La ville est plongée dans la nuit froide et sauvage. La neige est épaisse, mais des traînées rouges vifs coulent comme des rivières ou des nuées de serpents qui se réveillent au printemps.
Félicia Joy arpente les rues peuplées de cette ville souillée. Le froid ne semble avoir aucune emprise sur elle. Les gens la dévisagent ou passent à côté d'elle sans prêter attention.
Un spectre parmi des loups gris. Une bête chasseresse sans terre.
Ils ne voient qu'une ombre aussi souple et silencieuse qu'une panthère. Sa peau tannée et ses longs cheveux blancs contrastent avec la pâleur morne des habitants de la ville. Ses yeux noirs, presque animal, est en harmonie avec son visage angulaire triste.
Sa robe noire déchiquetée dévoile un corps mince et de longue jambes, sa poitrine à peine cachée dans son décolleté presque en haillon. Tout cela la rend séduisante et effrayante à la fois.
Elle aime sentir les senteurs sucrées qui parfument la nuit, ce qui la sort de son ennui. Elle regarde la volupté des femmes de cette ville avec un regard sensuel.
Sentier la chaleur de leurs âmes. Palper leur chair douce. Goûter le sang laiteux de leurs seins.
Cependant, elle préfère reprendre son chemin, solitaire et vain. Tout ce qu'elle voit n'est que mépris et indifférence. Toute cette peuplade faible et sans âme qui a choisi le mensonge et la répression comme règle de vie. Leur méchanceté empeste son esprit.
Comment un pays aussi riche et puissant est-t-il tombé aussi bas dans la folie ?
Comment une ville, autrefois joyaux du génie humain de par ses arts, sa joaillerie et son architecture, est-il devenu un îlot morne dans un océan corrompue ? Cette question taraude la jeune femme même si elle s'en moque. Ce monde se porte beaucoup mieux sans elle ou des gens qui partagent le même sang.
Elle reste devant un pont, le regard vide et pensive.
La vie s'anime comme à son habitude, cachant son hypocrisie dans des masques de maquillage. Des être trop lâches pour se révolter et trop faible pour mourir.
Soudain, Félicia lève la tête et observe le ciel. Le vent devient plus glacial, comme une voix qui résonne dans le lointain. L'atmosphère est plus angoissant. Des corbeaux volent au-dessus des vielles maisons.
Il est là, se dit-elle. Elle scrute le sillage des oiseaux et découvre une immense falaise noire avec au sommet les ruines d'un palais. Déterminée, elle se met en route dans les rues désormais désertes.
Personne ne la regarde, pas même un enfant. Ses pas sont si silencieux que même le vent ne les perçoit pas.
La falaise cache toute lumière pur et met à genoux les étoiles du firmament.
Félicia Joy se tient au pied de la falaise. C'est enfin le bout d'un parcours jonché de cadavres et façonné par le sang, la colère et les larmes.
Elle regarde attentivement la paroi avec ses escarpements qui ressemble à une armée de javelots. Elle pose sa main droite sur une prise, la serre pour s'assurer de sa solidité et commence à grimper.
Les nuages s'amoncellent, les bruits en contrebas s'étouffent.
Malgré l'obscurité totale, Félicia Joy continue son ascension périlleuse, s'agrippant à chaque prise avec la même concentration d'un animal à l'affût.
Elle avança si vit qu'elle ressemble à une panthère des neiges qui danse sur les roches.
Alors qu'elle s'approche du sommet, un doux sifflement se fait entendre. Un sifflement qui se transforme en chant suave. Une colère contenue bouillonne en elle.
Elle reprend son ascension au plus vite sans se soucier de la puissance du vent, ni de la douleur de ses mains. Elle la entendue toute sa vie. Chant cruel, pernicieux et assoiffé de vengeance. Tout s’achèvera cette nuit !
Elle attrape un dernier rocher. Elle se hissa d'un bond et se relève rapidement.
Devant elle se dresse un immense plateau noir parsemé d'éclats de roches tranchantes et de hautes herbes qui sifflent avec le vent. Une terre triste et plein de haine, de souffrance comme il en existe dans ce pays noir.
Félicia entend encore ce chant sombre. Ainsi celui qui la pourchasse depuis longtemps se terre ici comme un lâche.
Elle serre son épée et marche avec prudence. Elle sait qu'elle est épiée. Son cœur lui dicte de partir de cette terre maudite, mais la jeune femme résiste. Elle en a assez de fuir, de se cacher.
Félicia a beau avoir vu des choses étranges dans sa longue vie, mais un frisson parcourt son dos. U
n frisson qu'elle n'avait jamais ressenti.
Un gros chien noir difforme et au pelage sale la regarde droit dans les yeux. Il est horrible, comme si différents corps humains se sont agglutinés dans la chair de ce chien. Cette créature laisse une étrange impression à la jeune femme.
L'éclat qui illumine ses yeux vides.
Cette intensité, cette rage qui attend de jaillir tel un scorpion.
Ce calme sournois … presque humain.
L'animal se retourne et se dirige calmement vers les ruines avant de disparaître après avoir franchi la porte. Félicia reste un petit moment, hésitante, avant de marcher vers le palais abandonné.
