continuation de nos dires passés, de nous porter vers les douces contrées de la logique et de sa démonstration tant convoitée.

               Et pour nous permettre de continuer dans notre lancée, il nous faut aller explorer plus profondément encore ce que ce temps ainsi défini produit dans nos esprits. Car après l’avoir défini simplement et méthodiquement, il nous reste à expliquer plus profondément sur rôle à jouer dans la formation de nos pensées et de notre rapport avec ce dernier.

             

             

Chapitre 28 : L’homme, un animal temporel

             

 

 

              Mes amis, il n’y a aucun doute à se faire sur le fait que l’homme est un animal temporel, si ce n’est l’animal le plus temporel qui soit sur Terre. Et cela, tout premièrement car le principe du temps est, comme énoncé précédemment, un biais nécessaire à la production de toute pensée et de toute réflexion à proprement parler.

              Car sans le principe du temps, il nous serait impossible de raisonner, de réfléchir, de déduire, de lier, relier, déterminer les causes et les effets. Tout simplement car nous avons besoin du mouvement et du changement pour pouvoir établir des jugements sur les phénomènes du concret, jugements nécessaires à toute appréciation, à toute réflexion et création d’idées, de connaissances et de savoirs.

              Sans possibilité de changement, il nous serait impossible de comprendre quoique ce soit, et notre esprit resterait figé dans un état d'inertie totale. Le temps, en offrant une succession d'événements et de transformations, permet à l'homme de saisir la réalité, de la découper en séquences compréhensibles, et d'y déceler des motifs, des enchaînements chronologiques logiques. Sans temporalité, le vrai ne peut point exister car le jugement porté sur le concret lui est nécessaire. Et sans vrai, pas de cohérence, et donc par la même, pas de conscience.

              Sans ce temps, ce changement, les processus de créations de connaissances disparaissent avec lui. Comme établi lors de la première partie, les connaissances se forment d’idées qui sont des regroupements d'expériences. Et ces mêmes expériences se produisent temporellement car issue de jugements portés sur l’accumulation d’un certain nombre de sensations.

               

              Mais cela n’est pas la seule raison pour laquelle il nous faut dépeindre l’homme comme un animal temporel. Car du fait même de la structure des pensées humaines, du fait même des processus de créations d’idées via les expérimentations, l'esprit développé de tout homme est doté d’une aptitude d’une impressionnante puissance. Cette aptitude mes amis, résulte dans le fait qu’il peut comprendre ce que nous appelons passé et peut se projeter dans ce que nous nommons futur, et tout cela, tout en vivant dans l’unique présent de l’univers qui l’entoure. 

              Cette capacité unique permet à l'esprit de naviguer entre ces trois géants que sont le passé, le présent et le futur. Il ne se contente pas de réagir aux stimuli immédiats, comme le feraient d'autres animaux, mais il est capable de revisiter le passé, d'en tirer des leçons, de se remémorer des expériences et de construire des récits qui donnent sens à son existence. Simultanément, il peut anticiper l'avenir, planifier, imaginer des possibilités, et ainsi influencer le cours de sa vie bien au-delà de l'instant présent. Cette maîtrise du temps confère à l'homme une profondeur de pensée, une capacité à rêver, à espérer, à prévoir, prédire, apprendre de ses erreurs et projeter ses réflexions sur ses plus hautes ambitions. 

              Ce pouvoir permet à l’homme de faire vivre le passé dans son présent et de faire vivre son présent dans le futur tout en lui permettant d'échapper à ce dernier. L’homme ne navigue pas seulement dans ses terres internes abstraites en imaginant des phénomènes tirés de son expérience, il peut également les agencer dans différents plans temporels et chronologiques afin de retracer des histoires, des chaînes causales ou événementielles.

              Cette aptitude s’en retrouve incarnée par un espace de stockage abstrait hautement important. Cet espace de stockage mes amis, n’est nulle autre que notre chère et précieuse mémoire. Cette reine du savoir, cette divinité de l’identité, ce pilier de la pensée. Car pensez-y, enlever la mémoire à n’importe quel individu et vous le condamnerez irrémédiablement à l’oubli infini. Rien ne pourra alors prendre pieds, tout s’effondrera dès son expérimentation terminée sans pour autant s’ajouter à l’édifice de ses pensées. Voir pire encore. 

              Car du fait de sa non-rétention des informations, de sa non-projection des différents plans chronologiques, l’individu ne peut tout simplement pas énoncer de pensées. La conscience lui est tout simplement hors de portée, jamais rien ne pourra être appris, compris, analysé ou clairement ressenti.

              Sans cette notion du temps acquise, l’individu se voit relégué au rang d'être dénué de toute forme de compréhension ou de capacité à organiser son existence. Il est condamné à un présent perpétuel, incapable d'envisager le passé ou le futur, et donc d'évoluer ou de progresser intérieurement. Cette absence de temporalité le prive des fondements nécessaires pour construire des connaissances, formuler des idées cohérentes ou même développer des expériences en lien avec son environnement. 

              Ainsi, la temporalité se révèle être non seulement un cadre de référence essentiel, mais également la pierre angulaire de toute expérience et de toute compréhension humaine.

             

              Toutefois, comme énoncé précédemment, nous ne sommes pas naturellement dotés à proprement parler de sens du temps, de sens de la durée. 

              Il nous suffit pour le montrer, comme cela a été à de nombreuses fois effectué dans le passé, de placer des individus dans des espaces isolés, confinés et plongés dans l’obscurité. Après être resté dans ces environnements non stimulants, ces derniers finissent rapidement par perdre cette notion des durées. Ils finissent par prendre des heures pour des jours, des mois pour des années… et en deviennent grandement affectés.

              Ce phénomène apparaît en réalité, car ce “ressenti” des durées est projeté. Projeté sur nos actions et sur la prise en considération des phénomènes qui prennent place dans notre environnement. Expliquant pourquoi cette sensation se perd et se modifie une fois plonger dans des environnements sans événements, sans déroulement sur lesquels juger les durées. Et nous appellerons cette projection : la temporalité.

              Cette temporalité, mes amis, représente en quelque sorte notre capacité à structurer et organiser notre expérience du monde. Elle est le cadre mental à travers lequel nous interprétons et donnons sens aux événements en les plaçant dans une continuité. La temporalité nous permet de lier le passé au présent, d'anticiper l'avenir, et d'intégrer ces différentes dimensions dans une vision cohérente de notre existence. 

              Elle nous donne la possibilité de percevoir la durée des événements, d'évaluer le temps qui passe et d'ajuster nos actions en fonction de cette perception. Oui mes amis, une perception, un jugement. La temporalité est liée à un jugement plus ou moins consciemment effectué sur les phénomènes qui se produisent face à nous ainsi qu’à l'intérieur de nous, dans nos esprits mêmes. Du fait de notre incapacité à percevoir les durées grâce à des capteurs sensoriels concrets, cette sensation est presque exclusivement apportée par notre propre perception des enchaînements et du changement lié au temps. Dans notre vie quotidienne, cette dernière est généralement assurée par les cycles circadiens et la naturelle alternance jour/nuit qui survient chaque lendemain.

              Cette capacité à juger la durée varie largement suivant l’état émotionnel, l’attention portée aux événements, et même les conditions physiologiques. Lorsque nous sommes concentrés ou que nous vivons des moments intenses, le ressenti des durées semble se raccourcir, s’atrophier. De la même façon que sous l’effet de substances limitant l’exercice de la raison dont je ne citerai pas les noms.

              Au contraire, une fois placé devant l’ennui le plus profond et abyssal, celui qui horripile, qui exaspère, cette terrible sensation du rien faire, nous sombrons dans l'expérience du temps le plus pur qui soit. Car privé de stimuli externes autant qu'internes, la perception des durées tend à se dilater, à adopter sa forme la plus crue et la plus languissante qu’il puisse être donné d’expérimenter. Nous sommes plongés dans les abîmes de notre monde interne, celui qui fait s’écouler le temps lentement, qui nous pousse souvent à nous interroger sur le sens de nos existences. Ha mes amis, cet ennui, cette désagréable sensation de confrontation avec nos propres contradictions n’a pas fini de tourmenter nos pensées. Mais nulle crainte à cela, nous aurons tout le temps de l’étudier dans un avenir qui se veut proche.

              Cette expérience subjective du temps, ou temporalité, n'est donc pas un reflet exact des durées physiques mesurables, mais une construction mentale façonnée par nos émotions, nos pensées et notre environnement. Nous ne ressentons pas les durées aussi fixement et continument que nos objets de mesures. Ainsi, notre ressenti du temps devient un outil adaptatif, permettant, via un jugement exercé au quotidien et entraîné avec soin, d’établir des liens entre l’éloignement temporel de certains faits et événements. 

              Mais mes amis, les durées et leur ressenti sont propres à chaque individu humain, et cela bien au-delà des simples états mentaux momentanés et changeants. Car suivant l'âge, et plus précisément, la maturité de l’individu, les durées ressenties au quotidien peuvent également se voir amplement modifiées. Ha la maturité, elle ne nous lâchera donc jamais. Car en effet, un individu mature prenant plaisir à penser, à réfléchir sur des sujets poussés à longueur de journée tout en résolvant des problèmes clivants, cet individu mes amis, aura tendance à percevoir les durées d’une toute autre façon que celles de ceux l’environnants.

              Car plus un esprit réfléchi et s’adonne à la douce tâche de penser, plus les événement et expériences se succèderont intérieurement, permettant l'instauration de sensation de durée exacerbées et dilatées à des dimensions rarement atteintes par la majorité. Le plus important facteur dans le jugement du défilement des durées reste et restera celui-là. La maturité et ce qu’elle apporte avec elle fait “passer” le temps plus lentement. 

              Expliquant fort bien pourquoi dans la majorité des cas, la jeunesse est une époque qui semble bien plus rapide et éphémère que celle que nous éprouvons lorsque nous vieillissons. Car lorsque nous sommes jeunes, l’existence est emplie de stimuli divers et variée sans arrêt. Notre immaturité fait en sorte de ne pas avoir à réfléchir outre mesure sur nos potentiels mésaventures tout en évitant de penser au futur. Ce qui fait irrémédiablement en sorte que notre perception des durées s’en voit largement écourtée.

              Nous pouvons ici revenir à l’analogie avec la physique relativiste. Nous pouvons dire que plus un esprit cogite vite et use de l'énergie pour résoudre des problèmes profonds, aussi abyssaux que les tours noirs intersidéraux, plus son temps propre, sa perception des durées va alors se dilater par rapport aux autres individus environnants. Dans le même intervalle, cet individu aura eu l’impression d’avoir vécu bien plus longtemps que ses congénères. Il sera en quelque sorte sorti du vaisseau voyageant à la vitesse de la lumière pour mieux apprécier le monde des pensées lors de quelques instants. 

              Mais n’ayez crainte mes amis. Si pareilles comparaisons vous semblent encore distantes et compliquées à cerner, nous aurons tout le temps d’y revenir lors de nos prochaines aventures en terre de la physique et des lois de notre univers. 

             

              C’est après avoir rapidement survolé les terres du temps que notre voyage doit continuer d’avancer vers la démonstration de cette si recherche logique fondamentale. Il est maintenant grand temps de conclure sur cette idée de la temporalité.

              Bien que ces deux chapitres soient très condensés, ils nous permettent cependant de comprendre plus aisément cette notion du temps, cette notion des durées mentales. Bien qu’il soit possible d’écrire un nombre prodigieux d'ouvrages sur le sujet, ces deux chapitres vont à l'essentiel et dépassent cette manie de la petite philosophie de multiplier les livres sur un même sujet sans réellement rien pouvoir en dire de concret. 

              Grâce au principe du temps, notre esprit est capable de modifier sans cesse sa vision du monde. Les axiomes du cohérent, les axiomes primordiaux sont dépendant de ce caractère temporel d’un monde changeant à tout instant et font varier notre vision du vrai. Les principes de conservation et de non-contradiction ne sont valables que sur le même instant alors que le principe de cause à effet ne peut tout simplement pas se concevoir sans temporalité. Ce mouvement orchestré dans le monde concret nous est essentiel à la mise en évidence de paterne logique et de la création de chaînes continues d’actions et réactions. Ainsi qu’à la création d’idées tirées de nos expérimentations du concret.

              La grande polysémie qu’un tel terme suscite est révélatrice de sa fondamental nécessitée à l’esprit. Sans temps, les pensées telles que nous les connaissons ne pourraient tout simplement pas exister, et de ce fait, pareillement pour la conscience. 

              Loin d’être suffisant pour pouvoir refléter les résultats expérimentaux du concret, la définition et la caractérisation du temps comme un principe agissant sur tous phénomènes nous permet pourtant de mieux le saisir et le comprendre tout en conservant cette idée d’intuitivité. Ce constant changement induit par le temps se trouve nécessaire à la construction de toute réflexion, de tout jugement et de tout raisonnement. C’est ce changement perçu par nos yeux et nos sens, ainsi que le mouvement de nos pensées qui nous permet intérieurement de construire une image d’une monde logique et cohérent.

              En plus de cela, c’est notre mémoire et notre faculté à juger les durées qui nous permettent de nous situer et de projeter nos réflexions sur plusieurs plans de la temporalité. Nos souvenirs et expériences passés sont de véritables outils à la compréhension à au développement d’un esprit complet et puissant, nous permettant de visualiser ce qui s’est autrefois passé tout en nous projetant de ce qui pourrait advenir à l’avenir. 

              Et pour finir, cette capacité à juger les durées est grandement influencée par de très nombreux facteurs à la fois environnementaux et mentaux. Dont l’un des plus importants d'entre eux se trouve être notre maturité et notre volonté à raisonner et réfléchir sur des sujets vastes et complexes. Nous permettant ainsi en quelque sorte, de ralentir notre vieillissement, ou tout du moins, de pouvoir ressentir notre vie plus longtemps. 

             

              Mes amis, c’est alors que s'achève notre voyage dans le domaine du maître du temps sur ces quelques dernières paroles. Mais, au moment de partir, ce roi, aussi sage et généreux soit-il, ayant vu à quel point notre cœur se voulait noble, nous murmura un fait bien caché de tous les aventuriers. Il nous révéla un fait qui pourrait nous être d’une grande aide dans notre quête. 

              Ce sage et tout puissant roi des temporalités nous indiqua qu'il y a déjà de cela des millénaires, il engendra une entité qui, aujourd’hui encore, est admirée par toute l’humanité. 

              Cette entité se trouve être une notion prenant part dans toute réflexion, dans toute pensée. Une notion faisant partie de notre sens du goût du cohérent en personne. Cette notion engendrée par ce dieu du temps n’est nulle autre que celle de la causalité. 

              Tout en étant la base primordiale de toute raisonnement logique, elle nous targue de son invulnérabilité à l’égard de toute injonction. Étant fille du temps et du changement, cette dernière se trouve être la dernière clé, la dernière pièce à notre échiquier pour déterminer la preuve de la légitimité des raisonnements logiques et rationnels. Ce pourquoi, il nous faut aller l’étudier de plus près pour faire ressortir son origine intime dans nos pensées.

              D'où vient-elle ? Est-elle innée ? Pourquoi la causalité serait-elle la fille du temps ? 

              Allons-y de ce pas mes amis, car il se pourrait fort bien que cette si enivrante beauté nous amène directement là ou notre cœur cherche tant à aller.

             

             

Chapitre 29 : L’origine de la causalité dans nos pensées

             

 

 

                            Avant de nous lancer à la recherche de cette tant désirée causalité, il nous faut consacrer un petit temps de pause pour nous remettre de toutes ces précédentes péripéties. Oui mes amis, prenons un temps pour récapituler ce que nous savons et ce que nous avons appris tout au long de cette seconde partie du récit. 

             

                            C’est afin de justifier la valeur des savoirs scientifiques, les plus importants et valeureux savoirs humains, ceux qui usent de logique et de rationalité dans leurs preuves et argumentations, qu’il nous est clairement apparu que la valeur de la logique même se devait d'être démontrée.

              Pour ce faire, nous nous en sommes allé du côté de cette chère vérité. Cette tendre et douce marchandise prisée de tous. Celle qui se voit transportée par les raisonnements et les règles logiques sans aucun débordement. Et cela, afin de créer des univers formels, des univers logico-mathématiques cohérents où la vérité ne peut emprunter qu’une infime partie de chemins bien délimités par les règles logiques du système conjugués aux axiomes de vérité. 

              Les systèmes formels, ces véritables havres de paix en apparence indépendants du concret, nous sont apparus sous leur forme la plus singulière. Celle qui se veut pure et cristalline. Celle qui se compose à la fois d’un système logique, formés de règles d'inférence et de déduction, d’une syntaxe particulière qui fixe le vocabulaire, ainsi que d’axiomes principaux qui introduisent la vérité de par leur toute puissance. C’est dans ces systèmes formels que des univers cohérents peuvent apparaître en respectant les quatre axiomes primordiaux de la mathématique. 

              C’est alors que nous avons comparé notre façon de penser le vrai et le réel avec ces univers abstraits formées par cette logique fondamentale. Et de façon presque miraculeuse, un nombre impressionnant de similarités se sont avérés profondément ancrées dans nos pensées. Nous aussi mes amis, voyons la véracité du monde au travers d’axiomes pris naturellement comme vrais que sont nos sensations. Et ces axiomes nous permettent également, suivant l’usage de notre jugement et de raisonnements logiques, de déterminer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas dans toute proposition.

