Lutine trépignait. Amalia, la reine des fées allait annoncer les missions des novices. Lutine était impatiente de savoir qui elle allait aider. Depuis toute petite, elle se sentait incomprise. Rêveuse, elle se faisait souvent réprimander à l'école. Elle ne saisissait pas pourquoi les fées devaient rester cachées. Bien sûr, il y avait eu des guerres, les fées avaient été persécutées par les Humains, avides de pouvoir. Elles avaient beaucoup souffert. Pour se préserver, elles étaient devenues invisibles. Mais tout ça avait eu lieu il y a très longtemps, bien avant que Lutine soit née. Lutine était convaincue que les Humains n'étaient pas si méchants ou en tout cas pas tous. Elle était persuadée qu'au fond de leur cœur, il y avait du bon. Ainsi, Lutine était peu appréciée des autres fées, toutes bien dociles. Elles ne la comprenaient pas et la pensaient dangereuse, donc se tenaient éloignées. Quelques fois cela attristait Lutine. Tout de même, elle aurait aimé partager leurs jeux : grimper aux arbres, virevolter d'une branche à l'autre, nager dans la rivière… Cela devait être amusant. Mais jamais les autres fées ne l'invitaient...
Heureusement, il y avait Mélie, une mésange bleue adorable et très intelligente. Mélie voyageait beaucoup et passait du monde des fées au monde des Humains très souvent. Lutine lui confiait ses rêves et ses espoirs, ses déceptions aussi et Mélie lui parlait des Humains. Elle lui racontait ce monde étrange où les Humains n'entendaient pas les animaux. Lutine était à la fois surprise et attirée par ce monde qu'elle ne connaissait pas et qui lui semblait si différent du sien. Les fées vivaient en osmose avec la nature. Les arbres, les fleurs, les oiseaux, l'eau, le vent, tout communiquait. Il suffisait de savoir écouter. Les Humains avaient depuis longtemps perdu cette capacité. Ils avaient d'ailleurs de plus en plus de mal à communiquer entre eux… Les fées étaient pacifiques mais aussi terriblement arrogantes. Elles s'estimaient supérieures aux humains. Elles s'étaient donné pour rôle de préserver la Terre, protéger la Nature et les Animaux, veiller à ce que les Humains ne dégradent pas davantage la planète, en éveillant leur conscience. Ils devaient apprendre à être heureux pour prendre soin de leur environnement. Les fées ne pouvaient donc pas gaspiller leur temps avec des activités futiles.
Perdue dans ses pensées, Lutine n'écoutait plus Amalia qui délivrait ses sempiternelles réclamations : restez bien invisible, il ne faut pas que votre Humain vous voie, soyez prudente, revenez bien faire votre rapport régulièrement à votre marraine… Elle ne l'entendit donc pas quand elle prononça son nom et il fallut que sa voisine lui donne un coup de coude pour qu'elle revienne à la réalité.
Enfin, elle connaissait le nom de l'Humain dont elle allait avoir la charge les prochains mois. En l'occurrence, c'était une humaine et elle s'appelait Pauline. C'est tout ce qu'elle savait, le reste elle devrait le découvrir elle-même. La cérémonie finie, elle se hâta d'aller trouver Mélie pour tout lui dire.
- Mélie ! Mélie ! Où es-tu ? Mélie !
- Doucement ! Je suis là. Qu'as-tu donc à crier comme ça ?
- Ça y est, j'ai ma première mission ! L'Humaine s'appelle Pauline, tu la connais ?
- Lutine, crois-tu vraiment que je connaisse tous les Humains ? Ils sont des milliards !
- Tant que ça ? Ils sont si nombreux ? Mais comment vais-je la trouver ? Je vais sûrement me perdre ! Oh là là. Qu'est-ce que je vais faire ? Si j'échoue, la reine Amalia ne sera pas contente.
- Eh ! Ne commence pas à t'affoler ! As-tu oublié que tu es une fée et que ta baguette te conduira directement à cette Pauline ?
- Ah oui, c 'est vrai. Suis-je bête... Tu as raison !
- Mais non, c'est juste que tu t'emballes. Mais dis-moi, tu parlais d'Amalia, ne me dis pas que c'est elle ta marraine ?
