Après un certain temps passés seuls dans la chambre, on entendait papa ou maman appeler Aïden, lui intimant d’aller se coucher. Alors, à chaque fois, il prenait le temps de m’expliquer.
« Désolé, Béryl, je dois sortir… J’ai école demain.
– D'accord. Tu reviens bientôt ?
– Évidemment ! Je n’arriverai jamais à faire tous mes devoirs sans toi ! Bonne nuit, Béryl.
– A demain, Aïden. »
Une fois la porte fermée, je me retrouvais seule. N’ayant pas connu les rites, un rythme de vie, ne sachant à peine lire l’heure, il m’arrivait très souvent de ne pas avoir sommeil aux heures où tout le monde s’endormait à la maison. Mais je n’avais aucun droit de sortir, voir ce que faisaient les autres dans la maison. Je me devais de rester, enfermée, à attendre. Il m’arrivait parfois de m’endormir facilement, mais ce n’était pas souvent le cas. Personne dans ma famille était au courant de mes insomnies silencieuse, où je n’arrivais pas à comprendre pourquoi tout le monde allait s’endormir à tel moment et pas à un autre. Un désagréable sentiment de désorientation me prenait à la gorge comme une immense boule. Une douleur sourde pouvait s’évader de mes entrailles, mais j’étais incapable de bouger, perdue dans mon propre monde. Enfermée dans mon corps, incapable de produire le moindre son, allongée au sol sur un coussin et quelques couvertures, il ne me restait que la possibilité de pleurer.
Le lendemain, il me fallait attendre longtemps avant de pouvoir revoir Aïden. Assise sur mes tapis de sol, je me faisais un peu de thé pour commencer la journée. Je restai parfois à ne rien faire, mais il m’arrivait de m’entraîner à écrire dans le noir, où lire les quelques livres en brailles que m’avait acheté maman.
« Ma chérie ? Tu es prête pour les leçons ?
– Oui ! Je t’attendais, justement. J’ai tout préparé ! »
Maman rentra alors dans ma chambre, les mains remplies de livres.
« Bien ! Nous allons donc commencer par l’écriture, aujourd’hui. Regarde ce que je t’ai pris ! »
Elle me posa dans les mains un drôle d’objet cylindrique avec une petite aiguille au bout.
« Qu’est-ce que c’est ?
– Un poinçon ! C’est pour écrire en braille. Vu que désormais tu sais le lire sans hésitation, je me suis dit que ça pouvait te plaire…
– C’est génial ! Merci, maman ! Apprends-moi, s’il te plaît ! »
Elle eut un petit soupir amusée ; la leçon commença ainsi, ce jour là. Maman m’apprenait les mathématiques, le français, l’histoire et les travaux manuels. Selon elle il était plus qu’important que je sache être habile de mes doigts et de mon corps. Ainsi, elle me donnait parfois même des cours de yoga et de danse, mais c’était toujours dans la retenue, comme si elle avait peur de me blesser.
« Ça va, tu n’es pas trop fatiguée ? Ta tête ne tourne pas ? Tu te sens bien ?
– Oui, maman, ça va ! On peut continuer ?
– Non, ça suffit pour aujourd’hui. Je vais préparer à manger.
– Oh, apprends-moi à faire la cuisine ! Juste une fois, s’il te plaît.
– Je ne peux pas, ma chérie. Je ne peux pas transporter la cuisine dans ta chambre, tu le sais bien. Allez, attends moi, je reviens tout de suite. »
Déçue, je vis ma mère ouvrir doucement la porte et s’en aller avec le plus de précaution possible. A la voir se comporter dans ma chambre, elle donnait l’impression d’être capable de tout casser si elle ne modérait pas sa force. Pourtant, maman était la personne la plus douce de la famille. Après quelques temps, elle revenait avec le plateau repas de la veille, rempli de repas plus délicieux les uns que les autres qu’on mangeait ensemble. C’était avec maman que je partageai le plus de choses, papa travaillant beaucoup de ce que m’en disait Aïden. Quand mon frère n’était pas là, c’était elle qui égayait ma journée. Mais pourtant, je n’arrivai pas à comprendre pourquoi elle semblait toujours être renfermée dans une obscurité qui n’était pas la mienne en ma présence. Comme si le simple le fait que j’existe lui faisait du mal.
« Il rentre bientôt, Aïden ?
– Oh, il ne devrait plus tarder. Vous faites quoi, ensemble ?