              Cependant, parmi toutes ces similarités, se trouvait en réalité une différence fondamentale dans ces deux visions du vrai. Cette différence réside dans le caractère mouvant et changeant de notre point de vue du monde. Alors que pour celui de la mathématique, ce dernier est figé dès l’instauration d’axiomes de vérité, et cela, sans possibilité de se voir modifier sans altérer sa propre cohérence et son identité. 

              Pour nous permettre de résoudre ce problème, nous nous sommes rendus dans le territoire gouverné par le dieu du changement en personne : Le temps. Et c’est en le décrivant comme un principe de notre esprit, que nous avons finalement réussi à le définir et à le caractériser sous différents aspects. Dont le plus important se trouve être la temporalité. La temporalité nous est alors apparue comme notre faculté à “ressentir” les durées. Une capacité nous permettant d’attribuer à chaque phénomène et événement des durées propres, des temporalités propres et des visions causales de leurs enchaînements.

              Et finalement, lorsque nous étions fins prêts à nous en aller, ce cher dieu nous murmura une idée qui sut susciter notre intérêt. Car il se trouve que la fille de cette divinité n’est nulle autre que cette chère causalité. Cette entité présente dans tout raisonnement fait en sorte que les règles d'inférence puissent exister et que notre esprit puisse cogiter en toute sérénité loin de l’incohérent et de l'inconsistance. 

             

              Une fois ce petit résumé terminé, il est maintenant grand temps de nous atteler à la tâche. Tâchons de découvrir ce que cette causalité a à nous apporter au sujet de la logique et du bon raisonnement. Tâchons d’en trouver l’origine dans nos pensées, comment cette dernière nous apparaît et se développe dans l'esprit de tout individu.              

              Et c’est ici que l'histoire de la causalité peut commencer. Elle prend place aux origines mêmes de nos pensées, dans le passé de notre existence, là où tout a commencé. Nous embarquons pour la seconde fois dans les méandres de notre individualité. Et cela, afin de retracer les origines de l'apparition de la causalité dans nos esprits. Car simultanément voire même antérieurement au goût du cohérent, cette dernière est acquise via un processus long et fastidieux prenant place depuis notre plus tendre enfance. Un processus faisant intervenir notre capacité à voir et penser la temporalité. 

             

              Et pour nous permettre de naviguer dans ces contrées sans danger, nous nous assurons de partir avec quelques précautions qu'il nous est utile de repréciser.

              Premièrement, nous ne naissons pas dotés de toute forme d’idée ou de connaissance préinstallés dans notre esprit. La conscience n’est pas présente pour que ces dernières puissent être créées.

              Deuxièmement, notre corps vient au monde doté de toutes les dispositions nécessaires afin que les stimuli externes puissent effectivement se voir traités et provoquer des sensations appropriées.

              Finalement, notre esprit commence son existence avec tout ce dont il est nécessaire pour que les informations traitées puissent se voir stockées dans ce que nous nommons la mémoire. Notre esprit est entièrement vide de toutes informations complexes et traitées. Seules les sensations ressenties dans le ventre de notre mère et nos instinct primaires prennent place dans ce palais de connaissance en puissance. 

              Maintenant les prémices posées, nous pouvons commencer à retracer les étapes de l’apparition de la causalité dans tout esprit. Cette origine se décompose en trois parties successives et incrémentales en difficulté et complexité. 

              Il est ici important de noter que ces sujets sont d’une extraordinaire complexité, et de ce fait, le voyage vers lequel nous nous dirigeons sera une simplification se centrant principalement sur l'acquisition des bases nécessaires au raisonnement logique uniquement. Il nous faudra tout naturellement développer de nombreux autres aspects dans les ouvrages suivants, mais passons.

             

              Tout d'abord, comme exprimé dans les chapitres précédents, tout ce que notre corps voit et perçoit du monde extérieur en toute première instance est directement catégorisé comme vrai et singulier. A vrai dire, cette notion de véracité n’a point encore de sens à ce stade-là de développement, car tout bonnement, le choix et la sélection ne sont pas encore présentes. Le jugement et la catégorisation permettant l’apparition du goût du cohérent se produit environ vers les quatre à cinq ans pour les plus rudimentaires aspects de ce dernier.

              C’est dans les temps les plus reculés de notre existence, largement avant l'apparition d’une quelconque bribe de conscience, que notre corps commence son extraordinaire voyage en quête de sensations et d’informations sur le monde. A l’aide de ses capteurs sensoriels, il reçoit, traite et arrange rudimentairement dans sa mémoire les nombreuses nouvelles sensations que provoque sur lui les stimuli alentour. Aussi bien la lumière, que la chaleur, le toucher sur sa peau, les sensations agréables liées à la vue de ses parents, à leur odeur, le son de leur voix est au fur et à mesure de son avancée dans le monde, enregistrées dans cette précieuse base de données mémorielles.

              Puis, au fur et à mesure que cette dernière se remplit d’expériences primaires sensibles, des phénomènes intéressants font leur soudaine apparition. Car maintenant cette mémoire emplie de nombreuses informations, certaines d’entre elles se voient expérimentées de nouvelles fois, entraînant dans leur sillage des réponses et adaptations spécifiques. Ces réponses peuvent varier. De l'entraînement et la solidification des liaisons mémorielles associées à cet événement répété, à l'habituation qui fait en sorte que les réactions instinctives à l’encontre de de phénomènes réduisent en intensité, le corps s’adapte et modifie en conséquence ses comportements.

              Ces sensations encore insensées, enregistrées dans la mémoire et prises intuitivement comme véridiques, se voient au fil du temps associées à d’autres et inversement. Tel est le cas pour la sensation provoquée par l’ouverture des yeux, ce léger glissement sur la surface de nos globes oculaires qui provoque par la même l’apparition de sensations visuelles colorées. Ou la sensation que produit le gonflement de nos poumons qui résulte avec une légère sensation de fraîcheur intérieure liée à l’air qui s'engouffre dans notre trachée.

              Au plus une sensation se voit répétée sur un même instant de façon conjuguée avec une autre, au plus ces dernières tendent à se confondre et à se mutualiser. Nous mettons alors en relation les stimuli avec nos sensations au fil des répétitions de leur expérimentation conjuguée. Résultant dans le fait que le corps finira par les traiter conjointement, bien qu’ayant admis une pluralité de sensations. Et c’est ainsi que la toute première notion de notre voyage fait son apparition : La caractérisation instantanée. 

              Le processus de catégorisation devient l'un des premiers piliers du raisonnement logique. En associant les sensations et les expériences répétées, l'esprit entreprend instinctivement la création de catégories primitives et élémentaires servant à regrouper différentes sensations de par leur similarités ou différences sur un instant donné. Des schémas apparaissent et se structurent, permettant à l'esprit de créer des classifications de plus en plus complexes. Ces schémas facilitent la compréhension et l'organisation de l'information en regroupant des expériences semblables sous des expériences générales. 

              Ces aptitudes nous ramènent directement à ce que nous avons mis en lumière dans les chapitres traitant de la création d’expériences et d’idées qui ne sont que des assemblages et des recompositions d’ensembles de sensations et d’informations jugées plus ou moins consciemment comme partageant des similarités.

              De plus, ce mécanisme de catégorisation ne se limite pas aux sensations physiques mais s'étend également aux événements et aux objets rencontrés. En regroupant ces éléments en catégories, l'esprit simplifie et accélère le traitement de l'information, ce qui permet d'identifier plus facilement des motifs récurrents et des relations entre eux.

             

              En parallèle, l’esprit développe des notions primaires comme l'idée de permanence et de changement, véritables fondements dans une vision temporelle des phénomènes et du monde environnant. Pour exemple à cela, un objet perçu plusieurs fois, malgré des variations dans la lumière ou la distance, commence à être reconnu comme étant le même objet. Un individu, portant un chapeau ou une écharpe, sera considéré comme le même individu. C’est dans ces premiers instants que la reconnaissance des visages se développe.

              Tous ces mécanismes de caractérisation inconscient et rudimentaire se développent à un âge très réduit, souvent entre le second mois et la première année pour la plupart des individus humains. Ces mécanismes impliquent des schémas d’actions simples et des reconnaissances intuitives. Bien que non réfléchies, ces catégorisations sensorielles prennent en ampleur dans la découverte du monde extérieur et modèlent cette perception.

              Il serait utile de préciser que tout cela n’est encore une fois possible que grâce à la présence de notre capacité innée à mémoriser des sensations et des expériences changeantes au travers de l’épreuve du temps. Bien que la notion de temporalité ne soit pas encore suffisamment développée, que le passé et le futur ne soient point des faits envisagés, notre corps apprend et saisit les sensations reconnues par cette mémoire interactive à tout instant présent. C’est elle qui joue et qui pousse nos rudimentaires esprits à reconnaître des sensations d’ores et déjà ressentis, à les mettre en relation avec d’autres pour finir par former des catégories.

             

              Et c’est après avoir appris à caractériser un stimulus en fonction des sensations qu’il produit, qu’une nouvelle étape peut faire son apparition. 

              Car l'esprit mes amis, désormais capable d'associer des sensations récurrentes à des stimuli spécifiques, commence à développer un cadre de référence plus complexe. Les expériences passées, conservées dans la mémoire, deviennent des points de comparaison pour interpréter les nouvelles sensations. C'est ainsi que l'esprit commence à établir des attentes, à anticiper les résultats de certains stimuli en fonction des sensations précédemment ressenties. 

              Ressentir la sensation du fait de pleurer engendrera généralement dans un avenir proche celle de chaleur et de réconfort du parent ou de la nourriture apportée directement. Ressentir la sensation d’un contact social avec un individu catégorisé comme agréable engendre généralement la sensation de contraction abdominale et le son provoqué par le rire et le plaisir. C’est au fil des répétitions successives que, tout comme le chien salive simplement en entendant la clochette signifiant l’arrivée du repas, le corps de l’enfant prédit des sensations en fonction de celles ressenties présentement. 

              C’est alors qu’une rudimentaire notion d'enchaînement est alors intégrée aux alentours de la première année. Là où la simultanéité était la reine dans les tous premiers instants de l'existence, c’est le décalage dans les sensations qui se voit la supplanter. La caractérisation commence doucement à s’intégrer dans une notion très animale et instinctive de la temporalité, celle du changement sur des plans différents.

              L'enfant commence alors à saisir que certaines sensations ne sont plus uniquement liées à un moment précis, mais s'étendent sur la durée, se succédant les unes aux autres. Lorsque l’enfant pleure, ressent cette crispation dans ses poumons et sur son visage sur une certaine durée, celle-ci va finir par se faire remplacer par celle de la tétine du biberon et de la chaleur du parent. 

              Cette capacité à anticiper l'arrivée d'une nouvelle sensation à partir d'une expérience actuelle représente une avancée majeure dans le développement cognitif. L'esprit, en constante évolution, ne se contente plus de vivre l'instant présent, mais s'oriente vers le futur immédiat, prévoyant et préparant des réponses adaptées aux stimuli à venir.

              Ainsi, l'enfant ne pleure plus seulement pour exprimer un inconfort, mais aussi pour provoquer une réaction attendue, comme le réconfort d'un parent ou la satisfaction d'un besoin. Ce processus de prévision et d'anticipation ouvre la porte à des comportements plus complexes, marquant les prémices de la compréhension de la causalité. C'est le début d'une conscience primitive temporelle, où l'enfant comprend progressivement que ses actions dans le présent peuvent avoir un impact sur le futur, jetant les bases de la pensée logique et du raisonnement qui se développeront plus tardivement.

             

              Et c’est précisément ici que la troisième étape peut enfin prendre pied. Car à ce stade, l'enfant commence à développer une compréhension plus élaborée de ce que nous nommons causalité ainsi que les séquences d'événements. Ce processus marque le passage d'une simple anticipation des sensations à une forme plus complexe de prévision basée sur une compréhension plus intégrée du monde et de la notion de temporalité.

              L'enfant ne se contente plus de réagir aux stimuli immédiats. Il commence à former des représentations mentales de scénarios futurs, en utilisant les expériences passées comme référence. Par exemple, il peut anticiper qu'après avoir vu un parent s’absenter et revenir vêtu différemment, il est probable qu'il aille bientôt au parc. De la même manière, il peut prévoir qu'après le bain, il y aura l'heure du coucher.

              Cette capacité à projeter des événements futurs à partir des expériences passées enrichit considérablement le développement cognitif. Et c’est précisément ici que les notions les plus rudimentaires de la temporalité commencent à se développer. Le passé devient instinctivement un puits de connaissance permettant de prédire et prévenir le futur, ce qui enchaînera les sensations présentes. Les schémas s’activent et engendrent dans l’esprit des mécanismes de sensations des durées et de jugements des conséquences futurs.

              L'enfant commence à comprendre que les actions et les événements peuvent s'étendre dans les durées et entraîner des conséquences différées. Il saisit que certaines situations peuvent évoluer progressivement, que le changement dans les sensations est annonciateur d’une forme d’évolution extérieure. Cette compréhension ouvre la voie à des comportements plus intentionnels et réfléchis. L'enfant commence intuitivement à planifier ses actions en fonction des résultats possibles, comme lorsqu'il répète un comportement pour obtenir une réaction particulière de ses parents.

              Ce stade de développement marque un tournant significatif dans la cognition de l'enfant. Un tournant où la pensée ne se limite plus à des réponses réflexes ou à des associations simples. Au lieu de cela, elle devient une forme de réflexion anticipatoire, intégrant progressivement la temporalité dans un cadre plus structuré. Ainsi, il commence à naviguer dans le monde avec une compréhension croissante de la manière dont ses actions influencent le futur et comment les événements se déroulent de manière séquentielle via le changement environnant. 

             

              Et c’est ainsi que les bases de la causalité sont intégrées mes amis. Cet enfant de la temporalité est né de l’amour que ce dieu du temps a accordé à notre chère et douce mémoire, celle qui renferme en son sein toutes nos sensations passées.

              Et tout cela se produit entre la première et la seconde année de développement de tout esprit. C'est-à-dire, bien avant l'apparition de la conscience réflexive telle que nous la connaissons et l'expérimentons à notre âge avancé. Celle qui ne pointe le bout de son nez que vers la troisième année. 

              Voici mes amis, ce qui conclut pour la seconde fois notre voyage dans le passé de notre individualité. Bien que cette description, ce modèle expliquant l'apparition de la notion de temporalité et de causalité n'ait été grandement simplifié et vulgarisé, il nous permet toutefois d’apporter un argument de choix à notre preuve portant sur la légitimité du raisonnement logique. Un argument qui nous permettra d’enfoncer les lignes ennemis de la plus claire et simple des façons mes amis.

              C’est tout simplement à l’aide de l’utilisation de sensations comme bases de compréhension et de la mémoire comme capacité à retenir ces dernières, que nous avons été en mesure de montrer que la temporalité est une notion clé, acquise par essais successifs et engendrée naturellement par notre prédisposition à l’adopter. Cette notion universelle, présente dans tout individu développé apparaît bien avant que la conscience ne le soit. Bien avant que nous puissions produire la moindre réflexion poussée sur notre propre individualité. 

                            Cette notion de temporalité, d’ores et déjà largement abordée lors du chapitre précédent, se trouve être un point de bascule crucial à toute acquisition de l’idée de la causalité. Cette idée qui nous pousse à penser qu’une sensation au moment présent en engendrera une autre dans un futur proche. Le temps, ce principe vu par l’esprit comme étant le changement aussi bien externe qu'interne, est la clé de voûte de toute vision causale de notre environnement. C’est elle qui nous permet depuis notre plus jeune âge, de déterminer ce qui vient avant et après, que ce que nous faisons produira des effets concrets.

             

              En clair, mes amis, les notions de changement, de caractérisation, de temporalité et de causalité ne sont pas innées suivant notre modèle. Nous ne naissons pas dotés de ces dernières, mais nous naissons doté de tous les moyens nécessaires à leur future acquisition. C’est ici que se trouve toute la nuance d’une telle distinction. Car le fait que tout individu soit doté de ces notions ne signifie en rien qu’elles soient inhérentes à l’essence de l’humain, mais bien inhérentes au développement de l’humain. Ces dernières se succèdent les unes les autres permettant le bon développement de tout intellect et nécessite en tout premier lieu le traitement instinctif des sensations. 

              C’est tout premièrement la notion de changement qui est intégré suite à la constante modification des sensations ressenties au cours de l'enchaînement des instants présents. Deuxièmement, la caractérisation se voit adoptée permettant la facilitation de la reconnaissance de paternes via de nombreux essais et sensations successives portant sur les mêmes phénomènes. Ensuite vient le tour de la temporalité d’entrer en jeu. Car suite à la primitive acquisition de la capacité à caractériser, tout individu fini par l’utiliser sur différents plans temporels, associant ce qui est ressenti présentement à ce qui le sera par la suite. Et finalement, les débuts de l'idée de causalité se développent à cet instant précis. Celui où l’individu commence à comprendre intuitivement que les sensations ressenties peuvent devenir des conditions nécessaires à l’obtention de nouvelles souvent plus agréables et amusantes. Et de ce fait, en un certain sens, que certaines sensations sont causes et d'autres, effets. 

              Et tout cela mes amis, en l’espace de deux années seulement, sans prendre bien évidemment en compte nombres d’autres développements de facultés impressionnantes qui sortent du cadre de notre voyage en terre de la logique. 

              Le goût du cohérent qui se développe également bien plus tardivement vers les quatre à six ans se trouve directement résultant de cette causalité éprouvée et entraînée consciemment depuis les trois ans. C’est en partie cela, comme nous le verrons dans les ouvrages suivants, qui permet à une forme de conscience d'émerger et de sortir de l'évanescence éternelle de l’insensée. 