- Eh si ! La reine en personne ! Je n'ai vraiment pas droit à l'erreur...
- Allons ! Aucune fée n'a jamais échoué. Et puis, je suis là, tu peux compter sur moi !
Rassurée, Lutine commença à s'imaginer Pauline. Comment était-elle ? Jeune ? Gentille ? Que faisait-elle ? Avait-elle un métier ?
Le jour arriva et Lutine observa en restant invisible. Pauline vivait dans une étrange boutique, une librairie, ça s'appelait. Sur la devanture, on pouvait lire : Le Chat livre librairie. La vitrine ne donnait guère envie d'entrer. Elle cachait le reste du magasin avec une sorte de paravent en bois. Quelques livres étaient exposés, qui avaient l'air d'être là depuis très longtemps. A l'intérieur, la lumière était très diffuse. Les étagères étaient remplies, les tables débordaient. Ça n'avait pas l'air très bien rangé. Lutine se demandait comment Pauline pouvait s'y retrouver. Au pays des fées, il n'y avait pas de livres, tout se transmettait par l'oral, de génération en génération. Leur mémoire était illimitée, les fées n'avaient pas besoin de livres, elles n'écrivaient pas. Mélie, qui avait pourtant beaucoup voyagé et lui avait raconté beaucoup d'anecdotes, ne lui avait jamais parlé de livres. Lutine ne savait pas ce qu'était une librairie ni à quoi servaient les livres. Cela n'allait pas être facile d'aider une humaine sans comprendre ce qu'elle faisait. Mais elle n'allait pas abandonner dès le premier jour ! En l'observant, elle finirait bien par apprendre des choses et quand elle reverrait Mélie, elle lui poserait des questions.
De temps en temps, une personne entrait, s'adressait à Pauline et celle-ci lui tendait un livre, sans parler. Parfois, elle furetait dans les rayons et la personne attendait qu'elle revienne avec la perle rare. Jamais Pauline ne prononçait un mot mais elle devinait toujours ce dont la personne avait besoin, comme si elle lisait à l'intérieur de celle-ci. Lutine comprit ainsi qu'il s'agissait d'un commerce et que les personnes qui entraient étaient des clients. Quand la librairie était vide, le soir, Pauline s'asseyait sur des coussins derrière l'accueil et prenait un livre. Alors, son visage s'animait. Elle qui avait toujours l'air triste, la pâleur de son teint renforcée par ses cheveux couleur de feu, elle devenait une autre personne. Comme si le livre la rendait vivante. Oui, c'est ça, lire la rendait vivante. D'autres fois, elle écrivait dans son journal, racontait ses lectures, donnait son avis sur tel ou tel personnage. Parfois, elle réécrivait la fin quand celle-ci ne lui convenait pas. A peine Pauline était-elle installée, que son chat, Merlinox, apprît plus tard Lutine, venait se pelotonner sur ses genoux.
La curiosité de Lutine était attisée et elle bombarda Mélie de questions à leur rencontre suivante.
- Tu ne m'as jamais parlé des livres ! Qu'est-ce que c'est ? A quoi ça sert ? Cette Pauline est bien étrange. Elle ne parle pas ! On dirait qu'elle est muette… Pourtant, je crois bien l'avoir entendu appeler son chat une fois...
- Ah oui, les livres… Eh bien, en fait il y en a beaucoup mais les humains les délaissent, comme de vieilles antiquités. Ils préfèrent les écrans, c'est plus moderne. Ils s'en servent pour communiquer, partager leurs connaissances, leurs émotions, leurs désirs. Il y a deux sortes de livres. Ceux qui donnent des informations, dont les enfants se servent à l'école pour apprendre, par exemple et ceux qui racontent des histoires. Ceux-là sont les plus beaux. Ils te font voyager. Ils t'envoient dans un autre univers. Ils sont magiques.
- Comme nos baguettes ?
- Ce n'est pas la même magie mais oui, c'est de la magie aussi.
Lutine était perplexe. Elle ne comprenait pas bien ce qu'entendait Mélie. Il y avait plusieurs sortes de magie ? Ce n'est pas ce qu'on lui avait appris à l'école des fées. Certes, elle n'était pas toujours très attentive mais quand même, plusieurs sortes de magie, elle s'en serait souvenu. Elle décida d'en avoir le cœur net et d'enquêter. Si elle voulait aider Pauline, il fallait qu'elle comprenne son univers.
