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Il l'avait aimée dès la première seconde. Elancée, anguleuse, elle avait allumé des feux et des étoiles autour d'eux. C'était comme si le monde était né grâce à elle. Pour elle. À cet instant, il sut qu'il guetterait chacune de ses apparitions, qu'il chérirait chaque moment à ses côtés, qu'il ne se lasserait jamais de l'attendre. Pourtant, souvent, il lui fallut patienter longtemps. Longtemps avant qu'il puisse entrer en scène, minuscule chiure de mouche qu'il était, et la contempler d'en bas comme on se prosterne aux pieds d'une déesse.

Mais elle ne le voyait pas. Sa seule consolation était que ses semblables, les minus dans son style qui agitaient la queue ou jouaient à saute-moutons, n'avaient quant à eux jamais l'occasion de la fréquenter d'aussi près, ce qui éliminait une partie de la concurrence. Il devait par contre lutter contre d'autres prétendants. De beaux princes, aussi hauts et minces qu'elle, plus intriguants ou animés que lui. Des hybrides, des farceurs. D'anciens congénères qui s'étaient coiffés d'accessoires alambiqués pour attirer son attention. Rien que des imposteurs qui tentaient par tous les moyens de lui faire oublier à quelle caste ils appartenaient et qui le laissaient, lui, plus insignifiant et misérable que jamais en lui volant parfois la vedette.

Il était jaloux, simplement. Il ne pensait pas que quelqu'un comme lui puisse la séduire, et en ce sens il ne pouvait honnêtement reprocher à ses frères les plus extravagants d'user de tous les artifices pour capter son intérêt. Il enrageait pourtant de les voir se pavaner, à deux ou dix dans les lieux les plus malfamés, alliant parfois costumes droits et larges courbes pour faire bel effet en situations extrêmes. Lui, presque peiné par leur pitreries, inquiet également qu'elles finissent par fonctionner, attendait humblement qu'on le convoque à son poste. Alors, ramassé sur lui-même, rond et bouffis, excité et anxieux, il attendait qu'elle vienne, endosse son rôle à sa suite sans jamais le regarder, et s'écarte. Ses petites suivantes remplissaient alors leur office. Béat d'admiration, il les regardait valser, s'éloigner, se jumeler, se confondre, se séparer d'un petit trait, avant qu'on ne lui ordonne de se loger au pied de la dernière.

Parfois, elle, la belle, la magnifique, déambulait seule au milieu de ses cadettes, irradiant d'importance, d'honneur, de respect. Il la préférait dans ses aspects les plus humbles, pourtant, car ils lui permettaient de la frôler, par-delà le gouffre blanc qui les séparait. Il rêvait du jour où la main maladroite de l'univers coudrait leur deux rives, où une magnifique erreur les jetterait l'un contre l'autre et où peut-être, enfin, elle noterait son existence.

Pour l'instant, on exigeait sa venue en bout de file. Ses frères costumés avaient déjà joué la carte de l'hésitation et de l'entrain ; venait maintenant le tour de la décision. Fébrile, il roula à sa place. Une fois installé, elle ne tarderait plus à arriver. Le gouffre comme toujours grandit à son côté, froid, transparent.

Infini.

Elle ne venait pas.

Le point jeta un regard désespéré autour de lui. La majuscule ne viendrait plus. C'était la fin

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