              Et maintenant cette dernière pièce en notre possession, nous pouvons enfin nous plonger dans les méandres de notre preuve de la valeur des raisonnements logiques. Allons-y mes amis, suivons le son des canons. Ceux-ci nous emportent vers la gloire et la gratification éternelle. 

             

             

Chapitre 30 : La valeur des raisonnements logiques

             

 

 

              Mes amis, nous y voici enfin. Le moment tant attendu s’en trouve maintenant à portée de main. Fiers et nobles aventuriers, nous qui nous enquérons de la quête du meilleur des savoirs, nous sommes fins prêts à affronter l’ennemi s’étant formé en carrés. Fondons tels la foudre sur ces derniers. Brisons leurs lignes avec la force d'une tempête déchaînée. Que nos lames tranchent l'air avec la même détermination qui fait que nos cœurs brûlent de désir de gloire et de passion. Que nos connaissances et nos prérogatives tailladent ces rangs ennemis qui nous obstrue la raison.

              Aucun obstacle ne saura freiner notre élan, car aujourd'hui, nous inscrivons nos noms dans les récits de la gloire éternelle. Laissez le tonnerre de nos cris de guerre résonner à travers le champ de bataille. Laissez-les annoncer le temps de la révolution. Que l'ennemi sache que nous sommes les porteurs du destin, et que rien ni personne ne pourra éteindre la flamme de notre fierté de byzantin. À l'assaut, compagnons, et que la victoire soit nôtre !

              Oui mes amis, cette quête à la recherche de la valeur de la logique, de son application dans nos pensées, touche enfin à sa fin. Grâce à toutes nos connaissances passées amassées, nous allons construire la preuve de la légitimité de la logique et du bon raisonnement dans tout argument.

             

              Et comme à notre habitude, il nous faut commencer par définir précisément ce que nous nommons comme étant la logique. Car bien qu’ayant abordé cette dernière tout au long de cette seconde partie du récit, nous ne l’avons jamais réellement et proprement caractérisée. Jamais entièrement et présentement analysée. C'est pourquoi il nous faut y remédier promptement et efficacement. 

             

              Premièrement, il n’existe pas une seule et unique application possible de la logique qui puisse être décrétée comme la digne détentrice de toutes les prouesses rationnelles et déductives. Il existe en réalité de nombreuses formes de logiques, de nombreux systèmes logiques qui traitent le vrai sous différents aspects.

              Il en existe certaines que nous avons d’ores et déjà abordées. Tel est le cas par exemple pour la logique para consistante. Cette logique qui, sans vouloir entrer dans des détails trop techniques, instaure des règles permettant la protection de la cohérence de tout système formel dans lequel elle est appliquée. Et cela, en limitant les dégâts causés par de potentielles contradictions et explosions logiques.

              Ou encore la logique floue, qui diffère des logiques classiques en acceptant des valeurs de vérité intermédiaires entre le vrai et le faux. Permettant ainsi de traiter les situations où la précision absolue n'est pas possible, ou lorsque des marges d’erreurs peuvent être autorisées. Elle traite la proposition comme étant plutôt vraie ou plutôt fausse suivant des critères précis et concis, rapprochant cette manière de faire à celle que nous utilisons quotidiennement pour juger les phénomènes.

              Un autre exemple se trouve être la logique modale qui explore les notions de nécessité et de possibilité. Elle est souvent utilisée pour analyser des propositions dans lesquelles on parle de ce qui est nécessairement vrai ou de ce qui pourrait être vrai. Elle traite les propositions comme des éventualités, des possibilités, des hypothèses à la manière des sciences et de leurs avancées. 

              L’on pourrait encore ajouter la logique intuitionniste qui rejette le principe du tiers exclu, selon lequel une proposition doit être soit vraie, soit fausse, sans troisième possibilité. Dans cette approche, une proposition n'est considérée vraie que si une preuve constructive de sa véracité existe. Cela la rend particulièrement utile dans des domaines comme les mathématiques constructives et la théorie des preuves, où l’on insiste sur l'existence explicite des objets.

              Et encore tant d'autres que leur liste exhaustive est un luxe dont l'efficacité et la concision ne peuvent point se permettre dans pareilles conditions. Tout cela pour vous montrer mes amis, que la logique se trouve être un terme bien vague qui représente un grand nombre de champs d’applications.

              Mais l’espoir ne doit pas se perdre pour autant, car parmi toutes ces formes et déclinaisons logiques, se trouve une contestante de la plus haute importance. Cette logique originale, la plus simple et fondamentale de toute se trouve être notre noble et chère logique classique. Car c’est elle qui regroupe en son sein les principes les plus fondamentaux de notre vision du cohérent. 

              Le fait est que de nombreux autres systèmes logiques dépendent de cette dernière dans leur forme et leur fond. Tel est le cas pour les logiques modales, para consistantes, intuitionnistes, qui ne sont que des formes d’extensions de cette dernière, plus précise en de certains points ou aspects. Ainsi, au-delà des différentes formes de logique que nous avons abordées, la logique classique reste la pierre angulaire de toute réflexion rationnelle. Elle constitue le socle sur lequel les autres systèmes logiques viennent se greffer, apportant chacun leurs nuances et spécificités. 

              Les systèmes de logique classique regroupent tout ce que nous tenons pour hautement intuitif dans leur champ d’application et dans la transmission de la vérité. Cette dernière regroupe en son sein les bases primordiales de la quasi-entièreté des autres systèmes logiques. Elle nous permet de mieux distinguer parmi toutes ces formes de logiques, ces formes de systèmes logiques, trois principales similarités. Et c’est de par ces similarités que nous pourrons déterminer notre définition, notre signification précise et concise de la logique dans sa globalité.

              Premièrement, toute forme de système logique recherche à assurer la cohérence et la validité de tout raisonnement. La cohérence se voit incarnée par les axiomes primordiaux de la mathématique qui se doivent d’être respectés. La validité quant à elle, signifie la nécessité d’arriver à des conclusions vraies en partant de propositions qui le sont tout premièrement.

              Deuxièmement, toute logique se forme de règles et de structures formelles pour discerner les raisonnements valides de façon universelle et unilatérale sans qu’erreur ne puisse être possible dans leur juste mise en application. Tel est le cas pour les règles d'inférence, de déduction et les connecteurs logiques qui servent de ponts reliant le vrai à ses conclusions dans tout système abstrait.

              Finalement, toute logique à pour sujet d’étude des propositions qui se verront attribuer une certaine qualité de véracité. Celle-ci peut être à la fois binaire (vrai ou faux), continue ou encore probabiliste. Toujours étant que cette qualification de proposition se retrouve dans tout système logique pareillement à ce que nous réalisons naturellement avec les pensées dans nos humains esprits.

              Ces trois similarités communes à tous les systèmes logiques ont un même et unique objectif. Celui qui cherche à établir des règles visant à transporter la véracité d’une proposition vers une conclusion différente. Les règles logiques ont cet objectif là, ce devoir-là par essence et par nature. Et ces trois similarités que partagent tout système logiques formé de règles, de syntaxes permettant de traiter les propositions en fonction d’axiomes, nous amène directement à notre propre définition de ce que peut être la logique. 

              Ce qu’elle est au-delà de toutes ses déclinaisons, de toutes ses applications dans des systèmes et édifices formels, le voici : La logique se veut être l’étude des règles qui gouvernent les raisonnements de la pensée rationnelle et cohérente.

              En somme, la logique dans sa globalité, représente une discipline fondamentale visant à comprendre et à formaliser les mécanismes du raisonnement. Elle est le fil conducteur qui relie les concepts, les idées et les propositions, permettant à la pensée humaine de s’organiser, de se structurer, de se former rationnellement.

                            Le raisonnement logique, celui dont nous devons démontrer la légitimité, est donc un raisonnement usant de règles précises successives permettant la conservation de la cohérence et la transmission d’une valeur de vérité vers une conclusion démontrée. Et cela, de façon nécessaire et unique si le raisonnement est valide.

             

              Mes amis, maintenant le travail de fond terminé, il est grand temps de passer au plus important. Et sachez bien que nous avons d’ores et déjà tout ce dont nous avons besoin. Il ne nous reste, en quelque sorte, plus qu’à assembler les morceaux pour recomposer le tableau illustrant notre démonstration fracassante. Celle qui bousculera une fois pour tous les ennemis de la bonne pensée qui se dressent devant nos regards avisés.

              Oui, rentrons maintenant dans le vif du sujet, là où nos connaissances accumulées vont enfin révéler tout leur potentiel. Le raisonnement logique, fruit de siècles de réflexion et de rigueur, doit prouver sa légitimité face à l'irrationnel, cette force obscure qui tente de détourner nos esprits de la clarté et de la vérité. L’ennemi est à portée, et les coups que nous lui assénerons seront d’une impressionnante efficacité.

              Il nous faut alors déterminer quelle valeur cette façon d’user ces règles logiques dans nos raisonnements a-t-elle de plus que celle basée sur l’irrationnel ? Il nous faut également répondre du pourquoi notre vision du vraie, celle qui a été préalablement jugée, arrangée, traitée, devrait-elle se voir supporter par cette logique de tous les instants ? Et surtout, pourquoi le raisonnement logique semble-t-il si bien fonctionner dans notre humaine appréhension du monde ? 

              Oui mes amis, commençons sans plus tarder notre preuve de la légitimité du raisonnement logique. 

             

              Et le premier de ces morceaux composant ce fastueux tableau n’est nul autre que notre chère et douce vérité. Ne l’a-t-on pas déjà trop chérie ? Cette vérité, ce vrai que tous admirent et adorent au point d’en laisser leur pluralité pour s’abandonner à cette singulière manière de voir et dépeindre le monde. Cette caractérisation, cette apposition que tous éprouvent de par leurs sensations. Ce jugement sur les phénomènes et leur signification. Oui mes amis, tout part de cette vérité ci. 

              Car la logique a pour objectif initial de faire voyager cette vérité, ce que nous qualifions comme tel vers de nouvelles contrées encore inexplorées par notre individualité. Elle a pour but de nous faire tendre vers des formes de vérité cohérente nouvelles, dérivées de celles que l’on tient tout naturellement comme telles.

              Elle est utile au transport de ce que l’on prend comme vrai vers une destination, une conclusion qui en conserve sa qualité, et ce, de façon irrémédiable et indiscutable si l’on suit ses règles. La voici dans toute sa splendeur, dans toute sa magnificence. Cette logique de tous les possibles, celle qui nous permet de raisonner de façon à élargir notre champ de vision au-delà de ce que nous vivons. C’est elle qui nous offre à voir des vérités dérivées de celle que l’on entretient dans nos esprits sans pour autant ne les avoir expérimentées dans le concret. 

              Si nous reprenons notre exemple des univers mathématiques, c’est le raisonnement logique et toutes les règles qu’il implique, telles que les modus Ponens, les modus Tollens, les équivalences et autres règles d’inférences, qui permettent au vrai octroyé par les axiomes de vérité, de voyager vers ces fameux théorèmes. Car oui mes amis, le raisonnement logique ne fait que de prendre une vérité cohérente, telle que celle énoncée par les axiomes du système, et l’apporte vers de nouvelles propositions qui sont alors démontrées à leur tour comme étant vraies. Propositions que l’on nomme alors théorèmes du système.

              C’est ainsi qu’en partant de simples petites vérités cohérentes entre elles, telles que celles exprimées par les cinq axiomes de Péano, que l’on peut alors construire par la suite des univers aux proportions démesurées et emplies de complexité. La logique a pour objectif de transférer un fait A, pris comme étant vrai, vers un fait B différent. Et cela, tout en impliquant nécessairement que B soit également vrai. Le fait A subi alors une transformation à l'aide de règles d’inférence valides pour arriver jusqu’au fait B, tout en conservant à la fois la cohérence et la vérité. 

              C’est ainsi que le théorème de Pythagore est démontré comme vrai ; c’est ainsi que le théorème de Thalès l’est aussi, ainsi que tout autre proposition dérivée logiquement des axiomes de son système. Et c’est également ce que nous faisons dans nos vies quotidiennement, incessamment et inlassablement. Nous raisonnons logiquement face à toute proposition pour tenter de déterminer si oui ou non, cette dernière peut être qualifiée comme vraie suivant nos expériences passées. Expériences qui agissent pareillement à des axiomes de vérités. 

              Comme par exemple, si nous prenons comme vrai le fait que tous les hommes sont mortels et que nous sommes un homme. Alors, nous pouvons en conclure logiquement, sans jamais l’avoir expérimenté, que nous sommes bel et bien mortels. Ou encore, si nous prenons comme vrai le fait que le Soleil se lève tous les matins, alors nous pouvons déduire logiquement, avant même de l’avoir expérimenté, que ce dernier se lèvera aussi demain. Tout raisonnement logique suit ce schéma : une vérité est transportée pour en créer une nouvelle nécessairement vraie dans le système étudié.

              En sommes, le raisonnement logique agit ici comme réceptacle de nos vérités et s’en va les transformer pour nous en offrir de nouvelles pourtant jamais expérimentées. Il agit en profondeur sur notre manière de fonctionner et de juger les faits et phénomènes qui nous entourent, et nous permet de diversifier nos visions et vérités. Il colle parfaitement à notre manière de fonctionner sur les notions de vérité, celles qui sont si chères à nos psychés.

              Voici la première raison, la première partie de cette preuve. La logique se veut être le reflet parfait de notre vision qualificative du monde à l’aide de ce que nous chérissons le plus : Le vrai. Elle s’y intègre parfaitement.  

             

              Et c’est sur cette brève première conclusion que nos fidèles montures entrent brutalement en contact avec les premières lignes ennemies. C’est alors qu’une véritable débâcle s'ensuit. Les hommes courent de toute part et se désorganisent sous notre force de frappe. Incapable de stopper notre élan, nous poursuivons dans notre lancée vers les secondes lignes mes amis.

             

              C’est alors que la seconde pièce de notre puzzle entre en jeu. Car comme nous le savons déjà, toute vérité, tout axiome de vérité se doit de respecter les principes de la cohérence. Le cohérent se doit de transparaître dans tout système que nous éprouvons et qui nous est utile à la compréhension, car sans, nous nous retrouvons perdu au milieu de symboles et des significations insensées, incapable de créer, de produire, de qualifier et de ne serait-ce que de réfléchir. 

              C’est la cohérence qui permet à tout esprit suffisamment développé d’expérimenter le monde, de le juger, de le caractériser et de lui en donner un sens tout particulier. Le cohérent est ce qui est présent à tout instant. Il est la drogue du conscient, celle qui lui permet de subsister et dont il ne peut point se passer sans sombrer dans l’enfer de l’oubli éternel.

              Et il se trouve mes amis, que la logique détient en elle-même la capacité de conserver le cohérent dans tout raisonnement. C’est elle qui détermine les règles du bon raisonnement, celui qui offre à notre vue des univers impromptus et pourtant sensiblement compréhensibles et intuitifs à notre quête de sens. Tant est si bien que les principes mêmes du cohérent se retrouvent dans ceux de toute forme de logique pratiquement sans changement dans leur signification et leur action. Que ce soit le principe de conservation, du tiers exclu, de non-contradiction ou de causalité, toute forme de raisonnement se basant sur une logique valide, se voit attribuer la splendeur de cette immaculée cohérence.

              Car contrairement à l’irrationnel et l’illogique, qui ne permettent pas de conserver la cohérence de tout discours ou de toute forme d’argumentation, la logique et son application font en sorte de conserver la rigueur et la cohérence dans toute proposition. 

              Les émotions, rois et tyrans de l’irrationnel, rendent généralement tout raisonnement incohérent, toute tentative d’expression insensée. N’a-t-on jamais, sous le joug de la colère, proférer des paroles et effectuer des actes allant contre toute raison, contre toute logique et parfois même contre nos propres intérêts ? N’a-t-on jamais, sous l’emprise de la peur ou de la passion, pris des décisions contraires à la raison, agis contre notre propre jugement, au point de regretter ces instants d’égarement ? 

              Car bien que ces instants puissent nous paraître tout à fait sensées et justifiés sur le moment, du fait qu’ils agissent directement sur nos sensations internes qui sont les sources de toute vérité, ces derniers, une fois notre âme apaisée, nous apparaissent bien souvent comme contradictoire, insensée, étrangers à la bonne pensée. 

              C’est là toute la différence entre l’émotion et la logique : l’une nous égare, l’autre nous éclaire. La logique, dépouillée de tout affect, permet à notre esprit de s’élever au-dessus de ces fluctuations irrationnelles. Elle assure la constance et la rectitude de notre pensée, faisant d’elle un outil de vérité inébranlable.

              Oui mes amis, les règles logiques sont indépendantes de nos affects et états mentaux. Elles se veulent régnantes dans leur univers abstrait tout en gouvernant la bonne pensée. De par leur allégeance à la cohérence, elles ne peuvent produire qu’une seule conclusion valide à la fois. Jamais elles ne pourront un coup produire un bon raisonnement, et l’autre, un mauvais. Il en va de leur caractère abstrait parfait.

              Ainsi, mes amis, la logique devient ce phare qui nous guide à travers les ténèbres de l'incertitude et de l'irrationnel. Elle est le pilier sur lequel repose toute forme de connaissance authentique, celle qui nous permet de comprendre le monde avec clarté et précision. En s'appuyant sur la cohérence et en rejetant les pièges de l'émotion et du chaos, elle forge en nous un esprit capable de discerner le vrai du faux, le juste de l’injuste, le bon du mauvais…

              Elle se pose comme universelle, compréhensible et intégrable par tous. Elle s’éloigne de la subjectivité pour tendre vers la plus objective façon dont l’humain soit doté pour raisonner et se faire comprendre de tous sans ambivalence ni besoin d’interpréter. Le raisonnement logique, contrairement à toute autre forme de raisonnement, se trouve au cœur de notre humaine façon de voir et décrire le monde qui nous entoure. 

