Pourquoi ne puis-je m’éteindre ?
Tout s’arrête. Les hommes meurent, les siècles se succèdent, le temps emporte jusqu’aux machines gelées dans leur rouille ; et il n’y a pas un être, pas un regard, qui un jour ne succombe au vide. Tout s’arrête – sauf moi. Je ne dors pas. Je ne me nourris qu’à grand-peine. J’erre dans mon présent gris.
J’aimerais m’éteindre.
Je n’ai rien tenté : le couteau, le poison, la pendaison, le pistolet, tous ces accessoires me rebutent et me glacent. Je ne veux pas de sang, ni en filet ni en torrent, et je ne veux pas de cadavre violacé, déchiré ou déchiqueté. Il n’y a que le noir qui me conviendrait. S’éteindre, naturellement – fermer les rideaux, fermer les yeux, disparaître.
Pourquoi ne puis-je m’éteindre ?
A mon dernier anniversaire, j’ai formulé un vœu très simple : en guise de cadeau, de récompense, je souhaiterais être changée en ampoule. Devenir cet objet bulbeux, ordinaire, anodin, qui passe de main en main, se visse et se dévisse, s’allume et s’éteint. Mon mari a blanchi – comme s’il avait vu une morte. Si seulement.
Il comprend, pourtant. Ce malheur, ce malheur qu’on appelle la vie, c’est à deux que nous l’avons traversé. Je ne compte plus les dictatures, les guerres, les blessures, les enfants morts, ceux qui n’ont jamais pu naître, les maladies, les corps qui grondent, s’infectent, se coupent et pourrissent. Pas plus que je ne compte les brouillards, les hivers, les morsures du froid et la faim qui tiraille les estomacs.
Alors pourquoi ne puis-je m’éteindre ?
Dehors, la neige va fondre. Bientôt la saison mourra, ce jour aussi et il restera, quelque part dans mon jardin, perdu, jouant entre les plants de betterave et les fleurs sauvages, un rien, une idée, une couleur ; peut-être un enfant, un de ceux qui vit toujours.
J’aime beaucoup
Merci de ton passage par ici, et à bientôt j'espère !
J’aime beaucoup ces nouvelles, elles sont mélancoliques, touchantes et originales. Le mystère qui enrobe plus ou moins chaque entité narratrice donne une profondeur universelle à ce qu’elles ressentent, et la confrontation entre leurs sentiments et le monde extérieur nous fait entrer dans leur intimité, entre le grave et l’absurde.
Si tu t'aventures dans le reste du recueil, j'espère que la suite te plaira ! Tu verras que certains autres textes nous emmènent un peu plus dans la subjectivité du narrateur ou de la narratrice, ce qui peut tendre à éloigner de l'universel (ce recueil me sert pas mal de labo d’expérimentation)
Encore une belle ambiance, toute en subtilité :) "J’erre dans mon présent gris." Cette phrase est magnifique !
Dans ce texte-ci, "ce" qui prend la parole est bien plus flou, plus mystérieux que dans les nouvelles précédentes. Mais le texte n'en est pas moins fort, plein de mélancolie. Le regard sur l'univers semble à la fois sage et triste. On souhaite à ce "je" un peu de sérénité et d'extinction <3
Un régal que ton recueil !
J'arrête ici pour aujourd'hui, mais je reviendrai très vite -
Au plaisir !
Si tu restes dans les parages, j'espère que la suite du recueil te plaira : certaines nouvelles sont légèrement différentes, un peu plus ancrées dans la réalité des personnages et moins nébuleuses que "Lumière"
Encore un texte top ! Malgré les nombreuses listes de malheur dans ce texte, le sujet de la lumière apporte beaucoup d'espoir malgré tout.
Et la personnifier c'est une très belle idée. J'aime beaucoup le fait qu'elle veuille s'éteindre.
Court mais profond !
Bien à toi !
A bientôt (=
ce que j'ai lu jusqu'ici m'a beaucoup plu! Les thématiques abordées et la manière de les mettre en scène sont imprégnées de sensibilité, poésie, profondeur, psychologie et philosophie. Bravo!!
C'est un vrai régal de te lire! J'ai un coup de coeur! :-)
Au plaisir
Il y a un côté nostalgique et plus "nébuleux" dans ce texte-ci je trouve. L'atmosphère sombre s'accompagne de quelque chose de sensoriel, la vue notamment sollicitée à travers la lumière. On ressent également quelque chose de mécanique, d'implacable dans le raisonnement et la comparaison avec l'ampoule.
J'aime beaucoup l'optimisme final qui me fait penser à l'ampoule et à sa symbolique. Comme si à défaut de s'éteindre, la femme se révélait/s'allumait (j'espère être compréhensible).
Voilà, je ne sais pas si ce que je dis sert à grand-chose mais je le dis quand même :p
Tu es tout à fait compréhensible et ton commentaire est loin d'être inutile ! Je trouve que cette nouvelle-ci est la plus "faible" du recueil - certainement parce que, quelque part, j'ai tenté de parler de sujets très lourds et très nébuleux, comme tu dis, en un laps de temps très court. Du coup, que tu y aies trouvé un sens me rassure beaucoup !
J’ai lu ta réponse aux commentaires précédents et ça ne me paraît pas évident qu’elle a connu personnellement des guerres. Elle en parle en effet mais, en lisant ce passage, je l’ai compris comme une lassitude générale face aux nouvelles du monde et pas comme une partie de son histoire personnelle qui expliquerait son état d’esprit.
Et ses enfants ? Sont-ils morts ?
C’est touchant en tout cas.
Merci beaucoup. En réalité, dans ces textes très courts, j'aime laisser les lecteurs-trices libres d'interpréter. C'est vrai que la notion de guerre n'est pas particulièrement évidente, et en même temps, c'est aussi une sensation de lassitude (voire de désespoir) que je voulais transmettre.
Ce qui ne balaie pas le fait que mon texte manque de clarté !
A très vite :-)
3 histoires, 3 ambiances.
Ça se lit bien, c'est plaisant et ça reste léger malgré un arriere plan plutôt mélancolique.
J'ai quelques interrogations sur cette dernière nouvelle. Autant j'ai bien capte les 2 premières, autant celle ci reste énigmatique pour moi. Je l'ai pourtant relu à plusieurs reprises. Alors ai pitié de moi :) qui raconte cette histoire ?
Pour la 3e nouvelle, le point de vue est celui d'une femme, mariée, mère, qui a vécu des guerres. J'ai volontairement esquissé peu de détails pour garder un côté nébuleux (et l'écriture de cette nouvelle est largement tributaire de livres de Svetlana Alexievitch, que je lis en ce moment !)
A très vite ;-)