Le palais est terne, mélancolique,
Où le souffle glacial du vent se mêle avec la malice des ombres. Le sol es couvert de roches imbriquées comme des écailles et des ossements.
Les murs se défrichent progressivement, comme contaminé par la lèpre.
Les toiles d'araignées dévorent toute couleur et prennent la forme d'un long linceul blanc.
Félicia regarde à peine les poutres rongés par le temps, les tapisseries qui partent en poussière. Elle avance dans le noir total. Les lambeaux de sa robe se frottent avec les quelques plantes qui parsèment le sol.
Elle s'arrête devant des escaliers rouges dominés par un trône en or. Ses sens sont en éveil.
Même calme, elle entend les faibles battements de son cœur qui résonnent dans tout son être. Mais le son et les sensations se changent en quelque chose de plus sinistre.
Un son comme d'anciens tambours sauvages. Entend-elle les battements de son cœur ou est-ce ceux de la bête ?
Elle scrute la salle avec attention, sortant lentement son épée.
Il est là, se dressant à côté du trône. Un être humanoïde de grande taille constitué d'ombres avec seulement deux yeux blancs.
Petit à petit, l'ombre prend forme humaine. Un homme barbu portant des habits de moine et au regard fulgurant regarde la jeune femme. Un sourire éclaire ses traits.
– Fille de Tiamat, enfant des ombres, tu m'as enfin trouvé, dit-il avec une voix mielleuse. J'ai attendu ta venue depuis bien des lunes. Oui, les astres s’agenouilleront devant toi. Viens avec moi et accomplissons la prophétie.
– Non, Raspoutine le déchu, rétroqua la jeune femme. J'en ai finie avec mon héritage. Je suis juste venue ici pour tenir ma seul promesse : les dieux mourront de ma main. Plus de chagrin, plus de souffrance pour un trône perfide. Finissons-en, Ras !
Raspoutine est surpris à cet affront. Cependant il jubile à l'idée d'éliminer Félicia.
– Ma chère … cette danse de fous se terminera dans le sang.
Il lève sa main droite vers le sol. Des tentacules noires sortent de ses doigts et s'assemblent pour former une énorme épée noire à la lame massive et couverte de runes en feux.
Un regard de terreur illumine le visage de Félicia.
Les anciens connaissent cette épée démoniaque : Scarkaarn.
Sarkaarn, une arme crée à partir des atomes de l'Ancien Monde.
La dévoreuse d'âmes. La messagère de la mort. La conseillère des hommes blancs dans leur quête de violence.
Toujours en quête d'âmes et de haine.
Raspoutine pointe l'épée noire devant Félicia, la narguant de sa puissance.
Bondissant sur leurs proies, les armes et les regards s'entrechoquent. Tout en bond souple et en férocité, les deux adversaires explosent leur rage. Les ombres hurlent de frayeur à chaque coup porté. Les blessures irriguent le sol stérile.
Des éclairs rouges. Des fracas.
Une seconde d’inattention …..
Scarkaarn fondit à une telle vitesse qu'il lacère le dos de Félicia qui s'écroule sur le sol.
Un rire dément sort de la gorge de Raspoutine. Il tourne autour de sa proie, pointant l'épée noire devant elle.
Bien qu’affaiblie, Félicia lève la tête et défie le moine fou de son regard noir. Ses forces commencent à revenir.
Cette même force sauvage qui anime son être depuis longtemps. Son visage reste sombre et froid comme un lion.
Raspoutine sent la peur s'insinuer dans son cœur. La résistance de cette sauvageonne a de quoi surprendre un humain ordinaire. Il ne peut supporter cette opposition.
Le moine fou rassemble ses forces et lève son bras pour un dernier assaut. Un sourire confus dessine son visage.
Soudain, une fraction de secondes avant que Raspoutine ne baisse son bras, Félicia frappe avec son épée avec la rapidité d'une panthère,
Aveuglant son adversaire de ses éclats orangés.
L'attaque était si brusque et si puissante que les pierres vacillent.
Hurlant de rage, Raspoutine contre-attaque et frappe plusieurs fois pour tenter de faire chanceler Félicia.
Les épées se rencontrent, s'embrassant de leurs braises ardentes.
Le vent qui siffle. Les arbres qui se fracassent. Puis plus rien, juste un silence de mort.
Félicia regarde les derniers éclats de vie qui illuminent les yeux du Raspoutine,
Retirant la lama de son épée plantée du cœur du fou.
Raspoutine vacille, tombant sur le sol, s'étouffant dans son propre sang,
Agonissant lentement, puis rendant son tout dernier souffle.
Félicia se dresse de toute sa hauteur au ciel. La chaleur sauvage qui la consume s'éteint lentement. Plus de haine, plus de souffrance, plus de soif de sang. À partir de ce moment-là, tout ce qu entrave son âme s'effrite comme du verre.
Elle se sent enfin libre. Le bonheur de sentir les flocons de neige toucher et guérir sa peau.
Scarkaarn disparaît lentement en poussière. Elle reviendra pour étancher sa soif éternel de sang et de haine. Elle reviendra lorsque els laces de sang se déverseront sur les plaines des rêves et de la réalité..