              En plus de traiter et d’utiliser ce qui nous est de plus chère, la vérité, celui-ci le fait tout en conservant la cohérence et la stabilité de nos pensées. Il nous extirpe des contradictions, des faits insensés et nous permet de nous raccrocher à une compréhension en étroite collaboration avec notre façon de fonctionner.

             

              Et maintenant les deux premières pièces assemblées entre elles, la troisième partie de notre preuve peut entrer en jeu. Cette partie, mes amis, fait directement référence à ce que nous avons réussi à établir au sujet de la temporalité. 

              Car bien que nous ayons montré ce pourquoi l’application des règles logiques dans tout raisonnement est si appréciée : soit dans la conservation de la cohérence que dans la transmission de vérité et la préservation du sens. Il nous manque encore à comprendre pourquoi cette façon de raisonner devrait-elle être celle choisie pour faire transiter nos vérités ? C'est-à -dire, pourquoi le faisons-nous via l’usage et la mise en place d’enchaînements successifs d'inférences, d’implications, de transformations pour finir par aboutir à une conclusion ? 

              En effet mes amis, pourquoi ne pas plutôt privilégier une approche plus intuitive, spontanée pour parvenir à des vérités ? Après tout, l'esprit humain est capable de fulgurances, de sauts créatifs qui échappent parfois aux enchaînements rigoureux de la logique permettant tout autant de sauver la cohérence et la véracité de nos arguments.

              Toute parole ne passe pas forcément par ces raisonnements à rallonge, mais arrive pourtant à conserver le sens et la pureté de cette vérité. Et donc, pourquoi diable cette façon d'orchestrer nos pensées logiquement est-elle si omniprésente, si satisfaisante et puissante ? Pourquoi est-elle si universelle, si commune au point de nous tomber sous le sens et d’emporter avec elle toute nos espérances d’accession à la compréhension ?

                           

              Comme décrit dans les chapitres précédents, nous voyons le monde temporellement. Le temps, ce principe développé par l'esprit, se trouve être la toute première façon que nous possédons pour appréhender le fonctionnement de notre environnement. C’est tout premièrement à l’aide de la caractérisation du changement puis de l’idée de la conservation et de la permanence que l'embryon de conscience qui habitait autrefois notre corps a pu se développer et commencer son chemin vers sa destinée. 

              Oui mes amis, avant même d’avoir proféré nos premières pensées, avant même d’avoir jugés nos premières expériences, le temps se trouve déjà profondément ancré dans nos psychés. Ce dernier est acquis inconsciemment et se trouve être la condition nécessaire à tout établissement de pensée réflexives telles que nous les connaissons aujourd’hui. C’est grâce à ce dernier que nos esprits s’organisent et composent nos expériences, nos connaissances et a fortiori, nos raisonnements. 

              Le temps tel que nous le percevions, tel que notre corps à appris à le percevoir, impose une structure linéaire et évolutive à toute réflexion. Chaque instant succède au précédent et précède le suivant. Chaque pensée succède à la précédente et précède la suivante, créant ainsi une chaîne ininterrompue. Une chaîne qui fait succéder chaque anneau qui la compose légèrement différemment créant l’illusion d’un changement constant. 

              Toutes nos pensées, toutes nos expériences sont catégorisées de la sorte. Dans notre mémoire, nos souvenirs se chevauchent, se superposent les uns les autres et se succèdent temporellement. Ce que nous prenons comme vrai suit ce tracée creusée par cette temporalité, celle qui fait en sorte que tout change, que tout se meuve et se transmette.

              Et c’est de la même manière que le raisonnement logique opère. Celui-ci fonctionne par enchaînements successifs, où chaque proposition découle de la précédente et ou chacune d’entre elle pourra en faire découler une autre, garantissant ainsi une progression ordonnée et compréhensible vers une conclusion sensée et cohérentes avec la précédente. 

              C’est par le biais de ce principe de temporalité, cette notion du temps, du changement, de l’évolution que le raisonnement logique nous apparaît tout naturellement comme la meilleure des façons de poser une argumentation. Et ne vous y trompez pas mes amis, cette affirmation à beau paraître des plus désuètes, des plus ridicules et simple qui soit, il n’en est rien en réalité. Car nul être intemporel ne pourrait concevoir pareille argumentation, pareille vision de ce que doit être la bonne réflexion. Seuls nos esprits entraînés à cela peuvent le comprendre et l’apprécier. Ainsi va la temporalité. Et encore une fois, il nous est impossible de changer de voie. Celle-ci nous est octroyée dès la naissance de notre conscience et modèle par la suite toutes nos expériences.

              En clair, cette correspondance entre la linéarité du temps et celle du raisonnement logique n'est pas une simple coïncidence. Elle reflète une profonde adéquation entre la manière dont nous expérimentons la réalité et la façon dont nous tentons de l’expliquer. En choisissant la succession dans le raisonnement comme méthode pour faire transiter nos vérités, nous nous assurons que ce dernier respecte l'ordre naturel du temps. Ordre qui nous permet de penser le cohérent.

              Ainsi, le choix de la logique comme mode de raisonnement n'est pas arbitraire, mais découle d'une nécessité intrinsèque à notre condition humaine. C'est elle qui nous permet d'aligner notre pensée avec le flux temporel, de structurer nos vérités de manière à ce qu'elles soient non seulement rigoureuses, mais aussi en phase avec la façon dont nous vivons le fonctionnement de notre environnement.

             

                            Et c’est avec une grande joie mes amis, que la quatrième et dernière partie de notre preuve, de notre légitimation du raisonnement logique, va enfin pouvoir se dérouler sous les yeux effarés de nos ennemis. 

              Toujours dans notre charge effrénée, ayant d’ores et déjà mis en déroute les premières lignes ennemies avec nos réflexions sur le vrai et la cohérent, enfoncé les secondes grâce à la mise en relation de notre vision d’un monde temporel avec la structure de l'argumentation logique, il ne nous reste plus qu’à en finir avec l’arrière garde mes amis.

              Cette troupe est tenace, crainte de tous les penseurs trop superficiels et peu rigoureux. Cette arrière garde renferme en elle la réponse à nos questions les plus sincères. C’est elle qui détient la clé du mystère. Et il nous faut terminer notre preuve avec la dernière et ultime partie, celle qui se concentre sur la compréhension du monde et sa mise en raisonnement. 

              Nous avons scellé notre destin. Seule cette dernière charge saura décider de la finalité de notre combat. Celui tourné contre le dogmatisme, contre les mauvais modèles de pensée, contre les théories fondées sur des infondés. Car au bout de ce sinueux chemin, se trouve la justification finale de la science et de sa toute-puissance. Oui, fonçons-y mes amis. Car après avoir brillamment rassembler nos connaissances sur la vérité, le cohérent et le temps, vient alors tout naturellement celle de la causalité.

             

              Comme exposé dans le chapitre précédent, c’est naturellement, lors de nos moments les plus animaux, où notre conscience est encore dans son évanescence la plus profonde, que ces idées de temporalité et de causalité prennent pieds sur nos pensées. C’est grâce à l’intuitive acquisition de forme primitive de repères temporels que, par essaie successifs, la notion de causalité peut prendre place. Cette notion pousse tout nourrisson à agir d’une certaine façon dans le but d’obtenir en retour une réaction douce, agréable qui satisfait les besoins et le sentiment de sécurité. 

              Bien qu’instinctif, cette façon de “comprendre” les sensations ressenties comme potentielles causes d’effets souhaités vont produire dans l’esprit du jeune enfant certains processus troublants. Car au fur et à mesure que cette tendance se développe et tend à se conforter, c’est alors que la causalité commence à prendre part à toute activité.

              La grande vicissitude de cette vision causale des phénomènes, est que dès lors que nous l’avons adoptée et apprise, sans même que nous puissions en avoir le choix, il nous devient alors impossible de pouvoir la défaire de soi. 

              Car puisque la première façon que notre corps a appris à voir le monde est celle temporelle, c’est tout naturellement que la première façon que notre corps a appris à le comprendre est celle passant par la causalité. Et rien alors ne peut plus changer. Une fois notre esprit suffisamment développé, ayant été biberonné par cette façon de comprendre toute son existence durant, il ne peut plus rien voir autrement. Nous commençons à voir tout phénomène de cette manière. Une cause et un ou plusieurs effets. Un effet et une ou plusieurs causes. Tout devient effet et cause. Ainsi se restreint notre unique façon de comprendre notre environnement et les mécanismes qui s’y déroulent.

              Et si nous souhaitions ne serait-ce que nous écarter de cette causalité, c’est alors que notre goût du cohérent nous menacera de tout faire s'effondrer. Car oui mes amis, la causalité se trouve être l’un des quatre axiomes primordiaux du cohérent. Et sans ce dernier, notre vision du monde finirait par sombrer dans l’insensé, dans l’oubli éternel. Finissant tôt ou tard par nous faire perdre la raison.

              C’est ce principe même de causalité qui fait en sorte que toute expérience puisse être bel et bien expérimentée. Car sans, tout jugement cesserait d’exercer sa volonté sur le monde et nos environnements. Nous laissant sans repères, sans vision sur laquelle faire supporter nos ambitions et nos besoins de compréhension.

              Nous sommes coincés à voir le monde de cette façon. Non pas qu’il soit effectivement causal, mais bien parce que notre esprit est naturellement programmé pour penser cela des phénomènes observés. Ainsi, la causalité devient une prison dorée, un cadre immuable qui structure notre compréhension du monde, mais qui en même temps, limite notre capacité à envisager d'autres modes de pensée. C'est un voile subtil qui se pose sur notre perception, nous faisant croire que tout est déterminé par des relations de cause à effet.

              Car la causalité n’est jamais avérée d’un phénomène à l’autre de façon claire et précise. Il n’y a pas de panneau avec inscrit “phénomène produit causalement” dès lors qu’un événement se produit. C’est avant tout notre esprit qui juge et qui appose à ce dernier de potentielles explications causales et des modèles de compréhension plus ou moins poussés. 

              Par exemple, imaginons que nous observions un verre tomber de la table et se briser au sol. Immédiatement, notre esprit établit une chaîne causale : le verre est tombé parce qu'il a été poussé ou mal placé sur le bord. Résultant dans le fait que la gravité va alors l’attirer violemment vers le sol. Mais en réalité, cette interprétation causale est une construction mentale, une tentative de donner du sens à l'événement en question. Rien dans l'événement lui-même ne nous montre directement cette relation de cause à effet. Ce n'est qu'à travers notre expérience passée et notre besoin de cohérence que nous attribuons cette causalité.

              De même, lorsqu'un orage éclate après une journée de chaleur intense, nous établissons facilement un lien entre la chaleur accumulée et la formation des nuages orageux. Cependant, ce lien n'est jamais explicitement inscrit dans la nature elle-même. Il découle de notre tendance innée à rechercher des explications, à tisser des liens entre les phénomènes pour rendre le monde intelligible.

              Et de façon encore plus démonstrative de cette tendance maladive, nous cherchons également à expliquer causalement tout phénomène pourtant impossible à juger, à relier ou à comprendre. Et ces phénomènes inexplicables se voient alors expliqués par la présence de Dieu. Un Dieu créateur, cause de tout ce qui nous est impossible à expliquer autrement. Cause de toutes les causes, créateur de toutes les créations.

              En clair, notre esprit est si dépendant de cette façon de comprendre son environnement, qu’il est contraint à sans cesse la faire transparaître dans tout phénomène quel qu'il soit. Et nous en remercions les dieux pour cela. Car cette façon de comprendre le monde a toujours extrêmement bien fonctionnée à nos humaines échelles jusqu'à présent. Mais sans doute cette dernière se voit dépassée par l'infiniment petit et son collègue, l'infiniment grand. Pouvant expliquer pourquoi la physique quantique et astronomique sont des disciplines si déroutantes. Car en de nombreux endroits et résultats, impossibles à expliquer par notre simple causalité. Mais nous y reviendrons bien assez tôt mes amis, nulle crainte à cela.

             

              Et c’est ici, en partant de cette manie de l’explicatif adoptée et peaufinée depuis notre plus tendre enfance, que le parallèle avec le raisonnement logique refait brusquement surface. 

              Car le raisonnement logique provient directement de cette idée acquise de causalité, celle qui fait en sorte que nous puissions relier des phénomènes séparés temporellement et les caractériser comme cause et effet, celle qui fait en sorte que nos raisonnements puissent se construisent de la sorte.          

              Ainsi, le raisonnement logique devient l'extension naturelle de cette vision causale du monde, un outil que notre esprit a forgé pour structurer et comprendre les relations entre les phénomènes. À travers la logique, nous formalisons ces liens de manière rigoureuse, cherchant à établir des chaînes de raisonnement qui suivent le même schéma que nos intuitions causales. Chaque prémisse mène à une conclusion, chaque cause à un effet, et ainsi se construit notre compréhension logique du monde.

              Pour mieux rendre compte de cette explication, prenons l’exemple de la bille qui roule. Tout premièrement, grâce à notre vision temporelle du monde, nous observons et caractérisons la bille comme roulant, se déplaçant sur la table et donc ne restant pas immobile. Nous pouvons ensuite déduire que la bille qui roule sur la table le fait car elle a été poussée. De là, nous en tirons par un raisonnement logique que la bille roule car elle a été poussée. Qui une fois traduit formellement donne : si la bille est poussée, alors elle roule. Ou sa contraposée : si la bille roule, alors elle a été poussée.

              Voici la structure de toute argumentation logique. Dans tout raisonnement, c’est tout premièrement la notion de temps qui est employée, permettant de saisir le déroulement et le mouvement, ensuite vient cette de causalité, qui permet de comprendre le phénomène en le reliant à une cause. Et finalement le raisonnement logique entre en jeu et vient traduire notre compréhension de ce phénomène avec les règles d'inférence pour construire un cheminement partant d’un fait pour arriver à une conclusion nécessaire. Nous ne faisons que traduire une vérité en condition causale qui influencera et produira un effet selon notre principe de causalité. 

              En quelque sorte, pour généraliser simplement ce que nous venons de montrer, puisque nous voyons et jugeons que A précède B, alors nous comprenons et faisons sens en disant que A est la cause de B. Ce qui nous amène à généraliser abstraitement via un raisonnement que A implique B. Soit que si A, alors B. Ou que si non B alors non A. Et toute autre extension partant de ce simple fait là.

              Et c’est ici mes amis, que la magie de notre argumentation opère. Car nous avons montré que la seule façon de comprendre un monde vu comme temporel, c’est à dire, un monde perçu comme changeant continuellement, est causalement. C'est-à-dire, en reliant les phénomènes changeants entre eux pour établir des paternes expliquant leur mouvement apparent. Mais également que la seule façon de raisonner un monde compris comme évoluant causalement, est logiquement. C’est-à-dire, par succession de règles d'inférence transportant une vérité éprouvée vers une conclusion nécessaire suivant cette dernière.  

             

              En clair, puisque nous voyons le monde temporellement, nous le comprenons causalement. Et puisque nous comprenons le monde causalement, nous le raisonnons logiquement. 

             

              La voici la grande raison pour laquelle le raisonnement logique vaut mieux que l’illogique. Car ce dernier découle directement de notre façon de voir et de percevoir le monde comme temporel. Il découle de cette façon proprement humaine de voir le monde comme changeant, évoluant, mouvant incessamment. 

              La voici la grande raison, celle qui fait renverser toute objection. Car nous ne raisonnons pas logiquement par hasard, mais bien par nécessité. Cette façon de raisonner est intimement liée à l’essence même de notre esprit, de sa façon de fonctionner. Et se trouve faire partie des conditions nécessaires à toute expérience arrangée, jugée, triée dans nos mémoires d'aventuriers de la pensée. 

             

              Si nous assemblons les quatre pièces de notre preuve, nous pouvons finalement conclure que le raisonnement logique représente la façon la plus humaine de réfléchir et d’organiser le monde environnant. 

              Celle-ci utilise comme carburant ce que nous avons de plus important : le vrai. Elle fait en sorte de l’utiliser pour construire de nouvelles vérités tout en conservant cohérence, sens et intuitivité en un certain sens. Faisant de cette façon d’organiser nos pensées, une parfaite manière de raisonner et d’apporter une formalisation compréhensible universellement. 

              Universalité qui provient du fait que tous ceux qui adhèrent à cette façon de faire voient le monde comme profondément temporel, changeant, se transformant et évoluant. Chose que tout humain est amené à adopter de manière primitive avant même l'apparition d’une conscience développée, retranscrivant ce processus dans l'enchaînement de propositions et de règles d’inférences présentes dans toute argumentation logique,

              Et finalement, du fait que le monde soit vu par tous comme étant temporel, ce dernier se doit d’être expliqué par la causalité qui fait en sorte de relier les plans temporels entre eux pour en déterminer les paternes et les issues par le biais de causes et d’effets. Compréhension qui se trouve profondément ancrée dans le formalisme de toute argumentation logique, qui fait en sorte de traiter les vérités comme des causes, et les conclusions comme des effets nécessairement engendrés par ces dernières.

             

              Qu’il s’agisse de l’objet utilisé, du respect des règles de cohérence interne, de la manière de fonctionner ou de l’origine primaire, tout nous fait directement converger vers la grandiloquente conclusion que le raisonnement utilisant les règles de toute forme de logique valide, est la plus humaine façon de mettre en équation, en argumentation, le monde qui s’offre et se déploie à nous. Nous l’avons fait mes amis, nous avons réussi à démontrer la légitimité de la logique par la logique. L’impossible est ici même devenu réalité. 

