La forêt, cachette parfaite, flottait dans les ténèbres. Le feuillage dense protégeait son peuple rupestre. Les troncs élancés, alignés en rempart, étaient frappés par la clarté de la lune.
La petite fille marchait sur le chemin qui y menait. Sous ses pieds, il était encore ruban clair et rassurant, cailloux qui roulent sous les pas entre deux sages bordures, mais plus il s’approchait du bois, plus il se ratatinait. Il devenait boueux et hésitant, envahi par la végétation féroce, s’achevant en ridicule sentier susceptible de se faufiler peut-être entre deux arbres si serrés que seule la petite fille pouvait espérer y passer.
Elle s’y dirigeait tout droit, d’un pas décidé, hâtif. Les pois de son pyjama répondaient tant aux pierres du chemin qu’aux tâches des troncs. Son ombre bleue était aussi froide que celle de la forêt. Aucun bagage, pas de manteau ; fallait-il que la Maison soit si terrifiante pour qu’elle s’en échappât, filant tout droit dans la noirceur de ce bois inhospitalier !
Elle n’emportait avec elle que son Monstre. Elle tirait par la main ce géant sauvage, massif tas de chair et de muscles, horrifiant malgré son épais pelage blanc. C’était le gardien de ses nuits, presque son doudou, caché sous son lit comme tous ceux de son espèce, seule présence sûre et constante, ainsi l’avait-elle embarqué dans ce périple.
Lui, campé sur ses pieds, son doux poil chatoyant dans la lune, il se laissait mollement mener et hésitait. N’appartenait-il pas à la Maison ? Ou alors, cauchemar personnel de la fillette, devait-il la suivre dans sa fuite, seul souvenir de l’enfance qu’elle daignait emporter ?
Inquiet, précautionneux, il se contentait de peser de son poids, pour ralentir la course, prolonger le voyage, profiter encore un peu de la beauté de cette balade au clair de lune, dans le silence et le secret d’une nuit du mois de mai.