– Pleins de choses ! On joue, on discute. Des fois je l’aide à ses devoirs. Tu sais, je suis meilleure que lui !
– Enfin, Béryl, je t’en prie, ne rabaisse pas ton frère.
– Non, mais… »
Dans l’obscurité, mon frère ne me voyait pas mais parfois ma mère me ratait totalement. Une fois le repas fini, ma mère ramenait tout ça sans un mot et me disait au revoir tout doucement, comme si elle ne voulait pas que je l’entende. Ainsi, je me retrouvais à nouveau seule jusqu’au retour d’Aïden. L’attente était souvent très longue. M’entraîner à l’écriture avec mon nouveau poinçon me permit de faire passer le temps plus vite, mais bien souvent l’ennui morne et froid était de rigueur, jusqu’à ce qu’Aïden claque la porte d’entrée de la maison. Il fallait pas plusieurs minutes avant d’entendre le bruit sourd de son cartable balancé au loin dans une pièce que je ne connaissais pas et les grincements de l’escalier qui menait jusqu’à chez moi. Quand la porte s’ouvrait, je ne tenais plus en place ; trop heureuse de l’accueillir, je m’exclamais :
« Tu es venu, Aïden ! Je t’attendais ! »
Ses salutations, quant à elles, changeaient tous les jours. Brisant la monotonie, pourtant les jours se répétaient bel et bien sans même que j’en eu conscience.
« Salut, Béryl, qu’est-ce que tu as fait de beau aujourd’hui !
– Regarde ça ! »
A défaut d’utiliser ses yeux, Aïden toucha du bout des doigts la feuille trouée que j’avais utilisé ce jour là pour essayer mon nouvel outil.
« Ouah, c’est génial ! Mais ce n’est pas écrit comme d’habitude… Qui a fait ça ?
– C’est moi ! Regarde ce que maman m’a donné ! »
Lui tendant le poinçon, il l’attrapa de ses deux mains comme un cadeau précieux.
« Incroyable. Tu crois que tu peux m’apprendre à l’utiliser ? Moi aussi je veux savoir écrire en trou !
– C’est du braille, Aïden… Mais d’accord, à une condition !
– C’est vrai ? Laquelle ?
– Qu’est-ce que tu as comme devoir à faire ? »
Il eut un soupir gros comme le monde avant de se résigner et ouvrir son sac. Aïden avait appris en même temps que moi à lire le braille quand nous avions eu six ans, mais il avait eu beaucoup plus de difficultés à l’apprendre que moi. Maman m’avait expliqué que c’était du à sa vision qui était beaucoup plus développée que la mienne. Aïden avait beaucoup plus besoin de ses yeux que moi, ce qui rendait ses autres sens moins performants. Elle m’avait expliqué ceci comme si je devais compenser quelque chose avec mes capacités. Je ne l’avais pas relevé à l’époque, mais Aïden avait depuis lors tiré un point d’honneur à toujours apprendre ce que je faisais de mon coté. Bien que j’étais heureuse de lui apprendre, je me sentais toujours mélancolique quand je le voyais difficilement ressentir ce qui m’était évident du bout des doigts. Ses difficultés dans l’obscurité me rappelaient à quel point nous étions sensiblement différents.
« Hé, regarde Béryl ! J’ai écrit que je t’aime !
– C’est vrai ? »
Et rapidement je vérifiai de l’index la petite feuille fraîchement trouée.
« Tu t’es trompé dans la ponctuation, tu as mis une virgule à la place d’une apostrophe… Mais c’est gentil ! Merci, Aïden. »
Je le pris longuement dans mes bras, serrant dans ma main son petit bout de papier. Je n’arrivai pas à comprendre pourquoi, mais dans mon petit cœur d’enfant quelque chose s’était serré très fort ; un mélange entre la tristesse et le bonheur. Aïden ne bougea pas d’un pouce, plutôt étonné. Il lui fallu un moment pour trouver quoi dire, peu assuré :
« Bah, pas de quoi, petite sœur ! Est-ce que… ça va ? »
Je ne répondis pas de suite. La boule dans la gorge de la solitude me prenait inexplicablement avec l’une des trois personnes de mon univers.
« Si tu veux, je te l’écrirais encore plein de fois ! Et sans faute, cette fois ci… Après tout, ce n’est qu’un premier essai, n’est-ce pas ?
– J’aime bien, avec la faute… Ça prouve que c’est toi qui l’a fait.