              Toutefois cette logique reste un outil, certes très puissant, mais pas absolu pour autant. Il n'est d'ailleurs certainement pas le seul qui puisse exister pour pouvoir expérimenter et comprendre ce que nous nommons le monde. Toutefois, il est le seul dont nous disposons pour le moment, le seul qui peut être atteint par une espèce se basant sur la temporalité comme vision de ce dernier. 

              Pouvons-nous prouver Dieu en l’utilisant comme nous souhaitions le faire en début de partie ? Dans un sens oui mes amis. Oui dans un sens proprement humain et relatif à ce dernier. La logique n’est qu’un outil permettant de dériver une conclusion de prémices initialement imposées. Nous pouvons tout prouver avec des raisonnements totalement valides et cohérents partant des prémisses que nous établissons.

              Toutefois, ce dont nous partons pour réaliser toute preuve se doit d'être expérimenté en premier lieu. Car le vrai, les vérités prisent comme des axiomes dans les démonstrations sont du ressort de notre expérimentation, de notre jugement et interprétation. Que Dieu soit bon, sage, grand, omnipotent, parfait et tout autre qualificatif différent ne sera jamais plus que des idées qui existent en des infinités de déclinaisons sujettes à une constante réévaluation. 

              Lorsque nous tentons de prouver l'existence de ce Dieu avec des raisonnements logiques, nous ne prouvons en réalité rien de concret. Nous ne faisons que dériver de nouvelles vérités à partir de prémices dans des univers abstraits construits de toutes pièces par nos temporels et cohérents intellects.

             

              Et c’est ainsi sur ces quelques sages paroles, que nos fidèles étalons viennent enfoncer les rangs de l’arrière garde désemparée, démoralisée et emplie de désespoir. La logique, son application dans notre vision du monde aura eu raison de leur funestes desseins. Tant bien ceux qui cherchent à la descendre de son piédestal, pensant vainement pouvoir trouver leurs vérités au-delà de leur humanité, que ceux qui cherchent à l’utiliser pour asseoir un pouvoir qui n’est pas à sa portée. Oui, tous sont maintenant contraints à la reddition sans plus aucune condition.

              La voici la grande vérité, celle que nous cherchons depuis si longtemps et pour laquelle nous avons tant bataillé. Celle qui libère les savoirs de la science de leur obscurité formelle. La science, celle qui utilise le raisonnement logique pour prouver ses théories, pour valider ses modèles, peut maintenant le faire en toute connaissance de cause. Car cette logique même se trouve être le meilleur outil humainement accessible pour réaliser ce type de desseins mes amis.

             

             

Chapitre 31 : L’origine des axiomes de la mathématique

             
Chapitre 31 : La valeur des modèles mathématiques

 

              Nous l’avons fait. Nous avons finalement réussi à démontrer la légitimité et la valeur des raisonnements logiques humains. Ce moyen de comprendre via la formalisation. Ce moyen utilisé dans toute science qui se respecte, dans tout modèle et dans toute théorie scientifique. 

              Mais mes amis, un point crucial doit ici nous intéresser au plus haut point. Car si nous avons effectivement montré, ou tout du moins, apporté des réponses, au pourquoi des sciences fondées sur le concret, qu’en est-il de celles fondées sur l’abstrait ? Qu’en est-il des savoirs mathématiques ? Ces entités qui nous semblaient transcender notre expérience et nos sens, celles qui semblaient provenir de l'essence du monde en lui-même sans intermédiaire ? 

              Oui mes amis, cette mathématique, celle dont nous sommes partis pour en étudier son formalisme. Qu’en est-il de ses savoirs et de ses dires ? Ceux qui ne se fondent sur aucune expérimentation, sur aucune observation, mais qui pourtant, semble si bien correspondre à notre humaine vision ? Comment se fait-il que les domaines de la mathématique semblent si bien décrire le monde concret sans pour autant passer par le stade de l’expérimentation et de l’observation ? 

Car les savoirs les plus impressionnants sont bien ceux produits par cette science de l'abstrait mes amis. Ces théorèmes abstraits, ces savoirs démontrés dans ces systèmes de règles et de chiffres, ceux qui ont la particularité de nous expliquer et de nous proférer des modèles extrêmement précis et poussés. 

Pour exemple avec le théorème de Pythagore qui nous permet de décrire avec une précision parfaite les distances entre deux points de l’espace ; Le théorème de Noether qui énonce et décrit les liaisons entre les symétries et les lois de conservation de l’énergie ; Les équations du mouvement qui décrivent le déplacement de tout objet dans l'espace ; en passant par les équations différentielles et leur applications dans les équations de la chaleur ; ou encore les modèles mathématiques dans la physique théorique et quantiques qui ont permis de prédire le Boson de Higgs, les antiparticules, l'existence des trous noirs et tant d’autres phénomènes avant leur découverte expérimentale pour n’en citer que quelque uns…

Oui, comment ces prouesses de prédictions et de descriptions de notre monde sont-elles rendues possibles avec l’usage de simples nombres, équations et modélisations mathématiques ? Quelle est l’origine de ces modèles qui semblent entièrement indépendants du concret mais qui le décrivent pourtant si bien ?

 

Mes amis, en réalité, la valeur des savoirs mathématiques va directement et intuitivement découler de ce que nous avons précédemment prouvé. Grâce à ce que nous savons du fonctionnement des mondes mathématiques, du raisonnement logique ainsi que de la création d'idées dans nos esprits, nous sommes prêts à démontrer la valeur des savoirs mathématiques et à répondre du pourquoi de leur prouesse sur le concret.

Grâce à toutes les connaissances préalablement amassées, nous allons encore une fois, réaliser des prouesses dans le monde de la pensée. Ce pourquoi, il nous faut brièvement récapituler d'où nous partons et ce que nous cherchons à établir.

Premièrement, lors du chapitre précédent, nous avons montré comment le raisonnement logique pénètre tout esprit réfléchi. Cette façon de raisonner proprement humaine provient en tout premier lieu de notre instinctive liaison avec une vision temporelle du monde qui nous entoure. Cette liaison va alors produire, de façon primitive, une notion de causalité qui se développera parallèlement à la conscience réfléchie. Cette causalité se trouve être notre moyen de comprendre le monde en associant des événements présents avec des phénomènes passés tout en prédisant des phénomènes futurs. Nous en avons finalement conclu que cette façon de comprendre le monde donne naissance à la formalisation logique de ce dernier que nous connaissons fort bien.

Ensuite, comme toute forme de science, la mathématique se sert de cette façon de raisonner pour créer son univers abstrait, Univers partant tout premièrement d’axiomes de premier plan qui se doivent de respecter les dires de ces quatre grands axiomes du cohérent : Causalité, conservation, tiers-exclu et non-contradiction. Tout univers mathématique représente l'ensemble des combinaisons possibles de ses axiomes via des raisonnements logiques.

Les sciences du concret et de l'abstrait partagent le même formalisme et la même manière de raisonner. Car tout comme l’on démontré que la plante transforme l’énergie du soleil via la photosynthèse dans le concret, nous démontrons que A²=B²+C² dans tout triangle rectangle dans l’abstrait. Nous partons d’axiomes, d'expériences primaires, pour faire transiter la vérité vers une nouvelle proposition différente via un raisonnement valide et cohérent. 

Finalement, ce que nous avons appris lors de la première partie de récit nous permet de réaffirmer que toute idée, toute connaissance, se crée intérieurement via des processus partant tout premièrement de nos sensations et expériences sensibles. Toute idée provient de sources d'informations concrètes, de sources de connaissances primaires.

Il nous faut ici insister sur le fait que la mathématique est effectivement indépendante des phénomènes du concret. Car en tant qu’ensemble de systèmes formels utilisant la logique pour se maintenir, les domaines que compte cette dernière n’ont point besoin de se rapporter directement aux faits du concret pour valider leurs savoirs et leurs dires. La mathématique et tous les domaines qui lui sont associés sont donc non directement liés au concret. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils l’ont toujours été. 

Et c’est précisément ici que se trouve notre objectif lors de ce chapitre. Car puisque tout ce que nous avons pour l’instant abordé provenait de nos expériences et de nos sensations du concret, il semble difficile d’imaginer que la mathématique puisse être exemptée de cette règle. Il nous faut donc trouver, si toutefois cela est humainement possible, d'où provient le lien qu’exerce la mathématique avec le concret ? Et cela, afin d’apporter une explication quant à la grande capacité à lui correspondre et à énoncer des théorèmes, des équations, des modélisations, aptes à le décrire et le prédire avec grande précision.

Du fait que nous sachions d’ores et déjà comment ces univers abstraits fonctionnent, ainsi que l’origine de la logique fondamentale, il ne nous reste plus qu’à déterminer l’origine des axiomes qu'utilisent ces derniers ainsi que le pourquoi de leurs spectaculaires prouesses.

 

Et pour nous permettre d’arriver à nos fins, il faut nous pencher sur ce qui est très certainement, l’une des plus grandes et naïves erreurs au sujet des mondes mathématiques. Car depuis l'aube de la découverte de cette discipline, les chercheurs de tout temps se sont plus ou moins accordés sur le fait que la mathématique provenait directement du monde concret. Qu’elle nous arrivait, jusque dans la plume dans notre main, sans aucun intermédiaire et d’une pure et singulière façon. Et cette lecture du problème impose de nombreux questionnements :

Les axiomes et les principes dont disposent les univers mathématiques sont-ils présents par-delà l’humain, ou alors présent pour l’humain ? Les formules sont-elles présentes naturellement, comme s’il suffisait de saisir les équations à la volée pour pouvoir les utiliser et décrire le monde sans avoir préalablement à les travailler ? Nous autres, êtres temporels, logiques et basant nos jugements sur le véridique, pourquoi diable la mathématique, cette science qui fonctionne si conjointement à notre esprit, devrait-elle forcément en être distante ?

 

              “Le monde est un livre écrit en langage mathématique” disaient-ils alors autrefois. Mais ces superficiels génies se fourvoient imprudemment sur l’origine de ces prouesses.

Car il ne faut pas nous laisser déborder par nos sens et notre intuition. Ceux qui tendent naturellement à nous faire penser que ces modèles qui fonctionnent si bien sont présents naturellement dans des réalités au-delà de notre humanité. Ne laissons pas ce dogme corrompre si facilement nos pensées comme tous ces penseurs passés l'ont fait. 

Ce dogme qui porte à penser que le monde est effectivement écrit et encodé dans la mathématique et que cette vision de ce dernier est immuable et transcendante à nos existences. Que cette façon de voir le monde en équation, serait la seule façon dont il devrait être vu. Et si l’un de ces croyants venait toutefois nous demander pénitence pour notre péché envers la vérité des mondes abstraits, voici à peu près ce qu’il nous faudrait répondre : 

“Très cher, loin de moi l’idée de vouloir remettre en cause les dires que vous enseigne votre dogme de la pensée. Car voyez-vous, il se pourrait tout à fait que vous ayez raison. Néanmoins, je cherche à rester prudent, sage et plus mesuré que vous ne l’avez été. Car si le monde était effectivement écrit en langage mathématique et que cette façon de le voir puisse être la seule qui existe, je vous opposerais ces propositions : 

Pensez-vous réellement que la façon que nous avons de décrire le monde, cette façon proprement intuitive et universelle de le comprendre, celle qui se développe dans l’esprit d’un jeune animal à peine sortit de l'évanescence de l'inconscience, puisse se voir décrétée comme la seule et unique façon de décrire sa grandeur et sa splendeur ?

Est-il plus vraisemblable, du haut de notre humble humanité, incapable de saisir l’absolu, incapable de voir le monde autrement que par ses sens, que le monde nous soit apparu sous sa forme la plus pure via ces univers abstraits ? Ou alors que cette mathématique façon de le décrire ne soit rien de plus que la transfiguration de notre façon de penser sur les phénomènes du concret ? 

N’est-il pas plus probable que nous ayons façonné ces outils, ces symboles, pour nous permettre de mieux comprendre ce qui nous entoure, tout en étant contraints par les limites de notre cognition et de nos perceptions ? Je vous le demande ô dogmatique de l’infini. Répondez donc à cela.”

 

Car je vous le dis et vous l’affirme mes amis, la mathématique n’est pas l’univers en lui-même. Elle n'est vraisemblablement qu’un moyen parmi tant d'autres de le décrire, de l’exprimer, de lui adresser notre humaine volonté à le comprendre et le saisir. C’est l'homme qui dépose délicatement ses formules, ses calculs, ses raisonnements sur la superficie de ce monde qui l’entoure. C’est avec tout l’amour dont il peut être capable, qu’il s’adonne à peindre les murs si gris et ternes du monde concret initialement incompréhensible et insensé. 

C’est avec de chatoyantes couleurs emplies de sens et d’informations que l’humain s'évertue à recouvrir son environnement. Ces couleurs se trouvent représentées par la logique et les notions simples, intuitives et cohérentes, que les univers mathématiques utilisent avec fierté. 

Notions telles que la caractérisation qui permet de faire apparaître celles de quantité et d’unité ; celle de spatialisation qui permet de créer les univers géométriques ; de la reconnaissance de motifs et paternes qui nous permet de repérer les symétries ; Notre jugements qui permet de faire apparaître les mondes probabilistes ; la notion de causalité qui permet de comprendre ce que sont les fonctions, objets qui en transforment d’autres ; celle de la temporalité, qui permet de construire des suites et des séries, et d'explorer des phénomènes dynamiques ; ou encore celle de la continuité, qui nous guide dans l’étude des courbes et des surfaces pour n’en citer que quelques-unes. 

C’est alors que l’on crée peu à peu, carré après carré, notions fondamentales après notions fondamentales, une magnifique mosaïque aux milles et un reflet. Ces reflets si faciles à entrevoir, à apercevoir et à comprendre. Ceux qui reflètent la quasi-perfection nos intentions et notre manière de fonctionner par l’observation du monde qui se dévoile sous notre nez.

Les chiffres de cette mosaïque ne mentent pas, ils dévoilent. Ils dévoilent à l’humain ce qu’il a la capacité de voir, ce qu’il peut comprendre de ce mystérieux univers. C’est dans cela que résident précisément les limites mathématiques. Elle n’est toujours pas ce modèle de perfection absolue à la compréhension de ce monde si complexe et étriqué. Elle n’est que la perfection relative de cette compréhension. Le langage primitif d’un animal aveugle tentant désespérément d’en comprendre les tenants et aboutissants.

En quelque sorte, c’est plutôt la mathématique qui est un livre écrit dans le langage des phénomènes du concret. Ceux perceptibles par l’enveloppe humaine. Ce livre est incomplet, incapable d’expliquer à lui seul le monde de façon absolue et parfaite. Il ne peut qu'expliquer le quantifiable, le raisonnable, l’intelligible par l’abstrait humain. 

 

              Et c’est précisément de cela que nous pouvons tirer l’origine des axiomes de la mathématique. Car sachant que le raisonnement logique et la manière de fonctionner de cette dernière comme acquis en plus de savoir que les principes les plus intuitifs de la mathématique sont également tirés de l’expérience, nous pouvons en déduire que le formalisme tout entier est une création en provenance de notre psyché.

Ainsi, les modèles mathématiques ne sont pas de simples constructions arbitraires. Ils sont profondément enracinés dans notre expérience du concret. Même si les mathématiques semblent évoluer vers des hauteurs d'abstraction qui échappent à toute référence directe à la réalité physique, elles gardent en elles les traces de leur origine sensible. C’est avant tout notre expérience du monde qui est retranscrite en langage mathématique. Et c’est ce langage qui nous permet d’en comprendre les effets concrets au travers de l’abstrait. 

Tout axiome d’univers mathématique que nous utilisons pour modéliser les phénomènes de notre environnement sont, en quelque sorte, des cristallisations de notions simples et intuitives à nos esprits. Ces axiomes simples, intuitifs et cohérents, permettent par la suite, à l’aide de notre façon de relier les causes et les effets par les raisonnements logiques et la notion de véracité, de créer ces univers chiffrés abstraits. Ceux qui nous permettent de pousser nos plus instinctives notions vers de nouvelles vérités engendrées par cette expansion. 

De l’algèbre, à la géométrie, tout en passant par l’arithmétique et l'analyse, tous ces domaines partent de notions simples prises comme principes axiomatiques. Finalement assemblés en des tous sensés et cohérents sachant attiser notre goût de la compréhension par l’usage de notre naturelle manière de penser et de réfléchir rationnellement.

 

Pour conclure sur cette question, avons-nous découvert ou inventé les modèles mathématiques ? En un sens, ces derniers sont les reflets parfaits de notre intuitive façon de comprendre et de formaliser le monde qui nous entoure. Ce sont les transfigurations de notre humaine capacitée à décrire un monde au travers d’un regard subjectif et limité. Impliquant donc que ces modèles sont d’origines humaines, d’origines expérimentales et sensibles. 

Cependant, l’on pourrait également décréter avoir découvert ses derniers sous certains aspects. Car comme en mathématique où les théorèmes se découvrent, car d’ores et déjà présent dès l'instauration des axiomes de vérité, notre humaine façon de formaliser le monde est en quelque sorte également présente dès l'instauration en nos esprit de ces notions simples et intuitives. Nous ne faisons alors que découvrir vers quoi peuvent mener les innombrables combinaisons de ces notions de par l’usage de raisonnements logiques valides et cohérents. 

