L'origine

Les occupants français en avaient assez de la tribu d'Imrane. Ils subissaient sans cesse des attaques nocturnes des Berbères. Cela faisait maintenant un an, jour pour jour, qu’ils tentaient de prendre possession du territoire. Mais rien ne s’était passé comme prévu. 

Dans le douar, il y avait un jeune homme de 25 ans, Mohammed, fils de Bouchaib. Son père était décédé lors de la première révolte contre l’occupation. Il devait désormais assumer la responsabilité de l’aîné, et pour cela, il était déterminé à mettre sa famille en sécurité, au péril de sa vie. 

Il avait une carrure imposante, des cheveux crépus et des yeux brun clair. Digne d’un vrai Amazigh. Ce jour-là, il avait reçu une mission : récupérer des explosifs chez une femme nommée Aïcha, qu’on appelait Mama Aïcha. C’était une dame âgée, ancienne ouvrière employée par les Français dans la construction des puits, qui récupérait discrètement de la dynamite pour la transmettre aux résistants. Mohammed l’avait déjà rencontrée plusieurs fois, mais cette fois-ci, son destin avait basculé. 

Ils s’étaient donné rendez-vous dans une ruelle sombre du douar voisin. La nuit était froide, le silence pesant. Quand elle est arrivée, elle lui a dit d’une voix grave : 

— Mon fils, j’ai entendu dire que les Français allaient mener une attaque d’ici une semaine sur votre douar. Ils veulent briser la résistance. Dis à ton oncle de se préparer. J’essaierai de récupérer plus d’informations. Ça vous permettra de les faire plier ! 

Mohammed a hoché la tête. 
— Ne t’inquiète pas, je lui transmettrai l’information. Mais dis-moi, as-tu des nouvelles de Sara ? Est-ce qu’elle va bien ? 

Aïcha a soupiré. 
— J’ai entendu dire que son père l’a chassée du douar. Elle est sûrement partie à Casablanca chercher du travail. 

— Comment ça ?! s’est écrié Mohammed, abasourdi. Qu’est-ce qui s’est passé ? Elle était irréprochable… Je voulais demander sa main dès que la situation se calmerait… 

— Oui, mon fils, je comprends ta tristesse. Mais il lui est arrivé un malheur. Un colon français a abusé d’elle. Son père n’a pas supporté la honte qui pesait sur sa famille… 

Un silence de plomb avait suivi. Mohammed est resté immobile, les yeux fixés au sol. Puis une rage inouïe a jailli de son regard. Aïcha a repris : 

— Ne laisse pas la haine te consumer. La vengeance viendra en son temps. Si tu te laisses contrôler par elle, tu te perdras. Mets ton intelligence au service de la cause. L’existence est faite de luttes. Si ce n’est pas la révolte, ce sera autre chose. Jusqu’à ta vieillesse, tu souffriras et tu connaîtras quelques joies. Mais souviens-toi : c’est à toi de choisir pour quoi tu es prêt à souffrir. Pour une cause, ou pour ton ego. 

Mohammed a remercié Mama pour ses paroles et a pris la marchandise. Il s’était remis en route à travers la nuit. Sur le chemin, il réfléchissait sans cesse. 

— Que dois-je faire maintenant ? Est-ce que je dois mettre à feu et à sang tous les colons ? Non, ce serait inutile. Je perdrais la vie bêtement, je laisserais ma mère et mes sœurs seules. Ce n’est pas une option. Et si la révolte échouait ? Quelle serait la meilleure solution ? Se soumettre ? Jamais. Plutôt mourir. 

Soudain, un souvenir s’est imposé à lui : le premier verset révélé au Prophète. « Iqra. » Lis. Apprends. Alors il a compris : 

— Le seul moyen de les vaincre, c’est d’apprendre. Mais… cela prendra du temps. 

Arrivé au douar, le sac d’explosifs caché sous sa djellaba, Mohammed s’est dirigé directement chez son oncle Walid, un homme fier d’une quarantaine d’années, respecté dans tout le village. 

Il a frappé discrètement. L’oncle a ouvert la porte. 
— Personne ne t’a suivi ? 

— Non, vite, laisse-moi entrer. 

Ils se sont installés dans le salon, éclairé par une bougie. La maison, l’une des plus grandes du douar, était décorée par les peintures de la femme de Walid. C’était rare, à cette époque, qu’une femme puisse s’exprimer ainsi. Son oncle, commerçant avisé, produisait de l’huile d’olive et avait diversifié ses activités. Pourtant, il n’avait jamais été à l’école. 

— Alors, tu as récupéré la marchandise ? a demandé Walid. 

— Oui, la voilà. Et Mama vous envoie un message : les Français vont attaquer dans la semaine, selon ses sources. 

— Quoi ?! Alors il faut frapper avant eux ! S’ils nous devancent, nous sommes perdus ! 

— Je sais, a répondu Mohammed. Je pense qu’il faut faire monter tout le douar dans les montagnes. On laissera des traces pour les attirer. Alors, on leur tendra une embuscade entre les deux massifs, les montagnes de Saghro et du Haut-Atlas. 

Walid a hoché la tête. 
— Je vais en parler au conseil. Mais il nous faut une date précise. Et… des nouvelles de Mama Aïcha ? 

— Elle va bien. Mais… elle m’a appris que Sara avait été chassée par son père. Elle a subi un abus d’un colon… 

Le visage de Walid s’est durci. Il a fixé Mohammed dans les yeux. 
— Tu te vengeras, mon fils. Tu le feras de tes propres mains. Je vais parler au conseil pour que tu prennes part aux attaques. 

Mohammed a acquiescé d’un signe de tête. Il a bu son thé, puis il est rentré chez lui dans le silence de la nuit. 

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Anne Bénète
Posté le 22/08/2025
Bonjour,
Préférer peut-être le passé simple et l’imparfait pour le temps des verbes (hors dialogue). C’est toujours plaisant de faire un tour au Maroc, une description des extérieurs m’a un peu manqué pour me projeter mais ce n’est que mon avis
Bonne continuation
incognitoo23
Posté le 22/08/2025
Bonjour,
Merci pour votre retour, je y ferais attention pour le prochain chapitre ! Je tâcherai également d'être plus descriptif, merci encore !
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