– Hé ! Je ne fais pas tout le temps des erreurs ! Je suis peut-être nul… Mais je fais de mon mieux.
– Tu n’es pas nul ! Tu es le meilleur des frères qui m’aime.
– En même temps, je suis le seul…
– Bah c’est bien, tu es unique ! Que demander de plus ? »
Il ne répondit pas. Surprise, je venais de mettre le doigt sur une faille que je n’avais jamais soupçonné chez Aïden. Mais je ne sus pas comment la gérer ; comment redonner confiance à son frère, quand on est soi-même incapable de savoir ce qui se passe en dehors de ma chambre sombre ? Mon petit cerveau sous mes cheveux blancs tenta bien de trouver une idée, une solution, mais je ne savais que faire.
« Bon, allez Béryl, on fait mes devoirs !
– D’accord... »
Ce moment de partage continua comme un autre, comme si je n’avais rien vu. Mais la brèche avait été ouverte ; mon frère se sentait mal, mon frère était malheureux. Était-ce de ma faute, moi qui était si fière de l’aider ? L’avais-je rabaissé ? Que faire pour me faire pardonner ? Et toutes les questions qui me hantaient sans jamais passer mes lèvres m’empêchèrent même de trouver les bons résultats en mathématiques.
Quand je me retrouvai seule, cette nuit-là, d’autres sensations accompagnèrent mes douleurs au ventre et ma gorge nouée ; des sensations de brûlures. Sur tout le corps, la moindre parcelle de ma peau me donnait l’impression de chauffer de l’intérieur, d’éclater d’un rouge aveuglant. Gémissant sur mon matelas au sol, j’essayais vainement de frotter les pires endroits de douleur lancinante. Mais alors que des bouts de peau superficielle s’en allaient, la douleur s’intensifiait, encore et encore. Un poison entier de chaleur et de douleur recouvrait tout mon corps, de la tête aux pieds, et tout le sac de peau accroché à mes muscles était comme un manteau collant indécrochable. La douleur insoutenable dura bien assez longtemps pour me donner l’impression de devenir folle, mais pas assez pour que ma mère où mon frère découvrit quoi que ce soit. Ayant peur de déranger, je ne leur dit rien sur ces sensations étranges et cette douleur insoutenable. M’accompagnant pour la quasi totalité de mes moments solitaires, me privant de sommeil encore et encore, je souffrais en silence. Cette douleur revint, une nuit, puis une autre. Bientôt totalement privée de sommeil, les moments de la journée et de discussion avec mon frère ou ma mère devinrent plus difficile à suivre. Mais je ne perçu pas l’inquiétude qu’ils auraient pu avoir si ils savaient. Alors, je me surpris à compter les nuits de douloureuses somnolences
"Je ne répondis pas de suite. La boule dans la gorge de la solitude me prenait inexplicablement avec l’une des trois personnes de mon univers." Et ça me rappelle pourquoi je m'étais dit qu'il fallait que je prenne un peu de temps avant de retrouver leur histoire, ces moments comme ça ils sont tristes et sans pitié, ça prend au cœur...
"Personne dans ma famille était au courant de mes insomnies silencieuse" n'était* et silencieuses*
"en brailles" braille*
"un petit soupir amusée" amusé*
"que je partageai le plus" partageais*
"de mon coté" côté*
"je te l’écrirais" écrirai*
"je ne leur dit" dis*
"je ne perçu" perçus*
"si ils" s'ils*
Il n'y a pas de point final, la frustration est immense xD Je rigole, j'espère surtout que tu n'as pas coupé l'une de tes phrases sans faire exprès !
La différence entre les fleurs de l'oubli et les fleurs de l'ombre est que , les fleurs de l'ombre est extrêmement dur, mais seulement à la fin de son histoire (dernière partie), mais les fleurs de l'oubli a toujours quelque chose d'assez cruel, sans que ce soit "trop" en lame de fond x) Dans les deux cas, je comprends parfaitement que tu prennes ton temps pour lire tout ça (il ne faut pas se forcer !)
C'est vraiment pas évident de l'écrire, et même les sujets sont pas évident dans la "vraie vie", mais j'avais vraiment envie de les aborder, de parler de ces problèmes physiques et mentaux qui sont tellement complexe qu'il est difficile de savoir ce qu'il fallait faire ... ^^
Et là encore, en été, quand toutes les fleurs seront postées sur plume d'argent, je commencerai une relecture totale de mes textes ! parce que là je pourrai presque avoir honte sur certains moments x')