Voici la beauté de cette science de l’abstrait. Elle se trouve être la cristallisation parfaite de notre humaine vision du monde et de la réalité et permet, une fois suffisamment poussée et développée, de nous faire voyager dans des univers magnifiquement colorés. En partant de simples notions, de simples axiomes intuitifs, elle emporte avec elle tout aventurier en quête de nouvelles Terres à explorer. Je vous le dis mes amis, cette fastueuse dame n’a pas fini de nous étonner.

 

Mais une question reste encore en suspens si toutefois sa réponse n'apparaît pas encore tout à fait clairement. Cette question est celle qui cherche à déterminer l’origine des prouesses de ces univers abstraits. Comment diable pareille retranscription de simples notions peut-elle si parfaitement décrire ce que nous nommons réalité ?

              C’est assez simplement qu’il nous faut répondre à cette injonction si importante soit-elle. Celle qui est utile à déterminer la valeur des savoirs produits par ces univers abstraits. 

Car comme décrit précédemment, les univers mathématiques et leur fonctionnement intrinsèque reposent sur notre expérience du monde concret en toute première instance. Et c'est cette profonde connexion qui explique leur étonnante capacité à prédire et à décrire des phénomènes du monde réel. Les prouesses des mathématiques ne résident pas dans une quelconque capacité transcendante à saisir l'absolu, mais plutôt dans leur pouvoir de cristalliser des aspects essentiels du réel, de manière intelligible et manipulable. Les modèles mathématiques fonctionnent non pas parce qu'ils détiennent une vérité ultime indépendante de l'humain, mais parce qu'ils sont intimement liés à la façon dont nous, êtres humains, percevons et comprenons le monde.

              Oui, la mathématique évolue indépendamment du monde concret. Mais la raison pour laquelle elle le représente si bien, la raison pour laquelle ses calculs semblent si bien le représenter, vient du fait qu’ils tiennent leur origine de ce dernier. 

Tout univers ainsi engendré a pour objectif de nous offrir un moyen de formaliser nos expériences concrètes dans des modèles hautement intuitifs pour nos esprits. Ces modèles ne sont en rien le reflet parfait d’une réalité transcendant l’humanité, mais des cristallisations de notions élémentaires tirées de notre propre expérience permettant d’offrir des formes d’explications rationnelles, logiques, formels, aux phénomènes que l’on expérimente.

              En quelque sorte, la mathématique est l’objective façon de voir le monde au travers du subjectif regard humain. Mais elle est reléguée au rang de subjective façon de décrire le monde, de par le fait qu’elle ne représente que le reflet de ce que l’homme peut en expérimenter.

              De par l’utilisation de la logique mathématique humaine, cette logique humainement objective, le monde concret peut alors être retranscrit et étudié en profondeur. La mathématique se trouve alors être le meilleur des langages formalisés humains ayant pour objectif de comprendre et d’apporter des explications quant au fonctionnement de notre environnement. Voici toute l'étendue de la valeur de ces modèles formels, de ces univers mathématiques proprement abstraits, nés de la confrontation du concret et de notre humaine vision d’un monde temporel et causal.

             

              Mes amis, bien que ces affirmations puissent paraître outrageusement complexes et peuvent laisser perplexe, je vous invite à relire posément le déroulement, les implications, et les prémisses de cette nouvelle preuve que nous léguons à la postérité.

              Ne nous y trompons toutefois pas. Cette connaissance à beau n’être que le reflet subjectif de la vision humaine, amenant avec elle son lot de d’imperfection et d’incomplétude, elle reste le meilleur modèle de vérité que l’homme n’ait jamais utilisé. Rien n’est humainement mieux que le langage mathématique. La mathématique reste et restera pour l’humain le modèle de connaissance ayant la plus grande valeur de vérité, le plus proche modèle de la perfection absolue, le mieux que puisse produire et comprendre l’esprit humain si limité soit-il. 

La mathématique ne remet donc pas en cause les savoirs scientifiques, elle leur confère même une plus grande valeur encore. Quel savoir ne serait pas rassuré de se sentir supporté par la plus parfaite des connaissances humaines ?

              Nous devons toutefois rester humbles et respectueux de notre condition d’êtres logiques. Nous devons respecter notre condition d’aveugles originels, ceux qui ne peuvent réfléchir autrement que logiquement, que causalement. Car sans doute existe-il d’autres façons de formaliser le monde concret. Sans doute celle que nous utilisons fonctionne très bien à nos échelles mais commencent à perdre pied dans des conditions plus extrêmes, là où l'intuition fait des siennes. 

              Il ne faut pas non plus en avoir honte mes amis. Cette façon de penser fait de nous ce que nous sommes, ce que nous devenons, ce que nous deviendrons. Brandissons fièrement cette logique apparente, l’origine de toute pensée, savoir et connaissance humains gravés dans le papier. 

 

             

Chapitre 32 : Les axiomes primordiaux de la pensée humaine

             

 

 

Que de spectaculaires voyages mes amis. Que de nobles et délicieuses aventures. Nous avons tant accompli, tant découvert, tant exploré que notre titre d'aventuriers de la bonne pensée nous est grandement mérité.  

              Ayant parcouru les vallées des idées, les monts des savoirs, les contrées de l’imaginaire, les champs de la raison, les palaces mathématiques, les mondes du temporel et ayant démontré la légitimité de la logique et des dires scientifiques, nous pouvons affirmer avoir accompli notre destinée.

             

              Mais mes amis, en réalité, nous avons tant accompli, que les portes des cieux s’offrent maintenant à nous. Il s’avère que les connaissances que nous avons amassées nous permettent de réaliser bien plus que ce que nous convoitions. Elles nous permettent d’aller bien plus loin. Au-delà de ce qu’est l’humain, vers des conclusions plus importantes et fondamentales encore.

              Oui mes amis, nous sommes remontés si profondément dans la structure de nos pensées que l'horizon du paradis de l'esprit s’est à de nombreux moments découverts dans toute sa pureté immaculée. Le fait est que démontrer la valeur des savoirs scientifiques nous a poussé à user d’une telle rigueur, d’une telle profondeur, que nous pouvons désormais, à l’aide de tout ce savoir accumulé, percer à jour ces cieux bien gardés.

              Le travail, les prouesses que nous avons accomplis tant sur le plan pratique, théorique, logico-mathématique, fonctionnel, originel, nous emportent vers le plus spectaculaire final jamais réalisé. Nous irons plus loin que l’humain n’est jamais allé. Aussi haut que le palais de l'Olympe, aussi haut que la voûte des cieux. Les savoirs que nous avons amassés nous permettent de déchirer le ciel avec toute la fougue et l'ardeur de vaincre dont nos cœurs peuvent faire preuve.

              Oui mes amis, nous nous en allons pour conclure cette seconde partie, vers la tanière des dieux de la pensée. Les dieux originels, les plus imposants, importants et primordiaux de tous. Ceux qui permettent au monde tel que nous le voyons de supporter sa propre vacuité. Ceux qui permettent la création du cohérent tel que nous le connaissons, de la logique telle que nous l’abordons, de la vision du monde telle que nous l’expérimentons. 

                           

              Et pour nous permettre de mettre en lumière ces dieux à la base des fondements premiers de notre esprit, pour nous permettre de mettre au grand jour les racines de l’humain, de tout ce qu’il peut penser et expérimenter, il est alors judicieux d’aller chercher tout premièrement du côté de ce que notre humanité ne nous permet pas de penser. Car à défaut de déterminer ce qui est accessible, ce qui représente une immense quantité de possibilités, il est préférable de trouver ce qui ne peut tout bonnement pas être pensé. 

              Et c’est comme par enchantement, comme par pur hasard fortuit, que tout au long de notre périple, nous avons d’ores et déjà rencontré de nombreux murs et limitations au-delà même de notre capacité à imaginer. Tout du moins, c’est ce que le hasard a cherché à produire dira-t-on. Limitations qu’il nous faut creuser plus à fond pour pouvoir en extraire la signification et les implications sur nos pensées dans leur globalité.

             

              C’est tout premièrement avec les concepts absolus de vérité que nous avons commencé à doucement nous tourner vers la découverte des limites de notre humaine pensée. Ces concepts se trouvent être des chimères, des illusions de nos esprits, impossible à atteindre pour tout être doué de raison et d’une quelconque part de subjectivité. 

              Il s’est avéré que leur inateignabilité venait de leur intime liaison avec l’idée d’infinité. Il faudrait concevoir l’infinité d’expériences, l’infinité de connaissance au sujet d’un même phénomène si l’on souhaite pouvoir comprendre toute l'étendue de la signification de ce que sont les concepts. Pour pouvoir se considérer à même d’en comprendre son objective représentation par-delà toute interprétation, il faut se faire maître de l'absolu et ainsi abandonner son humanité. La voici la première limitation mes amis. L’infini de l’absolu n’est pas chose atteignable par une pensée sensée.

              Deuxièmement, c’est lors de notre voyage en terre de la vérité que nous en avons conclu que les axiomes de nos univers abstraits de la pensée provenaient de nos expériences propres. Expériences qui diffèrent d’un individu à un autre, expliquant la pluralité des points de vue et des opinions sur les phénomènes observés et imaginés. 

              C’est alors que nous sommes remontés jusqu’à la source de cette vérité. Cette source dont nous ne pouvons pas douter en première instance si nous souhaitons conserver notre intégrité. Cette source est représentée par les sensations ressenties par nos esprits. Car le fait est qu’il nous est tout bonnement impossible de douter de la véracité première des sensations que nous ressentons. Seule leur interprétation est sujette au doute et à la remise en question, mais certainement pas leur essence.

              C’est en quelque sorte à la manière du célèbre cogito ergo sum, que la sensation se trouve être à la base de toute certitude, de toute vérité que nous prenons naturellement première. Nous ne pouvons pas douter de la réalité de nos sensations qui symbolisent les fondements de notre conscience. Nous ne pouvons pas penser sans prendre ces dernières comme véridiques, comme fondement de l'existence de notre esprit et de nos pensées en toute première instance. Ces vérités sont la base de toute cohérence.

              Et finalement, c’est dans notre épopée en terre de la temporalité que nous sommes parvenus à conclure que toute pensée, toute expérience est nécessairement liée au principe du temps et du changement. Le temps se trouve être à la racine de toute réflexion, à la base de notre vision du monde. Nul ne peut expérimenter sans temporalité. Nul ne peut penser sans changement, sans chronologie ni mémoire pour supporter ses jugements.

              Le temps, la temporalité, les principes fondateurs du changement et de l’évolution de notre environnement sont à la base de toute réflexion et ne peuvent être ignorés. Penser sans temps ni temporalité n’a aucun sens, aucune portée. Penser sans prendre en compte et avoir intégré ce constant changement résulte irrémédiablement en une déperdition de notre capacité à comprendre causalement et logiquement les phénomènes nous entourant.

             

              Et c’est ainsi mes amis, que nous avons, tout au long de nos aventures, acquis les bases des trois interdits de l’esprit. Et ces trois interdits de l’esprit, les voici : 

              La première stipule que nous ne pouvons penser l’infinité. Le second, que nous ne pouvons penser l’inexistant et l’incohérent. Et le troisième, que nous ne pouvons penser l'intemporel. 

              Voici les trois limites infranchissables de notre pensée. Non pas que ces dernières n’aient jamais été expérimentées, mais bien car elles ne sont tout bonnement et simplement pas envisageables. Ces limites décrivent les frontières de toute pensée, de toute réflexion, de toute expérimentation. Nul humain, une fois ayant acquis un esprit suffisamment développé, ne pourra plus jamais prétendre à ces dernières. Elles seront et resteront pour lui des barrières, des clôtures qu’il ne pourra point franchir ni surmonter de lui-même.

             

              Et c’est de par l’étude de ces interdits, qu’il nous est alors possible de mettre en lumière les principes centraux de la réflexion humaine. Ces principes mes amis, se nommerons sobrement : Les axiomes primordiaux de la pensée humaine. Et tout comme les interdits, ces axiomes se comptent au nombre de trois. Chacun d’entre eux s’adossent aux dires de ces interdits. Ils se structurent en prenant appui sur ces derniers. Ils sont des axiomes, des propositions indémontrables, décrivant l’ensemble de nos univers pensables et imaginables. Ils sont la source de toute réflexion, les racines de toute expérience et de toute compréhension. 

              Et pour commencer, voici mes amis, le premier axiome de votre esprit : L’axiome d'existence.

              L’axiome d'existence stipule que l’esprit humain est un phénomène existant qui ne peut douter de sa persistance même. Il affirme que toutes nos sensations sont directement catégorisées comme effectivement ressenties, comme vraies par essence. La vérité, cette notion proprement humaine découle de cela, nous permettant de juger les phénomènes environnementaux pour créer une pensée sensée et cohérente. 

              Cet axiome se veut être en quelque sorte une forme de cogito ergo sum améliorée. Une forme qui ne se limite pas à l'imprécise définition de la conscience et de l’être en générale, mais qui va prendre sa source dans la sensation au sens le plus singulier.

              En partant de cet axiome et en le reliant à son interdit. Nous pouvons affirmer qu’il est impossible de penser l’inexistant, le rien absolu et persistant. Nous ne pouvons concevoir ce que peut signifier la mort de sa plus pure des formes. Nous ne pouvons pas la penser au-delà même de la simple imagination. Le rien, le néant sont des phénomènes incompréhensibles de par notre essence d’êtres existants et pensants.

             

              Le second axiome primordial de la pensée humaine se nomme : L’axiome du temps. Cet axiome affirme, tout comme nous le savons d’ores et déjà, que toutes pensées et expériences sont nécessairement liées à un cadre temporel. Le temps, le changement, l’évolution sont nécessaires à toute idée de causalité, à toute ambition de compréhension et prennent directement part à toute expérience.

              Et une fois conjuguée à son interdit, cet axiome tout puissant stipule qu’il est impossible de penser sans temporalité. De par son fonctionnement même, notre esprit est emprisonné dans cette capsule temporelle qui lui permet de raisonner et de faire fleurir la conscience au travers des expériences amassées et entreposées dans sa mémoire.

             

              Finalement le troisième et dernier axiome primordial de la pensée humaine n’est nul autre que : L’axiome de finitude. Ce dernier stipule que notre esprit est par essence une entité finie, un phénomène quantique et dénombrable simplement, unitairement. Il est un, indivisible, singulier et particulier. 

              Et c’est une fois mis en relation avec son interdit, que cet axiome de finitude nous affirme que nous ne pouvons tout simplement pas entrevoir l’infini et l’illimité. Nous sommes condamnés à explorer le monde à la recherche de savoirs toujours plus matures et profonds sans jamais pouvoir atteindre la perfection des absolues. Expliquant pourquoi nous ne pouvons comprendre et saisir pleinement les absolus concepts de vérité. Car ces derniers nous sont tout simplement hors de portée. La finitude ne peut concevoir l’infini, ainsi se borne notre vision mes amis.

             

              Ces trois dieux des dieux de la pensée surpassent tous ceux que nous avons précédemment abordés. Ils sont les créateurs des dieux du cohérent, ces dieux qui permettent à tout univers de conserver son sens et sa portée. Ils sont les conditions nécessaires à toute expérience compréhensible du monde concret.  

              Allez-y mes amis, essayez donc de vous extirper de leur toute puissance, de leur omnipotence et de leur totale emprise sur nos esprits pensants. Nul n’est capable de penser l'intemporel, l’infini ou l’inexistant. Car tout bonnement, cela signifierait tourner le dos à notre esprit même. 

              Pour le cas de l'intemporel, nous avons d’ores et déjà donné des exemples simples et frappant lors des chapitres précédents. 

              Quant au cas des infinis, lorsque nous imaginons l’infinité de l’espace, lorsque nous y pensons réellement très fort, nous ne voyons en réalité qu’un espace gigantesque mais confiné dans une image finie et clairement définie. Penser l’infinité de l’espace ne peut dépasser la simple visualisation d’une grande étendue caractérisée et visualisée comme finie, comme délimitée. 

              Il en va de même lorsque nous essayons de représenter le point ou la droite en mathématiques. Le point, si simple en apparence, n'est qu'une abstraction, une idée que nous avons créée pour décrire l'indescriptible : l'absence de dimension, un objet infiniment petit et reculé. Pourtant nous ne pouvons visualiser pareille entité de l'infinité. Nous la visualisons comme une petite marque, une minuscule entité dotée de dimensions, alors qu'il n'est, par définition, qu'une position sans étendue. 

              Ainsi, notre esprit se heurte à ses propres limites, incapable de concevoir pleinement cette idée de l’infiniment grand comme l’infiniment petit.

              Et finalement quant au cas de l’inexistant, il nous suffit de prendre le néant absolu. Chaque fois que nous tentons de l’imaginer, nous finissons par lui attribuer une forme, une couleur, ou même une notion de vide qui, paradoxalement, existe encore en tant qu'idée. Le non-être, le néant absolu, échappe à notre entendement. Car du fait même de le penser, nous lui donnons une existence conceptuelle bien déterminée.

              Voici la limite de nos esprits. Ces limites vont bien au-delà de la simple incapacité à imaginer. Celles-ci vont jusqu'à l'incapacité à appréhender et à comprendre pleinement du fait de nos restrictions et structures internes mêmes. Ces axiomes nous empêchent tout simplement d’accéder à des représentations qui vont au-delà de leurs dires, au-delà de la création du cohérent et du sensée.

             

              Oui mes amis, car étant les fondements de nos esprits, ces axiomes permettent à fortiori d’engendrer ceux du cohérent. L’axiome de temporalité permet l’apparition dans nos esprits, en conjointe application avec celui d'existence et de finitude, du principe de causalité. Ce principe fonde ensuite la base du raisonnement logique. Permettant ainsi à l’univers abstrait humain de se dévoiler. 