Lorsque Lutine retourna dans la librairie, elle resta la journée à observer Pauline. Toujours le même manège : un client entrait, demandait un livre à Pauline et celle-ci allait dans les rayons le lui chercher. Sans un mot, elle le lui tendait et encaissait l'argent. Le client repartait et Pauline retournait à ses occupations. Chaque matin, le livreur apportait un carton et Pauline en sortait des dizaines de livres qu'elle déposait religieusement sur l'une de ses nombreuses tables. Parfois, elle en gardait un de côté près d'elle, qu'elle posait sur une pile. Chaque midi, elle grignotait un sandwich en feuilletant des catalogues de livres. L'après-midi, le manège des clients reprenait. Lutine trouvait qu'il y en avait beaucoup malgré l'aspect peu avenant de la boutique. Mélie devait avoir raison. Les livres devaient avoir quelque chose de magique…
La nuit tombée, Lutine attendit que Pauline soit enfin couchée (elle semblait hypnotisée par sa lecture et n'entendait pas le tic-tac de la vieille horloge) pour aller fureter dans les étagères. Elle prit un premier livre : Roméo et Juliette, William Shakespeare était écrit sur la couverture. L'intérieur était bizarre. Il y avait des noms sur la gauche et les lignes n'étaient pas complètes. Mais chacune se terminait avec le même son que la précédente ou la suivante. Ça s'appelait des rimes, découvrit Lutine. Il s'agissait d'une pièce de théâtre. Une histoire d'amour impossible entre deux jeunes humains. Une tragédie. Lutine ne comprenait pas comment l'amour pouvait rendre malheureux mais décida de lire la pièce quand même. Très vite, Lutine se prit dans l'histoire. Elle sentait son cœur vibrer, les mots résonnaient en elle comme si quelqu'un les lui chuchotait à l'oreille. Finalement, quand elle referma l'ouvrage, elle était bouleversée. Était-ce ça qu'avait voulu dire Mélie en parlant de magie ? Mais Lutine n'avait lu qu'un livre, il lui fallait en lire beaucoup d'autres pour découvrir leurs secrets. Elle se dirigea donc vers une autre étagère et en prit un autre : Poésies, Alfred de Musset. Ça ressemblait un peu à Shakespeare. Lutine commença sa lecture. « Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur pour éclore. / Après avoir souffert, il faut souffrir encore ; / Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé ». Les mots du poète semblaient voler jusqu'à elle, dans cette petite boutique qui ne payait pas de mine. Cette deuxième lecture bouleversa encore davantage Lutine.
Elle décida de continuer sur un autre rayonnage, romans, et prit un livre posé sur une table : Jules, Didier Van Cauwelaert. Ça semblait plus récent et il n'y avait ni vers ni rimes. Il s'agissait de l'histoire d'un chien, le fameux Jules, qui allait en quelque sorte adopter un Humain. Le livre était plutôt drôle, notamment une scène où le chien courait à travers un aéroport poursuivi par des agents de sécurité. Lutine s'amusa beaucoup en lisant cette histoire. Elle fut tout de même étonnée qu'un Humain puisse écrire une histoire avec un chien pour héros. Cela la confortait dans son idée que les Humains n'étaient pas tous égoïstes et méchants. Celui-là décrivait vraiment les pensées du chien comme s'il les entendaient. Il restait peut-être encore des humains capables de communiquer avec la nature et les animaux…
La curiosité de Lutine était exacerbée. Elle devait continuer à lire pour en apprendre davantage. Le rayon suivant était celui des romans policiers. Elle en prit un au hasard : Le Sang des bistanclaques, Odile Bouhier. Apparemment c'était une scientifique et il s'agissait de son premier roman. L'histoire se passait à Lyon après la première guerre mondiale. Lutine avait entendu parler de cette guerre à l'école. Cet événement était d'ailleurs rapporté comme une preuve de la cruauté des Humains. L'histoire racontée mettait en scène, une jeune psychiatre et un vieux flic rescapé des tranchées. Cette histoire-là n'était pas drôle du tout mais passionnante car elle mettait en lumière les débuts de la police scientifique et les traumatismes engendrés par la guerre. L'enquête aussi était palpitante et pleine de rebondissements.
