"Une seconde. Deux secondes. Et puis trois. Encore une autre, et encore. En tout cela en fait plus de 30 millions. 365 jours en fait. Est-ce que tu t'en rends compte ? Cela fait déjà une année. Un an sans rien se raconter, un an que l'on vit l'un sans l'autre, un an que l'on ne se connait plus. Voilà ainsi ce que l'on est devenu : des étrangers.
Toi qui me connaissais si bien, toi qui étais là pour m'écouter, oui toi là, maintenant tu n'existes plus. Je ne te reconnais plus. Je ne me souviens plus de toi, même lorsque je t'ai devant mes yeux. J'ai l'impression que mes mots, que tes mots, qu'aucun de ces mots n'ont de fond. Je ne sais comment nous en sommes arrivés là. A la simple idée de te voir j'angoisse.
J'ai envie de te blesser, j'ai envie de te déchirer et d'égratigner ton visage. J'ai envie que tu disparaisses pour chasser la haine qui m'habite. Je frôle la crise, je suis incontrôlable. Les larmes coulent, les poings se serrent. Mes vieilles habitudes reprennent le dessus et il m'est impossible de m'arrêter. Cela me rend malade. Et pourtant j'ai besoin de nos échanges. J'ai besoin de m'assurer qu'il n'y a plus rien entre nous, que tout est vide. Vide de sens, vide d'envies, vide de tout. Et j'écris. "
La jeune fille s'arracha douloureusement à ses pensées, reprenant peu à peu conscience du monde qui l'entoure. Sa vision se focalisait sur cet espace vierge, qu'elle pouvait remplir à sa guise. Tout lui était permis, elle se sentait maître.
Et pourtant elle ne l'était pas. A ses pieds gisait une mèche de couleur brune. Elle s'était remise à jouer machinalement avec ses cheveux, sans s'en rendre compte. Elle tirait dessus, d'abord sans force, comme pour les localiser, puis elle agissait par à-coups jusqu'à se sentir libérée quelques secondes. Cela ne suffisait pourtant pas, il lui fallait recommencer, encore et encore. C'étaient des pulsions incontrôlables, de celles qui demeurent inavouées. De celles qui vous gâchent l'existence. Et quand on les croyait parties, elles revenaient de plus belles, ces mauvaises habitudes.
Elle examinait les dégâts qu'elle avait engendrés durant son absence, lorsque la porte craqua. Elle se leva précipitamment, et cacha maladroitement cet amas de cheveux, pour finalement lever la tête et voir son visage. Elle sursauta. Il ne pouvait pourtant pas être là, dans cette pièce.
Elle resta interdite quelques instants. Sa vision se brouillait, et pourtant elle s'approcha avec difficulté, le souffle court. Elle avança en tendant la main vers la silhouette jusqu'à ce que son image s'estompe dans une lumière vive. Enfin elle fut seule. Elle se recroquevilla, ramenant les lourds pans de sa robe au plus près d'elle. Elle ferma les yeux, enfin.