              Ensuite, l’axiome d'existence et de finitude pris ensemble et assemblés logiquement permettent de construire les trois autres principes du cohérent : la non-contradiction, la conservation, le tiers exclu. Engendrant ainsi notre humaine vision du monde et de notre environnement. 

              Mais ces axiomes vont bien au-delà de la simple définition du cohérent mes amis. Ils définissent à eux seuls tous les univers que l’humain ne pourra jamais imaginer. La cohérence, la vérité mais aussi tout jugement et raisonnements sont définies par ces derniers.

              Les implications des dires de ces trois axiomes peuvent se résumer de la sorte : Existant donc véridique ; Temporel donc logique ; Fini donc limité. Voici ce qu’est l’esprit dans sa plus simple déclinaison mes amis. 

             

              De plus, c’est de par leur singulière toute puissance individuelle, que nous ne pouvons prendre l’un des trois axiomes de façon séparée. Ils vont forcément de pair et se supportent les uns les autres. Démontrant leur grande interconnexion et leur nécessaire liaison. Car si l’un vient à disparaître, les deux autres tombent nécessairement dans l’oubli de l’insensé. Soit dans leur manière de fonctionner, soit dans leur caractéristiques clés. Et voici le pourquoi de cela :

              L’axiome d’existence permet de définir la vérité et les propriétés des deux autres axiomes primordiaux de la pensée. Sans celui-ci, les deux autres perdent leur validité et leur qualificatif de véridicité.

              L’axiome de finitude détermine les limites des champs d'application et la stabilité des caractéristiques des axiomes primordiaux. Sans celui-ci, la portée des deux autres perd de leur sens.

              L’axiome du temps définit le comportement que chaque axiome doit adopter. Il se trouve être à l à base de toute idée de la causalité et permet l’apparition du raisonnement logique et donc de la création de l’univers formel composé par ces trois axiomes primordiaux de la pensée humaine. Sans cet axiome, l’univers de nos pensées ne peut être engendré.

              En clair, ce n’est qu’une fois pris ces trois axiomes simultanément, que leur signification peut enfin prendre place et ouvrir la voie à notre esprit. Ce triumvirat ne peut fonctionner qu’à trois. Un parfait équilibre, une parfaite distribution des forces et du pouvoir. En bref, la quintessence du savoir.

              Voici mes amis, les trois axiomes qui composent nos esprits développés. Rien ne peut les surpasser, rien ne peut les éviter. Nous sommes tous condamnés à les utiliser, à les employer, à leur obéir si nous souhaitons sauvegarder l’intégrité de nos esprits. Chaque jour durant nous leur rendons grâce, nous prions à leur bonté, celle qui permet à nos individualités d’exister et de persister.

             

              Mais il serait mal me connaître que de penser que nous allons nous en arrêter là. Car grâce à cette fracassante découverte, il nous est possible d’aller encore plus loin. Et c’est en ce jour, en cet instant précis, que je nous fais les Gödel de la pensée mes fidèles amis. Car de façon assez satirique, du fait que nous prenions ces principes de l’esprit pareillement à des axiomes de la pensée, il nous est alors possible, tout comme en mathématique, d'énoncer des théorèmes sur ces derniers.

              Et c’est ainsi que nous énonçons nos propres théorèmes d’incomplétude, ceux se fondant sur la pensée. Ces théorèmes mes amis, les voici :

              Le premier théorème stipule qu’aucun système de pensée basé sur les trois axiomes primordiaux ne peut contenir en lui-même toutes les vérités possibles. En d'autres termes, il existera toujours des vérités ou des connaissances qui échappent à notre compréhension du monde. Des propositions qui se situent au-delà des limites imposées par ces axiomes. Cela signifie que tout ce que nous pouvons savoir ou concevoir est limité par les cadres que notre esprit est capable de penser. Ainsi, certaines vérités, certaines visions et compréhension resteront à jamais inaccessibles à la réflexion humaine.

              Le second théorème stipule qu'il est impossible de prouver de manière absolue la légitimité et la cohérence interne de notre système de pensée. En d'autres termes, bien que nous utilisions la logique humaine comme fondement de notre raisonnement, nous ne pouvons garantir que cette logique soit exempte de contradictions internes. Nous sommes prisonniers de notre propre cadre conceptuel, incapables d'évaluer notre système de l'extérieur. Ainsi, même si nous parvenons à résoudre certains paradoxes, il restera toujours des zones d'incertitude, des points aveugles où la logique humaine pourrait échouer, sans que nous puissions y remédier.

             

              Voici la prouesse de cette manière de comprendre notre esprit mes amis. La voici dans toute sa splendeur et sa grandeur. Voici le final que je vous ai promis. Le voici ce triomphe, cette apogée de la bonne pensée.

             

              Notre vision du monde, notre façon de la comprendre, cette manière de raisonner proprement bornée par ces axiomes, ne sont, si l’on souhaite rester prudents et sages, que des mirages inventés par nos psychés. Nous ne sommes pas en mesure de déterminer si oui ou non, cette façon proprement anthropocentrée de découvrir et d'interagir avec le monde est la bonne ou même la seule qui puisse être. Nous restons captifs d’un univers créé de toute pièce bornant notre façon d’être. Un univers possiblement incomplet et grandement limité.

              En plus de cette incomplétude, il nous est impossible de déterminer si notre manière de faire est consistante. Nous ne pouvons le démontrer absolument à l’aide des simples outils dont nous disposons. Et il se trouve que ce manque de consistance se retrouve dans les bornes mêmes de nos pensées et de notre façon de les créer. Ces bornes qui fascinent tant. Celles qui terrifient comme exaltent les mœurs depuis la nuit des temps. 

              Et il se trouve que nos axiomes primordiaux de la pensée font eux-mêmes partis de ces bornes, formant un ensemble encore plus singulier, encore plus intrigant et effrayant. Ces bornes mes amis, se retrouvent dans ce que nous nommerons : Les tautologies de l’esprit. Et ces dernières agissent pareilles à des murailles sur tous les aspects de nos pensées. Elles sont les limites, les bordures externes au-dessus desquels rien ne peut passer.

              Mes amis, ces murailles peuvent être aperçues au loin, regardez bien, nous pouvons d’ores et déjà apercevoir leur silhouette. Cette silhouette si imposante, si rustre et mystique. A force d’avancer dans la pensée, à force de pénétrer dans la dense et dangereuse jungle de la compréhension, nous arrivons enfin à ses pieds. Ces murailles de granites, aussi volumineuses que les plus hauts sommets, aux parois aussi lisses et dures que la givrure. 

              Agenouillez-vous, mes amis, suivez ma voie. Nous nous trouvons en face de ce qui cause toutes les fois. Ces magnifiques gardiens, détenant les clés de notre vaine et impensable totale liberté. Voici, les formes tautologiques de la pensée. 

             

              Les tautologies sont des propositions, des phénomènes qui se décrivent et se définissent par eux-mêmes. Des faits qui ne peuvent se définir que de par leur propre existence sans que causalité ne puisse être mise en évidence même par les esprits aux pensées les plus denses. Les tautologies sont des phénomènes incompréhensibles, intouchables et inutilisables symbolisant les limites intrinsèques de nos raisonnements.

              Et c’est sans nul doute que les axiomes primordiaux de la pensée se trouvent en tête de ces dernières. Ces phénomènes sont impossibles à repousser, à prouver comme étant consistants et corrects, n’existent que par et pour eux-mêmes et symbolisent à la foi les fondements et les limites de la pensée. Voici à quoi ressemblent les tautologies de l’esprit.

              Mais les axiomes primordiaux de la pensée ne sont certainement pas les seuls à correspondre à ces conditions. Car cet ouvrage débute sur la fameuse question “pourquoi savoir ?”. Cette question qui peut être abordée sous d’innombrables aspects, renferme en elle-même un pesant problème. Dans le fait même de remonter à cette illustre interrogation, l’esprit humain manque de peu de se perdre dans un immense abysse d’une profondeur sans précédent. En effet, il semble humainement impossible de pouvoir remonter plus antérieurement que ce questionnement. Car vouloir aller plus loin que la question “pourquoi savoir ?”, n’est rendu possible qu’en questionnant la question même. L’on peut alors se demander “pourquoi savoir pourquoi savoir ?” et cela une infinité de fois.

              Cette question renferme une impasse, une limite que chaque humain se doit de respecter s’il ne veut pas en perdre son humanité. Cette question est une fin en elle-même, un niveau minimum, le fond de l’exploration, le fond de la fosse aux idées. Cette question est une forme de tautologie. Elle est, dans le référentiel du questionnement humain, la plus antérieure question qui puisse être posée avant que la connaissance humaine ne s’en trouve attaquée. Attaqué par un paradoxe inintelligible, inapréhensible, incompréhensible. 

              Lors de cet ouvrage, nous avons réussi à obtenir la première clé vers son accession. Bien que celle-ci se trouve être impossible, il en va de notre devoir de chercher à nous en approcher tout en subtilisant toutes les connaissances et les mystères qu’elle recèle.

             

              Mais ces formes tautologiques s’appliquent également dans tous les autres mystères, même dans le référentiel de notre univers. L’origine de notre univers est bien trop complexe pour pouvoir être expliquée avec nos simples outils logiques. 

              Pensez-y mes amis, si tout est doté d’une origine selon notre causalité, cela signifie qu’il existe une origine initiale, un commencement primordial. Et ce commencement doit nécessairement devenir sa propre origine pour que ce cycle infini s'arrête. Démontrant une faille dans notre façon de comprendre l'enchaînement, les modifications de notre environnement. 

              L’origine de notre univers est une question qui va au-delà de notre manière de comprendre, de notre manière de traiter le cohérent. Et de ce fait, se voit transformer en tautologie, muraille infranchissable, inattaquable, lieu de tous les mystères et de toutes les hypothèses. Nous ne sommes tout simplement pas aptes à comprendre et à intégrer la possibilité qui fait que l’univers puisse ne pas avoir d’origine, que la raison puisse être d’une toute autre forme. Une forme qui nous est de toute façon inaccessible, inintelligible. 

             

              Ces exemples de tautologies illustrent nos limites profondes dans notre manière de penser le monde. Elles sont les chevaux de Troie de nos théorèmes d’incomplétudes, celles qui démontrent notre possible inconsistance, notre possible errance dans un univers spirituel créé de toute pièce par nos intellects.

              Je vous l'affirme mes amis, toute connaissance humaine à une origine tautologique, un commencement tautologique, impossible à dépasser. Absolument toutes les connaissances proviennent d’une tautologie sous-jacente. Nul ne peut passer outre, nul ne peut s’aventurer plus antérieurement, plus en avant de la flèche du temps.

             

              Et pour conclure cette seconde partie, il est important de rappeler qu’il nous faut rester humble et sages, nous simples humains. Tâchons de rester prudent face à ces questionnements. Acceptons notre sort d’aveugle et malentendant et attendons patiemment qu’un borgne naisse parmi nos rangs. Mais efforçons-nous tout de même à combattre tous ces faiseurs de bonne vérité. Ceux aux esprits pourris et malades. Efforçons-nous de contenir la contagion que les concepts et réponses aux tautologies peuvent représenter pour l’humanité. Car celui qui recherche la vérité doit savoir humblement s’avouer impuissant face à certains événements. 

              En étant partis des axiomes du cohérents trouvés dans le fonctionnement de la mathématique, nous sommes remontés jusqu’aux axiomes primordiaux de la pensée. Axiomes utiles à la fabrication logique de toutes nos pensées de toutes nos réflexions et expériences. Et ces derniers nous ont permis de prendre conscience que nombre de questionnements et phénomènes nous sont entièrement distants et inaccessibles. Ces questionnements que nous nommons tautologies. 

              Nous, les auto proclamés Gödel de la pensée, avons posé nos deux théorèmes. Ceux qui envoient des cris d’alerte à tous ces mauvais esprits et qui rappellent à l’ordre en disant : “tu n’es pas l'architecte de l’univers, ni le maître du temps. Tu n’es qu’une ombre passagère, une pensée éphémère dans une immensité qui te dépasse et te surpasse." Ainsi parle la sagesse des tautologies de notre esprit. 

             

             

Partie 3 : Les autres modèles de connaissances légitimes

 

 

Chapitre 33 : Les autres modèles de connaissances légitimes

             

 

 

              Mes amis, c’est avec une indicible joie que je vous annonce que notre périple touche à sa fin. Nous avons d’ores et déjà passé les abîmes des enfers de nos pensées et nous nous dirigeons maintenant vers le salut de notre humanité. 

              Grâce à la légitimation des savoirs scientifiques et de la logique fondamentale, nous sommes à même de construire de solides fondations pour nos prochaines expéditions. Nous sommes dorénavant aptes à user de la toute-puissance des savoirs de la science et de sa sagesse sans que plus aucune retenue ne nous en empêche. Cette science, véritable entité satisfaite de la non-satisfaction. Nous pouvons désormais utiliser, sans plus aucune vergogne, les savoirs et connaissances des sciences en toute connaissance de cause et en toute légitimité. L’avenir n’en sera que plus aisé. 

             

              Mais bien que la science ait été décrétée comme meilleur modèle de compréhension du fonctionnement des phénomènes, il nous manque toutefois encore un dernier outil à nous approprier pour enfin pouvoir partir guerroyer en toute festivité. Car bien qu’étant déjà vêtu de notre plus belle armure, chevauchant notre plus fière monture, équipé de notre fidèle glaive de vas en guerre, il nous manque encore ce qui deviendra notre illustre bannière. 

              Il nous faut vouloir étayer nos récits épiques avec de belles histoires, celles qui arboreront notre écusson. Oui mes amis, comment pourrons nous conter nos aventures et leur octroyer le titre d'œuvre pour l’éternité sans l'histoire avec un grand H dans notre garnison ? Comment nos petits-enfants comprendront-ils la portée de nos exploits guerriers sans que l’on ne puisse les retranscrire dans les écrits ? 

              C’est alors qu’il nous faut, en guise de clôture de rideau, discuter de la valeur de ces récits familiers, de ces contes et histoires du passé. Car avant de rentrer tête baissée en plein dans une merveilleuse aventure aux véritables confins de l’humain, il nous faut prendre ces tous derniers instants pour nous recueillir sur la sépulture de nos ancêtres. Tendons leurs nos sages et attentives oreilles et écoutons ce que leurs existences ont à nous conter. 

               

              Trêve de rêvasserie, rentrons dans le vif de ce dernier sujet : quelle valeur de vérité peuvent détenir les connaissances du passé ? Plus fondamentalement, qu’est-ce que l’histoire et quelle est sa légitimité en tant que puits de connaissance et de savoir ?

             

              Commençons tout d’abord par définir ce qui sera ici considéré comme Histoire. Cette définition sera très importante car elle différera de celle que l’on tient pour traditionnellement acquise. Elle se voudra assez large pour couvrir nombre de domaines différents, mais assez réduite pour ne pas compter parmi ses rangs de vils charlatans. L'histoire aura donc comme définition : discipline ayant pour objectif de relater les faits du passé. 

              Cette définition est très large, bien plus large que la définition commune. Elle englobe bien plus de domaines que la simple étude du passé de l’humanité. Cette définition prend en compte tant bien l'histoire humaine, que l’histoire des continents, que l'histoire de l’univers… Elle prend bien évidemment en compte toutes les sous branches de ces quelques grands sujets d’études. Comme par exemple, l’histoire des langues, la philologie, l'histoire des climats terrestre avec l'étude des calottes glaciaires, ou l'histoire du mouvement des planètes du système solaire… 

              Bien que cette définition puisse être prise comme offensante de par sa forme et sa ridicule simplicité, elle regroupe en réalité tout ce que nous cherchons à légitimer. Car bien que l'histoire de l’humain soit chose fascinante, il nous faut vouloir l’étendre à celle de son environnement. C'est-à -dire de tout ce qui l'entoure, de tout ce qui a entouré et de tout ce qui a été. Voici la grandeur de cette définition, cette globalité que nous cherchons à acquérir.

              Cependant, l'histoire, telle que définie ici, n'est pas un domaine de recherche qui nous aide directement à comprendre le monde et son fonctionnement profond. En elle-même, elle ne représente qu'une vaste base de données, qu’une prolifique source d'informations relatant le passé. Mais elle ne constitue pas un savoir au sens où nous l'entendons, c'est-à-dire un ensemble de connaissances permettant d'expliquer des phénomènes particuliers dans un domaine d’activité.

              Ce qui représente véritablement le savoir, c'est l’étude de cette histoire. L’étude des études en quelque sorte si vous me permettez cette vilaine répétition. De l'étude des périodes de glaciation terrestre, à l'étude des éruptions solaires, tout en passant par l'étude des marchés boursiers, le champ d’application est quasiment illimité. Et c’est précisément ce travail de liaison et de compréhension à partir de cette base de données qui se voit octroyer la plus grande valeur et la plus grande importance. C’est cela que nous nommerons savoir historique. C'est-à-dire, l’étude des informations sur le passé ayant pour objectif de comprendre les schémas et évènements qui se sont autrefois déroulés.

              Avec cette définition, il apparaît clairement que l’histoire ne peut pas être considérée comme une science à part entière. Son objectif s'arrête à de la pure documentation, la recherche d’informations et de mise en liaison d'événement pour former une chronologie des faits passés. Les connaissances historiques ne sont alors, dans l’idéal, que de la retranscription écrite d'événements antérieurs qui se verront par la suite étudiés et relier entre eux via des raisonnements logiques et causaux. Car si la science se veut être le modèle de connaissance de demain, celui qui prédit et prévoit, l’histoire se veut être le modèle de connaissance du passé, celui qui éduque et informe.