Lutine continua à lire toute la nuit : Racine, Hugo, Prévert, Aragon, Zola, Céline, Marc Lévy, Amélie Nothomb, Virginie Grimaldi, Olivier Adam… Heureusement les fées peuvent lire beaucoup plus vite que les Humains et lorsque l'aube arriva, Lutine avait déjà un bel aperçu de ce qu'étaient les livres. Elle regrettait que les fées n'aient pas de livres. « Pourtant, ils peuvent être passionnants. Il y a tellement d'histoires différentes : des tristes, des drôles, des sérieuses… On ne peut pas s'ennuyer quand on a des livres. Ce n'est pas possible » se disait-elle.
La nuit suivante, Lutine continua. Tant et si bien qu'en une semaine elle avait lu tous les livres de la librairie. Elle avait l'impression d'avoir découvert un grand secret. Mélie avait raison, les livres étaient magiques.
L'heure du premier rapport avait sonné. Lutine était attendue chez la reine Amalia. Elle avait hâte. Toute excitée par sa découverte des livres et de leur pouvoir, elle était impatiente de la partager. Elle déchanta vite.
- Que dis-tu ? Tu as lu tous les livres de la librairie ?
- Oui. Je voulais comprendre ce qui intéressait tant Pauline, se justifia Lutine. Sinon, comment pourrais-je l'aider ?
Mais Amalia ne l'entendit pas de cette oreille.
- Ton rôle est de l'observer. C'est comme ça que tu sauras comment l'aider. Pas en perdant ton temps avec des inepties. C'est bien clair ?
Lutine soupira. Sa mission lui semblait bien compliqué tout à coup…
Le lendemain, elle repartit auprès de Pauline, bien décidée à percer tous ses secrets et à comprendre ce qui clochait chez elle. Elle l'observa donc attentivement en se rapprochant tout en prenant bien soin de rester invisible. Elle vérifia ainsi que Pauline n'était absolument pas muette. Elle avait de grands monologues avec son chat. Bien sûr, elle ne comprenait pas les miaulements de Merlinox mais Lutine, elle, comprenait. Il était à la fois heureux car il aimait beaucoup Pauline qui prenait bien soin de lui et malheureux car celle-ci n'était pas heureuse. Merlinox était désespéré que Pauline ne s'aime pas et croit si peu en elle quand lui était persuadé qu'elle était capable de grandes choses. Mais il n'était qu'un chat, comment pouvait-il l'aider ?
La sympathie de Lutine envers Pauline grandissait de jour en jour. Elle avait vraiment envie de l'aider et pas seulement parce que c'était sa mission. D'une certaine manière, elles se ressemblaient. Deux êtres qui cherchaient où était leur place. Lutine se demandait toujours comment faire pour aider Pauline à réaliser ses rêves et quels étaient ceux-ci quand elle ouvrit un tiroir presque caché du bureau de Pauline. Elle trouva tout un paquet de feuilles remplies de l'écriture de Pauline. Des dessins, Lutine reconnut des esquisses de la librairie actuelle, des essais de noms pour la librairie, des débuts d'histoires jamais terminées, des listes de livres et tout au fond une pochette inscrite « Projet Chez Pauline ». Intriguée, Lutine l'ouvrit et découvrit le vrai rêve de Pauline. Dommage que celle-ci ait abandonné. Il fallait absolument que Lutine arrive à convaincre Pauline de croire en elle et d'oser. Et si elle écrivait une histoire pour faire prendre conscience à Pauline de sa valeur ? Puisqu'elle aimait tant les livres, qu'elle s'immergeait littéralement dedans, c'était peut-être le moyen que recherchait Lutine ? Elle en parlerait à Amalia lors de son prochain rapport. Celle-ci serait sûrement contente que Lutine ait enfin un plan d'action. Elle le lui avait assez reproché ces dernières semaines. Lutine avait surpris une conversation :
- Je ne sais pas quoi penser de Lutine. Elle n'avance pas. Elle s'était mis en tête de lire des livres ! Une fée qui perd son temps à lire, on n'a jamais vu ça ! Je me demande bien ce qu'on va pouvoir faire d'elle, soupirait Amalia auprès d'une consœur.
Lutine se voyait déjà devenir la risée de tout le royaume. Elle s'imaginait obligée de s'exiler sous les quolibets « elle déshonore le royaume », « elle est indigne de notre peuple »...
Vint le jour du rapport que Lutine appréhendait.
- Que veux-tu faire ? Tu veux écrire ? S'étrangla Amalia.
- Écrire une histoire, répondit Lutine d'une petite voix fluette.
- As-tu perdu la tête ? Ça ne t'a pas suffit de perdre du temps à lire les livres ? Mais enfin à quoi penses-tu ? Tu es une fée ! Une fée ne lit pas et n'écrit pas. Elles ont des choses plus importantes à faire. Elles ont un rôle, des missions. Qu'as-tu donc appris à l'école ? Ressaisis-toi ! Allez, va !
Encore une fois, Lutine repartit dépitée et remplie de doutes. Elle était pourtant sûre que son idée était bonne. Décidément, elle se sentait vraiment à part. En quoi était-ce une perte de temps d'écrire si ça pouvait aider Pauline ? Lutine devait l'aider tout en restant invisible. Pauline ne communiquait pas et passait son temps à dévorer des livres. Elle avait si peu confiance en elle. Elle avait peur de dire une bêtise et que le client ne prenne ses jambes à son cou. Pourtant, elle rêvait de partager sa passion des livres. Seule, Lutine réfléchissait. Elle repensait aux paroles d'Amalia. Elle revoyait Pauline et la librairie. Que devait-elle faire ? Elle ne parvint pas à fermer l’œil. Au matin, elle avait pris sa décision. Elle allait écrire son histoire. Qu'est ce qu'elle risquait ? Au pire, ça ne servirait à rien et elle n'en dirait rien. Au mieux, Pauline, reprendrait confiance et elle aurait réussi sa mission. Il serait toujours temps d'expliquer comment elle avait fait.
Motivée, Lutine repartit. Dès que Pauline fut couchée, Lutine ressortit les notes du tiroir caché et les étudia très attentivement. Nuit après nuit, quand Pauline et Merlinox étaient endormis, Lutine travaillait. Elle écrivait une histoire qui racontait un peu celle de Pauline, ce qu'elle en connaissait. Une jeune femme qui avait un rêve mais n'osait pas se lancer. Lorsque ce fut fini, elle transforma l'histoire en un beau livre avec une belle couverture à l'aide de sa baguette magique. Elle le plaça sur le comptoir pour que Pauline le voie et le lise, puis s'installa à l'écart pour observer sa réaction.
Le matin arriva enfin. Merlinox s'étendit comme savent si bien le faire les chats et aussitôt commença à miauler. Lutine le vit délaisser la cuisine pour se diriger vers la boutique. Il sauta sur le comptoir et se mit à tourner autour du livre de Lutine, en le reniflant, ne s'arrêtant que pour grogner. Pauline surgit à son tour, les cheveux en bataille. Elle appelait Merlinox.
- Merlinox ? Qu'as-tu ? Viens manger ta pâtée pendant que je bois mon chocolat.
Merlinox continua son manège et Pauline s'approcha, l'air inquiet. Lutine vit son regard changer et passer de l'inquiétude à la surprise en voyant le livre. Elle prit le livre qui ressemblait à un vieux grimoire. Elle le tourna dans tous les sens, plusieurs fois, comme si soudain le livre allait livrer ses secrets. Elle l'ouvrit, feuilleta quelques pages, revint au début, tourna quelques pages, revint encore au début, puis, dans un soupir d'impatience, elle le referma. Merlinox, qui n'avait pas quitté sa maîtresse des yeux, sursauta.
- Merlinox, je ne sais pas d'où vient ce livre mais nous allons percer ce mystère. Tant pis pour les clients, ils reviendront demain.
D'un pas décidé, elle alla mettre la pancarte « fermeture exceptionnelle » puis chercher une tasse de thé. Elle revint s'installer sur son fauteuil préféré et Merlinox grimpa sur ses genoux, rassuré.
Pauline commença sa lecture, à haute voix : « il était une fois une jeune femme rousse prénommée Pauline, qui tenait une petite librairie sans prétention et vivait seule avec son chat ». - Tout cela est bien étrange, Merlinox, continuons.