              Les savoirs scientifiques reposent sur le formalisme et la méthode de raisonnement de la mathématique, ce modèle de vérité parfait dans le référentiel de l’humanité. Nous avons décrit comment les sciences fonctionnaient, ce sur quoi elles se fondent : La méthode scientifique. Celle-ci se trouve être le point de passage nécessaire que traverse toute croyance aspirant au prestigieux titre de savoir de la science. Pour établir la valeur de la connaissance historique, usons donc de ce que nous savons déjà et comparons l'histoire à ces sciences de l’humanité.

             

              En réalité, les savoirs historiques partagent de nombreuses similarités avec ces tout puissants savoirs scientifiques. En effet, les disciplines historiques des faits et évènements passés usent de méthodes et d’un sérieux semblable en de nombreux points à ceux des sciences. Comme pour exemple le plus singulier, la recherche de preuve, de documentation directe, de faits observables, qui sont les fondements de toute mise en évidence de faits historiques. De la même façon qu’avec les savoirs scientifiques, un savoir historique se doit d’être corroboré par des preuves solides et concrètes. Plus un savoir historique en est doté, plus il sera considéré comme cohérent, comme véridique et pourra prétendre à une plus grande valeur de vérité. 

              De plus, la moindre contre preuve peut s’avérer fatale à tout savoir historique et peut en invalider les conclusions. De la découverte d’un témoignage, d’un fait nouvellement découvert, ou tout simplement d’une inauthentification des preuves préexistantes, les connaissances amassées peuvent se voir balayées en un instant.  

              Ces savoirs sont donc, tout comme ceux des sciences, en constante évolution, constante transformation. Et cela, dans l'objectif de toujours mieux concorder avec la chronologie du passé et de la projection dans les faits futurs. Tout comme le savoir des domaines scientifiques, les savoirs historiques se font continuellement la guerre et tentent par tous les moyens de se faire reconnaître comme les plus valeureux qui soient. 

              Mais ces nobles guerriers vecteurs de connaissances savent également s’avouer vaincu lorsque plus valeureux se présente à eux. Ce pourquoi, l’histoire et l’ensemble des domaines d’étude qu’elle contient, s’écartent des tendances dogmatiques, inchangeantes et absolues. Permettant à cette dernière de se voir attribuer une plus grande valeur intrinsèque, une valeur proprement humaine satisfaisant les prérequis de la quête de vérité de tout bon aventurier.

              En plus de la possible faillibilité de tout savoir historique. L’histoire est également à la recherche de la plus pure forme d’objectivité dans ses travaux. Les historiens et chercheurs usent de minutie et de patience. Ils comparent un maximum d'informations de tout point de vue différent. Ils remettent dans leur contexte les rapports et découvertes et ne permettent aucun débordement, aucune fausse information, aucune mauvaise interprétation. Il faut vouloir que le savoir historique puisse devenir le plus précis possible. Libre de toute interprétation trop dégradante à son caractère idéalement objectif. L’histoire se veut être le cynique observateur omniscient des faits du passé. Elle se veut le juge parfait, l'œil de l'objectivité. 

              Malheureusement, cette histoire est quelque peu idéalisée. Le travail est parfois trop ardu, trop impossible à soutenir aux vues des incroyables quantités de données nécessaires à amasser en plus de la difficulté d'émettre des jugements les plus objectifs possibles. De plus, comme tout savoir humain, celui-ci se voit limité par notre naturelle propension à la subjectivité et aux biais de confirmation qui limitent notre impartialité dans la compréhension et dans la fidèle mise en relation des faits.

              En plus de cela, dans certains domaines plus restreints ou anciens, les informations sont denrées rares et les prédictions à leur sujet ne sont que des suppositions, des formes d’interprétations débattues et débattues encore et encore. Comme exemple le plus frappant : L'étude des premiers instants de l’univers, l'étude des premières civilisations humaines, l'étude du passé des langages humains... Il existe tant de domaines encore incomplets et ridiculement difficiles à étudier que leur fiabilité laisse souvent à désirer.

              Le voici l’un des plus grands problèmes des savoirs historiques. Leur valeur à tendance à grandement diminuer suivant les types de domaines et leur situation temporelle. Car plus un domaine sera restreint et précis, plus il sera difficile d’en apporter des conclusions solides. Et plus un sujet d’étude est lointain, plus il est ancien, plus la valeur des prédictions modernes à son sujet en sera affaiblie. 

              Et c’est précisément en cela que l'histoire et son étude sont des activités au caractère souvent limité par la quantité et la qualité des données mise à disposition. Au contraire des savoirs scientifiques qui se doivent de pouvoir répondre de faits observables et répétables à tout instant, les savoirs historiques restent quant à eux piégés pour l'éternité d’un un flou continu et lointain. Un flou inaccessible, uniquement déductif et non reproductible.

              Pour continuer dans l’énumération des similarités entre les sciences et les domaines historiques, tout comme de nombreuses sciences, cette dernière se trouve souvent dépendante des avancées techniques et technologiques. La découverte de nouveaux moyens de fouilles, de nouvelles méthodes et outils d’exploration, de datation, de visualisation sont des atouts nécessaires et permettent de décupler les capacités d’analyse et la précision de toute étude. 

              La datation au carbone 14 sur les objets anciennement vivant de moins de 50 000 ans, la découverte de l’effet doppler pour l’étude cosmologique ; l’IRM pour l'études des dépouilles momifiées ; les dispositifs de recherche sous-marins et caverneux ; les outils informatiques de modélisation et de simulations, en sont des exemples parmi tant d’autres. Toutes ces avancées techniques permettent de mettre en exergue nombre de domaines et d’ainsi pouvoir drastiquement améliorer la quantité ainsi que la qualité des informations à disposition.

              En sommes, les savoirs historiques partagent de nombreuses similarités avec ceux que profèrent les sciences de la modernité. Ils se veulent corroboratifs, perfectibles, humbles et objectifs. Cependant, ces derniers ne peuvent passer les quatre étapes de la méthode scientifique. Et cela, de par leur essence même d’étude des événements s’étant produits dans le passé qui ne sont ni reproductibles, ni isolables, ni étudiables directement. Leur valeur tend rapidement à diminuer suivant le nombre, la qualité, le sérieux apporté et l’éloignement des données mise à disposition pour ces derniers. 

             

              Suivant notre définition, à la fois quelque peu réductrice et en même temps large et très inclusive, l’histoire s'arrête à la simple compilation de données. Une forme de travail robotique et dénuée de toute autre portée que celle de l’amour pour la connaissance. Car en réalité, comme exprimé précédemment, la grande importance de toutes ces bases de données se retrouve dans leur étude, dans leur mise en liaison et dans leur mise en application. Mais mes amis, en quoi ces bases de données sur le passé peuvent-elles bien se voir mettre en application dans notre moderne vision d’un monde d’ores et déjà très bien expliqué par les sciences et les savoirs qu’elles produisent à longueur de journée ? 

             

              C’est tout naturellement, comme toute étude visant à la compréhension de phénomènes, que le grand pouvoir des savoirs historiques se retrouve dans la prédiction. A la manière des sciences physiques qui mettent le monde en équations pour mieux en prédire le comportement futur des phénomènes concrets, l'histoire est une précieuse et prodigieuse base de données, utile à la prévision des phénomènes à venir. Les savoirs possiblement produits à partir de ces bases sont capables de nous apporter des explications quant au fonctionnement de phénomènes sociaux, environnementaux et géologiques et permettent de prédire des éventualités dont les celles des sciences sont dénuées.

              Car au lieu de s'arrêter à des phénomènes fermés et reproductibles en laboratoire, l'histoire peut nous permettre de voyager dans des univers bien plus vastes et diversifiés. Des univers pluriels et complexes qui font souvent émerger des éléments impossibles à prédire via l’étude de leurs acteurs singuliers. Comme par exemple avec les mouvements sociaux, les prises de décisions nationales, les changements environnementaux et géologiques qui sont tout bonnement hors de la portée des simples équations physique, de la simple étude des écosystèmes et société actuelles. L’histoire apporte de la profondeur et de la remise en perspective sur des phénomènes bien plus complexes et pluriels dépendant de nombreux facteurs différents.

              Ces savoirs du passé sont de véritables mines d’or pour tout avide de connaissance. Ils permettent de prédire de potentiels faits futurs en se basant sur une certaine forme de périodicité et de répétitivité des événements du passé. Comme l’on dit si bien, “l'histoire se répète”. Et ce n’est pas pour rien, car l'histoire, en tant que domaine d'étude du passé, est une source infinie de savoirs qui éclaire notre avenir avec une grande clarté. 

              En étudiant les événements antérieurs, nous découvrons des modèles et des cycles qui nous permettent de mieux comprendre et anticiper les phénomènes futurs. Chaque leçon tirée de l'histoire renforce notre capacité à aborder les défis du présent et à imaginer des solutions innovantes pour l'avenir. 

              Les savoirs historiques nous permettent de nous prémunir de potentiel danger à venir, de nouvelles guerres, de nouveaux cracks, de nouvelles périodes de réchauffement, de sécheresses, de périodes de crises ou de prospérité… Et nous informe quant à la meilleure manière d'aborder ces situations avec sagesse et préparation. En étudiant les dynamiques qui ont façonné le passé, nous pouvons identifier les stratégies qui ont mené à la résilience et au succès, tout en évitant les erreurs qui ont conduit à des échecs. Ces savoirs nous offrent ainsi une feuille de route pour naviguer dans les incertitudes de l'avenir, en nous donnant les outils pour anticiper et atténuer les risques, tout en saisissant les opportunités de progrès et de développement.

              Les différences entre science et histoire dans la manière d’aborder les phénomènes concrets n'impliquent toutefois pas leur entière disjonction. De nombreuses prédictions prenant pour source les informations historiques peuvent également être soutenues par des recherches scientifiques. Tel est le cas pour l’apparition de séismes ou de nouvelles éruptions volcaniques qui, au-delà de leur caractère cyclique à travers les données historiques, peuvent être étudiées en temps réel par des appareils de mesures performants. En sommes toute prédiction peut, de façon plus ou moins importante, se voir supporter par des analyses en temps réel suivant la facilité et la précision des recherches à mener. 

              Ces prédictions vastes et larges ont toutefois un coût bien lourd à porter. Celui de leur faible valeur effective de vérité. A contrario des savoirs scientifiques, étudiés et reproduits en laboratoire jusqu'à quasi-certitude, les savoirs historiques se heurtent à leur non-reproductibilité. Ce qui a été, pourrait très bien ne jamais pouvoir se reproduire à nouveau. Et de façon bien plus probable qu’avec les savoirs scientifiques. Néanmoins, plus la base de données est imposante, plus les chances que des phénomènes récurrents et précisément détaillés se reproduisent dans des circonstances plus ou moins propices. 

             

              En addition à leur capacité prédictive, ces données sont une base d'expérience secondaires extrêmement importante. Les faits du passé, les expériences retranscrites d’autrui sont capables d'augmenter drastiquement la maturité de tout bon intéressé. Cette connaissance, connue sous le nom de culture générale, est un trésor de développement personnel, de prise de conscience, de prise de distance. 

              En comprenant les faits et erreurs du passé, l’esprit humain devient capable de s'approprier les clés d’un avenir meilleur sous le couvert de la tempérance, de la sagesse et de la clairvoyance. De l’étude des faits historiques découlent les prémisses de toute pensée critique et de remise dans le contexte des faits actuels et la projection de ceux futurs.

             

              En conclusion, l’histoire et ses études approfondies sont des atouts complémentaires à ceux des sciences modernes et s’avèrent cruciaux pour la suite de notre aventure. Ils apportent des formes de compréhensions éloignées des dogmes et emplies d’une sagesse proprement humaine. De par ses enseignements dotés d’une plus ou moins grande valeur de vérité, nous acquérons une forme de volonté inébranlable nous poussant à aborder l’avenir avec un socle, un bouclier sur lequel nous reposer. Mais également avec une vigueur et une clairvoyance digne de ce que les meilleurs oracles seraient apte à pourvoir. 

              Cependant, la qualité de ces connaissances reste souvent à déplorer, ce pourquoi il nous faut être prudents avec les potentielles conclusions apportées et que nous apporterons tout au long de notre épopée. 

              Pour terminer cette courte escapade dans les terres bien gardées de l’histoire et de ses savoirs, il nous faut saluer le travail des historiens et chercheurs, qui, de par leur inébranlable passion, nous font découvrir les coulisses de l’humanité et du monde dans lequel nous vivons. Ces grands et éminents chercheurs de trésor sont à la noblesse d’esprit ce que la science se doit d’être à la sagesse. Ainsi doivent se parer toute quête de savoir mes amis. Ainsi nous en avons fini.

             

              Et c’est avec fierté et honneur que nous nous préparons à rentrer dans l’arène, la véritable arène de ces gladiateurs pourfendeur de valeur. Nous sommes fin prêt à ensemble pouvoir écrire l’histoire. Notre propre histoire et celle de l’avenir de l’humanité toute entière. Parés, sur notre fidèle destrier, vêtu de notre armure, équipés de nos plus beaux effets, nous partons enfin vers de nouveaux horizons. Ces horizons encore jamais explorés, ceux vers lesquels l’humain doit maintenant se diriger. 

              Nous sommes enfin arrivés au bout de cette épopée en Terre de la connaissance et du savoir humain. Au-delà de toutes nos découvertes, de toutes nos péripéties initiatiques, un nouvel ordre s’est ouvert à nos esprits humains. Que de chemin parcourut mes amis, et il reste pourtant tant et tant à découvrir.

                            Nous sommes premièrement partis à la rencontre du questionnement des questionnements, celui qui nous demande : “pourquoi devrais-tu savoir ?”. Questionnement qui ne quittera pas lors de nos prochaines aventures, celui qui se trouve être notre objectif primordial, celui qui guide notre volonté de guerrier.

              Puis nous sommes partis en quête de précision au travers des principes de référentiels et des définitions. Nous nous sommes ensuite envolés vers le fonctionnement de notre esprit. De la création des expériences à celui des savoirs tout en étant passé par celui de notre imagination et de notre raison, tous ces chapitres nous ont permis de guerroyer contre des absolus concepts de vérité. Et cela, afin de faire finalement triompher notre humanité. 

              C’est alors que nous avons découvert ce que signifiait la maturité, d'où pouvait bien provenir la valeur d’un système de pensée et des théories portées sur notre monde et son fonctionnement. Ces systèmes de pensée créateurs de savoirs dont les plus importants d’entre eux se trouvent être les sciences de la modernité, qui, lorsque sagement utilisées, produisent des savoirs d’une immaculée clarté. 

              Mais tout ce travail manqua de s'effondrer lorsque notre raison fut mise à l’épreuve par le manque de preuve de sa légitimité. Il nous a alors fallu rétablir cette suprématie en démontrant la logique par la logique même en le faisant à la philosophique. De la notion de vérité à celle de la temporalité tout en passant par l’étude des univers mathématiques, notre périple eut finalement raison de la déraison, celle qui nous barrait encore le chemin. Ce chemin qui nous a directement mené aux abysses les plus profonds de nos esprits humains. Ceux qui renferment les clés de notre compréhension du monde, ces trois axiomes primordiaux de l’esprit ainsi que nos formes tautologiques.

             

              Je nous fais maintenant chevalier mes amis. Chevalier de la liberté, de l’avenir et de la beauté d’un monde aujourd’hui que trop défriché. Je me pose à vous, chers camarades, en tant que sauveur de ce si précieux avenir, devenu insensé, dépossédé par la modernité. Nous partons en croisade face à la décrépitude du monde futur. Nous partons à la recherche de solutions nouvelles et porteuses d’un incroyable espoir. Mais nous ne reviendrons pas pour autant à un moyen âge morne, sombre et dogmatique. Non, au contraire, nous avancerons vers le progrès, celui de la pensée dans toute sa plus grande splendeur. 

              Une véritable guerre se dévoile à nous, et c’est à nous de brandir les armes que la bonne pensée nous octroie. Celles qui guideront la révolution vers une humanité plus sage et heureuse. Un futur plus radieux et authentique, dépourvu de faux semblants, de conflits sanglants et de pauvres mendiants. 

              Mes amis, allons-y. Chargeons. Élevons nos voix et nos esprits dans ces cieux si chaleureux qui nous observent de leur regard désinvolte. Prouvons-leur de quoi nous sommes capables d'accomplir, de devenir. Oui devenons, allons enfin vivre et expérimentons la véritable beauté dont le monde est doté. 

                           

              Enfin nous voilà libérés de cette philosophie de la pensée et de toutes ces prérogatives à notre épanouissement dans ces contrées encore inexplorées. Nous voilà enfin prêts et nous partons sachant ô combien nous nous sommes bien préparés.

              Nous savons ce dont nous sommes capables et ce qui nous est inaccessible. Nous avons acquis une forme de sagesse et de prudence de la plus haute importance. Et nous en allons joyeusement guerroyer tels les aventuriers que nous sommes. Nous sommes enfin prêts à contrer tous les dangers qui se présenteront à nous… ou quoique… Pour ce qui est de cela, seul l’avenir nous le dira… 

             

              Premier écrit

              17 ans

             

             

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Cet ouvrage commence par

une question simple d’apparence :

Pourquoi devrait-on Savoir quoique ce soit ?

Voici la question la plus importante qui soit. Celle qui terrifie toutes les petites philosophies depuis la nuit des temps.

Et c’est dans cette épopée aux confins de la pensée que nous allons ensemble tenter d’y remédier.

Amoureux de la bonne pensée de

tout horizon, notre route se

dresse droit devant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Votre noble serviteur

Mister Y Man

 

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