Lutine observait Pauline et guettait la moindre réaction. Pauline semblait totalement absorbée par le livre. Lutine vit ses sourcils se froncer en découvrant que l'héroïne lui ressemblait beaucoup. Elle l'imagina sans peine faire le parallèle avec sa propre vie. Pauline semblait dubitative.
- Qu'en penses-tu Merlinox ? Elle me ressemble et en même temps elle est tellement différente… Non ? Ou peut-être pas tant que ça… Et si c'était possible ? Tu y crois Merlinox ? Et si ce livre était notre avenir ? Si ce livre racontait vraiment ma vie ? Ou celle que je pourrais avoir ? C'est peut-être une fée qui l'a posé là. Qui sait ? Ne me regarde pas ainsi Merlinox, je ne suis pas folle ! Allez, descends ! Il est temps que je vive mes rêves !
Lutine qui n'avait cessé d'observer Pauline, la vit se lever si brusquement que le chat se retrouva par terre, complètement sonné.
Pauline se mit à tout remuer dans la librairie, déplaçant les étagères, vidant les tables, ramenant des chaises de la cuisine. Merlinox ne comprenait rien à tout ce remue-ménage. Bien sûr, Pauline savait qu'il lui faudrait du temps et de l'énergie, mais il fallait bien commencer. Pas après pas, elle réussirait.
De son côté, Lutine jubilait. Son plan avait marché ! Pauline avait commencé à changer, remplie d'une assurance nouvelle. Lutine était fière d'elle. Elle s'empressa d'aller tout raconter à Mélie. Celle-ci fut surprise par l'audace de Lutine, ravie et impressionnée que Lutine ait écrit une histoire. Elle-même n'en aurait même jamais eu l'idée ! Lutine appréhendait tout de même la réaction de la reine : elle risquait d'être punie pour son audace. Elle avait tout de même volontairement désobéi. De mémoire de fée, cela n'était jamais arrivé.
Amalia fut en effet contrariée que sa protégée ait osé aller à l'encontre de sa volonté. Mais, devant l'enthousiasme de Lutine et son assurance, elle décida d'aller voir par elle-même et de se rendre sur place. Ce n'était plus une librairie. Ou plutôt, plus juste une librairie. Elle avait été transformée en café-librairie et s'appelait dorénavant Aux livres magiques. On y voyait une banque d'accueil avec des tabourets hauts devant, comme un comptoir de café. De grandes étagères pleines de livres, des tables, des chaises, des fauteuils de toutes sortes… C'était un véritable lieu de vie, où les gens pouvaient lire et acheter des livres, mais aussi boire un thé ou un chocolat, déguster un bon gâteau fait maison, se reposer et parler. Amalia repéra immédiatement la jeune femme rousse. Celle-ci allait et venait, souriante, parmi les tables et les étagères. La librairie ne désemplissait pas, les clients appréciaient ce lieu convivial et avaient plaisir à venir pendant leur pause déjeuner, après le travail, pour un rendez-vous d'affaires… Tantôt elle apportait un livre à un client, tantôt elle déposait une tasse de thé à une table. Elle prenait le temps de discuter avec chacun. Pauline était épanouie. Elle accueillait les clients avec un sourire non feint et leur conseillait toujours le bon livre. Elle partageait sa passion avec ses plus fidèles lecteurs, organisait des soirées thématiques où tout le monde pouvait parler de son auteur fétiche ou faire découvrir une nouveauté. Pauline savait écouter patiemment, elle était toujours bienveillante. Si une personne était trop malheureuse, peine de cœur ou autre, elle lui offrait un thé.
Amalia se rendit à l'évidence, Lutine avait réussi sa mission. Elle ne se voyait donc pas la punir, même si celle-ci avait désobéi. C'était au final pour la bonne cause.
Ainsi, Lutine fut enfin acceptée par ses consœurs qui reconnurent son talent et la nommèrent la fée des livres. Les autres fées étaient impressionnées. Lutine était au centre de l'attention lors de la fête organisée pour célébrer la fin de la première mission des novices et leur réussite. Les questions fusaient de toutes parts : « raconte-nous ! », « explique-nous ce que sont les livres », « c'est vrai qu'ils sont magiques ? »... Lutine avait enfin trouvé sa place parmi les siennes.